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La force d’une photo, la douceur des souvenirs

Sur mon chemin au mois d’août, dans une ruelle qui mène à la plage de l’Ile-Tudy, je suis tombé un matin sur une petite exposition de photos en noir et blanc. Accrochées à un mur, elles racontaient la vie dans un port du Pays Bigouden il y a 30 à 40 ans. Je crois bien que c’est à Lesconil. Cette exposition m’a fasciné et une photo en particulier m’a profondément touché. L’on y voit deux hommes échanger joyeusement – et s’il y avait le son, bruyamment aussi – dans un décor de bar enfumé. Chaque jour de mes vacances, je suis revenu voir cette photo, faisant un détour sur le chemin de la boulangerie. Je ne connaissais aucun de ces deux hommes, mais j’ai vécu, enfant, cette atmosphère si particulière et la retrouver ainsi par la magie d’un cliché m’a bouleversé. Cette photo m’a rappelé des souvenirs enfouis, sans doute même perdus. Plus d’un matin, je suis resté longtemps à la regarder, seul (ou peut-être observé par quelques promeneurs intrigués), cherchant le détail, fermant aussi les yeux pour que reviennent les souvenirs, les paroles et les bruits.

C’était dans les années 1970. Et ce n’était pas en été. Nous habitions Quimper. De temps à autre, avec mes parents et ma sœur, nous venions rendre visite à notre famille du côté de Loctudy. Je devais avoir autour de 8 ou 9 ans, l’âge de la meilleure jeunesse. Parfois, la promenade nous conduisait vers un bar du port, en fin de journée. La porte s’ouvrait vers une assemblée animée, chaleureuse et très masculine. Cela sentait le tabac brun et le vin rouge. Nous nous glissions derrière une table en formica rouge, qu’une Bigoudène en coiffe venait prestement essuyer. Au comptoir, les conversations étaient contagieuses. Chacun interrompait chacun, en breton comme en français. Et les rires fusaient, tout le temps. Près de nous, les habitués tapaient le carton. Le cendrier témoignait de leur présence prolongée. Intimidé, caché derrière mon Orangina, j’observais sans dire mot. Je ne comprenais pas grand-chose et pourtant ces moments me rendaient heureux.

Je me souviens des casquettes vissées sur les nombreux cranes. Et des vestes sombres. La mode au bar était assez uniforme. Beaucoup de ces hommes avaient été marins, certains l’étaient encore. Après le port, ils se retrouvaient au bar, échangeaient sur la pêche, la tempête passée ou celle à venir, la famille et sûrement aussi sur le foot. Il y avait toujours, quelque part au-dessus des bouteilles et notamment de celle – vénérée – de Fidélic, quelques coupes gagnées par l’équipe locale, souvenirs de fêtes certainement mémorables. L’atmosphère était unique. L’enfant que j’étais n’avait pas les mots pour la décrire. Aujourd’hui, je sais qu’elle était authentique, bienveillante et simple. A un moment viendrait en effet un geste tendre, une parole, une main dans les cheveux, une caresse sur la joue. Que cherchaient ces hommes? A être ensemble, à partager, à se dresser unis vers je ne sais quel destin, plus que tout à se reconnaître, face à la vie et dans la vie.

La photo de l’Ile-Tudy m’a ramené vers tous ces souvenirs. Ce temps ne reviendra plus. Il est loin de nous désormais. Mais retrouver par la force évocatrice d’un cliché l’émotion qui me parcourait alors aura été un grand bonheur. La photographie est une transmission et l’échange joyeux de ces deux hommes en est la preuve. C’est comme si j’avais poussé à nouveau la porte du bar, plus de 40 ans après, enfant devenu grand, passant comme avant de la fraîcheur de l’océan à la chaleur de l’entraide pour me rappeler qu’elle existait et que nous en sommes les héritiers. Je revois le tourteau ou l’araignée (et peut-être même les deux) que nous ramenions précieusement de Loctudy. Le soir venu, lorsque soufflait le vent et tombait la pluie, depuis ma chambre, je pensais aux marins, à leur courage, à leur vaillance, à leurs visages. Le port n’était jamais trop loin, le bar non plus. J’ai vécu avec ces souvenirs, qu’une photo m’a permis par bonheur de retrouver.

J’ai eu envie de le raconter. L’été s’est achevé, l’automne vient et je risquais d’oublier mon émotion. La semaine passée, j’étais à l’Ile-Tudy. Je suis allé vers la ruelle, le cœur battant. La photographie y était encore, sans doute plus pour très longtemps. Elle faisait partie d’une exposition présentée au Guilvinec dans le cadre du festival « L’Homme et la Mer » en 2011. Son auteur est le photographe Pierre Le Gall. Par chance, j’ai pu retrouver Pierre Le Gall par Facebook. Je lui ai écrit pour demander s’il m’autoriserait à illustrer par « une photo de sa photo » ce petit texte que je sentais monter en moi. Il a très gentiment accepté et je l’en remercie. Je n’oublie pas que mon blog s’appelle « L’avenir est à écrire ». La photographie est une source merveilleuse d’inspiration et d’émotion, autant de choses nécessaires pour écrire l’avenir et pour le faire plus que jamais ensemble.

5 commentaires

  1. Clavaud

    Excellent photographe Pierre Le Gall.

  2. Remi Baudin

    C’est superbe, vous incarné le meilleur de la politique.
    Vous méritez d’être connu et reconnu…

  3. Merci, votre message me touche beaucoup. Le combat que vous menez est admirable. Je reste à vos côtés, plus que jamais.

  4. Elisabeth Brehm

    C’est par hasard que je viens de découvrir votre blog. Je suis heureuse de vous retrouver par cet intermédiaire, après votre retrait de la vie politique et heureuse de pouvoir vous lire à nouveau.

  5. Un tout grand merci pour votre message, chère Madame Brehm. Je suis ravi de vous retrouver aussi!

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