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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Merci l’école !

Dans quelques jours viendra la fin de l’année scolaire à l’école primaire de la rue Berkendael à Bruxelles. Les cartables bien chargés passeront une dernière fois le portail avant l’envol joyeux et tant attendu vers les grandes vacances et vers l’été. Il y aura des cris de joies, des sourires, des embrassades, et puis quelques larmes sans doute aussi. Ce moment sera particulier pour ma petite Mariana. Après ses frères il y a trois ans et il y a un an, elle quittera à son tour l’école primaire. Ce ne sera pas sans émotion pour elle et également pour nous, ses parents. Clore le chapitre de l’école primaire, c’est dire au revoir à un bout d’enfance, à des maîtres, à des amis, à des tas de souvenirs. C’est un moment que l’on n’oublie pas et qui reste particulier au cœur d’une vie. J’ai retrouvé dans la mémoire de mon IPhone la photo du premier jour de Mariana à l’école européenne de la rue Berkendael. Elle entrait dans la section maternelle. Elle avait 4 ans et un visage timide. C’était il y a bientôt 6 ans. Ce soir, j’irai la chercher à l’école pour faire la photo du dernier jour au même endroit qu’en septembre 2019. Il s’est passé tant de choses en 6 ans. Mariana a beaucoup appris, étudié, lu, joué aussi. Elle a aimé son école. Elle était heureuse d’y aller chaque matin, avec quelques livres et cahiers, et son fidèle ballon en mousse pour les matches acharnés de foot de la cour de récréation, nécessairement plus épiques que les dictées.

Mariana m’a confié il y a peu qu’elle était triste de partir, laissant entrevoir un instant toute l’émotion qu’elle réfrénait. Je l’ai consolée et je lui ai raconté mon propre départ de l’école primaire,  il y a un temps bien lointain. J’étais heureux de grandir et de filer vers le collège, mais peiné aussi car je pressentais, quelque part du haut de mes 10 ans, que c’était des personnes exceptionnelles que je m’apprêtais à quitter, qui m’avaient apporté le meilleur, des savoirs fondamentaux à leur passion simple et contagieuse d’enseigner, de partager et de transmettre. Je n’ai jamais oublié mes maîtres et j’eus cet insigne bonheur, une douzaine d’années après, de revenir à l’école comme jeune journaliste pour le départ en retraite de mon instituteur de CM2 (www.pyleborgn.eu/2021/03/a-mon-maitre). Il ne s’y attendait pas. C’est un moment émouvant, ancré dans mon mémoire. Je crois que l’on reste marqué à jamais par ses années d’école, par les amitiés enfantines et par la reconnaissance qui viendra à la mesure du temps. Les enseignants sont des héros à qui l’on ne dit jamais assez merci. Ils donnent tant d’eux-mêmes. Enseigner, c’est confier à des enfants à l’origine inconnus la meilleure part de soi-même, celle qui révèle la vocation. Et s’il y a quelques larmes qui coulent un dernier jour d’école, ce sont aussi parfois celles des maîtres au moment de voir s’en aller leurs élèves sur le chemin de la vie.

Mathieu, Justine, Gwen, Gilles, Mélanie, Tina et Emilie, Mariana ne vous oubliera pas. Je crois bien qu’elle reviendra vous voir pour vous donner des nouvelles. Le chapeau de la cérémonie de clôture, un peu ramolli par la pluie, trône déjà sur l’étagère de ses souvenirs, comme les photos de classe aux visages poupins et souriants, année après année. Une école, c’est aussi une communauté, les surveillants, l’infirmière, les animateurs de la garderie, la cantine, la direction. Et le merci est pour eux, pour elles, pour tous. L’avantage par rapport aux générations d’avant, c’est que les photos ne se font plus aussi rares, qu’elles s’échangent et se partagent. Et il y a aussi des films, des enregistrements, des voix, des chants, des rires qui résisteront au temps. Pendant toutes ces années à l’école de la rue Berkendael, j’ai entendu parler du petit renard qui vivait au fond de la cour, là où la végétation se fait plus dense. J’ai du mal à imaginer que l’on n’en parlera plus. Les nouvelles continueront à fuser. Une page se tourne pour Mariana et ses amis, mais le livre est encore long. Nous nous souviendrons d’une communauté unie, celle qui a su aider les enfants durant l’épreuve des confinements et de la pandémie, celle qui a su, à nos côtés, leur parler, pour avancer, pour apprendre et aussi pour aimer. Merci l’école, et à bientôt !

