Passer au contenu

Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Sur les traces de Paul Capitaine

Je ne sais plus bien quand j’ai rencontré Paul Capitaine. Mais je me souviens de où, en revanche. C’était durant mes années passées à l’Assemblée nationale. Je profitais parfois d’un petit moment pour quitter Paris et venir d’un coup de train voir mes parents dans le Finistère, l’espace de quelques jours. Avant que je reparte, ma mère aimait à glisser dans ma valise nos goodies à nous – une douzaine de crêpes, quelques galettes bretonnes – et un livre. Elle savait que ces petits plaisirs meublaient mes courtes nuits de député, lorsque les séances et les votes étaient souvent très nocturnes. Il fallait se substanter pour tenir bon et lire pour se changer les idées. C’est ainsi qu’un soir, ou plus probablement une nuit, dans mon petit bureau sous les toits de l’Assemblée nationale, j’ouvris le livre ramené quelques heures plus tôt de chez nous. Le titre était Quimper sur le gril. Il racontait l’histoire d’un flic, Paul Capitaine, revenant dans sa ville natale de Quimper – ça tombe bien, c’est aussi la mienne – après avoir longuement et rudement bourlingué sous d’autres latitudes. S’en suivaient toute une série d’aventures dans des coins du Sud-Finistère qui parlaient passionnément à mes souvenirs et la découverte aussi que sa jeune coéquipière d’origine polonaise, Sarah, était finalement sa fille.

Cette première lecture en entraîna bien d’autres. Paul Capitaine devint un compagnon de ma vie de saltimbanque politique. Je le lisais dans les trains, les avions et parfois le soir avant de trouver le sommeil dans mon spartiate canapé parlementaire. La sortie de chaque nouveau roman m’était annoncée par ma mère, qui repérait l’information dans Le Télégramme de Brest. Sous quelques semaines, le livre serait dans ma valise. Très vite, mon père ajouta : « Bernard Larhant ? Je me souviens de lui au Lycée La Tour d’Auvergne. Et aussi quand il jouait dans les buts au Stade Q ». L’affaire était bouclée. Non seulement le héros était quimpérois et sympathique, mais le romancier lui-même n’était pas inconnu non plus. Voilà comment, des années durant et jusqu’à ces dernières semaines, je lus toutes les aventures de Paul Capitaine, m’attachant aux personnages, de Sarah à Gaëlle, de Dominique à Rose-Marie, de Radia à Blaise. Je me suis délecté d’enquêtes souvent rock and roll dans des géographies bretonnes qui m’étaient familières. Leur commissariat était proche de la rédaction du journal où j’avais travaillé durant mes études et j’aurais pu être leur interlocuteur lorsque, jeune stagiaire, je passais la porte rue Théodore-Le-Hars à la recherche de faits divers à publier.

Les réseaux sociaux m’ont permis de faire la connaissance de Bernard Larhant, puis d’échanger régulièrement avec lui. Je lui demandais des nouvelles de Paul Capitaine comme on demande des nouvelles d’un ami commun. Et Paul, qu’est-ce qu’il devient depuis l’affaire à l’Ile-Tudy ? J’appris un jour de Bernard que Paul prendrait sa retraite et que la série s’arrêterait. Bernard m’envoya même la photo du banc face à la mer où se jouerait la dernière scène. J’en étais désolé. Un ou deux ans restaient cependant à courir. J’avais le temps de m’y faire. Il y a quelques jours, j’ai fermé la dernière page du dernier livre et c’est en effet sur ce banc, à la Pointe Saint-Gilles, que s’achève l’aventure. J’étais ému. Je comprends cependant. Paul Capitaine avait vieilli (comme ses lecteurs). Il n’aurait pas le même âge pendant 30 ans, ni Sarah d’ailleurs. Et si je suis de ceux qui pensent qu’il faut à l’écran savoir clore une belle série pour la protéger, je dois aussi pouvoir l’accepter des livres que j’aime. J’ai compris aussi, échangeant avec Bernard, que j’aurais parfois des nouvelles de Paul Capitaine dans d’autres romans, comme des clés vers un univers familier, les personnages se croisant parfois. Et au fond, qu’il me reviendrait d’imaginer ou rêver ce que deviendrait Paul et son petit monde.

Je le ferai. Je n’ai pas envie de ranger mes 24 Paul Capitaine sur une lointaine étagère de ma bibliothèque, au risque de les y oublier. Je les ressortirai de temps à autre. Mon auguste valise, certes fatiguée, existe encore et un livre s’y glissera toujours. Je suis un lecteur fidèle, qui aime relire ses livres de temps à autre, à la recherche d’une émotion, d’un indice ou d’un lieu. Et surtout, je continuerai à lire les romans à venir de Bernard Larhant. Cependant, alors que s’achève la série des Paul Capitaine, j’ai eu envie de demander à Bernard lui-même de nous la raconter, par des souvenirs et des anecdotes, comme on le fait parfois dans le monde des plateformes avec un petit documentaire conclusif et original, lorsque se termine une histoire et qu’il est trop dur pour ceux qui l’ont aimée de s’en séparer tout de suite. Je me suis dit en effet que nous étions quelques bons milliers, en Bretagne et ailleurs, à avoir vécu passionnément les aventures de Paul Capitaine, à les avoir attendues et partagées toutes ces années, et que si mon petit blog pouvait contribuer à en parler, à faire vivre cet esprit Paul Capitaine, ce serait finalement tant mieux. Je suis ravi et honoré que Bernard Larhant ait accepté cet échange, que je publie ci-dessous avec plaisir.

