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Crise grecque et sursaut européen

Le Parlement européen a voté mardi 9 février la confiance au collège de Commissaires dirigé par Jose Manuel Durao Barroso. Avec 488 voix pour, 137 voix contre et 72 abstentions, le Président de la Commission européenne entame son second mandat avec un vote de soutien plus conséquent qu’en 2004. Est-ce à dire que les perspectives tracées par sa nouvelle équipe ces dernières semaines auront convaincu ? Clairement non. Il faut voir dans l’arithmétique du vote de mardi le reflet d’un Parlement européen majoritairement à droite depuis les élections de juin 2009, de même que le choix malheureux fait par des partis frères du PSE de soutenir, pour diverses raisons ponctuelles, un exécutif sans autre ambition pour l’Europe que celle d’épouser au mieux les contours d’un débat forgé ailleurs. A la faveur des plus récents développements de la crise de la zone Euro, la vacuité du programme du nouveau collège de Commissaires n’en apparaît d’ailleurs que plus flagrante, sauf bien sûr à accepter l’idée que la Commission ne soit plus autre chose qu’un simple Secrétariat-Général du Conseil. Dans ces conditions, le vote négatif des 14 députés européens du PS à Strasbourg mardi dernier était plus que fondé.

La crise de la zone Euro souligne toute l’impasse dans laquelle se trouve plongée l’Union européenne. Le décrochage de notre monnaie par rapport au Dollar et les attaques spéculatives des marchés financiers contre la zone Euro sous couvert de crises grecque, mais aussi espagnole et portugaise, ont pu se développer durant des semaines sans réponse européenne solidaire et coordonnée. Il était pourtant évident aux yeux de tous, à commencer par les quelques gouvernements encourageant ici et là George Papandreou à tenir bon sur le plan de rigueur nécessaire pour redresser les finances publiques exsangues héritées de son prédécesseur, que ces seuls messages n’étaient en rien à la hauteur ni du mal, ni de l’enjeu. Car c’est bien la zone Euro, sa crédibilité et sa pérennité même que les marchés attaquent, d’autant plus facilement qu’aucune riposte européenne sérieuse n’a été formulée, au point finalement de laisser infuser durant quelques jours l’idée que le FMI pourrait agir là où l’Union se contenterait de déclarations faiblardes et couardes. Il n’est pas certain que les déclarations du sommet de Bruxelles ce jeudi 11 février, non-assorties de mesures concrètes, représentent de ce point de vue un progrès majeur.

Les marchés financiers spéculent sur la possible cessation de paiement du gouvernement grec. La Grèce n’est pourtant pas le seul Etat membre endetté de l’Union européenne, bien au contraire. Tous les Etats membres ont laissé filer leurs déficits pour lutter contre la récession économique consécutive à la crise financière de l’automne 2008. Cela correspondait à une nécessité bien comprise, dès lors qu’elle restait sous contrôle malgré tout et n’oubliait pas la consommation, comme ce fut malheureusement le cas en France. Il y a aujourd’hui une insupportable ironie à voir les banques se retourner contre leurs sauveteurs. Elles alimentent à nouveau généreusement les hedge funds et spéculent également sur l’incapacité supposée de tel ou tel pays à faire face à ses dettes, y compris quand une part de ces mêmes dettes provient des dépenses énormes qu’il avait fallu engager pour sauver le système financier tout entier de ses propres errements. La finance est toujours aussi folle et les gouvernements bien trop timorés face à elle. Les Etats auraient sacrément gagné à imposer leur présence dans les conseils d’administration en retour du sauvetage des banques en 2008…

Dans la crise actuelle de la zone Euro, il faut donc voir la double urgence d’une réforme globale du système bancaire et de la mise en place d’un gouvernement économique européen. Il n’est plus possible d’accepter que les banques et institutions financières jouent contre l’économie réelle, prêtant peu d’un côté et spéculant de l’autre. De quelque manière que ce soit, y compris au prix d’une confrontation politique incertaine, il faut parvenir, entre autres mesures, à interdire aux banques de spéculer pour leur propre compte. Le risque et la volonté politique s’imposent. Ainsi, rien en l’état actuel des Traités européens n’interdirait à la Banque Centrale Européenne d’engager le bras de fer avec les spéculateurs et de racheter une large part de la dette grecque. Ce serait à la fois faire montre d’une belle solidarité européenne et d’une détermination à damner le pion aux financiers qui jouent contre l’Europe après en avoir abondamment bénéficié. Il y aurait quelque part une certaine forme de justice à ce qu’ils terminent en arroseurs arrosés et prennent la tasse à la faveur de la baisse des taux d’intérêts.

Reste qu’une semblable audace semble exclue en l’état actuel de la politique et du leadership de la Banque Centrale Européenne. Cela ne souligne donc que davantage encore l’impératif de la réflexion sur la mise en place d’un gouvernement économique européen, revêtu d’une légitimité démocratique, malgré toutes les difficultés institutionnelles qu’une telle perspective entraînerait immanquablement. Dans la période de crise que nous traversons, c’est toute l’économie de la zone Euro qui pâtit de l’absence d’un tel gouvernement en contrepoids à l’indépendance de la Banque Centrale Européenne. C’est plus que jamais le saut fédéraliste qu’il est désormais nécessaire de faire. Dès lors aussi, les questions du budget de l’Union, plafonné actuellement à 1% du PIB, et aussi de la capacité de l’Union d’emprunter, devraient être envisagées. Dans une période d’économie sereine, il serait sans doute rétorqué qu’il n’est pas interdit de rêver. Dans une période de crise profonde, menaçant même le projet européen dans ses fondements, il doit être dit qu’il n’est pas interdit de militer et de se battre. Aucun Européen ne peut se satisfaire de tant de limites et d’incertitudes.

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