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Un petit vélo rouge

Le vélo a toujours fait partie de ma vie. Il y a sans doute à l’origine de cette passion une histoire familiale. Trois générations, de celle de mes grands-parents à la mienne, ont aimé pédaler, pour le plaisir certainement et, lorsque les voitures étaient plus rares, pour se déplacer aussi. J’observe à présent mes enfants et je me dis que cette fièvre a gagné leur génération à son tour. Cela me réjouit. Je vois dans le vélo une liberté, une conquête, une émancipation gagnée à la force du jarret. J’ai aussi le cœur plein d’histoires de courses cyclistes, magnifiées sans doute avec le temps, vécues sur un écran de télévision en noir et blanc ou au bord d’une route inondée de soleil, une casquette vissée sur la tête. J’ai eu une petite casquette Gan-Mercier, achetée précieusement un jour de Circuit de l’Aulne dans le Finistère. Le Circuit de l’Aulne était la grand-messe des amoureux de la petite reine en fin d’été. Des milliers de gens venaient de partout en Bretagne et parfois même de plus loin pour acclamer les champions qui nous avaient fait rêver quelque temps plus tôt sur la route du Tour de France. J’en étais avec mon père, ma mère et ma sœur. Et puis surtout, j’ai eu, de mes 7 ans à mes 11 ans, un petit vélo rouge de la marque quimpéroise Arrow, sur lequel j’ai tant pédalé, rêvé … et vécu aussi une drôle d’aventure.

Cette aventure, je la raconte aujourd’hui car cela fait 50 ans tout rond. Personne ne la connaît, ni ma famille, ni ma maman qui la découvrira à la lecture de ce texte. Pourquoi aujourd’hui ? Parce que les fondus de vélo ont une saison et un calendrier dans la tête, et que je n’y fais pas exception. Le 22 juin 1975 avait lieu près de Limoges le championnat de France de cyclisme. Nous avions suivi la course à la télévision avec mon père. Il faisait beau et chaud. Ma mère et ma sœur étaient parties à la plage. Régis Ovion l’avait emporté. Il avait revêtu le maillot tricolore et la Marseillaise avait retenti. J’avais trouvé le moment émouvant et mon père aussi. Il avait connu bien d’autres courses certainement plus mythiques, mais celle-ci, en tout début d’été 1975 était sans doute particulière. Elle l’avait extrait durant quelques heures, et moi avec lui, de la tristesse causée par la disparition de ma grand-mère en fin d’hiver. Nous avions traversé le printemps avec ce chagrin que les beaux jours avaient entrepris d’atténuer. Peu après l’arrivée de la course, mon père s’était assoupi dans le canapé. Il devait être autour de 16 heures. J’aurais pu lire un livre, retrouver ma chambre et mes jeux, mais ma tête était encore au championnat de France. Il fallait que j’aille faire un tour sur mon petit vélo rouge.