Bernard Larhant, chez lui, à Plomelin

Bernard, Paul Capitaine règle ses comptes est le dernier livre de la série de Paul Capitaine. Vous avez choisi de mettre un terme à cette série qui aura passionné des tas de lecteurs en Bretagne et plus loin. Pourquoi ?

—Bonjour Pierre-Yves et d’abord merci pour ce retour de lecture de la série entière, si émouvant pour l’auteur. Comme vous l’avez écrit, Paul Capitaine a pris un an tous les ans et arrivait à l’âge de la retraite. J’avais d’abord fixé mon fil conducteur à vingt enquêtes que j’avais déjà en synopsis dans mes projets d’écriture. À la demande d’une société de production télévisuelle, le nombre est monté à vingt-quatre, soit quatre saisons de six épisodes, dans l’objectif d’une série qui n’a jamais vu le jour. Déception légitime. Les personnages de cette série sont un peu ma seconde famille et les abandonner ainsi, au point final de l’ultime enquête, a été un douloureux crève-cœur. Mais aussi un profond soulagement d’avoir mené le projet à terme, pour ne pas frustrer les lecteurs.

Comment avez-vous créé le personnage de Paul Capitaine ? Etes-vous quelque part Paul Capitaine vous-même ? Paul est quimpérois comme vous. Il s’exprime à la première personne dans chacun de vos livres et cette expression narrative le rapproche du romancier que vous êtes.

—Paul Capitaine, fils du chef de gare de Quimper, possède l’entame de vie d’un bon camarade de l’école Jules Ferry, fils du chef de gare de Quimper, François Béchu, avec lequel le lien d’amitié s’est renoué depuis. L’idée du patronyme Capitaine est venu d’un autre ami de jeunesse qui portait ce nom. Capitaine Paul Capitaine, cela sonnait à mon oreille comme le Jerome K. Jerome de mon enfance, auteur britannique de Trois hommes dans un bateau. Mais il est honnête de dire qu’il y a aussi beaucoup de mon parcours et de mes sentiments dans le cheminement et les réflexions de Paul. Oui, il s’exprime à la première personne, ce qui permet un style plus vivant, plus direct, mais limite hélas la description des scènes d’action qui lui sont forcément narrées, s’il n’est pas lui-même présent sur les lieux. Une contrainte dont je suis satisfait de me libérer pour la suite de mes écrits.

L’histoire de Paul Capitaine fait apparaître Sarah Nowak, sa fille, née de la rencontre passionnée à Gdansk du jeune Paul avec Beata, une tout aussi jeune militante de Solidarnosc. Pourquoi avoir tracé ce lien avec la Pologne ?

—Depuis mon mariage avec Barbara, la Pologne est un peu devenue ma seconde patrie, pour laquelle j’ai eu un énorme coup de cœur dès la première visite. Il faut avoir visité le musée Solidarnosc à Gdansk pour percevoir la profondeur et la force intérieure de l’âme polonaise, la sensibilité et la dignité de ce peuple. Je savais dès le début de la série Capitaine Paul Capitaine que la dernière enquête se déroulerait pour partie entre Gdansk et Poznan, ville où habite la famille de Barbara.

La diversité et la force de caractère des personnages ont marqué, je crois, les lecteurs de la série. Ces personnages se sont-ils imposés à vous, avec leur style et leur identité, à mesure que vous écriviez les romans ?

—Oui et non. Certaines trajectoires se sont modifiées, comme celle notamment de la magistrate Dominique Vasseur, appelée à de plus hautes fonctions loin de Quimper. Autre anecdote, Blaise Juillard, ce jeune flic glandeur et dragueur, mais doté d’un grand cœur, prévu pour figurer le temps de quatre enquêtes, est devenu, sous l’insistance des lecteurs, un personnage à part entière de l’équipe. En revanche, pour Paul et Sarah, pour Rose-Marie Cortot, alias RMC, ou pour la jeune commissaire Radia Belloumi, le cheminement correspond à celui que j’avais prévu. Et puis il y a Gaëlle Le Bris, cette jeune journaliste free-lance, oiseau tombé d’un nid et qui en recherche un autre, apparue furtivement dans l’un des premiers épisodes, réapparue pas mal de temps plus tard pour devenir, elle aussi, un personnage incontournable, terriblement attachant, et lien entre la série Capitaine Paul Capitaine et la série qui débute, Agnès Delacour, profileuse.

Il y a chez Paul Capitaine un humanisme bourru qui force l’attachement et chez Sarah une grande quête d’absolu. Aviez-vous en tête quelqu’un de la vraie vie ou d’une vie passée pour vous inspirer lorsque vous pensiez à eux deux en particulier ?

—Oui, bien sûr. L’humanisme bourru de Paul Capitaine est sans doute un peu le mien. Je rêve d’un monde de fraternité et de générosité, d’une société dans laquelle le sentiment reprendrait le pas sur l’argent, l’être sur l’avoir. Et Sarah est probablement à l’image de celui que j’étais à vingt ans, convaincu qu’avec sincérité et bonne volonté, on pouvait changer le monde. À l’entame de la série, on me disait qu’on ne faisait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. Pourtant, quand Alain Bargain y a cru et accepté d’éditer la série, le premier Opus, Quimper sur le gril, a été bien accueilli par les lecteurs. Cependant, je ne me sens toujours pas écrivain, juste un conteur d’histoires, un créateur de personnages assez idéalistes et respectueux des valeurs humaines.

