
Il y aura 10 ans dans quelques semaines, la COP 21 s’achevait par l’adoption de l’accord de Paris sur le climat. Je garde un souvenir fort de ce moment. Rien n’était sûr jusqu’à quelques heures de la conclusion de la conférence. Toutes les parties étaient là et leurs ambitions, leurs différences et leurs divergences étaient nombreuses. Il y avait près de 200 Etats représentés. A la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, je suivais jour après jour et bientôt heure par heure les informations qui nous parvenaient du Bourget. J’avais le sentiment que si la conférence débouchait sur un échec, le cadre multilatéral de l’action climatique n’y survivrait pas. L’enjeu était considérable. Connaissant le sujet climatique de ma vie professionnelle passée, j’avais suivi comme député les COP précédentes et la préparation de la COP 21. J’avais été le rapporteur de l’Assemblée sur la prolongation du Protocole de Kyoto. J’étais convaincu qu’il y aurait à Paris en cette fin d’année 2015 un momentum diplomatique, politique et sans doute économique à saisir. Au finish, l’accord fut adopté. J’ai encore en mémoire l’émotion de Laurent Fabius, qui avait présidé la conférence avec persévérance et passion. Il y avait sur les visages la fatigue de nuits trop courtes et la joie d’un dénouement si longtemps espéré.
Dix ans ont passé. J’ai été le rapporteur du projet de loi de ratification de l’accord de Paris à l’Assemblée nationale au début 2016. C’est mon meilleur souvenir de vie parlementaire. Je voulais aller chercher le vote unanime de mes collègues députés et j’avais mis toutes mes tripes dans la rédaction de mon rapport. Au moment de monter à la tribune, j’avais ressenti à mon tour cette même émotion submergeante devant l’énormité du sujet : l’habitabilité de notre planète et l’avenir de la vie. L’accord de Paris a pour objectif de limiter à la fin du XXIème siècle le réchauffement climatique nettement au-dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle et de poursuivre l’action pour ne pas dépasser 1,5°C. A cette fin, l’accord prévoit que les Etats parties augmentent tous les 5 ans leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et qu’une aide financière massive est versée aux pays en développement par les pays développés, principaux responsables de la crise climatique en raison de leurs émissions et de leur forte consommation. L’accord de Paris est entré en vigueur à la fin 2016. Tous les Etats l’ont ratifié à l’exception de l’Iran, de la Libye et du Yémen. Les Etats-Unis en sortiront en janvier prochain. Il reste pour tous l’ensemble des autres pays le cadre d’action commune.
Les 10 dernières années ont été les plus chaudes depuis que les températures sont enregistrées et l’objectif de ne pas dépasser 1,5°C est malheureusement devenu illusoire. Pouvons-nous encore rester sous la barre des 2°C ? Si le rythme des émissions devait demeurer à son niveau actuel, les 2°C seraient dépassés à leur tour sous une trentaine d’années. Les émissions continuent d’augmenter, même si leur augmentation annuelle est désormais bien moindre. Tout le défi est d’aller chercher au plus vite le pic mondial d’émissions et de réduire celles-ci massivement par la suite. Aujourd’hui, une décennie après l’accord, le réchauffement projeté pour la fin du siècle serait de 2,8°C. C’est certes plus faible que les 4°C modélisés avant la COP 21, mais cela reste toujours terrifiant pour la vie humaine et l’avenir des écosystèmes. L’accord de Paris est parvenu à ralentir le processus de réchauffement de la planète, mais insuffisamment à ce stade, et si tous les Etats parties ont présenté leurs plans de réduction des émissions pour 2030, moins de la moitié d’entre eux l’ont fait pour 2035. Or, c’est sur ces plans et leur mise en œuvre que tout se jouera. Si les engagements étaient tenus et que les objectifs de neutralité carbone pour 2050 et 2070 étaient respectés, rester sous la barre des 2°C serait encore possible.
