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Bilan de la session d’hiver de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe

J’ai participé cette semaine à la session d’hiver de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) à Strasbourg. J’ai trouvé l’atmosphère au Palais de l’Europe pesante, si ce n’est oppressante. Je peine ces derniers temps à reconnaître l’APCE volontaire et courageuse à laquelle je m’enorgueillis, député français, d’appartenir depuis 4 ans. La faute à quoi ? La faute à des non-dits toujours plus nombreux, aux petits arrangements inavouables, à l’absence de leadership assumé au service des droits et libertés, en un mot à un courage évanescent. Ainsi, la situation en Turquie aurait voulu que nous y consacrions un débat d’urgence. C’était, entre autres, le souhait du groupe socialiste. Las, le groupe conservateur, dont font partie les députés de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan, s’y est vigoureusement opposé et le PPE l’a malheureusement largement suivi. Le Bureau de l’APCE a ainsi rejeté par 14 voix contre 13 le principe d’organiser un tel débat. Nous avons tenté sans succès de renverser cette décision en séance lundi, réunissant 94 voix pour le débat contre 68 voix opposées et 19 abstentions, à une poignée de voix de la majorité des 2/3 nécessaire pour déjuger le Bureau. Et l’APCE a ainsi traversé toute la semaine sans parler de la Turquie…

Je ne peux m’empêcher de ressentir un malaise lorsque des collègues applaudissent à tout rompre le résultat d’un vote qui empêche un débat. Qu’ai-je en commun avec eux ? Les désaccords politiques sont nobles, l’interdiction d’un débat ne l’est pas. Pourquoi les tories britanniques, le PP espagnol, les amis de Silvio Berlusconi, le Fidesz hongrois, les libéraux belges, les libéraux néerlandais et les socialistes géorgiens volent-ils ainsi au secours d’Erdogan ? Qu’ont-ils compris et que leur a-t-on expliqué ? Vient-on à l’APCE pour ne surtout pas y parler de défense des droits et libertés ? A ces questions, réponse n’est jamais apportée et c’est cela qui plombe l’APCE. Son crédit, notre crédit collectivement, en est affecté. Il l’est aussi lorsque l’APCE peine à prendre le taureau par les cornes face aux récentes et graves accusations de corruption et de conduite répréhensible portées à l’encontre de plusieurs de ses membres et anciens membres, en lien avec des travaux parlementaires concernant l’Azerbaïdjan (lire ici). Toute la lumière doit être faite. Encore faut-il le vouloir. J’ai signé avec plusieurs autres collègues de différents groupes politiques une motion demandant que l’APCE engage au plus vite une enquête externe sur ces faits (lire ici).

Dans une organisation internationale comme le Conseil de l’Europe, dont la mission est la protection des droits et libertés, temporiser, tergiverser ou ruser n’est certainement pas être une option, a fortiori de la part de l’institution parlementaire. Toute vérité doit être mise à jour, documentée, entendue et connue. Il faut vouloir se dire les choses, surtout quand elles sont déplaisantes à entendre. Je l’ai fait dans le débat consacré au rapport d’observation des élections législatives du 11 décembre 2016 en Macédoine, préparé par le député autrichien Stefan Schennach (voir ici).  Oui, ces élections ont été techniquement bien organisées et l’on doit s’en réjouir, mais le débat public les précédant était inexistant, le gouvernement malmenant les médias et les journalistes indépendants. La Macédoine était 34ème en 2009 au classement mondial de la liberté de la liberté de la presse de l’ONG Reporters sans Frontières, elle est 118ème en 2016. Pourquoi ? Que valent des élections lorsque tout est entrepris pour museler la presse ? Il est incompréhensible dans ce contexte que le groupe PPE soutienne le gouvernement par réflexe partisan. La défense des droits et libertés doit transcender nos appartenances. Elle ne peut être sélective, en fonction des calendriers électoraux.

La protection des journalistes et de la liberté d’expression était au centre de cette session. Je suis intervenu dans le débat sur le rapport du député ukrainien Volodymyr Ariev, consacré aux attaques contre les journalistes et la liberté des médias en Europe (voir ici). J’avais suivi l’élaboration de ce rapport en commission. Sait-on qu’en Europe, les atteintes à la liberté de la presse, ce sont les pressions sur les rédactions, la concentration des médias et leur rachat par les amis du pouvoir, la pénalisation de la diffamation, les menaces à l’égard des journalistes, l’agression de journalistes, l’enlèvement de journalistes, l’emprisonnement de journalistes, l’assassinat de journalistes ? Depuis janvier 2015, 16 personnes sont mortes en Europe parce qu’elles étaient journalistes. On parle ici de la Turquie, de la Russie, de l’Ukraine et de l’Azerbaïdjan. De la Pologne et de la Hongrie aussi. Il n’est pas moins nécessaire d’ajouter, à des degrés de gravité certes moindres, que des questions liées à la liberté de la presse et à la protection des journalistes se posent dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. C’est ici la reprise en main d’une rédaction par un propriétaire zélé, c’est là la nomination par le pouvoir des dirigeants de chaînes publiques ou le contrôle du marché publicitaire.