Comment choisissiez-vous les lieux qui seraient, en Bretagne et aussi ailleurs, le théâtre de vos intrigues ? Faisiez-vous des repérages ? Les descriptions des lieux sont d’une grande fidélité pour qui les connaît bien.

—C’est souvent au coup de cœur, au cours d’une balade d’un week-end. J’aime discuter avec les gens du coin, prendre le temps de les écouter quand ils racontent leur pays. Je prends moins de plaisir à décrire les lieux — même si c’est nécessaire — que l’âme des gens, leurs fiertés et leurs blessures. Une anecdote : la seconde enquête, Douarnenez, piège à mouettes, s’est écrite au moment où l’argent était trouvé pour sauver le système bancaire, alors que les ports de pêche bretons se voyaient sacrifiés. Et mon histoire parlait justement de ce combat quotidien, chaque année plus épineux, entre monde réel et monde virtuel. Et là, dans l’actualité, d’un côté une bulle spéculative et de l’autre une dure vie de labeur qui nourrissait de nombreux foyers… J’ai sans doute perdu beaucoup des lecteurs à révéler cette fois-là mon humanisme, mais je ne le regrette pas.

Paul Capitaine aurait-il pu – ou pourrait-il encore – faire l’objet d’une série sur une plateforme ? Qui verriez-vous idéalement dans le rôle de Paul ? Et dans celui de Sarah ?

—Pour tout avouer, c’est mon rêve le plus intense sur le plan professionnel. J’y ai cru, j’ai été déçu, on me dit depuis que la série est dépassée mais en regardant les indices d’audience des programmes, je n’en suis pas convaincu. Alors… Pour ne rien vous cacher sur ma manière de travailler, à chaque enquête nouvelle, pour bien visualiser les personnages, je choisis des acteurs pour les incarner, ce qui me facilite dans mon ébauche et ensuite ma rédaction. Dès le début, pour le rôle de Paul Capitaine, j’ai pensé à Daniel Russo (qui n’était pas contre quand nous avions échangé sur le sujet) pour son côté paternaliste et empathique. Pour celui de Sarah, une autre Sarah, Biasini, fille de Romy Schneider. Mais vingt ans après, ce ne serait sans doute plus d’actualité.

Qu’est-ce qui vous a amené dans votre vie à l’écriture de romans policiers et à des intrigues dans le Finistère ?

—D’abord l’écriture, c’est à l’incitation de Barbara, grande lectrice. Un premier roman, La Croisée des maux, traitant du handicap, publié en Aquitaine en 2006, puis avec mon retour en Bretagne, l’évidence de proposer une série policière, qui n’est pourtant toujours pas mon style de prédilection. Ensuite, je me suis piqué au jeu, documenté sur les procédures, entouré de spécialistes, policiers, gendarmes, magistrats et avocats, pour tenter de me rapprocher au mieux du réel, même si ces livres ne sont que des romans. Au final, c’est une aventure fantastique, enrichissante et émouvante.

Que souhaiteriez-vous dire à vos lecteurs, un peu tristes de voir la série s’achever ?

—Tout d’abord un grand merci pour leur fidélité, leurs retours de lecture toujours sincères, leur attachement à l’équipe. Sans lecteurs, pas de série, pas de succès, aussi merci à eux d’être encore là, à l’heure du final. On regrette si souvent de ne pas avoir la fin ultime d’une série, à la télé ou dans les livres, que c’est pour moi un soulagement d’avoir mené le projet à terme. Une sorte de contrat moral avec les lecteurs, même si je comprends leur tristesse et que je la partage. Mais que tous se rassurent, ils auront des opportunités de retrouver Paul, Sarah, Gaëlle, Blaise, Rose-Marie et Mario, notamment, dans les prochaines enquêtes d’Agnès Delacour, la profileuse. Dès cette fin d’année, avec la parution de Huis clos à Bénodet, une affaire politique sur trois jours pour laquelle Agnès Delacour va avoir besoin de l’expérience d’un vieux flic de terrain qui connaît le Finistère comme sa poche, pour révéler l’effroyable cabale. Je vous laisse deviner quel policier à la retraite elle va aller chercher…

Un immense merci pour cet échange, cher Bernard ! Et pour tous vos romans.

2 commentaires

Mes vieilles quilles

Il y a quelques mois, passant le cap d’une nouvelle décennie, je me suis promis de ne pas laisser l’âge – ou ce que l’on en dit – venir modérer ma passion du sport et plus encore ma pratique. J’ai grandi dans une famille qui aimait le sport ou plutôt les sports, tous les sports, pourvu qu’ils soient populaires, qu’ils passionnent et qu’ils rassemblent. J’ai eu la chance d’avoir des parents sportifs. Ils avaient en commun un sport – le handball – et un poste, celui de gardien de but. Ma mère a été championne d’académie de handball en Bretagne et mon père, sans gagner un championnat identique, jouait autant dans les buts des salles omnisports que dans ceux des terrains de foot. Aussi loin que je puisse me souvenir, le sport a toujours fait partie de ma vie, pour la performance elle-même, mais plus encore pour le plaisir, les rencontres, le bien-être, l’équilibre et au fond l’hygiène de vie. J’ai joué au foot et au tennis, j’ai couru et j’ai fait du vélo. J’ai nagé, j’ai ramé, j’ai barré. Je n’ai jamais gagné un seul trophée. J’étais moyen partout – quel malheur … – et les classements n’étaient pas vraiment faits pour moi. Je prenais en vérité bien plus de plaisir à courir dans la nature ou pédaler avec des amis qu’à la recherche unique du record. Il fallait que le sport reste une joie. Il le faut toujours.