J’avais 10 ans et des règles s’appliquaient à moi. Sur ce vélo, je ne devais pas aller plus loin qu’un petit périmètre de rues autour de chez nous. J’étais obéissant et je n’avais jamais enfreint ces règles. Ce jour-là, je ne sais plus bien pourquoi, je l’ai fait. Il y avait le soleil, quelques heures de liberté, la solitude, l’envie de revivre la course à ma façon, le besoin sans doute aussi de me libérer. J’ai pédalé jusqu’au bout de mon périmètre de rues et, au lieu de faire demi-tour, j’ai continué. Je suis parti sur une route que j’avais empruntée parfois en voiture avec mes parents, la route d’Elliant, mais après 2 ou 3 kilomètres, je suis entré en terrain inconnu. Je ne reconnaissais rien. J’ai pédalé, encore et encore, sur ce vélo aux petites roues qui faisait partie de ma vie et que je n’avais jamais emmené si loin. J’ai grimpé des côtes, porté par les images du championnat de France et de Régis Ovion. Un panneau de ci, de là indiquait que je me rapprochais d’Elliant. C’était ma seule certitude. Je roulais toujours, heureux de l’effort accompli, un peu grisé et effrayé aussi par la témérité de mon aventure. J’arrivai à Elliant, une dizaine de kilomètres plus loin que notre maison. J’étais fier. J’avais au poignet ma montre d’enfant et je savais que j’étais dans les temps. A cette heure-ci, personne encore ne s’inquiéterait chez nous.

Pour revenir, je pouvais prendre la route dans l’autre sens, ou en trouver une autre. Aventure aidant, je me dis que je devais explorer un autre chemin. Là fut mon erreur car je n’avais alors qu’une faible géographie dans la tête et – autre époque – ni carte, ni monnaie, ni bien sûr un téléphone pour signaler ma coupable errance. Ergué-Gabéric, notre commune, est à l’ouest d’Elliant. Je pris une route qui semblait viser l’ouest. Elle le fit durant quelques centaines de mètres avant qu’une succession de virages, de montées et de descentes ne me fassent progressivement douter. La route était étroite, un peu escarpée. Allais-je dans la bonne direction ? Je n’en étais plus très sûr et je sentais venir en moi la crainte sourde d’être perdu. Au coin d’une ferme, un chien entreprit de me courser. Il n’était qu’à un ou deux mètres de mes mollets et le sprint que je piquai pour les sauver acheva de me mettre hors d’haleine. Je ne savais plus trop vers où je pédalais et je ne croisais personne. Je regardais le ciel, pensant à ma grand-mère disparue. J’avais vécu le deuil autant que l’on puisse le faire à 10 ans. Était-elle là-haut ? Me regardait-elle ? Je ne trouvais pas de réponse, mais une forme de bienveillance, à l’égal de son souvenir, semblait m’entourer. Elle m’aurait sûrement fait le reproche de cette aventure et elle m’aurait protégé aussi.

Je roulais en scrutant les champs. C’était la campagne la plus totale. J’étais là, petit garçon sur un petit vélo, des rêves dans la tête et face à ce que j’appellerais plus tard une belle galère. La route me paraissait si longue. A un moment apparut entre les arbres une chapelle. C’était Notre Dame de Kerdévot. Je n’y étais encore jamais allé, mais j’en connaissais le nom et je savais surtout que j’étais quelque part à Ergué-Gabéric. Je n’étais plus totalement perdu. Il me fallait trouver le chemin du bourg. J’avançais à vue de nez, jaugeant les croisements et les calvaires. A gauche, à droite, j’allais à l’instinct, sans certitude. Je sentais mes forces faiblir et la crainte m’envahir. Je piochais tant bien que mal sur mon petit vélo rouge pour avancer, zigzaguant dangereusement en danseuse. Je n’avais bien sûr rien à manger ni à boire. J’étais parti à l’aventure sans imaginer un instant sa longueur. Je vis finalement arriver le clocher de l’église du bourg. L’instinct et les calvaires ne m’avaient pas totalement abandonné. Du bourg, je connaissais la route pour retrouver la maison. J’avais dépassé la vingtaine de kilomètres, j’étais fourbu, un peu honteux aussi, et je me demandais surtout ce que j’allais bien pouvoir raconter pour expliquer mon absence. Je n’étais ni Régis Ovion, ni un autre champion, juste un gamin qui s’était égaré.

