
J’ai retrouvé Bruxelles et notre maison il y a deux jours. Au dernier virage vers notre rue, j’ai jeté un œil au compteur de ma voiture. Il affichait 6 024 kilomètres de plus que le matin du 25 juillet, lorsque j’avais pris la route des vacances. J’ai beaucoup roulé, comme je le fais chaque été, avec cette fois-ci en plus le curieux sentiment d’avoir vécu une vraie grande vadrouille. J’ai fait une bonne part des trajets seuls. J’allais rejoindre la famille, déjà arrivée en Galice. J’avais besoin de soleil, de voir des paysages, de prendre des chemins de traverse, d’être ému par les monuments et les églises, de ressentir la France. J’ai roulé à travers les Ardennes et la Champagne. Je me suis arrêté à Pouilly-sur-Loire face aux vignobles et au fleuve. Je n’étais pas pressé. Je suis sorti des autoroutes, j’ai pris de petites voies et surtout des tas de photos, là où je le voulais, là où je le sentais. En Auvergne, j’ai revu Tauves et les volcans. J’ai adoré le Cantal. A l’approche des Pyrénées, les bouteilles de Jurançon ont rejoint dans le coffre les bouteilles de Pouilly. Des connaisseurs les attendaient de pied ferme à La Corogne. C’était la fête à Lacommande, près de la maison des vignerons. Je suis resté, un peu plus que chaque été, parce que j’aime les fêtes de village et que cette grande vadrouille est devenue un rendez-vous annuel cher à mon cœur.
J’avais besoin de ces vacances et j’avais en même temps le sentiment que mon dernier passage à Pau n’était pas si lointain. Cela faisait pourtant un an. Est-ce l’âge qui nourrit cette impression que les années filent comme dans un grand sprint ? En juin, je m’étais découvert surpris que ce soit déjà l’été, comme si les mois pluvieux et ventés de la Belgique avaient été courts alors qu’ils ne le sont jamais. C’est pour cela sans doute que j’ai voulu vivre cet été à fond. Je me suis mis au défi des années et aussi des beaux jours. J’ai fait le tour de l’Ile de Groix en kayak au départ de Lorient, j’ai grimpé les cols alsaciens à vélo, j’ai couru ardemment sur le paseo maritimo de La Corogne, puis sur le chemin côtier de l’Ile-Tudy à la Pointe de Sainte-Marine. Tout cela fait quelques bonnes centaines de kilomètres à la force des jambes et des bras. Une conclusion s’impose, jouissive, joyeuse : je suis encore bon pour le service. En Galice et en Bretagne, la nuit et le jour, j’ai lu des tas de bouquins, des nouveaux et des anciens. J’ai retrouvé Simenon et Maigret. Et puis j’ai fait ample usage du devoir de déconnection : plus de mails, plus de messages, plus rien, juste des livres et un peu d’écriture de temps à autre. Cela fait un bien fou de ne plus lire et – pire – commenter les états d’âme de Tartempion ou de Duchnock sur tel ou tel réseau.
Les vacances ne sont pas la vraie vie, mais elles ont une immense valeur d’idéal. J’aime leur esprit, cette forme de légèreté, l’insouciance qui vient et que l’on accepte volontiers. J’étais heureux de voir mes enfants heureux. Ils ont nagé, pédalé, barré, joué, couru. Et ils ont beaucoup ri. Il y avait la famille, les cousins et surtout leurs héros, les vrais : les grands-parents. On ne dit jamais assez merci aux grands-parents pour leur gentillesse, leur présence, leurs petites et grandes histoires, leurs conseils pleins d’affection et de tendresse, leur autorité bienveillante. Les vacances sont le temps béni des grands-parents, le moment du partage, le saut des générations qui efface un instant les parents de la photo pour un dialogue qui construira les souvenirs de toute une vie. En Galice, en Bretagne, il y avait aussi les copains, ceux que l’on retrouve avec bonheur chaque été sur la plage et qui viennent parfois de loin, les amitiés qui durent et qui avancent au fil des années. Elles sont si précieuses. Les enfants grandissent, les ballons demeurent, ronds et ovales. Les vélos changent et la taille des catamarans aussi. Les régates deviennent aussi disputées que les parties de foot et de rugby. Les aventures de marins naissent. Fallait-il sortir le spi ? Pourrons-nous faire du cata seuls l’été prochain ? Serons-nous bientôt monos ?