Lorsque l’on devient sexagénaire, même en faisant attention, les petites misères peuvent survenir. L’an passé, une lourde infiltration – du genre à faire grimper aux rideaux – est venue me rendre la mobilité d’une épaule douloureusement bloquée des mois durant. Je ne pouvais me résoudre à la déglingue anticipée. Avec une épaule « dans le sac » (une curieuse expression qu’affectionnait mon père), on court assurément moins bien, on rame d’évidence beaucoup moins bien aussi et on finit la saison plutôt tordu. Or, j’avais surtout en cette année 2024 un rendez-vous que je voulais absolument honorer : les premiers 10 km de mon petit Marcos à Uccle, sa première course à pied. Je devais être là pour courir avec lui. Il attendait cela depuis longtemps, lorsque, plus jeune, il me voyait partir avec mon dossard pour un semi-marathon. La médecine faisant des miracles, j’ai pu vivre ce moment à ses côtés, distillant les conseils à mesure que défilaient les kilomètres, les pavés et les chemins caillouteux de la Forêt de Soignes. Nous avons passé la ligne d’arrivée ensemble. Marcos était heureux et j’étais fier. Il avait découvert le bonheur des courses populaires. Quant à moi, Papa soucieux de transmission, mais aussi coureur vétéran+++++, j’avais tenu très décemment mon rang.

Voilà pourquoi j’en ai repris pour 10 ans au moins. Je me suis dit que je devais mettre mes vieilles quilles (et un peu mes vieux bras aussi) au défi de quelques aventures en 2025. L’hiver bruxellois est humide et c’est dans ma salle de sport que je me suis préparé. Comme l’an passé, Marcos et moi sommes retournés courir les 10 km de Uccle aux premiers jours d’avril. Je suis parti ensuite pédaler sur la Vennbahn, de l’Allemagne au Luxembourg, pour 200 kilomètres d’échappée solitaire au milieu des tourbières, des prés et des bois. C’était le week-end passé et c’était génial. Vient désormais après-demain, jour de 1er mai, le semi-marathon de Knokke. Je me réjouis de courir le long de la Mer du Nord, dans le vent marin et le soleil de printemps. Il faut un paysage, une ambiance, des gens pour bien courir. J’aurai tout cela à Knokke. Comme je l’aurai aussi à Woluwe-Saint-Lambert pour y courir le 11 mai les 15 km. C’est la course bruxelloise que je préfère. De là, une autre aventure, cadeau de ma famille, m’appellera en juin : le tour de l’Ile de Groix en kayak de mer au départ de Lorient. En juillet, je retrouverai les cols des Vosges à vélo, en y ajoutant une autre étape : l’ascension de la redoutable Super Planche des Belles Filles. Il sera temps en août de renouer avec la course à La Corogne et à l’Ile-Tudy, les sorties en kayak et peut-être un « revival », longtemps après, en planche à voile.

Le sport est un état d’esprit. C’est aussi un partage. On n’est jamais seul. Et on peut rire aussi. Je me souviens d’une édition des 20 km de Bruxelles qui m’avait vu perdre la semelle de l’une de mes chaussures vers le 14ème kilomètre. J’avais parcouru la distance restante en claudiquant, une jambe plus haute que l’autre, suscitant la curiosité, puis l’hilarité de certains coureurs à mes côtés. Passant la ligne très dignement, j’avais eu l’impression de descendre d’une voiture dont tous les pneus étaient à plat. Je n’avais plus de jus, j’étais moulu, mais j’avais été au bout et j’avais bien mérité ma médaille. Je me souviens d’une autre course que j’avais courue sans lentilles et j’étais juste, comment dire, un peu perdu… On apprend de ses erreurs et, osons même le mot, de ses conneries. Bien vérifier son matériel, ne rien oublier, écouter son corps, ne pas se mettre dans le rouge, se souvenir que l’important est de participer, tout cela compte, mine de rien. Mais le sport, ce sont aussi des tas d’anecdotes et quelques moments de grâce qui font les souvenirs. A Lisbonne en mars 2012, alors que j’étais déjà en campagne pour les élections législatives, j’avais couru sans grand entrainement le semi-marathon, obtenant mon meilleur temps à ce jour alors que tout l’inverse aurait dû se produire. C’était un beau printemps.

