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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

10 ans

Août 2021

C’était le 19 août 2011, peu avant 9 heures. Un soleil timide se faufilait entre les rideaux de la chambre. Clinique Edith Cavell, Uccle. La nuit avait été longue. Le petit bonhomme se faisait attendre. Il arriva enfin. Les premiers cris signalèrent un bébé vigoureux et en heureuse santé. Cheveux rares, voix claire, Marcos était né. Sa maman était fourbue et son papa bouleversé. Tant de bonheur, tant d’émotion aussi. Ce matin du 19 août 2021, cela fait 10 ans. 10 ans que Marcos a rejoint nos vies, 10 ans que je suis devenu papa. Je repense souvent à ce jour-là, au mélange de joie, de fierté, de responsabilité et d’appréhension aussi que j’avais ressenti. Une nouvelle vie commençait, avec ce petit être qui occuperait nos jours et nos nuits, qui en deviendrait le centre avant, quelques années plus tard, de partager cet espace avec son petit frère, puis sa petite sœur. Il s’appellerait Marcos, nous l’avions décidé quelques jours auparavant. Vint un second prénom, Jeannot, celui d’un oncle que j’aimais beaucoup, parti au début du printemps et dont je voulais honorer le souvenir. Un trait d’union entre les histoires andalouse et bretonne, entre hier et demain. Né à Uccle, d’une maman espagnole et d’un papa français, Marcos possède les deux nationalités. Et il pourra aussi devenir belge à ses 18 ans.

Je revois ses premiers jours, entre la clinique et la maison, les visites, les visages réjouis, le nombre conséquent de bouteilles de champagne consommées. Les bulles et le biberon, c’était le match de l’été. Il y avait les cadeaux, les peluches, les petits habits. Je ne me lassais pas de le contempler. Mon appareil photo était en surchauffe, je crois bien. Les nuits étaient courtes et sans grand sommeil. Curieux sentiment que celui de tenir debout par habitude, au risque parfois de mésaventures plutôt cocasses. Quelques jours après la naissance de Marcos, me rendant en Flandre, je m’étais retrouvé à vider fébrilement une poubelle d’autoroute en costume et sous une pluie battante. J’y avais jeté certes le gobelet de café que je venais d’achever pour tenter de rester éveillé, mais aussi les clés de ma voiture… A la maison, dans son berceau, Marcos copinait avec plusieurs doudous venus de divers coins d’Europe, et un en particulier, un petit ours bientôt appelé Martin et qui sera le héros de son enfance. Ses sourires étaient fréquents. Lorsque passait mon petit doigt à proximité de sa main, Marcos l’attrapait et ne le lâchait plus. C’est sans doute cette proximité, ce besoin de se toucher, autant le sien que le mien, qui reste le souvenir le plus vif des premières semaines et des premiers mois.

Dix ans, c’est peu et beaucoup à la fois. C’est peu au regard d’une vie que l’on doit souhaiter la plus longue possible. Et c’est beaucoup car cela représente déjà une belle part d’enfance. Je repense au premier Noël de Marcos, à sa première assiette de légumes, à son premier jour à la crèche, au début de pneumonie qui menaça aussi son premier hiver. Vinrent le printemps et les beaux jours. C’était 2012. Elu député, je ramenai un soir mes nouveaux insignes, l’écharpe et la cocarde. Marcos se saisit prestement de la cocarde, bleue, blanche et rouge, qu’il pensait être une glace et se mit à la lécher, espérant y trouver une douceur … républicaine. Il reste de cet instant hilarant un cliché qui m’accompagne encore. De l’Assemblée nationale, Marcos fut un visiteur régulier, jusqu’à se faufiler dans l’Hémicycle avec moi un matin, juste avant le début de la séance, avec la bienveillante complicité d’un huissier pour une photo à mon banc. Un moment partagé, dont il s’amuse aujourd’hui pour rappeler qu’il fut aussi de cette aventure-là. A l’égal de la soirée des 50 ans de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse dans les jardins de Matignon et de sa rencontre impromptue avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Marcos était déjà curieux, attentif, observateur aussi. Il l’est resté.