Je suis parti un mois et mes enfants plus de deux mois. C’était génial. Nous avons vu du pays. Nous nous sommes tellement changé les idées. Je revois le départ des uns et des autres, à la fin juin et au début juillet, la route de l’aéroport, les valises bien faites, les casquettes vissées sur les têtes, les sourires sans fin. Les vacances se méritent. Il faut les préparer, bien s’en souvenir et surtout, travailler comme il faut à l’école pour les gagner. Ce doit être mon côté vieux monde que de raconter cela. Je partage parfois la mémoire de mes vacances d’antan, en Bretagne ou ailleurs. Elles étaient différentes et heureuses autrement. J’essaie de glisser dans les récits les anecdotes croustillantes qui font le sel des souvenirs. Je crois bien justement que c’est durant un été que j’avais lu Un singe en hiver, le roman d’Antoine Blondin, merveilleusement porté à l’écran par Henri Verneuil et Michel Audiard. Au retour de Bretagne dimanche, nous nous sommes arrêtés à Villerville, dans le Calvados, là où furent tournées les scènes mythiques du film avec Gabin et Belmondo. C’était notre dernière étape. La frontière belge allait venir. Je serais bien resté à Villerville tant j’ai aimé cette œuvre. Les vacances me réservaient cette dernière surprise, une immersion dans un souvenir de livre et de film qui a marqué ma jeunesse.
La boucle est bouclée. Les valises sont rangées. Demain, le bus scolaire passera pour ma petite équipe et septembre pourra alors commencer vraiment. Il fait beau sur Bruxelles, mais le ciel a de premières teintes d’automne. J’erre dans ma cuisine, cherchant les couverts là où ils ne se trouvent pas. Revenir n’est pas si simple, finalement. J’ai encore la tête au bord de l’Atlantique et à notre dernière nuit normande face à la Manche, ce temps nécessaire et doux avant la fin de la grande vadrouille. Je n’ai pas envie de ranger le hamac sur la terrasse. Sans doute m’y risquerai-je encore pour quelques dernières nuits à la belle étoile, comme sur la plage de Groix durant le tour en kayak, même si le ciel de Bruxelles n’est pas celui de la Bretagne. Je veux prolonger le moment, faire vivre encore l’esprit des vacances. Il y a les bonnes résolutions – courir, manger sain, pas stresser, rigoler – et il y a aussi les rêves d’après, y compris ceux de la retraite qui approche. Et si on se retrouvait, ici, souvent, me disaient à l’Ile-Tudy il y a quelques semaines Tina et Michele, mes amies du Collège d’Europe. Le soir commençait à nous envelopper. Nous nous étions donnés rendez-vous à la cale, 37 ans après Bruges. C’est vrai, il y a les souvenirs et il y a l’avenir. L’esprit des vacances est, je l’espère, celui de l’avenir.

Mollo sur l’andouillette
Il y a un temps lointain, Edouard Herriot, l’ancien Président du Conseil et maire de Lyon, avait eu cette expression aussi drôle qu’imagée : « La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop ». Pour avoir connu et pratiqué la politique, je dois avouer que l’expression d’Edouard Herriot est plutôt fondée. En fonction des circonstances et en particulier de la proximité d’échéances électorales, l’odeur de l’andouillette est en effet plus ou moins persistante. Et à vrai dire, ces jours-ci, je la trouve même franchement oppressante. Toutes les chaînes de télévision, toutes les stations de radio rivalisent de débats, aussi chaotiques les uns que les autres, sur la chute annoncée du Premier ministre François Bayrou et de son gouvernement le 8 septembre. Chacun y va de son pronostic : qui à Matignon, quelle minorité de gouvernement, qui avec qui, qui contre qui, etc… Les amis d’hier se déchirent et les ennemis d’hier se regardent en chiens de faïence. Et si Macron voulait pousser Bardella pour ruiner les chances du Rassemblement national avant 2027, et s’il jouait le RN maintenant pour mieux revenir en 2032… C’est le moment de gloire du billard à trois bandes. Somme toute, comme l’avait dit un jour de campagne François Bayrou dans une autre vie, « le déconnomètre fonctionne à plein tube ».
