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Projet de loi sur le renseignement : les raisons de mon abstention

L’Assemblée nationale se prononcera en fin d’après-midi ce mardi sur le projet de loi relatif au renseignement. J’ai décidé, après une longue réflexion, de m’abstenir sur ce texte et je tiens à m’en expliquer. Si je me range bien entendu totalement derrière l’impératif de renforcer la sécurité des Français et salue le travail remarquable accompli par le rapporteur Jean-Jacques Urvoas pour faire entrer – pour la première fois – les activités de renseignement dans le cadre du droit, je redoute que certaines dispositions du projet de loi puissent rendre possible une surveillance massive des citoyens. C’est cette crainte qui me conduit, par l’abstention, à marquer des réserves, auxquelles j’espère que le débat à venir au Sénat pourra apporter réponse. Les libertés individuelles sont précieuses et il convient de veiller à ce que les limites qui puissent y être posées au nom de l’intérêt général soient précises et dûment proportionnées. Il est important également qu’un contrôle solide des mesures de renseignement soit mis en place.

Depuis 2013, j’ai suivi au sein de la Commission des affaires juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) la préparation de deux rapports sur les pratiques de surveillance massive et sur le statut des donneurs d’alerte. Je me suis exprimé tout récemment concernant le premier de ces rapports (voir le texte et la vidéo de mon intervention plus bas), soulignant que le combat contre le terrorisme ne saurait se concevoir au prix d’écarts avec l’Etat de droit. L’exigence de protection des libertés que je promeus à Strasbourg ne peut être moindre à Paris. Je me dois d’être cohérent et fidèle aux principes que je défends, que je travaille sur notre législation nationale ou celle d’autres Etats dans le cadre plus large du Conseil de l’Europe. Les droits de l’homme et la sécurité vont de pair. Ils ne s’opposent pas. Or, je vois dans le projet de loi des faiblesses au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de libertés que je ne peux ignorer en conscience.

Certains des critères retenus pour engager les opérations de renseignement m’apparaissent trop vagues. C’est le cas notamment de « la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée » ou des « violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». L’installation à charge des opérateurs des télécoms et d’Internet de boîtes noires pour filtrer les profils dangereux me semble aller à l’encontre du droit à la vie privée et à la liberté de correspondance. Je trouve en outre que la durée de conservation des données – cinq ans – est excessive. Enfin, je regrette que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement prévue par le projet de loi ne dispose que d’un avis facultatif sur une mesure de renseignement alors même que le contrôle a posteriori devant le Conseil d’Etat reste limité. Je pense que, pour chacun de ces éléments, des définitions plus précises et proportionnées ainsi qu’un contrôle efficace des mesures de renseignement doivent être introduits.

J’espère que le Sénat travaillera en ce sens. C’est pour cela que je pousserai le bouton « abstention » et non celui de « contre ». Si la navette parlementaire à venir pouvait conduire à faire disparaître ce déséquilibre que je ressens entre les impératifs de la sécurité et la protection des libertés, je serais prêt à voter pour le projet de loi, nécessairement amendé, à l’issue de la commission mixte paritaire. Je me refuse en tout état de cause à condamner par un vote négatif un texte en cours d’élaboration, qui doit encore être enrichi. En aucune manière, je ne préfère le non-droit (la situation d’aujourd’hui) au droit en construction et j’espère de ce fait que nous pourrons collectivement, à l’Assemblée nationale et au Sénat, faire de ce projet un progrès pour la sécurité et pour les libertés. Il faut pour cela être exigeant. L’annonce récente de la saisine du Conseil constitutionnel par le Président de la République à l’issue de la procédure législative ne doit pas nous conduire, parlementaires, à relâcher la vigilance sur le respect des libertés garanties par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme en se disant que le juge passera derrière nous. C’est tout autant notre devoir de législateurs de les sauvegarder.

Pierre-Yves Le Borgn’

Les opérations de surveillance massive

Débat devant l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe

Mardi 21 avril 2015

M’exprimant au nom du groupe socialiste, je tiens avant tout à féliciter Pieter Omtzigt pour la qualité de son rapport. Les pratiques de surveillance massive sont-elles efficaces pour prévenir les risques, notamment terroristes, qui menacent nos sociétés libres et ouvertes ? Je n’en suis pas certain. L’histoire récente et tragique, malheureusement, ne nous en a pas apporté la preuve. Je crois bien plus en des activités de renseignement ciblées, visant des personnes soupçonnées de préparer des activités terroristes ou criminelles. L’efficacité doit primer, l’Etat de droit aussi. Car ce n’est pas au prix des libertés individuelles que l’on gagnera le combat contre les ennemis de la démocratie. Les opérations de surveillance révélées avec courage par Edward Snowden ont montré combien avaient été piétinés par les services de renseignement des Etats-Unis et leurs partenaires en Europe les éléments essentiels de la Convention européenne des droits de l’homme que sont en particulier le droit à la liberté d’expression, le droit à la liberté d’information et le droit au respect de la vie privée.

Je ne condamne, nous ne condamnons aucunement les activités de surveillance et de renseignement. Elles sont nécessaires. J’entends cependant, comme citoyen et parlementaire, qu’elles soient clairement définies et encadrées par la loi. C’est un sujet actuellement en débat à l’Assemblée nationale à Paris. Je me félicite que le projet de loi sur le renseignement dont sont saisis les parlementaires français vise, pour la première fois, à établir un cadre juridique et un contrôle démocratique des activités de renseignement en France. Je m’inquiète, par contre, que le caractère insuffisamment précis des missions ainsi que l’extension des moyens et techniques de renseignement puissent un jour rendre possibles des pratiques de surveillance massive par un pouvoir peu regardant sur l’Etat de droit. Je revendique la nécessité d’un contrôle judiciaire exigeant, jusqu’au respect du principe de proportionnalité, d’une protection à accorder aux donneurs d’alerte, jusqu’au droit d’asile, et du devoir de désobéissance des fonctionnaires face à des ordres manifestement illégaux.

Nous vivons des temps difficiles. Les démocraties, les sociétés de liberté sont toujours en danger. Il est normal dans ces conditions de mettre en balance, en toute sincérité, les exigences de la guerre contre la terreur et le respect des droits qui fondent le cadre de paix dans lequel nous vivons. Qui, dans cet Hémicycle et dans les Hémicycles de nos parlements nationaux, dès lorsqu’il ou elle a les droits de l’homme à cœur, ne réfléchit pas en ces termes et ne se pose pas cette question, quitte à ne pas y trouver d’ailleurs immédiatement la réponse. Car la sécurité n’exclut pas les droits de l’homme et les droits de l’homme n’excluent pas la sécurité. Il ne doit y avoir ni faucons, ni agneaux, mais des femmes et hommes, issus du suffrage universel, qui mènent de front les combats de la sécurité et des libertés. A l’échelle nationale et européenne. C’est pour cela, Monsieur Omtzigt, que le groupe socialiste soutient votre rapport et ses propositions, jusqu’à ce code du renseignement multilatéral que vous recommandez d’élaborer, au nom du principe de confiance mutuelle qui fonde précisément notre vivre ensemble d’Européens. 

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