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Formation professionnelle : apprendre de la réussite allemande

Le groupe d’amitié France-Allemagne que je préside à l’Assemblée nationale a consacré hier mercredi 14 décembre une réunion à la formation professionnelle et à l’accès des jeunes à l’emploi. J’avais invité à cette occasion le Président de Bayer France, Franck Garnier, pour échanger sur l’expérience comparée de son groupe, en Allemagne et en France. J’admire l’organisation allemande en matière de formation professionnelle, dont j’ai vécu les vertus in situ dans ma vie d’entreprise passée. La « duale Ausbildung », que nous traduisons imparfaitement comme « formation en alternance », constitue pour moi l’un des atouts essentiels, si ce n’est même le premier atout de l’industrie allemande. La généralisation de l’apprentissage dans l’enseignement professionnel appartient à l’histoire de l’Allemagne. Ce choix structurant remonte à … Bismarck, c’est dire. Il repose sur les besoins nommément identifiés des entreprises en main d’œuvre qualifiée et sur le lien indissociable entre la formation et l’emploi. Les entreprises définissent le contenu précis des formations dans le cadre de leurs organismes consulaires, en accord avec les syndicats. Elles fixent le nombre de places d’apprentis et prennent en charge le financement.

Les jeunes Allemands sont ainsi formés à des technologies et des métiers qui existent. Le temps qu’ils passent dans l’entreprise, sous la responsabilité de leur maître d’apprentissage, est rémunéré. L’expérience qu’ils acquièrent renforce leur employabilité et l’accès au premier emploi. Il leur apporte aussi la confiance qui parfois manque à l’approche de l’âge adulte, doublée d’un sentiment de fidélité à l’égard de l’entreprise qui leur a tendu la main. De passage à Bayreuth le mois dernier, j’ai visité le centre de formation de la Chambre de l’artisanat et ai été impressionné par l’organisation qui m’a été présentée, rencontrant dans les ateliers des jeunes et également des salariés en milieu de carrière se formant à des technologies nouvelles à la demande précise d’entreprises. Tous avaient une perspective professionnelle derrière leur formation. Rarement plus qu’à Bayreuth, je n’ai autant ressenti l’écart avec la formation professionnelle en France, où les jeunes galèrent pour trouver un centre, une entreprise et à terme un emploi. Chez nous, les formations restent trop souvent des voies sans issue, parce que les entreprises sont trop peu impliquées. La comparaison est cruelle : le taux de chômage des jeunes était en 2015 de 7,3% en Allemagne et de 24,7% en France.

A l’Assemblée nationale, il m’arrive de passer pour « l’Allemand de service », soulignant régulièrement les bonnes pratiques outre-Rhin dont je pense que nous gagnerions à nous inspirer. En matière de formation professionnelle, la différence nous séparant de nos amis allemands est abyssale. Y compris dans les zones frontalières de l’Allemagne, où l’écart de taux de chômage des jeunes reste peu ou prou identique à la moyenne nationale, parce que l’absence de maîtrise de la langue du partenaire rend impossible de s’employer à quelques kilomètres, là où les emplois restent vacants, faute de trouver preneur. S’inspirer de la réussite allemande en matière de formation professionnelle exigerait de nous, Français, une totale remise en cause. Cela commanderait de reconnaître le rôle central de l’entreprise dans la définition des contenus de la formation et le temps majoritaire que les jeunes y passeront. Cela impliquerait d’accepter la décentralisation de la formation professionnelle de l’éducation nationale vers nos régions et l’association étroite des partenaires sociaux dans une logique de cogestion. Il en résulterait la simplification bienvenue d’un système redoutablement complexe et juridiquement incertain.

Pour ce qui me concerne, je suis prêt à ces choix radicaux. Je les revendique même. La formation professionnelle doit plus que jamais être la réponse au décrochage scolaire et universitaire. La vérité n’est pas que dans le diplôme, que nous tendons à survaloriser en France. Dans une économie en mouvement, ouverte à la concurrence internationale, se former tout au long de la vie est essentiel pour trouver un emploi, pour grimper dans une entreprise, pour progresser vers de nouvelles opportunités et de meilleures rémunérations. Il y a chez nous comme une forme d’atavisme à considérer que la vie s’écrira nécessairement en fonction de la réussite ou de l’insuccès scolaire. Tout cela n’est ni juste ni fondé. Osons bousculer nos certitudes et prendre ce virage vers une formation professionnelle effective, qui mette les entreprises et les chambres consulaires en situation, transfère les responsabilités aux régions et implique activement les syndicats. C’est affaire de volonté et de pragmatisme. Une large part de l’évolution de la société française en dépend, si nous voulons agir contre la dislocation du lien social et les inégalités, pour mettre tous les jeunes Français en situation de construire et de réussir leur vie.

Le groupe Bayer recrute chaque année des apprentis, dont le nombre représente en Allemagne comme au sein de la filiale française quelque 5% du total des salariés. Ce n’est pas rien. Pour la France, ce sont ainsi 140 jeunes qui sont en apprentissage sur les différents sites de l’entreprise. Bayer perçoit l’apprentissage comme un outil stratégique de pré-recrutement. De fait, 70% des apprentis y sont embauchés à l’issue de leur formation. Cet exemple souligne combien l’apprentissage est un co-investissement pour l’apprenti et l’entreprise. Cette perspective doit nous inspirer. S’il est des sujets sur lesquels la relation franco-allemande doit reposer sur les bonnes pratiques de l’un ou l’autre des partenaires, la formation professionnelle est l’un des plus prioritaires. Il n’y a aucune fatalité à ce que le chômage des jeunes reste 3 fois supérieur en France qu’en Allemagne. A terme, il devrait y avoir en France autant d’apprentis qu’en Allemagne en pourcentage du nombre de jeunes (5,20% contre 16% actuellement), autant de jeunes passant par l’apprentissage (26% contre 55,7% actuellement) et autant d’embauches à l’issue de l’apprentissage (33% contre 66% actuellement). Relevons ensemble ce défi.

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