Il y eut les premiers pas, les premières courses, les premières brasses, les premiers amis. Les premières peines aussi. Une image me poursuivra longtemps : son regard par le hublot d’un avion volant vers l’Espagne, scrutant désespérément le ciel pour y apercevoir mon père, son Papi, disparu peu de temps auparavant. Ce moment-là, pour moi, fut bouleversant. C’est une part d’innocence que je n’oublierai jamais. Marcos est doux et attentif, ouvert et sensible, au risque que les vicissitudes de la vie puissent lui être cruelles. Je me souviens de son chagrin le soir de ma défaite à l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. C’était au début 2018. Il avait 6 ans. Je n’avais pas imaginé que ce dénouement puisse ainsi l’affecter. J’avais tort. Sa peine m’avait touché au plus profond. Elle a contribué à ma décision de m’éloigner de la vie publique pour un temps, pour le protéger, lui comme les miens. Protéger, sans doute est-ce à quoi je me suis le plus efforcé, sans vivre pour autant à l’écart de la vraie vie, mais pour rendre l’enfance de Marcos, de son frère et de sa sœur, heureuse et juste. Par l’école, par le sport, par les amitiés, par l’échange, par les passions. Cela veut dire des tas de livres et des tas de ballons, des sorties à vélo, des soirées devant Louis de Funès ou Pierre Richard aussi.

C’était il y a 10 ans. Le temps file vite. J’écris ces lignes face à la mer et dans l’écho des vagues. C’est l’été. Tout à l’heure, Marcos voguera sur son Optimist entre l’Ile-Tudy et Loctudy, comme hier, comme demain. A part qu’aujourd’hui, son âge s’écrit désormais à deux chiffres. Il en est fier, comme s’il passait un cap. Et c’est un cap. Chaque âge est une découverte. Je n’en finis pas de lui raconter Marcel Pagnol, ses histoires, sa vie, ses romans, ses films, ses personnages tant la lecture de La Gloire de mon père fut pour lui une révélation. Cela tombe bien, j’adore Pagnol. Il y a aussi le foot et l’appel à mes souvenirs lointains, bien avant Mbappé, Griezmann et même Zidane, c’est dire ! Heureux et légers, ces sujets-là, un jour, feront place à d’autres, différents, plus complexes et rudes, ceux de l’adolescence. Ce temps viendra. Je serai prêt aussi. Le bonheur que je ressens comme père est d’accompagner Marcos sur les chemins de la vie, de le guider, de l’aider, de le voir s’affirmer librement. On n’est rien sans affection, celle que l’on reçoit, celle que l’on donne. Je l’ai appris des miens. C’est ce que je tiens à transmettre à mon petit bonhomme, dans le souvenir de ce 19 août 2011, pour que l’attention aux autres, la générosité et la beauté d’âme demeurent à jamais en lui.

Août 2011
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La route de l’Ile-Tudy

Demain, je prendrai la route de l’Ile-Tudy. Il me restera 3 ou 4 bons kilomètres d’ici à la Pointe, depuis ce croisement de Combrit que mes enfants ont baptisé, été après été, « le carrefour de Super U », devenu mythique dans leur tête et un peu aussi dans la mienne, il faut bien le dire. Le chemin aura été long, près de 2 000 kilomètres depuis la Galice, d’un Finistère à l’autre. Chaque année, ce moment où notre voiture glisse doucement vers l’Ile-Tudy est magique. Il y a dans cette ligne droite en pente douce la promesse de ciels bleus, d’une longue plage au sable fin et de couchers de soleil immenses que l’on garde au cœur ensuite durant des mois, quand l’hiver vient et le froid avec lui. Comme la récompense d’une longue attente et, en cette rude année, d’un espoir auquel nous nous rattachions de toutes nos forces : revoir l’Ile-Tudy, y retourner, y retrouver enfin le temps léger et heureux des vacances. Ce temps est venu et il a la belle saveur de la récompense. Bientôt, la voiture longera l’étang, elle croisera les premières jardinières de fleurs. A gauche, le tennis, en face la mer. Nous tournerons vers la droite, poursuivant vers la Pointe. Ce sera Pen an Truck, puis la maison, la même depuis plusieurs étés. Sur la plage, il y aura une petite foule jeune et joyeuse. Nous nous joindrons vite à elle.

