
Voilà un an que le monde affronte la plus redoutable pandémie depuis un siècle. Les victimes se comptent par millions. Aucun pays, aucune terre n’est épargnée. La souffrance est partout et la sortie du tunnel, tant espérée, semble encore lointaine. Une année a passé. Nous avons le vaccin – et c’est une réussite prodigieuse en si peu de temps – mais nous avons aussi les variants. Au risque que d’une pandémie, l’on glisse peut-être vers une autre. Que pourront les vaccins contre les variants ? Les premières appréciations semblent rassurantes. Pourvu cependant qu’elles soient justes. Car de cette pandémie, nous savons finalement bien peu encore. Les vagues se succèdent. Bientôt la troisième, et avec elle un très probable confinement. Jamais nous n’aurions imaginé à l’échelle de nos vies devoir abandonner autant de libertés face à un quelconque péril. Ne plus sortir, de plus voir ses amis et sa famille, ne plus circuler. Et avoir peur, pour les siens et pour soi. C’est dur d’être jeune en 2021, c’est dur aussi d’être âgé, et dur d’être parent. L’avenir est entre parenthèses. Là où l’on voyait souvent loin, une réalité prosaïque nous renvoie désormais à quelques semaines, à quelques mois tout au plus. Et sans doute est-ce là le plus rude.
Que faire ? Tenir bon. Avons-nous en vérité d’autre choix que celui-là, dès lors que la circulation du virus repart à la hausse, menaçant, outre les santés et les vies, les capacités et les ressources hospitalières ? Tout relâcher nous vaudrait un tsunami sanitaire. Tant d’efforts seraient alors anéantis. Aplatir autant que possible la courbe, une nouvelle fois, après le printemps, après l’automne, est une triste et récurrente perspective. Elle est cependant le seul moyen de gagner du temps pour vacciner la population et atteindre enfin l’immunité collective. Quand ? A l’été, ou plus probablement après. Couvre-feu, confinement, fermetures de frontières s’enchaînent en Europe. Dans le désordre, quoi que l’on dise, lorsque l’on vit et travaille sur plusieurs pays. J’en fais la difficile expérience. Si je ne passe pas la frontière, je ne peux plus travailler. Il n’y a plus de trains, presque plus d’avions. Alors je conduis, j’avale des kilomètres par milliers, autant que la loi et ma résistance me le permettent. Peut-être serai-je vacciné à l’approche de l’été. Je l’attends ardemment. Je perçois le vaccin comme un devoir civique. Je ne comprends pas que l’on s’y refuse et attende des autres qu’ils fassent l’effort que l’on choisit soi-même de ne pas faire.
C’est long, un an. Le temps file et ne se rattrape pas. Je l’ai mesuré aux larmes de mon petit Marcos, peu de temps après Noël. Cela faisait un an qu’avec son frère et sa sœur, il n’avait plus vu Grenade et la propriété d’oliviers des grands-parents dans laquelle, à chaque fin d’année et à Pâques, il aime tant courir et jouer. Ces rendez-vous-là dans la campagne andalouse lui manquent beaucoup. Ils sont comme des rites, des étapes sur le chemin de l’enfance. La pandémie, si elle n’affecte pas les petites vies, les touche cependant à l’âme, et certainement plus qu’il n’y paraît. Irons-nous en Espagne à Pâques ? Rien n’est moins sûr. Il faudra à tout le moins que les grands-parents aient été vaccinés. Je mesure combien cette période est terrible et déstructurante pour les enfants. Il y eut le printemps 2020, puis l’automne et désormais l’hiver. Les photos des jours heureux font sourire, mais elles ne rassurent pas. Elles soulignent ce qui était et qui n’est plus. Tous les vendredis, mes enfants reviennent de l’école avec tous leurs livres, comme si l’école devait ne pas reprendre le lundi suivant parce que sa fermeture aurait été décidée dans l’intervalle. Ils traversent comme ils le peuvent cette période sans fin, qui met au défi leur innocence.
Il faut se parler, expliquer, ne pas laisser par le silence et les non-dits la peur s’installer. Se parler en famille, se parler de famille à famille, d’amis à amis. Et de gouvernants à gouvernés, dans les deux sens. Il n’y a pas en France 66 millions de procureurs. Cette phrase était maladroite et malheureuse. Il y a en France des millions de gens perdus qui ont peur, qui s’interrogent, qui tentent de comprendre. Et qui réclament légitimement qu’on leur rende compte, clairement et justement. L’éloignement de la décision publique, son inégale explication, sa verticalité d’exécution, au risque de l’infantilisation, expliquent largement les attentes déçues, les colères et les peines. Le début compliqué de la campagne de vaccination en aura été le dernier exemple. C’est souvent la pédagogie qui manque alors qu’elle doit dans une situation aussi critique être à la base de tout. L’acceptabilité des restrictions de libertés, des calendriers de vaccination et du principe même du vaccin en dépendent. Chacun doit entendre, au-delà des difficultés et des souffrances, l’appel à la solidarité, à l’effort collectif et au devoir. Notre pays a traversé des épreuves terribles dont le souvenir peut encore être partagé. Rassemblé, il s’est relevé. Puissions-nous nous en inspirer.
