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D’Aix-la-Chapelle à Berlin, échanges parlementaires franco-allemands sur la crise des réfugiés (12 + 17 février 2016)

Le 12 février à Aix-la-Chapelle, puis le 17 février à Berlin, j’ai rencontré nombre de collègues parlementaires allemands. A Aix-la-Chapelle, je participais à la réunion annuelle du Bureau de l’Assemblée nationale et du Praesidium du Bundestag. A Berlin, il s’agissait de la rencontre, également annuelle, des Commissions des affaires étrangères de l’Assemblée et du Bundestag. Deux rendez-vous rapprochés dans le temps qui nous ont permis d’engager et de poursuivre un débat de fond, passionnant et sans concession, sur la situation internationale, au premier rang desquelles figure la crise des réfugiés. Entre ces deux rendez-vous, une déclaration du Premier ministre Manuel Valls, en marge de la conférence de Munich sur la sécurité, est venue le 13 février alimenter l’échange, si ce n’est la polémique, avec une critique en creux de la décision de la Chancelière Angela Merkel en septembre 2015 d’accueillir les réfugiés et l’affirmation que l’Europe ne saurait pour l’avenir s’engager davantage.

Je pense qu’il est singulièrement maladroit de faire la leçon à l’Allemagne, a fortiori en Allemagne. La décision de la Chancelière se comprend dans un contexte allemand, y compris historique. Elle est aussi la décision d’une femme de l’ancienne Allemagne de l’est, qui sait ce que vivre sans liberté veut dire. A Aix-la-Chapelle comme à Berlin, j’ai tenu dans mes interventions à rendre hommage au choix d’Angela Merkel, non d’ouvrir les frontières de son pays, mais de ne pas les fermer. La Chancelière a su rappeler que l’Europe est d’abord une communauté de destins et un projet de société dont, faut-il le dire, la solidarité n’est pas absente. Je trouve de médiocre politique les expressions enflammées de collègues de l’opposition assénant aux députés allemands que la Chancelière porterait « une responsabilité historique » dans les malheurs actuels et à venir de l’Europe. Il en est de même du jugement condescendant porté publiquement sur ceux d’entre nous pour qui l’exigence morale et le respect du droit comptent en politique étrangère.

En 2015, 1,8 million de personnes sont entrées irrégulièrement dans l’Union européenne. 868.000 d’entre elles ont emprunté la route des Balkans. 154.000 ont traversé le centre de la Méditerranée vers l’Italie. Sur la route des Balkans, les premières nationalités sont les Syriens (33%), les Afghans (14%) et les Irakiens (11%). L’Allemagne est le premier pays de destination des migrants puisque 1,1 million de demandeurs d’asile y ont été accueillis en 2015. Sur le seul mois de janvier 2016, en dépit de conditions météorologiques difficiles en mer Egée et sur la route des Balkans, ce sont quelque 92.000 nouvelles entrées qui ont été enregistrées et il est attendu, lorsque la météorologie s’améliorera au printemps, que le flux quotidien d’arrivées, à hauteur d’un peu plus de 2.000 personnes actuellement, reparte nettement à la hausse. Les dépenses publiques allemandes anticipées pour l’accueil des réfugiés – Bund, Länder et communes réunis – se chiffreraient entre 14 et 20 milliards d’Euros.

Que nous ont dits les députés allemands ? Que la volonté populaire d’aide à l’égard des réfugiés reste forte, malgré l’interrogation croissante dans l’opinion publique sur la sécurité ouverte par les graves incidents survenus dans la nuit de la Saint Sylvestre à Cologne. Et que le nombre de réfugiés arrivant en Allemagne n’est pas tenable à terme, nécessitant de fait la mise en place de mesures visant à le restreindre. L’Allemagne a ainsi supprimé le soutien en nature aux réfugiés et élargi la liste de pays sûrs au Maroc, à l’Algérie et à la Tunisie, après l’avoir fait dès l’an passé pour tous les pays des Balkans. Nos collègues allemands ont déploré l’inapplication des décisions européennes de septembre 2015 sur la mise en place des hot spots et des mécanismes de relocalisation des demandeurs d’asile. Ils ont souligné la difficulté de réunir les 3 milliards d’Euros promis à la Turquie pour maintenir les réfugiés sur son territoire, difficulté d’autant plus réelle que l’échange avec la Turquie n’est pas exempt d’ambiguïtés. L’aide doit aussi se porter vers la Jordanie et le Liban. Enfin, la solution du conflit en Syrie est essentielle pour la sortie de crise.

Nos collègues allemands n’ont pas revendiqué la fermeture des frontières ni proclamé la mort de Schengen, n’en déplaise à ceux qui, à droite en France, aiment alimenter jusqu’au Bundestag le catastrophisme sur fond, malheureusement, d’islamophobie mal dissimulée. Personne au Bundestag ne revendique une forteresse Europe, barricadée et empêchant par la force de pauvres embarcations d’atteindre les côtes grecques. Personne n’est venu faire procès aux réfugiés de leur religion. Puissions-nous, à l’Assemblée nationale, épouser pareille hauteur de vue. Combien de réfugiés avons-nous accueilli en France ? Au mieux quelques centaines. L’Allemagne en a désormais reçu 1,2 million en 13 mois. On ne peut invoquer nos seules difficultés économiques et le dynamisme démographique français pour rester ainsi en retrait. Ce n’est à la hauteur ni du message de la France, ni de l’ampleur de la crise. Je regrette que notre pays s’oppose en l’état au mécanisme permanent de relocalisation de crise souhaité par l’Allemagne.

Ces échanges parlementaires ont le mérite de mettre en avant les différences d’appréciation, sur lesquelles la diplomatie jette souvent un voile pudique. Ces différences existent. Diverger n’est pas rédhibitoire, c’est ne pas aller l’un vers l’autre qui l’est. Aucune solution pérenne au drame des réfugiés n’interviendra en effet sans une position franco-allemande solide et affirmée. Nous n’y sommes pas encore. Dans ce cadre, la diplomatie parlementaire doit pouvoir jouer tout son rôle. Elle n’est pas anecdotique. J’aurais voulu, comme je l’avais fait à Aachen, développer à Berlin la proposition de missions parlementaires franco-allemandes dans le domaine de la politique étrangère et européenne que je porte. Je voudrais parvenir à donner un contenu concret à cette proposition avant la fin de mon mandat. Je suis persuadé que des tandems franco-allemands, à même d’établir un diagnostic et des propositions communes sur des problématiques données, intervenant ensemble au Bundestag et à l’Assemblée nationale, auraient une réelle valeur ajoutée. Le temps a manqué à Berlin pour que nous l’abordions. Je ne renonce pas. C’est, je crois, le sens de l’histoire.

  

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