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Les lampistes

L’un paie pour ses cigares consommés aux frais du contribuable, l’autre pour sa virée aux Antilles en jet privé et son vrai-faux permis de construire sur la côte varoise. Depuis la semaine passée et les propos du Président de la République devant les députés UMP, ils se savaient tous deux clairement en sursis. Jusqu’en octobre, pensaient-ils, puisque tel était l’horizon fixé par l’oracle de l’Elysée pour le remaniement ministériel la semaine dernière encore. Sauf que la priorité était de sauver coûte que coûte le soldat Woerth, empêtré jusqu’au cou dans l’affaire Bettencourt et ses embarrassantes révélations journalières.

Face à la colère grandissante de l’opinion publique, les choses se sont emballées. Entre jeudi et dimanche la panique a gagné le sommet de l’Etat. Il fallait agir. Entre deux Secrétaires d’Etat à pas grand-chose (ils n’ont même pas été remplacés…) et l’un des éléments essentiels du dispositif Sarkozy, il y a deux poids et deux mesures. C’est la réforme des retraites qui risquait d’y passer. Exit donc Alain Joyandet et Christian Blanc, lampistes de service, priés de débarrasser le plancher gouvernemental en plein dimanche après-midi. Le pouvoir les a sacrifiés dans l’espoir de voir le scandale Bettencourt se fondre dans la torpeur estivale.

La diversion a pourtant fait long feu. Les révélations continuent. Après le conflit d’intérêt entre Eric Woerth, ancien Ministre du Budget, et son épouse, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, il est désormais question depuis hier soir d’enveloppes remises à Eric Woerth, trésorier de l’UMP, pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Ces accusations, formulées par l’ancienne comptable de Liliane Bettencourt, sont gravissimes. Si elles venaient à être confirmées, elles porteraient en elles les ferments d’une redoutable affaire d’Etat, légitimant non seulement la démission du Ministre des Affaires Sociales, mais peut-être aussi celle du Président de la République.

Dans le climat actuel, c’est l’honneur du Parti Socialiste de ne pas crier avec les loups, de ne jamais oublier la présomption d’innocence et de demander des comptes dans le strict cadre de la démocratie parlementaire. Et c’est l’erreur de la droite que de s’enferrer dans une posture d’affrontement, refusant la création de la commission d’enquête proposée, brandissant un poing vengeur dans chaque session d’actualité pour finir, à court d’arguments, sur le thème du « tous pourris », au motif duquel il faudrait faire silence. Lourde erreur. Le Front National et tous les populistes sont en train de faire leur miel de cette rhétorique sans issue.

Comment Eric Woerth, Ministre du Budget, pouvait-il décemment ignorer la situation de Liliane Bettencourt, alors même que le Procureur Philippe Courroye avait alerté dès janvier 2009 son administration de la possibilité d’éléments de fraude dans son dossier ? Un tel contexte et plus de 30 millions d’Euros de restitutions au titre du bouclier fiscal ne justifiaient-ils pas que la question soit au moins évoquée au cabinet du Ministre ? Et désormais que les révélations s’étendent au financement de la campagne même du Président de la République, comment refuser plus longtemps de donner droit à la demande de constitution d’une commission d’enquête parlementaire ?

La droite a choisi l’épreuve de force, criant à la calomnie, exhumant et réécrivant de vieilles histoires recuites, au lieu de tout mettre sur la table comme la tradition républicaine le voudrait. C’est le signe d’un pouvoir autiste, au bout du rouleau, incapable d’entendre la colère et le dégoût qui se lèvent.

Eric Woerth aurait dû quitter sa fonction de trésorier de l’UMP dès son arrivée à Bercy. Cette confusion des genres est déjà en soi choquante. Le sacrifice de deux lampistes en lieu et place d’un acte d’honneur républicain est à l’image de l’incurie d’un pouvoir qui se noie dans les souvenirs et les compromissions du Fouquet’s.

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