Longtemps, j’ai observé l’Ile-Tudy depuis Loctudy, où je passais mes vacances au temps de l’enfance. Je regardais l’Ile-Tudy du port, entre les chalutiers, intrigué par cette Pointe de l’autre côté de la Perdrix, la balise à damiers noirs et blancs d’entrée du chenal. Les petites maisons blanches de pêcheurs serrées les unes aux autres me touchaient. Elles racontaient une histoire, des vies dures, la difficulté certainement de vivre sur ce bout de terre, le sens de la solidarité aussi. Un petit bac liait l’Ile-Tudy et Loctudy. Avec ma grand-mère, je l’avais pris parfois. Loctudy n’était alors qu’un port de pêche. Nous allions d’une cale à l’autre, quelque dix minutes d’une grande aventure. A l’Ile-Tudy, il n’y avait pas les chalutiers, les grands bateaux hauturiers et sans doute cela manquait-il à l’enfant que j’étais. Mais il y avait à la descente du bac une infinie douceur, un calme contagieux, des couleurs irrésistibles de la mer et du ciel dont je devins peu à peu accro, à mesure que venaient les années. D’un côté la ria, de l’autre la mer, sur lesquelles je lançais plus tard ma planche à voile selon les vents et la marée, tirant mes bords vers l’Ile Chevalier, visant Men Bret du côté de l’océan. Aujourd’hui, je ne monte plus trop sur la planche à voile, mais mon kayak de mer prend les mêmes destinations. On ne se refait pas.

Pourquoi l’Ile-Tudy ? Sans doute pour tout cela, pour un état d’esprit aussi, pour la gentillesse et la chaleur des gens, pour leur simplicité et leur authenticité. Après-demain, lorsque viendra notre premier matin îlien, j’irai à l’épicerie locale, au coin de l’église, acheter mon journal, mais surtout ma part de far breton. Il n’y a pas de vacances sans far. Je serai un touriste parmi d’autres, certes un peu plus habitué et plus local, à la mine réjouie, sereine et gourmande. Le premier matin, mon bonheur sera de cheminer le long de l’océan, sur le boulevard du même nom, de longer le cimetière marin, de tenter d’apercevoir les Glénan entre les draps qui sèchent, de courir dans l’air marin de la Pointe au Treustel et peut-être même plus loin, jusqu’au phare de Sainte-Marine, entre la dune et les polders. Je pousserai certainement aussi jusqu’au port, à pied ou sur mon vieux vélo, pour humer le vent dans le chenal, à la recherche aussi du calendrier des marées. Les marées basses avec les épuisettes et les seaux, les marées hautes avec les pelles et les râteaux n’ont plus de secrets pour mes enfants. Je crois que j’en ai fait de petits îliens, au moins par le cœur. La plage et l’école de voile y sont pour beaucoup. Ils se construisent à l’Ile-Tudy de beaux et grands souvenirs pour la vie.