Je n’eus en vérité rien à raconter. Mon père corrigeait ses copies, pensant que je lisais dans ma chambre, comme je le faisais si souvent. Ma mère et ma sœur arrivèrent de la plage peu de temps après que j’eus rangé mon petit vélo rouge. A lui comme à elles, je ne racontai l’histoire. La nuit venue, je revécus dans mon lit cette aventure. Elle m’avait effrayé, mais séduit aussi. J’avais juste devancé les années en roulant sur les chemins qu’emprunterait plus tard l’adolescent cyclotouriste que je deviendrai, bien meilleur connaisseur de sa géographie et chevauchant un beau demi-course, Arrow lui aussi, mais orange, doté d’un guidon de pro et de vitesses à même de faire passer les côtes bretonnes. Le vélo mythique de mon enfance reste pourtant ce petit vélo rouge, sans doute pour ce jour initiatique de juin 1975. De ce vélo, je n’ai malheureusement aucune photo et je le regrette. Il a fini son parcours chez des cousins à qui nous l’avions donné et qui ne l’avaient pas aimé comme je l’avais fait. Il vit dans mes souvenirs. Et les souvenirs se racontent, même très longtemps après. Du 22 juin 1975 au 22 juin 2025, je me suis dit qu’il y avait prescription et que je pouvais partager cette histoire, entre faits et méfaits, qui dit au fond quel enfant j’étais et aussi quel adulte, fidèle à ses jeunes années, je suis devenu.

Régis Ovion et son beau maillot de Champion de France
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La belle histoire du Groupe Ouest

La semaine passée, j’ai été élu Président du Groupe Ouest. J’ai glissé une photo et un petit mot sur les réseaux sociaux. Des tas de messages me sont parvenus, sympas et encourageants, avec une question aussi : le Groupe Ouest, c’est quoi ? Bonne question en effet car le Groupe Ouest, c’est tellement de choses. C’est d’abord une aventure humaine, née de souvenirs et de rêves à partager. C’est un lieu où viennent des scénaristes de toute l’Europe et de plus loin pour travailler leurs récits au contact de personnes passionnées. C’est un endroit magique où je suis arrivé un jour d’avril 2019, invité par un ami, Paul Huon, qui en était le Président. Je m’interrogeais sur la suite à donner à ma vie, quelques mois après avoir quitté la vie publique. Ce jour-là, j’ai rencontré Antoine Le Bos, le directeur du Groupe Ouest, et nous avons échangé passionnément sur la diversité qui fait la richesse de l’Europe. Le cinéphile en moi s’est retrouvé. Quelques mois après, j’entrais au Conseil d’administration du Groupe Ouest.

J’ai envie de raconter toute l’histoire. Au tout début, il y avait Antoine Le Bos, scénariste à Paris, dont l’histoire est liée à la Côte des Légendes. Lorsqu’il était enfant, c’est à Brignogan qu’il venait passer ses vacances d’été auprès de ses grands-parents. Le temps a passé, mais ces souvenirs demeuraient, vifs, forts et inspirants. Lorsqu’il écrivait, Antoine revenait à Brignogan. Les promenades dans le sable le long de la mer libéraient l’imagination. C’est alors qu’Antoine imagine peu à peu un « ailleurs créatif » (selon ses propres mots), dédié au cinéma, dans le Nord-Finistère, loin de la centralisation parisienne, en pleine liberté. De cet « ailleurs créatif », il parle à quelques amis du coin. Et l’idée prend forme, comme le petit dossier qui la supporte, qu’Antoine Le Bos entreprend de porter aux politiques locaux. Vient le premier succès : le soutien de Pierre Maille, Président du Conseil général du Finistère. Et la constitution du Groupe Ouest en association en décembre 2005.

