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Proposition de loi sur le recours aux mères porteuses

L’Assemblée nationale a débattu hier de deux propositions de loi présentées par le groupe Les Républicains visant à constitutionnaliser le principe de dignité de la personne humaine et sanctionner pénalement les Français recourant à la gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. J’avais prévu d’intervenir dans ce débat pour expliquer le fond des arrêts Mennesson et Labassée de la Cour européenne des droits de l’homme de 2014, faussement présentés comme ayant légalisé la GPA en France. Je m’étais déjà exprimé sur l’exécution défaillante de ces arrêts devant l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe en avril dernier. Ma position est claire : je m’oppose à la légalisation de la GPA en France, mais je n’accepte pas que notre pays, en dépit de sa condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, continue de refuser la transcription des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger. Il s’agit ici de respecter la jurisprudence de la Cour, fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant, en l’occurrence le droit à la nationalité et à l’état-civil. Un enfant n’a pas à être condamné à de moindres droits que les autres en vertu des conditions dans lesquels il a été conçu.

A mesure que le débat avançait hier à l’Assemblée nationale, j’ai fini, alors même que je n’appartiens plus à la Commission des Lois depuis 2013, par disposer du temps de discussion générale le plus long du groupe socialiste, écologiste et républicain et par défendre à l’issue de la discussion générale une motion de rejet préalable en son nom. Cette motion se fondait sur l’inutilité des deux propositions de loi présentées, la Constitution reconnaissant déjà le principe de dignité de la personne humaine à l’alinéa 1 du préambule de la Constitution de 1946 et le code pénal interdisant en France le recours à la gestation pour autrui. La motion couvrait également l’obligation faite à la France au titre de ses engagements auprès du Conseil de l’Europe d’exécuter les arrêts Mennesson et Labassée et mettait en garde contre les difficultés au regard du droit européen d’une législation « extra-territorialisant » le délit d’interdiction de GPA en visant les citoyens français qui y auraient recours à l’étranger. Cette motion a été rejetée par 45 voix contre 41.

Le débat s’est alors engagé sur les articles des deux propositions de loi. J’y ai assisté, un peu seul sur les bancs socialistes, il faut bien le reconnaître. Le gouvernement, représenté par le Ministre des Relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen, a invoqué la réserve de vote. Ceci a conduit à examiner tous les articles et les amendements, sans vote. Un vote solennel interviendra mardi prochain vers 17 heures après la séance des questions au gouvernement. Retenu à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe par la session d’été et le vote de mon rapport sur les réseaux culturels et associatifs des diasporas européennes, je ne pourrai être présent. Je donnerai cependant pouvoir, comme m’y autorise le règlement de l’Assemblée nationale, pour prendre part à ce vote. Sur ce sujet et dans ce débat, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui m’ont guidé. Je regrette les caricatures, les propos acerbes et les insultes entendues des bancs de l’opposition durant mes deux interventions à la tribune. Tout cela n’est pas digne. L’irrespect, l’incivilité et l’intolérance tuent autant le débat public que la parole publique.

Voici plus bas le texte de ma principale intervention en séance ainsi que la vidéo de celle-ci et de la présentation de la motion de rejet préalable.


Pierre-Yves Le Borgn’

Proposition de loi visant à lutter contre le recours à une mère porteuse

Jeudi 16 juin 2016

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame et Monsieur les Rapporteurs, chère Valérie Boyer, cher Philippe Gosselin,

Chers collègues,

Les deux propositions de loi, l’une constitutionnelle, l’autre ordinaire, qui sont soumises aujourd’hui au débat et au vote de l’Assemblée nationale portent sur un sujet qui cristallise les passions : la gestation pour autrui. Parce que nous avions entamé la législature avec la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, sans doute était-il écrit que nous ne nous quitterions pas en 2017 sans avoir abordé la gestation pour autrui, que les adversaires du mariage pour tous présentaient comme l’étape ultime, au-delà de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes dont je regrette à titre personnel que l’absence de légalisation en France manque à notre bilan. S’agissant de la gestation pour autrui, la vérité est qu’il n’a jamais été envisagé de légiférer pour l’autoriser dans notre pays et je crois utile de le rappeler d’emblée. Les débats du printemps 2013 ont exposé des convictions. Comme beaucoup ici, j’en garde un souvenir fort et une fierté. Ce fut un grand combat pour l’égalité, pour le droit et pour la liberté d’aimer. Je respecte cependant en toute sincérité les convictions différentes qui s’exprimèrent alors et celles des voix qui choisirent de les porter loin de toute outrance et caricature.

Suis-je favorable à la légalisation de la gestation pour autrui en France ? Non. Intimement, je ressens rudement l’idée de la marchandisation du corps de la femme. Faut-il dès lors voter les deux propositions de loi qui nous sont présentées ? Pas davantage. Pour avoir rencontré, tout comme d’autres collègues ces derniers mois, des familles qui ont eu recours à l’étranger à la gestation pour autrui, j’ai pu mesurer toute la souffrance qu’avait représentée pour elles l’infertilité. J’ai été touché par les témoignages bouleversants de ces femmes et de ces hommes, par ces destins familiaux tourmentés, par cette volonté farouche de donner de l’amour à un enfant. Qui serais-je pour juger ces familles ? Je veux leur dire mon respect. Etendre le délit de recours à la gestation pour autrui au-delà des frontières aurait un caractère de profonde injustice. Ce serait criminaliser la volonté d’aimer. Au demeurant, pareille législation, loin de mettre un terme à la gestation pour autrui transfrontière, aggraverait les difficultés, poussant les familles vers une forme accrue de clandestinité et donc de vulnérabilité, dont les premières victimes seraient les enfants. Pensons avant tout à eux, chers collègues.

