Passer au contenu

Reconquérir la biodiversité

L’année 2010 avait commencé en fanfare pour les climato-sceptiques, qui, à l’instar de Claude Allègre, surfaient sur l’échec de la conférence de Copenhague pour discréditer les travaux du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Une erreur dans le dernier rapport du GIEC sur la fonte des glaciers dans le massif de l’Himalaya avait servi de déclencheur à la curée.

A l’évidence, la science du climat ne pouvait relever que de grossières manipulations et autres réalités plaisamment travesties. Sus alors à tous ceux qui, scientifiques et militants, se battent depuis des années pour mettre en évidence les risques pour l’humanité du réchauffement de la planète et en appeler à une action internationale coordonnée pour y faire face.

Cette campagne a fini toutefois par s’essouffler. Passés quelques mois, il ne restait plus en effet grand grain à moudre au-delà d’affirmations non-étayées par des preuves tangibles. La question a finalement été largement soldée par la récente présentation des résultats de deux rapports conduits par l’Agence néerlandaise d’évaluation de l’environnement (PBL ) pour l’un et par un panel de scientifiques indépendants agissant pour le compte de l’université d’East Anglia au Royaume-Uni pour l’autre. Le premier évalue le dernier rapport du GIEC et conclut qu’il ne s’y trouve aucune erreur significative susceptible d’invalider les conclusions de ses travaux à ce jour. Le second évacue tout soupçon de dissimulation ou manipulation dans les études menées sur le climat par les chercheurs de l’université d’East Anglia.

Dont acte, devrait-on dire, sauf que ces batailles médiatiques laissent toujours des traces. La lutte contre le réchauffement climatique requiert avant toute autre chose une prise de conscience individuelle et collective qui peut être minée par les polémiques suscitées. C’est d’ailleurs souvent le but de ceux qui les engagent. Dois-je modifier mon comportement de consommateur et de citoyen si l’on n’est plus si sûr que cela que la planète se réchauffe ? Devons-nous, dans ces conditions, nous plier à une taxe carbone contraignante et coûteuse ? J’ai entendu ces questions, comme bien d’autres, au cours des derniers mois. Même déjugés, les climato-sceptiques sont finalement parvenus à nous faire faire un pas en arrière alors que l’action n’est chaque jour pourtant que plus urgente.

Une telle situation est alarmante, d’autant que la lutte contre le réchauffement climatique n’est pas la seule des causes à défendre. C’est le cas aussi de la protection de la biodiversité. Les espèces animales et végétales sont menacées comme elles ne l’ont jamais été dans l’histoire de l’humanité. Songeons à la destruction accélérée des forêts tropicales, à la disparition des récifs coralliens, au recul des stocks halieutiques.

Dans l’Union, un rapport de la Commission européenne de 2008 a établi que 50% des espèces et jusque 80% des habitats sont menacés. Plusieurs études ont chiffré l’impact de la perte de la biodiversité sur l’activité économique à 50 milliards d’Euros, indiquant qu’il grimperait à 14 000 milliards d’Euros en 2050 si aucune mesure n’était en situation de renverser le mouvement.

A ce jour, et alors que 2010 est l’année de la biodiversité, la situation est très préoccupante. Un développement encourageant est cependant intervenu il y a quelques semaines : près de 100 Etats réunis sous l’égide de l’ONU en Corée ont adopté une recommandation en faveur de la création d’une plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité. Celle-ci permettrait de mettre sur pied un réseau d’expertise scientifique à l’instar de ce qui a été fait avec le GIEC.

Il reste encore à faire valider cette recommandation par l’assemblée générale de l’ONU en septembre pour passer à l’action. Sans pouvoir stopper le mouvement, les Etats les moins enclins à s’engager, tels le Brésil ou la Chine, ont veillé à ce que les décisions sur les missions confiées aux scientifiques soient prises à l’unanimité. Les ONG auront un statut d’observateur et ne pourront donc saisir directement la plate-forme. C’est dire que le pouvoir des scientifiques inquiète.

La plate-forme risque donc d’essuyer le même feu de critiques quant à son travail que le GIEC. Raison de plus d’investir ce terrain en termes de mobilisation. Les menaces pour l’avenir de la biodiversité sont connues : surexploitation des ressources naturelles, changement d’affectation des sols, pollutions, prolifération des espèces invasives et changement climatique. La plate-forme permettra d’en mesurer l’impact et de hiérarchiser ainsi les priorités pour l’action. Action publique bien sûr, mais aussi action privée à travers l’appel à la responsabilité sociétale du monde de l’entreprise.

Il faut intégrer la préservation et la reconquête de biodiversité dans chacune des politiques publiques. Le prix des produits mis en marché devrait pouvoir refléter les coûts des dommages infligés à la biodiversité ou au contraire les dépenses consacrées à la reconquérir. Les écosystèmes terrestres et marins absorbent aujourd’hui près de la moitié des émissions de CO2, c’est dire aussi tout l’enjeu de leur conservation et de leur reconquête.

1 commentaire