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Déni de réalité

13e Session AFE - ©Alain Fontaine
La session de l’Assemblée des Français de l’Etranger (AFE) la semaine passée à Paris a été l’occasion pour Bernard Kouchner de ripoliner autant que faire se peut le faible bilan de l’action gouvernementale auprès des communautés françaises de l’étranger.

Oscillant entre l’autosatisfaction et le déni de réalité, ce discours tombe à plat et ne répond en rien aux attentes de centaines de milliers de compatriotes à travers le monde : solidarité, justice et proximité dans l’action publique.

Quel mérite a-t-on à se gargariser que le nombre de Français établis hors de France ait progressé de 4% en un an lorsque la politique pratiquée à leur égard remet en cause l’universalité de nos réseaux ? Aucun. En introduction de son discours, Bernard Kouchner affirmait vouloir tordre le cou à « certaines idées reçues », ajoutant un peu plus loin qu’il « serait faux de dire que l’Etat se désengage ». Vraiment ?

Prenons l’exemple du réseau consulaire. Le Ministre indique que les ouvertures de postes consulaires auraient été plus nombreuses que les fermetures depuis 2004 : 13 contre 10. Il passe, ce faisant, sur les « transformations de postes », pudique allusion aux consulats d’influence, rebaptisés consulats à gestion simplifiée, dépouillés ou presque de leurs attributs comme l’état civil, les visas et les affaires sociales.

Ce qui est ennuyeux, c’est que le rapport du Directeur des Français à l’Etranger également présenté durant la session de l’AFE, ne dit pas vraiment la même chose. Depuis 2004, le Directeur recense quant à lui 10 ouvertures et 8 fermetures. Et il précise surtout que 19 consulats ont été transformés. Que nous dit le Ministre du fonctionnement à flux tendus des postes consulaires, de la charge de travail pesant sur les personnels et de la dégradation des services qui en résulte pour nos compatriotes? Malheureusement rien.

Bernard Kouchner vante les mérites de la prise en charge de la scolarité dans les classes de lycée, passant rapidement sur les difficultés de financement et ignorant totalement les effets dévastateurs de cette mesure pour l’ensemble du réseau de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE). Le coût de la prise en charge a en effet entraîné une hausse moyenne des frais de scolarité de 6% dans les établissements, contribuant à l’élitisme social et à un effet d’éviction dont souffrent aussi les familles d’élèves étrangers. Est-il interdit, tout Ministre que l’on est, d’avoir un peu de recul et des idées personnelles sur le moyen de mettre un terme à ce gâchis ? A en croire Bernard Kouchner, oui, car de propositions, il n’y en a pas eu. Parler de « démarche généreuse » à propos de la prise en charge et ajouter dans la même phrase qu’il s’agit désormais de « trouver les moyens de financer l’aide à la scolarité pour les années à venir », ce n’est ni plus ni moins acter un constat d’échec politique.

Le rapport du Directeur des Français de l’Etranger établit l’extrême précarité financière dans laquelle se trouve un Ministère des Affaires Etrangères exsangue. Ainsi, le programme 151
« Français à l’étranger et affaires consulaires » présente « un budget de plus en plus contraint » selon les termes mêmes du Directeur à la page 24 de son rapport. Constat lucide, qui contredit l’optimisme du Ministre. Si les crédits du programme 151 augmentent, c’est uniquement en raison du coût de la prise en charge de la scolarité en classes de lycée. Les crédits pour l’administration des Français reculent bel et bien.

Les coupes visent aussi les effectifs. Ainsi, à l’échelle du Ministère, il est question de supprimer 610 emplois à temps plein entre 2011 et 2013 sur un nombre total d’agents aux alentours de 15 000. Seront particulièrement visés les fonctionnaires détachés des autres Ministères et les contractuels. Nombre d’entre eux se trouvent dans les centres culturels, qui devraient donc souffrir. Quelle cohérence y voir après la création de l’Institut français au mois de juillet dernier ? Aucune.

Le Ministère des Affaires Etrangères est un creuset de talents, de volontés et d’idées. Il faut rendre hommage à ses personnels, qui, sur le terrain, agissent avec passion et sens de l’Etat, dans ce contexte politique cependant délétère. Que restera-t-il de l’universalité de nos réseaux en 2012 ? C’est un sujet de grande inquiétude. Il faudra tout mettre à plat, évaluer d’un œil autre que seulement comptable les choix effectués ces dernières années, poser le principe d’un moratoire sur le développement des consulats à gestion simplifiée et des pôles régionaux, cesser d’invoquer la citoyenneté européenne à tout bout de champ et sans fondement pour camoufler le retrait de l’Etat. Ce n’est pas avec moins qu’il sera possible de faire mieux.

Posons le principe que le retour de l’intérêt général au cœur de l’action publique à l’étranger aura un coût et que la gauche victorieuse l’assumera. Les bientôt 1,5 million de Français de l’étranger l’attendent. La solidarité à leur égard exige une autre politique.

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