Il est ensuite des rencontres qui scellent un destin. La rencontre d’Antoine Le Bos avec Jean-Claude Simon, directeur de la communication du groupe Even et fondateur de Produit en Bretagne (le fameux petit phare), sera de celles-là. En 2005, le Groupe Ouest intègre l’incubateur de Produit en Bretagne. Avec Jean-Claude Simon, Antoine travaille sur la démarche de mécénat. Il sait aussi pouvoir compter sur le concours précieux de Tino Kerdraon, ancien député du Finistère vivant à Plounéour-Trez. En 2006, le Conseil général octroie au Groupe Ouest une aide financière qui permet le démarrage des activités et l’embauche d’une première collaboratrice en janvier 2007. Antoine Le Bos est alors le Président du Groupe Ouest. Tout le monde est basé au Folgoët dans les locaux de l’agence de développement de la Côte des Légendes. La première Sélection annuelle est mise en place avec un appel à projets en 2007 et les premiers accueils en résidence des auteurs se font en 2008.

De là vient le premier travail de réflexion sur le récit, axé sur la collaboration avec des collectifs d’auteurs. Comment écrire un scénario, comment conserver les spectateurs au cœur d’une histoire ? L’approche se veut pragmatique et fondée sur une multitude d’expériences à fédérer. Et ça marche : s’alimenter les uns les autres, sans partir du même endroit, mais en parlant de la même chose, c’est ce qui compte. Tout n’était pas gagné pourtant. Comment rendre le projet porteur sur la Côte des Légendes ? En l’incarnant dans un lieu symbolique. Un jour de 2009, Tino Kerdraon appelle Antoine Le Bos : un entrepôt d’échalotes est à vendre à la gare de Plounéour-Trez. C’était l’une des dernières exploitations agricoles de la commune. La communauté de communes du Pays de Lesneven et de la Côte des Légendes se porte acquéreur du bâti, puis le loue après travaux au Groupe Ouest. En 2012, le Groupe Ouest entre enfin dans ses murs.

Dès ses débuts, le Groupe Ouest a fait le choix de l’Europe des régions pour sortir de la seule logique française, viser plus loin, se faire connaître, nouer des alliances. Antoine Le Bos est engagé comme scénariste consultant au Torino Film Lab. Cette expérience lui donne l’expérience du travail à l’échelle européenne et des financements possibles pour les projets à venir. Patrice et Françoise Le Loup, habitants de Brignogan, mettent gracieusement à disposition du Groupe Ouest une maison à l’année pour l’équipe et une autre maison pour accueillir les auteurs en résidence. Patrice Le Loup deviendra plus tard le président du Breizh Film Fund. Sont aussi de ces années pionnières Claude Théard, ancien cadre d’IBM, et le papa d’Antoine, Alain Le Bos, ancien commercial dans l’informatique. Mobiliser l’expérience et l’énergie des nouveaux retraités, leurs réseaux et leur temps, ce sera une part du secret.

L’autre part du secret, ce sera le mécénat du Crédit Agricole à compter de 2009. La Bretagne est une terre d’amitiés, une terre de convictions et d’entrepreneurs aussi. Jean-Claude Simon s’ouvre de l’aventure du Groupe Ouest à son ami Jean Le Vourc’h, Président du groupe Even et du Crédit Agricole du Finistère, qui en parle à son tour à Paul Huon, responsable de la communication de la caisse finistérienne. Le mécénat est scellé. Les politiques régionaux se joignent à leur tour, mobilisés par Tino Kerdraon. Le Conseil régional de Bretagne rejoint le Conseil général du Finistère dans le soutien au Groupe Ouest. En 2009, Jean-Yves Le Drian, Président du Conseil régional, assiste à Lesneven à la projection d’un film coaché par le Groupe Ouest. Claude Théard devient Président du Groupe Ouest en 2009. Dix ans plus tard, c’est à Paul Huon, que Claude Théard transmet le relais. Et c’est à Paul Huon que j’ai succédé en ce mois de juin.

