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Il est où, Papi?

C’était il y a 3 ans, un dimanche de décembre, avant le lever du jour. Un appel téléphonique, quelques mots, le chagrin et le silence. Mon père venait de nous quitter. La maladie l’avait emporté après des mois de combats, puis d’agonie. Je l’avais vu 2 jours auparavant. Il m’avait regardé intensément, sans pouvoir parler. C’est moi qui lui avais parlé. Je savais que ce jour viendrait. Je le redoutais et en même temps je l’attendais. Tant de souffrance, trop de souffrances. J’assemblais tant bien que mal quelques affaires dans une valise. Je voulais rejoindre au plus vite ma mère et ma sœur dans le Finistère. Avant de partir, je montais embrasser mes enfants dans leurs chambres. Mon épouse venait de leur dire : « Papi est parti au ciel ». Marcos avait 5 ans. Il était pâle et si triste. Il avait compris. Pablo, avec ses 3 ans, me regardait, un peu perdu. Mariana, à quelques jours de ses 2 ans, était loin d’imaginer qu’elle ne reverrait plus son Papi, à qui elle avait arraché ses derniers sourires l’été précédent.

Mon père était un homme pudique. Il aimait ses petits-enfants, beaucoup et tout bas. Leur avenir comptait plus que tout pour lui : qu’ils soient heureux, que la vie leur soit aussi belle et douce que possible, qu’elle les préserve. Il n’aurait pas voulu qu’ils soient en peine. Ne pas les exposer à ces jours rudes, c’était honorer sa mémoire. Dans le train qui filait vers Quimper, puis souvent jusqu’aux funérailles, je les imaginerais courant le nez vers le ciel dans la cour de récréation, trompant la tristesse dans les jeux de leur âge, riant peut-être, du moins l’espérais-je. Plus que jamais, je les voyais tous trois comme l’avenir, comme l’espoir, face à ma propre détresse. Cette image me donnait de la force et je savais que mon père, aussi, l’aurait aimée. Je leur parlerais de lui, de sa vie, de son souvenir. Ce qu’ils ne verraient plus, je le leur raconterais. Il le faudrait. Quelques jours après, une place serait vide autour de la table du réveillon.

Le temps a passé depuis ces jours de décembre 2016. La mort est un mystère. Pablo l’a résumée à sa manière, pleine d’innocence, avec cette question il y a quelques mois : « mais il est où, Papi? ». Non qu’il attendait son retour, mais il espérait confusément l’imaginer de l’autre côté du miroir. Il ajoutait cette autre interrogation, qui me laisse entre peine et sourire : « Papi, il est mort pour toujours? ». Je le revois courir, les bras ouverts, pour se jeter plein d’affection contre mon père déjà souffrant, surpris et bouleversé. Tant de choses se nichent dans la tête d’un enfant et vivent longtemps, peut-être pour toujours, pour reprendre justement l’expression. A la fin de l’été 2016, alors que nous nous apprêtions à quitter la Bretagne, mon père avait donné un petit cadeau à Marcos, Pablo et Mariana. Pablo avait reçu un petit hélicoptère. Il l’aime beaucoup. Il y a peu, il me l’a montré. « C’est Papi qui me l’avait donné », a-t-il dit. Avant de se mettre à pleurer.

La Bretagne est la terre de nos souvenirs. Mes enfants aiment la retrouver avec leur Mamie. Sur la plage de l’Ile-Tudy l’été, nous ramassons des coquillages. C’est l’une des passions de Marcos. C’était aussi l’une de celles de mon père, professeur de sciences de la vie et de la terre, amoureux de la nature et de son pays. En août dernier, ma mère a donné à Marcos un petit livre de coquillages qui appartenait mon père. Il en avait été émerveillé. Le livre à la main, il classait ses coquillages, déchiffrant de savantes expressions latines, comparant les formes et les rondeurs. Plusieurs mois plus tard, le livre reste tout près de sa table de chevet. « C’est le livre de Papi », me dit-il dit fièrement, heureux de posséder quelque chose de son grand-père, comme une première transmission. Ces instants, ces moments, ces expressions me touchent. La vie et le temps font leur œuvre. Je partage avec Marcos, Pablo et Mariana les souvenirs de mon enfance, les histoires de leur Papi, avec émotion et tendresse.

« Il est où, Papi? ». Je ne sais pas. Ou plutôt si, je sais : il est autour de nous, avec nous. Sur la plage, au bord d’un chemin, dans une école, dans tous ces coins qu’il aimait, où sa vie s’était écrite, il n’est jamais loin. Il est aussi dans ces livres qu’il ouvrait avec bonheur, poussé par le désir d’apprendre, encore et toujours. Quelque temps après son décès, une scène m’avait beaucoup touché. Dans un avion qui volait vers l’Espagne. Marcos regardait par le hublot, captivé, comme s’il cherchait quelque chose. A l’arrivée, le regard triste, il avait glissé doucement : « je n’ai pas vu Papi ». Il l’attendait dans le ciel, là où il est désormais pour lui. Nous l’avions serré contre nous, lui promettant que son Papi était là, qu’il serait toujours là. J’apprends à Marcos, comme à Pablo et Mariana, que Papi vit avec nous et dans nos souvenirs. Un jour, plus tard, ils comprendront qu’il est aussi en nous, en eux. Comme il l’est en moi, parce que c’est la boucle de la vie, parce qu’il était mon Papa.

7 commentaires

  1. Vitale Brigitte

    Une lecture d’autant plus émouvante qu’elle parle à chacun de nous, au plus profond de nous. Merci.

  2. Claude Sonmez

    C’est une grande force de pouvoir mettre des mots sur les émotions. C’est ta force .
    C’est aussi la seule façon de faire. Encore faut-il en être capable.

  3. Clavaud

    Très beau texte, comme souvent.
    Merci de dire aussi bien les choses essentielles.

  4. Marie-Claire Guilbaud

    Merci Pierre-Yves pour ce magnifique et si touchant hommage à ton papa.
    Le souvenir si abstrait et pourtant si précieux pour un enfant , cette flamme que tu sauras raviver j’en suis certaine..
    Kenavo

  5. Merci, chère Marie-Claire. Ton message me touche énormément. Joyeuses fêtes “down Under”.

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