Tout est là. Un jour, j’aimerais rester plus longtemps à l’Ile-Tudy que le seul temps des vacances, m’asseoir face à la mer, écrire, lire, photographier. Prendre le temps, beaucoup de temps, ne plus être juste le visiteur régulier que je suis, mais devenir un îlien à mon tour. J’aimerais affronter la diversité des saisons, regarder la mer changer de couleurs, voir venir le vent d’hiver et les tempêtes, agir aussi pour ce petit coin fragile que j’ai appris à aimer et dont il faudra transmettre la magie et la beauté aux générations d’après pour qu’elles le protègent à leur tour. Je serais heureux que la vie me donne cette chance. Il faudra trouver la maison, le bout de vue sur la mer ou la ria, loger la smala et les amis. Qui sait, ce moment viendra peut-être. Au fond, quand cesse-t-on d’être un vacancier pour devenir, peu à peu, un habitué, un passionné, un amoureux des lieux ? Je ne le sais pas vraiment.  Je crois bien que j’aurai tout cela à l’esprit au moment de passer « le carrefour de Super U », au volant de ma vieille auto, prêt à sortir les valises, les vélos, le kayak, les ballons et les cerfs-volants, comme chaque mois d’août, dans l’été bigouden déjà bien avancé, pour faire ma provision de couleurs, d’images, d’iode et de bonheur. Il y a comme cela quelques kilomètres qui sont des promesses.

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C’est arrivé près de chez nous

Ce mois de juillet qui s’achève aura été le théâtre d’évènements climatiques redoutables et dramatiques. Les inondations en Belgique et en Allemagne ont fait des centaines de victimes et causé des dégâts immenses. Vivant à Bruxelles, familier des régions affectées en Wallonie et en Rhénanie, je reste encore, dix jours après cette catastrophe, largement sidéré par ce qui s’est passé, par la soudaineté, la violence et la force irrésistible de ces évènements, et par leurs conséquences terribles, inscrites à jamais dans les cœurs, dans les paysages et dans la mémoire collective de notre bout d’Europe. Pourquoi ? Sans doute, sûrement même, parce que c’est arrivé près de chez nous. La crise climatique, rares sont ceux aujourd’hui qui l’ignorent ou en contestent encore l’existence. Des tas d’images l’illustrent, mais elles sont souvent perçues comme lointaines. Le dôme de chaleur en début de mois de juillet, phénomène météorologique terrible, était dans l’ouest canadien. L’idée que le dérèglement climatique, c’est qu’il fait juste un peu plus chaud, que la mer monte et que les catastrophes sont ailleurs a été rudement démentie par ce que nous avons vécu entre Ardenne et Eifel. La vérité est qu’il n’existe aucune région, aucune géographie que la crise climatique ne menace pas.

Quelques voix se sont élevées pour s’émouvoir que l’on attribue à cette crise les évènements de juillet. On se demande bien pourquoi. Il y avait certes des tempêtes, des sécheresses et des canicules avant que le climat ne se dérègle, mais elles n’avaient ni cette ampleur, ni cette récurrence. Elles mettent au défi la résilience de nos sociétés et leur capacité à prévenir et affronter des risques naturels majeurs. Nous n’y sommes pas vraiment. L’urbanisation, l’artificialisation des sols, la gestion des cours d’eau et des barrages sont, pour le cas de la Wallonie, une réelle interrogation. Il faut souhaiter qu’une enquête, une mission d’information ou tout travail sincère et exhaustif, entre Belgique et Allemagne, revienne sur l’enchainement des évènements et sur ce que cette catastrophe nous aura malheureusement appris. Le but est de préparer l’avenir, de mieux nous protéger, d’intégrer le risque climatique au centre de toutes les politiques publiques. Cela vaut pour tous les pays, toutes les régions, toutes les communes. Et en parallèle, bien sûr, la mobilisation de tous les acteurs pour la mise en œuvre de l’Accord de Paris afin de rester sous une augmentation de 1,5 degré de la température terrestre d’ici à la fin du siècle doit plus que jamais s’intensifier.