Chaque année passent à Plounéour-Trez des stagiaires et auteurs talentueux. L’Europe vient à Plounéour-Trez : l’Europe des auteurs, mais aussi l’Europe institutionnelle, avec un premier financement Interreg. En 2010, le Groupe Ouest est identifié dans un premier projet européen comme lead partner. Il répond à des appels à projets et se désengage du Torino Film Lab en 2016, à mesure que monte en puissance Less is more (LIM). LIM, c’est être à la fois lucide et positif sur l’état du monde, croire en la puissance des récits pour faire société. Les plus belles histoires ne sont pas toutes issues des écoles de cinéma. Elles viennent aussi d’esprits libres et curieux. Le pari de LIM, c’est soutenir ces cinéastes-là dans l’écriture de leur scénario. C’est renforcer la puissance des histoires qu’ils portent et qui les portent. LIM, c’est aussi une coalition pour un cinéma européen à l’écart des récits simplifiés et des super-héros, en lien avec la complexité et la compréhension du monde.

L’originalité du récit, la diversité du récit, le sens du récit, tout cela fonde l’engagement du Groupe Ouest. Avec LIM sont arrivés les workshops de pré-écriture, puis le Story Tank. A l’origine, seuls les Etats-Unis avaient réellement théorisé leur vision du scénario et la puissance du récit. L’Europe n’avait jamais vraiment souhaité s’emparer du sujet. Elle aurait dû pourtant, et elle s’y risque désormais, notamment par des initiatives originales comme le Story Tank et le travail plus récent sur le nouveau Bauhaus européen. Le but du Story Tank est l’échange entre professionnels du récit et chercheurs en neurosciences, sciences cognitives et sciences humaines au bénéfice des auteurs qui écrivent. Le Story Tank est né en 2019, comme une forme de département R&D du Groupe Ouest. Le Story Tank, par ses activités, remue, défie, challenge le Groupe Ouest, par un aller-retour continuel avec les auteurs coachés sur la Côte des Légendes. Il en est devenu l’aiguillon.

En 2008, le premier appel à projets avait conduit 6 auteurs au Groupe Ouest. Aujourd’hui, la Sélection annuelle attire plus de 300 candidatures. Une pré-sélection est opérée par un jury composé de professionnels de l’audiovisuel travaillant en Bretagne. La sélection finale est faite par des professionnels nationaux et internationaux. Les lauréats bénéficient du coaching des scénaristes-consultants du Groupe Ouest gratuitement, y compris durant les 4 sessions d’une semaine en résidence d’avril à décembre. D’autres candidats non-sélectionnés peuvent bénéficier du soutien de la SAS Groupe Ouest Développement via le financement de la formation professionnelle. Pour LIM, 300 candidatures sont reçues pour 16 projets sélectionnés. LIM apporte un accompagnement professionnel sur la conception de l’écriture. Cela se fait en résidence, à raison de 3 semaines dans l’année, de mars à octobre, et d’un suivi à distance entre les séances en résidence.

Le Breizh Film Fund, fonds de dotation du Groupe Ouest, se place dans la continuité de la Sélection annuelle et de LIM, joignant le financement privé au financement public pour permettre à des projets de voir le jour par l’avantage fiscal de la loi sur le mécénat culturel. L’objectif est de soutenir le cinéma indépendant européen et de faire émerger une création cinématographique issue de Bretagne. Le Breizh Film Fund a été créé en 2014 comme premier outil privé de financement du cinéma hors Ile-de-France. Nicolas Menard, Directeur-Général du Crédit Agricole du Finistère, avait alors injecté 1 million d’Euros par an sur 3 ans dans le Breizh Film Fund. Cela a considérablement aidé des sociétés bretonnes de production à s’engager dans des coproductions internationales. Cette dimension territoriale de la création était essentielle pour l’aventure.