J’ai fait un court saut en Bretagne ces derniers jours. Il faisait un temps maussade. Le ciel était bas et il tombait sur la campagne un crachin pénétrant. Je suis passé le long d’un petit stade que je connaissais, au cœur du centre-Finistère. Les feuilles mortes jonchaient la pelouse. Il manquait le marquage de ligne et un pauvre filet battait au vent. Il n’y avait personne. Sans doute depuis longtemps. Le moment était crépusculaire. On peut s’abandonner à la peine ou à la nostalgie, et j’en eus la brève tentation. Ou au contraire se rebeller, et il le faut. Car il n’y a pas de fatalité à ce que la vie s’écarte, s’écrive derrière des murs, s’isole et isole. Se rebeller, c’est affronter le défi qui se pose à nous, en responsabilité, parce que nous nous devons les uns aux autres, en faisant Nation. C’est se rappeler que nous avons des devoirs autant que des droits. Et que la solidarité est une exigence dans l’épreuve, qui requiert que l’on sache penser aux autres avant de commencer à penser à soi. C’est à ce prix et par l’effort que le Covid battra en retraite. Il sera temps alors de nous retrouver, quand ces jours-là viendront, et de reprendre la marche du monde, conscients de ce que nous aurons vécu et de la nécessité d’en écrire la suite autrement.
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Le long chemin de la justice climatique
Il y a deux ans, quatre organisations non-gouvernementales (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas-Hulot) avaient recueilli plus de 2,3 millions de signatures de citoyens au bas d’une pétition, “L’affaire du siècle”, dénonçant l’inaction de l’Etat dans la lutte effective contre le réchauffement climatique. Après la pétition était intervenu le dépôt d’un recours par ces mêmes ONG devant le tribunal administratif de Paris pour carence fautive. Qu’en ferait le tribunal administratif ? De sa réponse dépendrait largement la capacité, déjà mise en œuvre dans d’autres pays, de faire avancer – ou non – la justice climatique en France. C’est peu dire que l’arrêt du tribunal administratif était donc attendu. A l’arrivée, cet arrêt, rendu public hier, offre aux ONG un timide succès.
Le tribunal administratif de Paris reconnaît une faute de l’Etat en raison de son incapacité à tenir ses engagements de réduction de gaz à effet de serre. Pour mémoire, ceux-ci sont de réduire les émissions de 40% en 2030 par rapport à au niveau de 1990 et d’atteindre la neutralité carbone pour 2050. A l’évidence, la trajectoire récente n’y conduit pas. C’est la première fois qu’une faute de cette nature est retenue à l’encontre de l’Etat et cela constitue en soi un précédent notable. Est-ce pour autant un jugement révolutionnaire ? Non, car au-delà de la condamnation de l’Etat à verser aux ONG un Euro symbolique au titre du préjudice moral résultant de sa carence fautive, le tribunal administratif de Paris laisse sans réponse à ce stade la question centrale : la réparation du préjudice écologique.
Il revient désormais aux ONG d’apporter les éléments d’évaluation de ce préjudice pour permettre sa réparation. Le tribunal administratif a prononcé en effet un supplément d’instruction à cette fin, assorti d’un délai de deux mois. Un deuxième jugement interviendra donc, plus important, plus fondateur pour la justice climatique en France que celui d’hier. La faiblesse de l’engagement de l’Etat contre le réchauffement climatique et les résultats insuffisants obtenus sont certes reconnus, mais l’Etat n’est pas non plus le seul fautif. Quelle est la part de sa carence dans la responsabilité d’une sécheresse ou d’inondations catastrophiques et quel contenu concret présentera en conséquence la réparation qu’il lui reviendra d’assumer ? C’est tout cela qui va se jouer dans les deux mois.
Rien n’est encore établi. Que peut décider le tribunal administratif de Paris? Il peut enjoindre l’Etat de prendre une série de mesures contraignantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, conformément à ses engagements. L’écart entre les résultats actuels et les engagements est grand : là où la réduction annuelle devrait être a minima de 1,5%, elle n’était que de 0,9% sur l’année mesurée la plus récente (2019). Le sujet est d’autant plus prégnant juridiquement (et in fine politiquement) qu’au cours de ces mêmes deux mois, le Conseil d’Etat se prononcera sur les réponses de l’Etat quant à sa capacité de tenir la trajectoire de réduction des émissions à l’horizon 2030, dans le cadre d’un recours pour inaction climatique présenté par la commune nordiste de Grande-Synthe.
Ces deux actions convergent et mettent l’Etat sous pression, tout comme la justice administrative. Les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris par la France ne sont pas indicatifs, ils sont contraignants et s’imposent. On ne peut avoir été le pays hôte de l’accord de Paris de décembre 2015, se battre à raison pour sa mise en œuvre à travers le monde et échouer paradoxalement chez soi, faute de manifester la volonté que l’on attend ailleurs des autres. C’est là que la justice climatique se glisse, en recherchant par la saisine des cours et tribunaux à forcer l’action publique, en ouvrant la voie à la réparation du préjudice écologique, y compris même au bénéfice de personnes s’estimant nommément victimes des effets du réchauffement climatique.
Tout cela, en France, est encore à venir. L’arrêt du tribunal administratif de Paris du 3 février 2021 ne fait qu’entrouvrir une porte. C’est une étape importante, mais une étape seulement. La dimension contentieuse de l’action climatique est moins commune en France qu’elle ne l’est ailleurs en Europe ou même au-delà. Elle prend cependant un relief particulier au moment où, par coïncidence de calendrier (ou pas), l’agenda législatif du printemps s’ouvre à l’examen par le Parlement du projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne sur le climat et au projet de référendum visant à intégrer l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution. C’est dire combien les prochains mois seront déterminants pour la justice climatique en France.
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