Le sport fait du bien à tous les âges. Je rends un fier hommage à ma maman qui a repris le stretching cette année en cours collectif. Tant dépend de la volonté, finalement. De la volonté, elle en a et moi aussi. Si je parviens en haut de la Super Planche des Belles Filles en juillet, j’aurai qualifié mes vieilles quilles pour aller plus loin. Depuis si longtemps, je rêve du Galibier, de l’Izoard, du Tourmalet, du Puy-de-Dôme à vélo. Il n’est jamais trop tard pour pédaler jusqu’au bout de ses rêves. Et il y a aussi un autre truc qui me trotte dans la tête : aller à pied à Saint-Jacques de Compostelle, depuis Vézelay. C’est un peu dingue, mais c’est possible. J’en ai parlé une ou deux fois sur mon blog. Ce serait autant pour le sport que pour l’âme. Il faudra que je trouve le temps nécessaire, sans grand doute celui de la retraite, que mes enfants aient grandi et qu’une autre vie soit venue pour que je puisse partir ainsi sur le chemin l’espace de quelques mois pour user mes souliers, noircir de notes des tas de carnets de souvenirs et capter par la photo les paysages traversés. Dans l’intervalle, il faudra bien les entretenir, ces vieilles quilles impatientes, renouveler les aventures, et rallier d’autres sportifs car rien ne bat l’émulation collective, la joie de vivre partagée, le bonheur de bouger et de découvrir, encore et toujours.

Commentaires fermés

Sauvons la Commission nationale du débat public!

© Assemblée nationale

Le projet de loi de simplification de la vie économique, en débat à l’Assemblée nationale, pourrait conduire à la suppression de la Commission nationale du débat public (CNDP). Ce serait de mon point de vue une grave erreur politique, un choix funeste à rebours d’une demande de démocratie participative exprimée par nos compatriotes à diverses reprises, y compris durant la crise des Gilets jaunes. La CNDP a 30 ans cette année. C’est une autorité indépendante dont la mission est de donner contenu au droit à la participation du public dans l’élaboration des projets et des politiques publiques ayant un impact sur l’environnement. Ce droit vient de loin, autant de la Convention d’Aarhus de 1998 sur l’accès sur l’accès à l’information, la participation du public au processus de décision et l’exercice de la justice environnementale que de la Charte de l’environnement, partie intégrante depuis 2005 de notre bloc de constitutionnalité, qui reconnaît les droits et devoirs relatifs à la protection de l’environnement. La CNDP est essentielle pour la démocratie participative en France. Elle veille à ce que le public ait accès à toute l’information nécessaire, elle organise les réunions publiques et le recueil des positions de chacun, dont elle assure la prise en compte dans la décision finale sur les projets concernés.

Simplifier est nécessaire. J’en suis partisan. La France est un maquis de normes inutiles et d’obscurs comités, strates héritées d’un passé lointain, qui sont des obstacles à la liberté d’entreprendre, d’investir et d’innover. Pour réussir dans notre pays, il faut avoir la foi chevillée au corps et secouer bien des inerties. Simplifier, c’est donc encourager. Cela n’interdit pas pour autant la clairvoyance et la prise en compte d’intérêts légitimes, comme l’acceptabilité de projets ayant un impact sur l’environnement. Supprimer la CNDP ou retirer les projets industriels de ses activités, ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain. Singer Milei ou Musk pour libérer notre pays d’une bureaucratie pesante n’est pas la meilleure idée. Faire montre de discernement dans l’effort de simplification serait plus inspiré. La société française crève de la verticalité du pouvoir, des décisions prises « d’en haut » par des gens qui savent pour tous les autres. La concertation, l’écoute des points de vue, la capacité de modifier un ou plusieurs aspects d’un projet, voire celle de l’abandonner à la suite d’un exercice cadré de démocratie participative sont essentielles pour la société française. La CNDP ne donne pas au public un droit de veto sur un projet à impact environnemental, mais elle lui assure qu’il sera entendu et c’est précieux.

La France est minée par une crise démocratique qui vient de loin. A chaque élection, on le déplore. Des livres racontent cette crise, des tas d’articles aussi. L’idée de ne compter pour rien, d’être des pions ou des invisibles est destructrice pour l’esprit national. Il se développe une France à plusieurs vitesses, désillusionnée et rageuse, qui est une bombe à retardement, un réservoir de voix à terme majoritaire pour toutes les aventures populistes. Je ne fantasme pas le pouvoir de la démocratie participative, mais je le crois incontournable pour avancer ensemble et apporter en toute sincérité la preuve que chaque citoyen peut s’exprimer dans la construction de notre avenir commun. Il s’agit pour chacun, autorités incluses, de convaincre et aussi d’accepter de se laisser convaincre. Il n’y a rien d’infâmant à prendre en compte le bon sens populaire. C’est ce que l’on ne fait plus suffisamment depuis longtemps. La réussite d’un projet repose, entre autres, sur un point d’équilibre entre les différents acteurs concernés, et donc sur un compromis. La CNDP, avec son bilan de 30 ans et les principes participatifs qu’elle met en place, y a largement concouru. Avec elle, nous ne sommes pas face à un comité inutile, mais à une instance dont l’économie a besoin pour avancer avec le soutien du plus grand nombre.