Voilà l’histoire du Groupe Ouest, en route désormais vers ses 20 ans. Des succès, il y en a eu beaucoup. L’un d’entre eux, c’est celui du jeune cinéaste belge Lukas Dhondt, récompensé par le Grand Prix au Festival de Cannes en 2022 pour Close. Il y a eu aussi Divines, caméra d’or à Cannes en 2015, passé par la Sélection annuelle en 2013 (Houda Binyamina) et Les Innocentes (Anne Fontaine), qui a rassemblé plus d’un million d’entrées – un chiffre énorme pour la tranche Art et Essai – issu de la Sélection annuelle en 2015 et présenté au Festival Sundance aux Etats-Unis. Et tant d’autres films aussi. Ces succès ont été un tournant dans la reconnaissance du Groupe Ouest, quelque 10 années après sa création. Ils ont été des accélérateurs pour le nombre de candidats à la Sélection annuelle dès les années suivantes. A tel point qu’il est dur aujourd’hui d’imaginer la Côte des Légendes sans le cinéma … et le cinéma sans la Côte des Légendes aussi.

Cette aventure m’a aspiré et passionné. Chaque trimestre depuis 2019, j’ai pris le chemin de la Côte des Légendes. Et d’administrateur, je suis devenu Président. Je ne l’aurais pas imaginé. Il y a tant à construire, tant à raconter, notre histoire commune bien sûr, nos identités multiples aussi . Cette année, nous lançons La Fabrique des Mondes, avec le soutien d’Etat français dans le cadre des investissements d’avenir de France 2030. Notre objectif est de faire du Groupe Ouest le centre de recherche européen en pointe sur les nouvelles méthodes collaboratives en création de scénarios pour le cinéma, les séries et les jeux vidéos. La Fabrique des Mondes s’adressera aussi aux entreprises pour faciliter leurs propres récits, au monde de l’éducation pour aider les générations à venir à comprendre et pratiquer la richesse du narratif, et au défi écologique, car le monde de demain dépendra beaucoup de projets collectifs et de la capacité à les raconter et partager.

L’aventure, c’est un état d’esprit, une curiosité jamais assouvie. Le Groupe Ouest, ses permanents, ses collaborateurs, les 200 cinéastes qu’il forme bon an mal an – y compris durant le plus dur de la pandémie – n’a pas fini de surprendre. Dans l’entrepôt d’échalotes de la gare de Plounéour-Trez, au Café du Port à Brignogan, sur la plage ou le long de la mer à vélo se pense et s’écrit la suite avec Antoine, son équipe et le Conseil d’administration que je préside désormais. Dans la fidélité aux rêves des débuts, pour faire vivre la diversité des histoires, raconter la vie autrement, rassembler et passionner. En lien également avec l’évolution du monde, de la société et des technologies, sans jamais oublier que le cinéma et les séries sont des vecteurs puissants, communicatifs et contagieux d’humanité et de solidarité. En ces temps difficiles que traverse le monde, la création et l’imaginaire sont plus que jamais nécessaires. Pour cela, le Groupe Ouest et la Côte des Légendes ne seront jamais trop loin.

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Dans les collines de Pagnol

“Ce n’est pas une montagne, mais ce n’est plus une colline: c’est Garlaban”

J’écris ces quelques lignes depuis un petit bastidon perché dans la garrigue, à quelques kilomètres d’Aubagne. Le jour se lève à peine. La lumière, bientôt, inondera le jardin face à moi. J’avais longtemps rêvé de ce moment, de voir enfin les collines de Provence, de les arpenter, d’affronter les ascensions et les descentes sur les chemins caillouteux menant au Garlaban, là où passaient autrefois les mules et les chèvres. Comment tant d’autres enfants devenus grands, j’ai été bercé par les livres et les récits de Marcel Pagnol. Il y avait les dictées de mes instituteurs et sans doute aussi de mes professeurs de collège, puisées dans les souvenirs du jeune Marcel. Je les trouvais moins dures, moins piégeuses car les textes étaient si beaux. Et il y avait surtout ces livres formidables qui racontaient une enfance à flanc de collines, l’aventure, les émotions, un petit monde bien loin de mon Finistère et que je sentais pourtant proche de moi tant il était au fond universel. Pagnol a enchanté mes jeunes années. J’ai lu et relu La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets. Je m’en suis nourri, imaginant la puissance du ciel, le vol des bartavelles, les senteurs des plantes enveloppées par le vent. Je n’avais alors pas d’autres images que celles que les mots faisaient naître en moi.