Affronter la crise climatique requiert courage et vision, une capacité à accepter la réalité et à s’élever au-delà de tout calcul. Ce mois de juillet, là aussi, est illustratif. Exit en France le projet d’insérer la lutte contre le dérèglement climatique et la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution de 1958. La droite, majoritaire au Sénat, s’y est opposée. Elle craignait que l’emploi du verbe « garantir » dans la rédaction nouvelle de l’article 1er conduise au développement de la justice climatique en raison de l’obligation de résultat qui pourrait en résulter. Or, c’était précisément ce qu’il fallait souhaiter. La justice climatique est essentielle pour gagner le combat pour l’avenir de la planète, non pour clouer au pilori tel industriel ou tel politique et y trouver une quelconque jouissance, mais pour obtenir les changements de cap nécessaires. On n’affrontera pas utilement le défi du climat en roulant avec le frein à main. La traduction législative des propositions de la convention citoyenne sur le climat aura aussi été largement en dedans et c’est cette fois le fait de la majorité. Il y a tellement mieux et surtout tellement plus à faire. Une voix autorisée vient de le rappeler : le Conseil d’Etat, qui a mis le gouvernement français en demeure d’agir. Il faut l’entendre.

Le jour où se déchaînaient si tragiquement les éléments en Belgique et en Allemagne, la Commission européenne présentait une série de propositions législatives visant à permettre à l’Europe de réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces propositions sont courageuses. Il est question de refondre le marché du carbone pour en augmenter le prix, d’y intégrer des secteurs qui n’en sont pas comme le transport et les systèmes de chauffage, de mettre en place aux frontières de l’Union une taxe carbone qui protège les entreprises européennes d’une concurrence dispensée de telles obligations. Tout cela est nécessaire. J’ai la conviction que tout doit reposer sur un prix élevé du carbone dans le cadre de mécanismes de marché, qui oriente l’économie et les entreprises vers des investissements décarbonés. Encore faut-il pour cela prendre en compte l’impératif de justice sociale. La précarité énergétique et l’inégalité devant les transports concernent en effet des dizaines de millions d’Européens. L’acceptabilité et la réussite d’un tel plan dépendra de ce que financera le fonds social pour le climat annoncé par la Commission européenne et de la mobilisation dédiée des crédits du plan de relance européen.

Le combat contre la crise climatique est aussi celui de la justice sociale. On ne sauvera pas la planète en creusant les inégalités. Nous ne sommes pas égaux face aux aléas du climat, pas davantage que nous ne le sommes face aux solutions envisagées. Dans l’aménagement de nos territoires, au moment d’apprendre d’évènements dramatiques tels que ceux vécus en Belgique et en Allemagne et d’en tirer tous les enseignements, c’est d’abord vers les plus précarisés et les plus humbles de nos sociétés que l’effort doit porter. Ce sont eux qui, en proportion, vivent dans des passoirs thermiques, habitent dans des endroits davantage exposés aux risques, galèrent chaque jour pour se rendre au travail et pâtissent de choix urbains remontant parfois à très loin. Rien de cela ne peut être ignoré car tout se passe, là aussi, près de chez nous. Le pouvoir d’achat est au cœur des politiques climatiques à (re)penser et à mener. C’est l’un des enseignements que je partage chaque année avec mes étudiants dans l’atelier juridique que j’anime à l’Ecole de droit de Sciences-Po à Paris. Il n’est pas encore trop tard, mais l’horloge tourne et elle n’est pas en notre faveur. C’est une question d’avenir, de vie, de justice, de progrès, d’espoir. D’éveil et de dépassement, de foi en le génie humain. Et d’union dans l’action.