L’époque que nous traversons est rude. Depuis la pandémie, la guerre en Ukraine, l’envolée des prix de l’énergie et l’ébranlement de l’ordre international, le sujet environnemental et le défi climatique ont été relégués bien loin. C’est de l’ordre du « nice to do », à revoir lorsque reviendront des jours meilleurs. « L’environnement, cela commence à bien faire », affirmait Nicolas Sarkozy durant son quinquennat, prenant à contre-pied la dynamique et les décisions du Grenelle de l’environnement. 15 ans et plus après, nous y sommes de nouveau. Renvoyer l’environnement et le climat au rang de préoccupations mineures revient à se tromper lourdement. Il en va de même de la question démocratique. L’un des échecs de la décennie Macron aura été d’ignorer la société, les corps intermédiaires, le besoin de participation des citoyens, leur soif d’avoir la parole. Que sont devenus les cahiers de doléance du grand débat national lancé durant la crise des Gilets jaunes ? Nul ne le sait vraiment. En a-t-il été tenu compte ? Non. On ne peut promener les citoyens avec une promesse de démocratie participative en réponse à des évènements secouant la société et choisir ensuite de n’en rien faire lorsque les choses se calment. Il y a là un manque de sincérité préjudiciable pour tous.

Je suis un homme d’entreprise qui a connu la politique. La décroissance n’est pas mon horizon. Je suis attaché au modèle social français et je sais qu’il nous faudra travailler plus pour le protéger. Je sais aussi que les Français ont besoin de refaire nation et que passer la démocratie participative par pertes et profits n’y conduira pas. Le manichéisme en la matière est une plaie et les certitudes du libéralisme économique ne me convainquent pas. Il ne faut pas opposer la réindustrialisation et l’environnement, l’investissement et les droits. Quelle société prépare-t-on si on lâche sur tout, si la Charte de l’environnement devait au mieux rester une somme de vœux pieux ? Je veux prendre un tout autre pari, celui que la préservation intelligente de l’environnement, loin d’être un frein au développement économique, peut en être un moteur utile. Je prends aussi un second pari, celui de la cohabitation féconde de la démocratie délibérative et de la démocratie participative. J’observe avec inquiétude les débats parlementaires et certaines déclarations gouvernementales, entre évanescence et propos bravaches. L’action de la CNDP incarne l’esprit de compromis et la volonté de construction dans lesquels je me reconnais. J’espère que la raison l’emportera. La CNDP doit exister et continuer à agir.

Commentaires fermés

Dire aux Belges qu’on les aime

Comme tellement d’autres amoureux du cinéma et des salles obscures, l’annonce de la disparition de la comédienne belge Emilie Dequenne il y a quelques jours m’a beaucoup peiné. Je me souviens encore de la révélation bouleversante de son talent dans le film Rosetta des frères Jean-Pierre et Luc Dardenne en 1999. Ce film a marqué toute une génération de cinéphiles, en Belgique et bien plus loin, et il reste toujours une référence tant de temps après. Emilie Dequenne était très jeune. Elle n’avait que 17 ans. Elle avait apporté au personnage de Rosetta une dignité et une rage de vivre d’une rare authenticité. Son interprétation était époustouflante et tellement juste. Pour qui a la fibre sociale et tout simplement humaine, ce film prenait irrésistiblement aux tripes. Il était si vrai. Le jury du Festival de Cannes l’avait honoré de la Palme d’Or et je crois bien que nous étions nombreux en Belgique, en cette soirée désormais lointaine du printemps 1999, à partager devant nos écrans de télévision toute l’émotion d’Emilie Dequenne sur la scène du Palais des Festivals au moment de recevoir le Prix d’interprétation féminine que le jury venait aussi de lui décerner. Le visage d’Emilie Dequenne est entré ce soir-là dans nos vies, comme ses personnages et sa richesse de jeu, pour des années et d’autres grands films.

La Belgique est un formidable creuset de talents. Le sait-on assez, le dit-on assez ? En Wallonie, en Flandre, à Bruxelles, la création cinématographique est remarquable et bouscule bien des codes. Le cinéma belge transcende là où le pays et sa réalité institutionnelle plutôt baroque déconcertent souvent. Il y a une imagination, une inventivité, une diversité, une générosité du récit qui traverse toutes les frontières, linguistiques comme politiques, et qui fait du bien à la société. Emilie Dequenne en a été une figure attachante, depuis Rosetta jusqu’à ses plus récentes interprétations. Je me souviens de son rôle de maman dans Close, le film du jeune réalisateur flamand Lukas Dhont, Grand Prix du Festival de Cannes en 2022. Sophie, la maman, faisait le deuil de Rémi, son fils adolescent et, dans une scène bouleversante, aidait Leo, le meilleur ami de Rémi, à le faire à son tour. Ce film, comme Rosetta vingt ans auparavant, m’avait touché par sa sensibilité, sa justesse et sa capacité unique à mettre des images, des visages, un récit, un scénario, des dialogues sur les réalités cruelles d’une époque. Les Palmes d’Or, les César, les Magritte et tellement d’autres prix cinématographiques disent beaucoup de ce que le cinéma belge et désormais aussi le monde belge des séries apportent de meilleur.

Il y a plus de 30 ans que je suis arrivé en Belgique et j’ai longtemps couru les cinémas de Bruxelles, jusque dans de petites salles aujourd’hui disparues. Avec le recul, j’ai l’impression d’avoir beaucoup appris du pays par ses créations, sa jeunesse, ses arts, ses films et par l’imaginaire qui s’y déploie sans relâche. Cela forme une belle part, insuffisamment connue, de son identité. Peu à peu, la société belge m’a aspiré et je me suis mis à aimer ce pays comme le mien, pour les gens, leurs passions, leur générosité, leur humour, leurs colères, leurs rêves. Je me suis mis aussi à en vivre les joies et les peines, grandes et petites, à mesure que venaient les années. J’aime la saison des grandes courses cyclistes, quand un moment partagé dans la foule au bord d’une route flamande ou wallonne est une passionnante immersion. J’aime les paysages ventés de la Mer du Nord et les sommets ardennais d’un pays qui n’est pas que plat. Le beffroi de Bruges et les places de Gand ne cesseront jamais de m’émouvoir. Je ne remarque même plus la pluie tant elle fait partie de la vie. C’est dire, certainement, que la Belgique rend heureux, comme un film avec Benoît Poelvoorde ou François Damiens fait rire ou grincer, comme un film avec Emilie Dequenne faisait et fera toujours venir l’émotion et l’espérance.