Comment avons-nous bien pu en arriver là ? Tout remonte à la réélection d’Emmanuel Macron en avril 2022. De manière inexplicable, sitôt réélu, le Président de la République était entré en léthargie politique, agonisant durant des semaines sur l’identité de celle qui remplacerait Jean Castex à Matignon et privant de toute dynamique les candidats de son camp aux élections législatives de juin. Les oppositions en avaient profité pour refaire leur pelote, autant la gauche avec la Nupes sous le joug de Jean-Luc Mélenchon que le Rassemblement national. A l’arrivée, ces législatives qui auraient dû bénéficier de l’effet d’entrainement de la réélection aisée d’Emmanuel Macron pour conduire le camp présidentiel à une majorité absolue à l’Assemblée nationale générèrent une majorité très relative. De ce changement conséquent par rapport à la précédente législature, Emmanuel Macron n’a tenu aucun compte. Il a continué à gouverner avec la même verticalité, caporalisant le Parlement, ignorant les corps intermédiaires. La réforme des retraites, combattue dans la rue des mois durant par des millions de personnes, a été imposée sans vote par le recours à l’article 49.3. Ce fut une erreur politique majeure, une humiliation profonde et durable infligée au monde du travail et à la représentation syndicale dans sa diversité.
La seconde erreur fut la dissolution rageuse de l’Assemblée nationale au soir des élections européennes de juin 2024. Rien ne la justifiait, si ce n’est l’ego blessé du Président. Elle était inexplicable pour les Français et elle n’a jamais été comprise. Le pays est passé à deux doigts d’envoyer à l’Assemblée nationale une majorité absolue de députés d’extrême-droite. Seul un sursaut du front républicain constitué tant bien que mal au soir d’un premier tour aux résultats redoutables a permis d’éviter pareil scénario. De ce scrutin baroque, une conclusion s’imposait à tout observateur objectif : le camp présidentiel, en recul de quelque 100 sièges, avait été défait. Une autre réalité apparaissait aussi : les députés de gauche, rassemblés dans le Nouveau Front Populaire, étaient un peu plus nombreux que les députés de l’ancienne majorité. Dès lors, la logique aurait voulu que le Président de la République appelle une personnalité de gauche à constituer le gouvernement. Il n’en a rien été. C’est Michel Barnier, un représentant certes éminent du parti Les Républicains, en recul en sièges comme l’ancienne majorité, qui a été nommé Premier ministre. Il en est résulté une seconde humiliation, celle de millions d’électeurs de gauche qui ont perçu ce choix comme un déni de leur vote et un refus du résultat électoral.
La réalité est que l’actuelle législature ne dispose d’aucune majorité, absolue ou relative. Elle exprime la tripartition de la vie politique française. Il n’y a de solution de gouvernement possible que dans l’accord de formations rivales pour travailler ensemble. La France n’a malheureusement pas la culture de coalition, encore moins celle des grandes coalitions. C’est pourtant d’une grande coalition que cette législature a besoin si elle doit être utile aux Français. Au sein de cette grande coalition, il devrait y avoir les socialistes, autant pour des raisons politiques qu’arithmétiques. Ce n’est pas le cas. Là où le SPD sait faire en Allemagne les choix parfois douloureux que l’éthique de responsabilité réclame, le PS n’ose pas, prisonnier du quand dira-t-on de LFI et de calculs électoraux abscons. Si les 66 députés socialistes s’ajoutaient aux quelque 210 députés du « socle commun » sur la base d’un contrat de coalition faisant place à leurs idées et propositions, l’histoire serait différente. Ils ne le veulent pas et le « socle commun », en particulier Les Républicains, pas davantage. De ce fait, les gouvernements Barnier et Bayrou ont été des attelages de circonstances, sans souffle ni cap solide, faute d’une base parlementaire structurée et de leadership assumé, faute aussi d’oppositions responsables.
Michel Barnier a chuté après 3 mois lorsque le Rassemblement national, auprès duquel il était allé chercher du soutien à défaut de l’obtenir des socialistes, a baissé le pouce. François Bayrou, qui a manœuvré pour aller à Matignon, est arrivé 10 années trop tard. Son moment était passé. Il n’a pas su impulser une dynamique, diriger son gouvernement, donner une lisibilité à son action. Le conclave sur les retraites, qui aurait pu être une bonne idée, est devenu un Triangle des Bermudes et la présentation en juillet de son plan de remise en ordre des comptes publics n’a été suivie contre tout bon sens d’aucune négociation avec les forces parlementaires durant le reste de l’été. Le diagnostic de François Bayrou sur les comptes publics et l’endettement est pourtant le bon, mais la méthode pour mettre en œuvre le redressement est à l’inverse totalement désastreuse. En posant la question de confiance le 8 septembre, François institutionnalise de facto son renoncement. C’est un échec politique regrettable. Il n’était pas écrit qu’il doive en être ainsi. Il y a dans le gouvernement Bayrou des personnalités qui auront su faire progresser décisivement l’action publique malgré les vents politiques défavorables, en particulier Manuel Valls sur la Nouvelle-Calédonie avec l’accord de Bougival.