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Une nouvelle étape

L’été est la saison du repos, des vacances, des retrouvailles, des petits bonheurs, et Dieu sait combien, après ces longs mois rudes et douloureux au cœur de la crise sanitaire, nous en avions tous tellement besoin. Les plus anciens (très anciens, même) se souviendront des paroles de cette chanson du groupe Elégance d’il y a près de 40 ans : « Vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout, j’m’envoie en l’air, çà c’est super, folie légère… ». Quelque part, ce souvenir irrésistiblement vintage n’est pas loin de vivre une seconde jeunesse, au risque cependant que la progression inquiétante du variant Delta ne ramène tout le monde à la réalité sous quelques semaines si la vaccination, voire l’obligation vaccinale, ne s’imposait pas davantage. Au fond, nous vivons l’été de tous les bonheurs et aussi de tous les dangers. Mais l’été, c’est également le temps de la réflexion et peut-être des changements, nourris par la pandémie, par les crises profondes que nous traversons, économiques, sociales et climatiques, par le besoin de se protéger et l’urgence d’agir aussi. Au cours des mois écoulés, cette réflexion s’est peu à peu imposée à moi, bousculant certitudes et perspectives, et elle m’a conduit récemment à la décision de reprendre des fonctions dirigeantes au sein d’une belle organisation européenne.

Il y a 4 ans, je quittais la vie publique sans le moindre horizon, sinon celui de retrouver les miens. Cadre du secteur privé international durant près de 20 ans, je n’avais ni statut ni garantie de retour à l’emploi. Et de fait, de retour à l’emploi, à tout le moins salarié, il n’y en eut point. Trop vieux, telle était la réalité crue des entretiens que j’avais pu avoir avec plusieurs chasseurs de tête. Et trop jeune, cette fois de mon point de vue, pour vivre ma vie comme un pré-retraité. Pour rebondir, je décidai de fonder ma propre entreprise, entre conseil en développement durable et enseignement des droits fondamentaux. Rien de cela ne fut simple. Pendant des mois, je ne me suis pas payé. Je me souviens de ces 2 ou 3 semaines durant lesquelles il ne restait plus qu’une centaine d’euros sur le compte de l’entreprise. Je me suis battu, j’ai tenu bon, je suis allé à la recherche de clients et j’ai réussi. Ceux qui m’ont fait confiance, qui ne me connaissaient pas et qui sont devenus des amis, savent qu’ils pourront toujours compter sur moi. Les mains qui se tendent sont précieuses, plus encore quand elles sont rares. La pandémie aurait pu me couler. Elle a au contraire décuplé ma volonté. Et de premiers mois sur le fil, ma petite entreprise est devenue florissante. C’est pour moi une immense fierté.

J’ai aimé ce que j’ai fait comme entrepreneur et enseignant. Nombre de projets sur lesquels j’ai collaboré prennent vie. Ils sont concrets, ils créeront de la valeur, de l’emploi. Ils feront du bien à des villages, à des communautés … et à la planète. Rien n’est plus passionnant que d’être dans le faire et d’y investir son temps, sa passion et aussi ses sous. Et rien n’est plus motivant que de convaincre, de transmettre, de passer le témoin. Cela a été le privilège des ateliers juridiques et des cours que j’ai animés sur la crise climatique et les droits fondamentaux, essentiellement à l’Ecole de droit de Sciences-Po Paris. Sur le terrain, dans des endroits parfois perdus, dans une salle de classe ou un amphithéâtre de fac, je me suis découvert des passions et une volonté qui sans doute existaient, mais que je n’avais juste jamais explorées, parce que je n’en avais jamais eu besoin. Si tant est qu’une défaite électorale est un revers de vie, ce revers-là s’est avéré in fine être une chance pour moi. Je me suis remis en cause, et il le fallait pour ne pas disparaître, « pour ne pas crever », comme l’écrit Manuel Valls dans son dernier livre. Je me le devais à moi-même, mais plus encore à ma famille et en particulier mes enfants. Il y avait une histoire à écrire, un enthousiasme à ressusciter. J’y suis allé.