Je suis un Français en Belgique, un cinéphile d’hier et d’aujourd’hui, qui veut, en ces jours de peine commune, dire aux Belges qu’il les aime, tout simplement. Cela vient du fond du cœur. C’est un bout de nos vies qui s’en va avec Emilie Dequenne, un bout partagé. Et là est sans doute l’une des plus belles forces du cinéma : le partage. On n’est jamais seul face à un écran. Il est dur de garder une émotion, un sentiment pour soi. Il faut en parler maintenant, demain, toujours. Le cinéma crée du lien là où la société s’individualise. C’est pour cela qu’il faut le protéger, le soutenir, le faire vivre, parce qu’il est précieux. La Belgique nous donne bien des leçons utiles. Puissions-nous nous en inspirer, y compris par le sourire et l’auto-dérision qui nous font souvent défaut. Nous autres, Français, nous prenons trop au sérieux. Le cinéma belge est une sorte de « raconte-moi », un miroir vrai et humble de la vie, un tableau à découvrir. C’est sa marque. Je pense à Emilie Dequenne, à sa famille, aux siens. Et à nous tous aussi, que les films continueront de faire rêver. Le souvenir d’Emilie Dequenne demeurera. Nous la reverrons sur les écrans, petits ou grands. Elle saura encore nous émouvoir. De nouveaux talents viendront et apprendront d’elle, parce que le cinéma est un témoin que l’on transmet.

2 commentaires

Mon autre Mamie

J’ai eu la chance d’avoir une grand-mère lumineuse qui aura accompagné ma vie durant plus de 40 ans. J’en ai eu une autre aussi, partie bien trop tôt, et dont le souvenir ne m’a jamais quitté malgré le temps qui s’est écoulé depuis ce triste 14 mars 1975, le jour de sa disparition. Je l’appelais Mamie Bourg. Sans doute l’avais-je ainsi baptisée parce que dans mes premiers mots d’enfant, elle qui vivait au bourg de Quimerc’h, je voulais la différencier de mon autre grand-mère, garde-barrière à Kerhall, à un ou deux kilomètres de là. Nous venions à Quimerc’h durant les vacances, parfois aussi en fin de semaine. Du jardin de Mamie Bourg, au-dessus de la voie de chemin de fer entre Quimper et Brest, j’apercevais la maisonnette de garde-barrière de Kerhall. Mes deux grands-mères n’avaient pas de jumelles, mais elles pouvaient s’apercevoir. Elles se rendaient visite aussi. Je me souviens encore de voir venir Mamie Bourg, le long de la voie, pour retrouver ma garde-barrière de Mamie. Le café chauffait sur le fourneau. Mamie Bourg s’appuyait sur sa canne. Le handicap dont elle souffrait depuis petite faisait partie de sa vie. Elle le surmontait avec un grand courage. Je n’avais pas le droit de courir auprès de la voie. J’attendais qu’elle arrive près des barrières pour l’embrasser.

Mamie Bourg s’appelait Marie-Jeanne. Elle était une enfant de Quimerc’h. Au décès de son papa en 1919, avec sa maman Joséphine et ses 6 frères et sœurs, elle avait quitté la ferme familiale pour venir vivre au bourg. Mon arrière-grand-mère y avait acquis un petit bar. Dans une extension du bar, Mamie Bourg, alors jeune fille, avait installé un petit salon de coiffure. Elle était formidablement habile de ses mains. C’était aussi une remarquable couturière. C’était les années 1930. Un peu plus bas que le salon de coiffure, il y avait la boulangerie Le Borgn’ et le fils du boulanger, Jean. Jeanne-Marie et Jean unirent leur destin. La jeune coiffeuse devint boulangère. Mon père Armand naquit en 1936 et son frère Georges en 1940. En 1940, la guerre avait débuté et mon grand-père était mobilisé loin de Quimerc’h. Il ne reviendrait qu’en 1945, après 5 années de stalag à Lüneburg. Notre boulangerie fut occupée par les Allemands. Il fallait continuer à faire du pain pour le village. J’ai retrouvé dans les archives familiales une lettre signée de mon arrière-grand-mère demandant la libération de son fils. En vain. Mamie Bourg traversa la guerre avec ses deux jeunes enfants, courageusement. La famille se serrait les coudes. L’entraide et la solidarité étaient fortes. La lecture de lettres très émouvantes me l’a appris.