Un an et 3 mois dans la législature, la France est à l’arrêt. Elle n’aura plus de gouvernement lundi prochain et ses comptes publics sont lourdement dans le rouge. L’incertitude et le chaos minent la société, l’opinion publique, la vie économique, les investissements, les entreprises. Il est illusoire de se dire que parce que nous sommes la France, tout cela n’est pas si dramatique et qu’il ne se passera rien de grave pour nous sur les marchés financiers. Je redoute la réaction des marchés et la conséquence sur les taux d’intérêt d’une situation qui verrait l’endettement se poursuivre, la dépense publique croître mécaniquement et les budgets être rejetés par le Parlement cet automne. La France n’est pas une île et notre souveraineté, notre capacité à faire des choix collectifs et à les financer est menacée. Dès lors, de deux choses l’une : ou les forces politiques de l’arc républicain prennent la mesure des périls et entrent dans une négociation de grande coalition, ou l’Assemblée nationale devra être dissoute et de nouvelles élections législatives organisées. La France ne peut se permettre pour 18 mois encore, jusqu’à l’élection présidentielle du printemps 2027, un surplace politique menaçant pour son économie, son crédit international, sa réputation et son avenir.
Il ne sert à rien de mégoter, comme le font les groupes parlementaires de l’arc républicain. La solution leur appartient. Il s’entend que certains voudraient gagner du temps avec l’élection présidentielle dans le viseur. Mais que veut dire gagner du temps lorsque le pays est en aussi grande difficulté ? Une tactique électorale ne peut l’emporter sur l’intérêt général, sauf à abdiquer tout sens des responsabilités. Le Président de la République doit cesser de totémiser sa politique fiscale dont l’échec est désormais avéré par l’envolée des déficits des comptes publics. Il lui faut présider, non gouverner. Il y a des verrous qui doivent nécessairement pouvoir être desserrés, et notamment l’imposition des ultra-riches, si l’on veut trouver une solution de gouvernement pérenne, utile et acceptable aux Français. On ne peut demander aux classes moyennes et au monde du travail de supporter la charge et les douleurs d’un ajustement budgétaire rude pour préserver des choix de politique économique défaits dans les urnes en juillet 2024. Il faut enfin vouloir entendre la colère et les souffrances des Français. Le peuple souverain, c’est eux. Et c’est vers eux qu’il faudra retourner si le successeur de François Bayrou devait malheureusement échouer à son tour.
L’avenir n’est ni avec le Rassemblement national, ni avec La France Insoumise. Il faut épargner à la France les désastres immanquables liés à l’inculture économique, à l’autoritarisme, au rejet de l’Etat de droit, aux haines et aux obsessions. Mon cœur est à gauche et le reste. Je pense à Pierre Mendès France et Michel Rocard, qui ont tant marqué ma vie citoyenne. Tous deux ont su en leur temps relever les défis avec le plus grand courage. Les circonstances requièrent une abnégation inédite, un dépassement qui n’est en rien le renoncement aux idées et aux forces que nous chérissons, mais une volonté sincère de les rassembler lorsque les circonstances l’exigent. Au fond, pour retrouver Edouard Herriot et sourire un peu, ce qui s’impose, c’est d’y aller mollo sur l’andouillette. Opposer la responsabilité à l’aventure, c’est possible. Sortir de la facilité de la politique politicienne auxquels les Français ne comprennent rien et qu’ils rejettent puissamment, c’est un devoir. Il est grand temps. Comme je n’ai pas envie de laisser Herriot tout seul, j’en appelle à Michel Audiard. Dans Le Cave se rebiffe, il prêtait à Jean Gabin cette réplique implacable : « Les conneries, c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer ». Nous pouvons éviter cela à condition de nous rassembler. Le pire n’est pas toujours certain. Il n’en tient qu’à nous.
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