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Trois jours en Hongrie (17-20 avril 2014)

Photographie: Avec Jeney Orsolya, directrice d’Amnesty International Hongrie

Jusqu’où le nationalisme est-il compatible avec les valeurs européennes et le cadre politique de l’Union ? C’est la question que je me posais au moment de me rendre en Hongrie le 17 avril et me pose toujours au lendemain d’un voyage à Budapest et Szeged certes passionnant, mais qui n’aura pu dissiper toutes mes inquiétudes. Deux semaines après la victoire incontestée du Premier Ministre Viktor Orban et du FIDESz aux élections législatives du 6 avril, ce n’est sans doute pas en effet vers un second mandat plus consensuel que l’on semble à première vue se diriger et je le regrette. Par coïncidence, le matin de mon départ pour Budapest, j’avais déjà eu l’occasion d’exprimer ces interrogations à l’occasion d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale sur les 10 ans de l’adhésion de la Hongrie à l’Union européenne. Le texte de mon intervention se trouve en pièce jointe.

A Budapest comme à Szeged, j’ai voulu prendre tout le temps de l’échange. Je me suis rendu au Lycée Français Gustave Eiffel de Budapest. Le Lycée compte 613 élèves. J’ai passé un moment avec deux classes de 4ème pour un exercice très intéressant d’éducation civique. Etabli dans de beaux locaux inaugurés il y a une dizaine d’années, le Lycée a perdu ces derniers mois la subvention que lui accordait le gouvernement hongrois et qui représentait près de 8% de ses recettes. En effet, un décret signé par le Premier Ministre le 4 octobre 2013 subordonne désormais l’octroi de la subvention au respect du programme d’enseignement hongrois, à la possession par les enseignants de diplômes recensés par les autorités hongroises et à l’établissement de tous les documents administratifs exigés pour les autorités hongroises. Ce sont des conditions que le Lycée Gustave Eiffel ne pouvait réunir.

La direction du Lycée, le conseiller culturel Hervé Ferrage et l’Ambassadeur Roland Galharague se battent depuis lors pour qu’un accord bilatéral entre la France et la Hongrie en matière d’enseignement permette, à l’instar des Etats-Unis et de l’Allemagne, de récupérer le versement de la subvention, de maintenir ainsi les frais de scolarité sous contrôle et de protéger le développement du Lycée. Je me suis engagé à appuyer ces efforts auprès du gouvernement français. L’avenir du Lycée, dont je soutiendrai un projet au titre de ma réserve parlementaire pour 2015, ainsi que l’engagement de notre pays en faveur des 11 sections bilingues existant dans des lycées hongrois et 10 filières universitaires francophones, aura été au centre de mon entretien avec Hervé Ferrage et ses collaborateurs à l’Institut français de Budapest.

La ville de Szeged, située dans le sud du pays, à quelques kilomètres de la Serbie, possède une importante université, qui a mis en place ces dernières années une offre francophone remarquable. Avec le Consul honoraire Eric Blin, j’ai rencontré la municipalité de la ville (dirigée par le MSZP, opposition socialiste), le doyen de la Faculté de lettres et président de l’Alliance française Sandor Czernus et le directeur des formations de la Faculté de droit Peter Kruzslics. Un cursus bi-diplômant a été ouvert entre la Faculté de droit de Szeged et l’Institut Politique de Lille, qui voit les étudiants passer un semestre à Szeged et un autre à Lille. Szeged vient également de signer un accord avec l’Université Senghor d’Alexandrie sur le partenariat Europe-Afrique et en sera le campus européen. L’attachement à notre langue et à notre culture à Szeged, ville du Ministre des Affaires étrangères et de l’Ambassadeur de Hongrie à Paris, tous deux professeurs de droit, est à saluer et protéger.

A Budapest comme à Szeged, j’ai visité nos services consulaires. J’y ai également tenu une permanence parlementaire et une réunion publique de compte-rendu de mandat. Rejoint par Louis Sarrazin, Conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger, j’ai apporté mon soutien à Franck Lefebvre, qui conduira la liste de Français du Monde – ADFE aux élections consulaires du 25 mai. De loin, à Paris, l’on imagine volontiers que les vicissitudes de la vie politique au sein d’un pays européen n’affectent pas les Français qui y sont établis. Comme j’aimerais que ceux qui tiennent négligemment ce langage échangent avec les compatriotes rencontrés en Hongrie ! Car l’incertitude du lendemain existe bel et bien, relevant tout à la fois d’un climat politique pesant et de mesures prises ou annoncées en défaveur des étrangers, européens ou non. Au point pour moi d’avoir été interrogé par plusieurs compatriotes, en Hongrie depuis des décennies, sur les conditions d’un retour en France.  