Je n’ai jamais connu mon grand-père Jean. Un accident tragique lui prit la vie en 1962. Mamie Bourg avait à peine 50 ans. Elle vendit la boulangerie et reprit son métier de coiffeuse. Elle fit construire un salon contigu à sa nouvelle maison. C’est là que j’ai mes souvenirs. Toutes les chevelures et toutes les barbes de Quimerc’h passèrent par chez elle durant près de 15 ans. Pour le petit garçon que j’étais, le salon de coiffure était mystérieux. On y accédait par un escalier sombre, que mon oncle Georges avait décoré comme les grottes de Lascaux, avec des peintures rupestres et des stalactites et stalagmites en plâtre. C’était redoutablement original dans le Quimerc’h des années 1960. J’aimais entendre Mamie Bourg parler breton à ses clients. Je me glissais dans un petit coin pour observer et aussi pour lire les exemplaires de Miroir du Cyclisme déposés sur le banc rouge d’attente. Je préférais cela à Mode de Paris, l’autre lecture favorite du salon. Il y avait chez Mamie Bourg une profonde bienveillance, une douceur particulière et une forme d’autorité naturelle aussi. Ses clients lui parlaient avec un grand respect. Elle avait passé toute sa vie à Quimerc’h. Il y a quelques années, un Quimerchois de mon âge m’avait dit que ma grand-mère avait fait partie de leur histoire. Cela m’avait beaucoup ému.

Mamie Bourg était une très belle femme. Elle avait de longs cheveux noirs, qu’elle ramassait chaque matin dans un grand chignon. Elle était coquette et bien mise. J’adorais m’asseoir avec elle à la table de la cuisine. Elle me servait un petit verre de Pschitt ou de Reina et me parlait, me racontait le village ou les gens, partageait ses souvenirs. Je me souviens d’une expression qu’elle employait souvent, « dans le temps », pour m’expliquer le temps d’avant. De sa cuisine, on voyait la campagne tout au loin. A mon père, elle donnait des nouvelles de ses copains d’enfance. Je me souviens de l’un d’entre eux, « Jean du Cosquer », dont elle parlait souvent. C’était aussi une fine cuisinière. Un délicieux fumet s’échappait toujours de la cuisine lorsque nous venions la voir depuis Quimper le dimanche. J’ai le souvenir de son civet de lièvre et de ses confitures d’abricot. Dans le grenier de la maison, Mamie Bourg avait fait aménager pour ma sœur et moi une petite chambre. Sur le chemin de la chambre, nous passions bien vite devant une étagère remplie de bouteilles contenant des serpents. Mon père et son frère étaient tous deux professeurs de biologie. Les serpents et la grotte de Lascaux rendaient la maison particulière, mais plus encore attachante. J’étais heureux chez ma grand-mère et je l’aimais beaucoup.

Un jour de l’été 1973, elle m’avait donné 10 Francs pour acheter un livre. Elle voulait que je me fasse une petite bibliothèque chez elle. J’avais été acheter l’album de Tintin au Tibet à Pont-de-Buis. J’imaginais que je pourrais avoir mes livres de Quimerc’h et grandir avec eux dans ma petite chambre sous le toit. Je n’avais que 8 ou 9 ans. Je n’avais pas idée des misères de la vie et de l’éphémère. A l’été 1974, un petit mot punaisé sur la porte du salon de coiffure informa les clients que Mamie Bourg était souffrante. Nous le découvrîmes en lui rendant visite au retour des vacances. Ma grand-mère était fatiguée. Elle pensait à la retraite. La maladie venait. Je n’en avais pas conscience. Mamie Bourg était toujours là, face à nous, souriante malgré tout. Le 1er janvier 1975, muni du petit appareil photo reçu du Père Noël quelques jours auparavant, je fis une photo d’elle dans son fauteuil. Ce fut sa dernière photo. Ce fut aussi la dernière fois que je la vis. Deux mois après, elle nous quittait. Mon chagrin fut immense. Je ne comprenais pas ce qu’était la mort. Je me souviens de l’enterrement, des gens qui pleuraient. Et du jour où nous revînmes pour la première fois dans la maison de Mamie Bourg, vide, froide, sans elle. Ce fut longtemps pour moi comme une blessure intime.

J’ai passé à Quimerc’h bien des étés après la disparition de Mamie Bourg. Nous redonnions vie à la maison l’espace de quelques semaines. J’avais ramené chez nous l’album de Tintin car il était mon souvenir d’elle. L’adolescence venue, je grimpais au cimetière pour retrouver Mamie Bourg. Elle m’avait conduit un jour à la tombe de mon grand-père, là où elle était désormais aussi. Ses souvenirs partagés devinrent les miens et je me mis à aimer le village passionnément. J’étais de Quimerc’h. Je le reste. Avec le temps, je me suis demandé ce que, grandissant, ma relation avec Mamie Bourg aurait été si ma grand-mère avait eu le bonheur de vivre plus longtemps. J’avais une douce complicité avec elle et je crois bien que je serais venu de Quimper à vélo, puis à vélomoteur après passer avec elle des vacances sous mon toit de Quimerc’h. J’aurais continué à apprendre d’elle. Je conserve la peine de ne pas avoir eu cette chance. Les années qui passent ont hiérarchisé mes souvenirs, mais ne les ont pas effacés. Je n’ai pas oublié le regard et les mots de Mamie Bourg, le timbre de sa voix, sa démarche, ses gestes. Cela fait 50 ans aujourd’hui qu’elle n’est plus là. J’ai eu envie de rassembler ces images et de la raconter, comme un petit-fils qui n’oublie pas et qui pense toujours à elle.

Avec ma soeur Isabelle dans le jardin de Mamie Bourg, avec au loin de passage à niveau de Kerhall
Commentaires fermés