Voilà où nous en sommes. L’accord de Paris et sa mise en œuvre ne sont pas les échecs flagrants que décrivent les milieux climato-sceptiques et les lobbies des énergies fossiles, mais la crise climatique demeure dans toute son amplitude. A nos latitudes d’Européens, nous avons tous expérimenté des canicules éprouvantes, parfois aussi des inondations et des tempêtes d’une violence insoupçonnée, et bien pire est à venir si les engagements de l’accord de Paris étaient privés de leur substance et de leur dynamique. L’ébranlement du monde joue contre l’action climatique, qu’il s’agisse de la guerre de la Russie en Ukraine ou des guerres commerciales de Donald Trump et de la Chine au reste du monde. Les priorités budgétaires sont désormais au réarmement et bien moins à la protection du climat. L’Union européenne s’est écartée de son Green Deal sous la pression de certains gouvernements. Il faut combattre frontalement le travail de sape entrepris contre la cause climatique par Donald Trump et qui s’étend jusqu’à une remise en cause insensée de la science. L’affirmation récente de la justice climatique est un atout précieux pour maintenir l’action, en particulier l’avis de la Cour internationale de justice de juillet 2025 sur les obligations contraignantes des Etats pour le climat.
Que faire ? Se battre à l’échelle des COP – et notamment à celle de Belem en ce mois de novembre – et de chacun des Etats parties pour porter plus loin les plans volontaires de réduction des émissions. Ces plans dans leur contenu actuel conduiraient à une réduction des émissions mondiales de 10% à l’horizon 2035 par rapport à 2019, alors que c’est a minima une réduction de 35% qu’il faudrait viser pour rester sous la barre des 2°C. Dans ce cadre, la question énergétique est majeure et incontournable. La production d’énergies fossiles continue d’augmenter, malgré le déploiement record des énergies renouvelables encouragées par l’accord de Paris. Un travail considérable et largement révolutionnaire est à conduire sur l’électrification des usages et procédés industriels, et sur la flexibilité de production et consommation permettant de faire de l’intermittence des énergies renouvelables non un obstacle, mais un atout décisif. C’est ainsi que l’on détournera des énergies fossiles les nombreux secteurs industriels et de service qui en restent à ce jour largement dépendants. Il faudrait pour cela le signal politique fort d’un objectif de sortie des énergies fossiles, daté et quantifié globalement, qui devienne la clé de voute des plans volontaires de réduction des émissions.
L’avenir de l’action climatique dépend enfin de la diplomatie. Aussi difficile que cela puisse paraître, c’est avec la Chine que l’Union européenne doit chercher une alliance. Il s’agit de limiter l’activisme de Donald Trump. Pour trois ans au moins, les Etats-Unis agiront hors du jeu pour ruiner la cause climatique, pressions politiques et menaces commerciales à l’appui. Mais s’ils représentent 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, leur retrait de l’accord de Paris n’est cependant pas un drame absolu si une dynamique parvient à se créer face à eux et qu’elle sait faire le pont avec les attentes des pays en développement. Ce pont relève non seulement du devoir, mais aussi de la stratégie diplomatique renouvelée. Cela requiert d’accroître les financements à destination de ces pays. La dernière COP à Bakou avait été une déception pour eux. C’est un financement de 1300 milliards de dollars par an qui est attendu à Belem et il devra reposer bien davantage sur des dons que des prêts. Il devra aussi mobiliser les banques internationales de développement. Dix ans après l’accord de Paris, c’est par la résilience de l’action diplomatique et par sa capacité à dépasser les postures que l’action climatique pourra continuer en dépit des tensions géopolitiques et des bouleversements du monde.