La proposition de loi constitutionnelle défendue par Philippe Gosselin vise à compléter l’article 1er de la Constitution par un troisième alinéa ainsi rédigé : « La République française, fidèle à ses valeurs humanistes, assure et garantit le respect du principe d’indisponibilité du corps humain ». Cette pétition de principe pourrait être utilement inscrite dans notre loi fondamentale, si le principe constitutionnel de « dignité de la personne humaine » n’y figurait pas déjà. En effet, le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité, dispose en son alinéa 1er : “Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés”. Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel ont mis en évidence le contrôle légitimement sourcilleux du respect de ce principe. Ainsi, lors de l’examen des lois bioéthiques de 1994, le Conseil a déduit qu’il ressort du 1er alinéa du préambule de 1946 que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». Cette jurisprudence n’a jamais été démentie depuis. Pourquoi dans ces conditions présenter une proposition de loi constitutionnelle objectivement redondante ? Peut-être pour tenter de faire au gouvernement le procès d’intention d’être peu regardant sur la dignité de la personne humaine. Tout cela est infondé et, je tiens à l’ajouter, blessant. Il est faux d’assimiler la circulaire de la Garde des Sceaux du 25 janvier 2013, qui ouvre aux enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui l’ensemble des droits attachés à la filiation par le code civil, à « un premier pas vers l’acceptation de la gestation pour autrui ». Les députés du groupe socialiste, écologiste et républicain ont toujours défendu le respect absolu du principe constitutionnel de dignité de la personne humaine, comme vous, Monsieur le rapporteur. Laisser imaginer l’inverse se heurte à la vérité des faits, des discours et des votes.

Pourquoi chercher à interdire ce qui l’est déjà ? C’est la question que je vous pose, Madame la rapporteure. L’article 227-12 du code pénal prohibe en effet la gestation pour autrui, l’assortissant de peines maximales de 2 ans de prison et 30.000 Euros d’amende. Pouvez-vous imaginer que l’extra-territorialisation de ce délit que vous souhaitez introduire dans le code pénal ne rencontrerait pas, tôt ou tard, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ? Vous voulez, en vérité, empêcher l’application par la France des arrêts Mennesson et Labassée de la Cour, en date de 2014. Rapporteur en charge de l’exécution des arrêts à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, je rappelle que le respect de la jurisprudence de la Cour n’est pas une suggestion, mais une obligation. Les arrêts Mennesson et Labassée de 2014 s’imposent à nous. Contrairement à ce qui a pu être dit, y compris dans cet Hémicycle, ces arrêts n’ont aucunement remis en cause l’interdiction de la gestation pour autrui en France. Ce que la Cour a sanctionné, c’est l’impossibilité pour les enfants de faire établir leur filiation à l’égard de leurs parents biologiques, qui constitue en France un droit pour tous les enfants. C’est l’intérêt supérieur de l’enfant et lui seul qui a guidé la Cour. L’incertitude entourant les droits des enfants nés à l’étranger de gestation pour autrui se heurte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Votre proposition de loi, si elle était votée, serait immanquablement condamnée à Strasbourg car tout enfant a le droit à une nationalité, tout enfant a le droit à une filiation.

C’est une impasse juridique que vous nous proposez, dont plus de 2.000 enfants en France, ces « fantômes de la République » comme l’on a pu tristement les nommer, seraient les victimes. Evitons cette impasse. Mais que ce débat soit l’occasion pour celles et ceux, attachés à l’intérêt supérieur de l’enfant tel que le droit international le définit, d’interroger le gouvernement sur l’inexécution à ce jour des arrêts Mennesson et Labassée. Aucun couple hétérosexuel n’a en effet obtenu de transcription d’état civil permettant d’établir le lien de filiation. Les familles se heurtent toujours à l’absence de texte réglementaire organisant les transcriptions. Pire, il a été révélé dans la presse que des instructions avaient été données au début 2015 pour que les Consulats de France refusent la transcription en cas de suspicion de gestation pour autrui. Le parquet de Nantes fait systématiquement appel des décisions de justice ordonnant la transcription. Ainsi, les arrêts Mennesson et Labassée auront bientôt 2 ans et l’administration bloque toujours la délivrance d’actes de naissance français. Pourquoi ? Le Conseil de l’Europe, tant à l’échelle ministérielle que parlementaire, s’étonne légitimement du silence prolongé de notre pays depuis la présentation en mars 2015 du plan pour exécuter les arrêts Mennesson et Labassée.

J’en finirai par là. Comment garantir les droits des enfants à la santé ou à l’école sans transcription d’état civil ? Le défaut de transcription entraine une série de difficultés très concrètes touchant, par exemple, au refus de prise en charge par la sécurité sociale, au refus d’inscription à la caisse d’allocations familiales, au refus de délivrance de la carte d’identité ou bien encore au refus d’établir une succession. Voilà les vraies questions qui se posent et pour lesquelles la France a une obligation de résultat. Pensons à ces enfants, protégeons-les, agissons pour eux ! Pour le reste, le rejet préalable des deux propositions de loi qui nous sont proposées s’impose et c’est à ce titre que le groupe socialiste, écologiste et républicain présente cette motion au vote de l’Assemblée nationale.

Discussion générale

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Motion de rejet préalable

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