Entrepreneur, je le suis désormais pour le reste de mes jours. Etait-ce cependant la dernière étape ? Je l’ai pensé, avant que la pandémie n’ébranle cette perspective. En 2 ans, j’ai fait 50 000 km seul en voiture, passant les frontières dans les limites des législations nationales, accumulant des dizaines de tests PCR et autant de laissez-passer et autorisations au nom d’un motif impérieux : mes missions, faute de quoi ma petite boîte disparaitrait. Aucune d’entre elles n’était proche de chez moi. Roulant parfois à plus d’heure, il m’est arrivé de me faire peur tant j’étais consumé de fatigue. Il n’y avait plus de trains, plus d’avions, plus d’hôtels. Je n’avais aucun filet de sécurité. Il fallait tenir. Combien de temps pouvais-je vivre à ce rythme en frisant ainsi le danger ? Sur ces longues distances, j’ai pris conscience aussi que les gens, les groupes me manquaient. Arrivé à bon port, j’aimais plus que tout les rencontres, les réunions, les débats. Et puis je rentrais chez moi vers la douceur de mon petit bureau, mais également sa solitude. Une chose, enfin, avait fini par me tracasser : être reconnu pour mon passé, notamment parlementaire. Devais-je me faire à l’idée d’être défini pour ce que j’avais été et moins (ou même pas du tout) pour ce que je suis ou ce que je pourrais être ?

Telles furent les interrogations de ces mois écoulés. Il me fallait une autre étape. Je me suis posé la question du retour à la vie publique. Je l’ai envisagé, avant de comprendre que les circonstances de celui-ci n’étaient pas réunies. En vérité, ce n’est pas la parole politique ou l’exposition personnelle qui m’importait réellement, mais l’action et le résultat pour les causes qui me tiennent le plus à cœur : le progrès partagé, l’emploi, l’environnement, le climat, les droits, l’Europe. Il y a tellement d’autres endroits où l’on peut faire la différence pour ces causes et contribuer à construire un avenir meilleur. Il y a l’entreprise, la société civile, les organisations. En fin de printemps, le hasard, la chance et sans doute une petite part de destin m’ont mis sur le chemin du Comité européen de normalisation (CEN) et du Comité européen de normalisation électrotechnique (CENELEC). C’est le CEN CENELEC que je rejoins comme Director, Governance & Membership, et bras droit de la Directrice-Générale Elena Santiago Cid. L’harmonisation des normes nationales en Europe est un enjeu considérable et nécessaire. J’en parlerai dans un autre post. Cet été est la saison du tuilage, de la découverte des défis qui m’attendent. Je serai à mon poste, « full speed ahead », le 1er septembre.

Voilà ma nouvelle étape. J’y viens avec mon expérience, mon histoire, ce que j’ai appris, et notamment au cours des toutes dernières années. Je suis prêt. Il n’y a pas d’âge pour les défis, il y a l’envie, la volonté de changer les choses, d’agir, de fédérer, de réussir. J’aime les dossiers touffus, complexes, dans lesquels on plonge longtemps et résolument, ces dossiers qui requièrent bien sûr de l’expertise, mais aussi du contact et des relations humaines. Je me réjouis de travailler avec des collègues passionnants. Et aussi de travailler différemment d’avant, parce que la pandémie a changé tant de choses. Le télétravail ne m’éloignera pas tous les jours de mon petit bureau cosy sous les toits de Bruxelles, de mes cours de droit, ni de la Bretagne que je continuerai de retrouver régulièrement avec bonheur. C’est un équilibre de vie que le temps d’après dessine et comme tant d’autres, je m’y inscris avec beaucoup d’espoir. Lorsque je suis entré dans la vie professionnelle il y a une trentaine d’années, j’avais dans l’idée que les parcours étaient souvent linéaires. L’expérience m’a montré que c’était plutôt l’inverse. Mon parcours a été une succession d’étapes, d’ascensions et de succès, mais parfois aussi de moments difficiles et de peines. De cela, je n’oublie rien. J’apprends. Tout est encore à écrire.

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