Incertitude et discriminations, telles sont aussi en creux les conclusions que je retire de mes échanges avec les milieux d’affaires en Hongrie et avec la Chambre de commerce franco-hongroise. Si un arbitrage international a permis, à l’issue d’une longue procédure, de dédommager GDF Suez de son éviction brutale de la distribution des eaux à Budapest et Pecs, il n’en va pas de même pour d’autres sociétés françaises, confrontées à des mesures leur interdisant l’accès au marché. C’est par exemple le cas des entreprises françaises évincées du marché des titres repas, qui vient juste d’être porté devant la Cour de Justice de l’Union européenne. C’est aussi la situation des entreprises et investisseurs étrangers dans le domaine agricole, empêchés de mettre en marché leur production en raison de leur nationalité. De telles discriminations sont intolérables.

Rien ne se construit durablement sans égalité en devoirs et droits, au moins entre Européens. Je crois profondément au libre-échange commercial dès lors que les règles du jeu sont les mêmes pour tout le monde. Or restreindre les investissements internationaux dans une logique nationaliste est l’assurance à brève échéance d’assécher l’économie. L’Union européenne ne peut pas ne pas être exigeante quant au respect immédiat par la Hongrie des règles du marché unique. Surtout lorsqu’elle s’engage – et c’est heureux – en faveur d’un projet aussi structurant que le projet « Extreme Light Infrastructure » (ELI), unissant la Hongrie, la République tchèque et la Roumanie sur les plus novatrices des technologies du laser. L’Union mettra 250 millions d’Euros sur la table pour ce projet, qui bénéficiera pour l’essentiel à la ville de Szeged, où s’installeront pas moins de 400 personnes liées au projet dans les deux à trois années à venir. Un parc industriel sera créé autour du site d’ELI. C’est une opportunité industrielle formidable.

De Budapest à Szeged, j’ai pu prendre toute la dimension du potentiel économique et humain de la Hongrie. Il s’exprimerait tellement plus facilement si le pays jouissait de ce cadre politique et démocratique serein qui lui fait malheureusement défaut. J’ai souhaité rencontrer Jeney Orsolya, la jeune directrice d’Amnesty International en Hongrie. Je suis membre d’Amnesty International depuis près de 20 ans et accorde la plus grande confiance à son jugement. Sur la prévention des attaques racistes contre les Roms (qui constituent environ 10% de la population hongroise), les droits de la communauté LGBT, la liberté d’expression des médias et l’hostilité même du gouvernement à l’égard d’Amnesty International Hongrie, le compte n’y est pas et l’on ne peut qu’être inquiet. La question n’est pas d’opposer la droite à la gauche ou vice versa, elle est fondamentalement d’épargner la contagion du débat public par le racisme, l’intolérance et la rhétorique de l’extrême-droite.

Tout pays doit savoir regarder son passé sans détour. Rien n’est pire que de le nier ou le réécrire. Français, j’avais été bouleversé par le discours du Président Jacques Chirac reconnaissant en 1995 la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’ d’Hiv’ et dans la Shoah. 10% des victimes de la Shoah étaient des juifs de Hongrie. Le gouvernement hongrois se refuse à ce retour sur ce passé douloureux. Pire, il fait ériger au centre de Budapest un monument « en mémoire de l’occupation allemande », qui exclut de fait toute responsabilité hongroise dans la tragédie des années 1944-1945. Cette construction très controversée représente l’aigle (allemand) terrassant l’Archange Gabriel (hongrois). Elle a été ordonnée par Viktor Orban le surlendemain de sa victoire électorale du 6 avril.

J’ai voulu achever mon séjour par le devoir de mémoire. Le mois passé, j’étais à Auschwitz-Birkenau. Il y a deux semaines, j’étais à Izieu. J’ai déposé une gerbe tricolore à mon nom au pied du Mémorial des Juifs fusillés et jetés dans le Danube, entre le Pont des Chaînes et le Pont Marguerite. Le Mémorial est une collection de 60 paires de chaussures et bottes en bronze, parmi lesquelles quelques chaussures d’enfants, symbolisant les milliers de Juifs rassemblés sur ce quai en 1945, exécutés et précipités dans le fleuve par les fascistes hongrois des Croix fléchées. Avec l’Ambassadeur de France et Louis Sarrazin, je me suis rendu ensuite au Mémorial de l’Holocauste avant d’être reçu à la grande synagogue de Budapest par le rabbin Robert Frolich et de la visiter en sa compagnie. Le combat de la Mémoire est aussi celui de l’avenir.

Je remercie l’Ambassadeur Roland Galharague, la Consule Géraldine Escales, le Consul honoraire de France à Szeged Eric Blin et Marie de Sarnez, stagiaire de l’ENA, pour leur disponibilité, leur soutien dans la préparation de mon voyage et la gentillesse de leur accueil.

La Hongrie, la France et l’Europe

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