J’ai pris la parole dans le débat libre sur l’urgence de lutter contre le développement de la pauvreté des enfants en Europe (voir ici). Pourquoi les politiques publiques sont-elles impuissantes ? J’ai cité le récent rapport de l’ONG Save the Children, qui souligne combien la pauvreté et l’exclusion à l’âge de l’enfance est souvent la pauvreté et l’exclusion tout au long de la vie. Quel lien avec les droits de l’homme, ai-je tristement entendu après ma prise de parole. Mais le lien, pour ceux qui l’ignorent ou ne veulent pas le voir, ce sont les droits fondamentaux de l’enfant, consacrés en droit international et dans divers instruments du Conseil de l’Europe, qui incluent le logement, la santé, l’école, la famille, autant de droits finalement dont l’effectivité est mise à mal par la crise économique et les politiques d’austérité. Je ne peux me résoudre comme parlementaire, comme homme de gauche et comme père au déterminisme social, vécu comme un atavisme contre lequel rien ne serait possible. C’est une perspective épouvantable pour qui croit en le progrès. J’ai défendu dans mon intervention l’idée que la lutte contre la pauvreté des enfants doit être conçue et exécutée comme un combat mené au nom du droit des enfants.

Ma dernière intervention à l’occasion de cette session a porté sur la réforme des politiques migratoires européennes (voir ici), abordée sur la base d’une résolution préparée par le député britannique Ian Liddell-Grainger. Chacun conçoit que les évènements des deux dernières années ont mis à mal le cadre européen inachevé en matière migratoire. Les réponses à apporter ne sont cependant pas toutes partagées. J’ai regretté que la résolution donne l’impression de prendre quelque distance avec la lettre et l’esprit de la Convention de Genève. Des amendements l’ont améliorée, pas au point cependant de me convaincre de la voter. Je me suis abstenu. Derrière les réfugiés, il y a des vies, des gens, des destins. Refuser tout mécanisme contraignant de relocalisation, trainer le Conseil européen devant la Cour de Justice pour y échapper, s’opposer à l’arrivée de réfugiés en fonction de leur religion, c’est inacceptable. Dans mon intervention, j’ai souligné que Schengen est la solution, non le problème. Il faut renforcer l’espace Schengen. La perspective à terme doit être le renforcement des contrôles aux frontières, non plus de cet espace, mais de l’Union européenne elle-même. En un mot, c’est de plus d’Europe dont il doit être question.

J’ai interrogé le Ministre des Affaires étrangères de Chypre, Ioannis Kasoulides, qui préside le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, sur la décision la semaine passée de la Cour constitutionnelle russe d’écarter l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de 2014, qui obligeait la Russie à dédommager les actionnaires expropriés de l’entreprise Yukos (voir ici). J’avais réagi sur cette affaire le 21 janvier par un communiqué de presse avec la députée grecque Dora Bakoyannis et la sénatrice suisse Liliane Maury-Pasquier (lire ici). J’ai été réélu président de la sous-commission de la culture et du patrimoine pour un deuxième mandat. J’ai pris part à l’élection des juges néerlandais et hongrois à la CEDH. La commission sur l’élection des juges, dont je suis membre, a en revanche rejeté la liste de candidats présentée par le gouvernement géorgien. En marge de la session de l’APCE, j’ai présenté la proposition de loi française sur le devoir de vigilance des sociétés donneuses d’ordre à l’occasion du débat sur l’entreprise et les droits de l’homme organisé par la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe (lire ici). 

Mes prochaines étapes au Conseil de l’Europe seront au mois de mars trois déplacements en Bosnie-Herzégovine, Hongrie et Pologne dans le cadre du rapport que je prépare pour la fin du printemps sur l’exécution des arrêts de la CEDH. Je présenterai le rapport devant la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme réunie les 18-19 mai à Belgrade, puis en séance lors de la session d’été de l’APCE à Strasbourg à la fin juin. La sous-commission de la culture, de la diversité et du patrimoine se réunira à Aarhus (Danemark), capitale européenne de la culture, les 3-4 avril. J’y défendrai la proposition de résolution que j’avais déposée devant le Bureau de l’APCE en décembre 2016 en faveur du développement du lien entre les évènements sportifs populaires et la découverte du patrimoine culturel européen (lire ici). La session de printemps de l’APCE aura lieu à Strasbourg du 24 au 28 avril.

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