Il m’arrive parfois de tourner quelques pages de mon rapport sur l’accord de Paris. J’ai toujours le souvenir de mes interrogations d’alors. Devais-je privilégier la technicité ou parler avec le cœur ? Sans esquiver la technicité, j’avais choisi le cœur. Je pensais à mes trois enfants. Quel monde serait le leur ? Derrière chaque dixième de degré d’augmentation de température évité, il y a des millions de vies et de destins épargnés. C’est immense. J’avais essayé aussi de ne pas opposer l’action climatique au développement économique. On ne sauvera pas le climat sans l’économie, l’entrepreneuriat, l’innovation, la croissance. Dans mon entreprise allemande de fabrication de panneaux solaires, nous avions cette formule : « Klimaschutz beschäftigt uns » (la protection du climat nous emploie). Je l’avais citée dans mon discours. Je crois profondément au rôle et à la responsabilité de l’entreprise. Comme je crois également que la cause climatique est indissociable de la justice sociale, que son acceptabilité et donc sa réussite en dépendent. Et je défends ardemment la préservation des espaces naturels et des puits de carbone. Il y a tant à faire. Nous n’avons d’autres choix que de nous battre, encore et toujours. Nous devons aux générations futures de ne pas renoncer. Et de réussir parce que c’est encore possible.




Toussaint ou Halloween
Le mois d’octobre tire à sa fin et annonce sous quelques jours une fête que je n’ai jamais vraiment goûtée : la Toussaint. Aussi longtemps que je puisse me souvenir, cette fête évoque pour moi un ciel plombé et bas, un vent frisquet et une pluie pénétrante. Je me souviens de la tournée des cimetières, comme nous l’appelions dans mon enfance finistérienne, les bras chargés de pots de chrysanthèmes et de cyclamens. Il fallait nettoyer les pierres à grande eau, en plus de celle qui tombait généreusement du ciel, avant d’y déposer soigneusement nos plantes. Une année, devant une pierre légèrement descellée, mon oncle avait glissé d’une voix sépulcrale : « on croirait voir outre-tombe ». Je n’avais pas fermé l’œil la nuit suivante. Le cimetière devenait l’espace de ces quelques jours d’octobre un étrange lieu, entre obligation, recueillement et … retrouvailles de parents ou d’amis. Je me souviens de ma famille rencontrant fortuitement quelques copains de jeunesse sur les hauteurs du cimetière. C’était curieux et réconfortant. On se donnait des nouvelles et il n’était pas rare que les discussions engagées à voix basse entre les tombes se poursuivent plus joyeusement dans la chaleur revigorante du café. Le cimetière avait été le point de ralliement, la suite se racontait forcément ailleurs.
Je ne fuis pas les cimetières. Il m’arrive de m’y arrêter. Les cimetières ont un sens, une signification pour moi. Je suis attaché aux miens, aux gens qui ont compté dans ma vie et j’ai besoin de les retrouver discrètement. J’ai parfois avec moi une petite fleur que je laisse et que le vent ou la pluie emportera quelques jours ou semaines après. Cette petite fleur porte mon émotion, un moment de méditation, un bout de prière. Elle est surtout un lien. Je n’oublie pas d’où je viens. Le respect et la gratitude sont au cœur des valeurs que m’ont transmis mes parents. Il est vrai cependant que je préfère ces moments de recueillement sous un soleil réparateur et dans la solitude à la grisaille, l’humidité et la foule de la Toussaint. Arrivé à l’âge adulte, j’ai eu la chance de découvrir d’autres traditions et cultures du 1er novembre, comme celles d’Amérique latine. Ce ne sont certes pas les mêmes latitudes ni les mêmes histoires, mais elles m’ont touché avec la représentation de la mort comme continuation de la vie et pour cette raison un regard imagé, des couleurs, de la musique, des danses, des récits et de l’humour. Je me suis aperçu que la Toussaint n’était pas forcément sinistre et déprimante, qu’elle avait force de transmission et que l’on pouvait même rire ce jour-là aussi.
