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L’esprit de Nagoya


Et si finalement les bonnes nouvelles venaient souvent du Japon? C’est ce que l’on pourrait se dire après la conclusion à la Conférence de Nagoya d’un accord – osons le mot – historique sur la biodiversité. Après Kyoto sur le climat, Nagoya est en effet un second grand pas vers la prise de conscience universelle des ravages causés par notre mode de développement et des changements à impulser pour sauver l’humanité d’une catastrophe en devenir.

Le WWF, dans son rapport « Planète vivante 2010 », estime ainsi que l’homme aura besoin en 2030 d’utiliser l’équivalent de deux planètes pour répondre à ses besoins. L’économiste Pavan Sukhdev, coordinateur de l’étude intitulée « L’économie des systèmes écologiques et de la biodiversité », qui était intervenu devant les délégués des 193 Etats, évalue à 7% du PIB mondial le coût annuel de la dégradation des écosystèmes. L’étude de Pavan Sukhdev n’est pas sans rappeler le rapport Stern sur le coût de l’inaction face au réchauffement climatique, qui avait contribué à alerter l’opinion publique mondiale sur l’urgence d’agir.

Les délégués à la Conférence de Nagoya ont adopté un plan stratégique pour 2020 s’appuyant sur 20 objectifs pour préserver la biodiversité. Parmi ceux-ci, l’on trouve notamment l’augmentation des surfaces protégées de la planète : 17% de la surface totale des terres et 10 % de la surface totale des océans, contre respectivement 13% et 1% à ce stade. Il y a aussi l’engagement de diminuer les subventions encourageant la déforestation et la surpêche.

La Conférence a permis également de conclure un important protocole sur le partage des bénéfices des industries pharmaceutiques et cosmétiques issus de la faune et de la flore des pays du sud. Ce sujet était en négociation depuis plus de 8 ans. Le protocole pourrait entraîner un transfert financier bienvenu au bénéfice des pays en développement. Enfin, une plate-forme internationale d’experts, construite sur le modèle du GIEC, sera créée pour éclairer les décisions politiques sur des bases scientifiques indiscutables.

Il faut maintenant transformer sur le terrain l’essai de Nagoya. Les Etats parties seront chacun à la manœuvre sous l’attention vigilante des ONG. La bataille de l’application des engagements de la conférence n’est pas la moindre. Elle est celle du financement des mesures décidées comme également des réformes à mettre en place au plan national. La France a, de ce point de vue, beaucoup de travail à faire.

Le récent projet gouvernemental de création d’une Agence de la Nature, regroupant les organismes agissant dans le domaine de la biodiversité, n’a en effet plus grand-chose à voir avec l’idée initiale du Grenelle de l’Environnement, puisque l’agence n’inclura pas l’Office National de l’Eau, l’Office National des Forêts ou bien encore l’Office National de la Chasse. La dispersion des moyens restera donc malheureusement d’actualité si le cap n’est pas redressé à la faveur de l’élaboration de la stratégie nationale pour la biodiversité, attendue pour mai 2011.

Puisse la dynamique de Nagoya inspirer les négociateurs de la Conférence de Cancun sur le climat de décembre prochain. Les nouvelles ne sont pas encourageantes. La Chine semble peu disposée à bouger et il est à craindre qu’une victoire républicaine aux élections de mi-mandat aux Etats-Unis mardi prochain complique encore davantage la tâche de l’administration Obama, déjà en retrait par rapport à ses promesses de changement d’il y a deux ans. Les Etats-Unis, qui n’ont pas ratifié la Convention de l’ONU sur la biodiversité, étaient absents à Nagoya.

Le temps qui passe rend l’action toujours plus urgente. L’objectif est de limiter le réchauffement climatique à 2°, ce qui emporte pour les pays industrialisés la nécessité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 25% à 40% au-dessous de leur niveau de 1990. Or, leurs propositions à ce stade ne conduiraient malheureusement qu’à une réduction de 14% à 18%. Le compte n’y est donc pas, pas plus qu’il ne l’est sur le versement pourtant promis de 30 milliards de dollars aux pays en développement pour 2012.

La canicule et les incendies de l’été dernier en Russie, les tempêtes de l’hiver écoulé sur le rivage atlantique de l’Europe, l’accident de la plate-forme pétrolière de BP dans le golfe du Mexique et le drame des boues rouges en Hongrie au début du mois d’octobre sont autant d’évènements récents qui en appellent à une prise de conscience internationale. Notre planète va mal. Nos pays sauront-ils faire abstraction de considérations économiques de court terme pour agir enfin de concert?

La Conférence de Copenhague en décembre 2009 avait tourné au grand barnum médiatique, chaque leader s’y précipitant pour être vu plutôt que pour y retrousser ses manches. A l’arrivée, davantage qu’un échec, c’est d’une terrible désillusion dont il avait été question. La Conférence de Nagoya montre par la preuve que le sursaut est cependant possible. Espérons que l’esprit de Nagoya inspire les discussions serrées de Cancun pour que l’année s’achève par une bonne nouvelle pour la planète.

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