Là est au fond tout le sujet. Ce moment de l’année doit-il être triste ? Je l’ai pensé à tort. Le rire et l’humour font partie de ma vie. Avant de vivre aux Etats-Unis au début des années 1990, je n’avais jamais entendu parler de Halloween. Tout d’un coup, plongé dans une géographie et une culture qui n’étaient pas les miennes, je m’étais retrouvé face à une réalité que je n’avais jamais soupçonnée : une célébration païenne marrante et grinçante, ouverte à toutes les imaginations, avec des enfants déguisés courant une bonne part de la nuit du 31 octobre pour les chasses aux bonbons. Je n’en revenais pas de toutes les citrouilles que j’apercevais partout devant les maisons, au coin des rues et jusque dans mon entreprise. J’avais été surpris, puis conquis. Voyais-je une opposition entre Halloween et la Toussaint, entre la païen et le religieux ? Sans doute un peu, mais je l’ai vite oubliée au point de trouver bien des mérites à la dinguerie orange du 31 octobre et de m’y prêter de bon cœur. Au retour de ma vie américaine, j’avais été ébahi que Halloween ait touché l’Europe. Je me souviens de mon père décorant notre maison de toiles d’araignées, de chouettes et autres attributs flippants pour amuser mes neveux. Un moment venu d’ailleurs tempérait la solennité de la Toussaint et c’était très bien.
Je suis aujourd’hui un papa qui a sculpté des citrouilles, glissant à l’intérieur de l’écorce une petite bougie pour éclairer les nuits fraiches de la fin octobre à Bruxelles. J’ai participé une année à une préparation collective de soupe orange dans la classe de mon fils Pablo, qui avait commencé par la disparition malencontreuse de notre potiron familial dans la cour de récréation. Avant les bonbons, il avait fallu chercher le potiron. Nous en rions encore en famille. Je me dis parfois que Halloween aurait dû arriver en Europe lorsque j’avais l’âge de mes enfants. Cela m’aurait fait du bien de rigoler un bon coup. On entend des tas de trucs critiques sur Halloween, que c’est un peu surfait, que ce n’est pas notre culture ou qu’il n’est pas juste de rire ainsi. Je pense tout l’inverse. Mieux vaut se marrer que de déprimer ou d’avoir peur. Et mieux vaut aussi démystifier un moment triste et peu compréhensible pour les enfants comme la Toussaint, non pour le reléguer ou pour l’ignorer, mais pour l’apaiser et le vivre autrement. J’ai l’impression d’avoir fait une étrange synthèse des citrouilles et des chrysanthèmes. Je n’ai certes plus l’âge depuis longtemps d’avoir crainte du 1er novembre, mais je suis arrivé à trouver réconfort dans la juxtaposition de l’orange des uns et du jaune des autres.
J’écris tout cela depuis l’Ile-Tudy, à quelques mètres de l’océan. L’écho des vagues m’enveloppe. Demain soir, mes enfants feront la chasse aux bonbons. C’est ce qu’ils m’ont dit. Je ne suis pas certain que beaucoup de portes s’ouvriront. Il n’y a pas grand monde à cette époque dans nos petites rues parcourues par le vent marin. Ils auront tout de même un petit butin à se partager. Ils riront et moi avec eux. Et puis samedi 1er novembre, lorsque nous quitterons l’Ile-Tudy pour prendre la route du retour, je leur parlerai des miens, qu’ils n’ont pas connu et qui sont aussi les leurs. J’en ferai un moment de souvenir, doux et tendre. Raconter ceux qui ne sont plus là ne doit pas nécessairement être triste ou tragique. Il y avait de belles personnalités dans notre famille, des gens simples et passionnants, chaleureux, attentifs et drôles. Je me dis que mon père aurait aimé que l’on se souvienne de lui pour ses mésaventures de distrait et ma grand-mère pour l’affection sans limite qu’elle nous portait. Je dirai à mes enfants qu’ils vivent en nous et qu’ils ne sont pas si loin. Sur notre route, nous croiserons sûrement quelques cimetières fleuris. Je ne sais s’ils les verront. Moi, je les verrai. Je regarderai doucement, peut-être pour apercevoir le garçonnet que je fus. Et je n’aurai plus peur.
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