Longtemps, j’avais nourri le rêve de venir jusqu’à la Treille, d’emprunter le chemin menant à la Bastide Neuve, cette vieille maison « neuve depuis bien longtemps », mais qui avait au début du XXème siècle le luxe inouï d’avoir l’eau courante, là où Marcel Pagnol vécut ses plus belles années, là où commençait la féérie, comme il l’écrivit dans La Gloire de mon père. J’avais envie d’aller voir Pagnol. Ce serait pour cette année, m’étais-je dit il y a quelques mois. J’ai vécu ces quelques jours en Provence comme un pèlerinage. Je me suis arrêté au cimetière, j’y ai vu aussi la tombe de Lili des Bellons, toute proche de celle de Pagnol. Lili, son ami des collines, tombé au champ d’honneur un jour de 1918. Je me suis laissé bercer par mes souvenirs de ses souvenirs. Mes enfants étaient avec moi. Ils ont commencé à leur tour à lire Pagnol. Nous avons trouvé la Bastide Neuve. Une porte était entrouverte, laissant apercevoir une vieille cheminée. Quelques personnes échangeaient. Une dame vint vers nous. « Je suis ici avec Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel », nous dit-elle. « Voulez-vous entrer ? », ajouta-t-elle. Et c’est ainsi que nous avons découvert l’intérieur de la Bastide Neuve, émus, intimidés, émerveillés aussi. « Les fusils au mur, ce sont ceux de l’Oncle Jules ? », demanda à la dame mon petit Pablo.

Observant mes enfants, curieux et heureux, j’ai compris que l’œuvre de Marcel Pagnol est une transmission. Le temps peut filer et les générations avec lui, l’émotion demeure. J’aime Pagnol pour sa simplicité, la poésie des mots, la tendresse des souvenirs, l’amour d’une région. Je me souviens de ce jour d’avril 1974, lorsque la télévision annonça sa disparition. J’étais chez ma grand-mère. J’avais 9 ans et je lisais ses livres. De lui, je ne connaissais pourtant qu’une photo, celle d’un vieil homme au visage doux. Il était mort à Paris, disait la télévision. Mais que diable y faisait-il, avais-je alors pensé. Pour moi, Pagnol ne pouvait qu’habiter la Provence dont il parlait si bien. J’ignorais tout de sa vie d’après les collines, des pièces de théâtre, des films et de l’Académie Française. Je n’ai découvert cela qu’après, à l’adolescence, lisant passionnément Topaze, Marius, Fanny, puis voyant sur France 3, tard le soir, les premiers films comme César, Merlusse, La Femme du boulanger ou La Fille du puisatier. Et bien sûr Manon des Sources, première version, avec son épouse Jacqueline comme héroïne et Rellys en Ugolin aussi tordu que vrai. Le noir et blanc rendait merveilleusement la force des paysages et la lumière du ciel. Le jeu des acteurs, de Raimu à Fernandel, de Fresnay à Orane Demazis était bouleversant.

C’est tout cela que j’ai retrouvé au cours de ces journées dans la garrigue, bercé par les émotions. Il y a des bonheurs inestimables car ils remontent à loin. Je crois qu’avoir lu Pagnol et le lire toujours m’a aidé dans l’exploration de l’âme humaine, de ses tourments et de la bonté, dans la découverte de l’empathie, de l’humour et des sentiments aussi. Il y a un Pagnol pour tous les âges, y compris celui qui est le mien aujourd’hui. Je serais heureux de revoir les films et entendre à nouveau les sermons des curés. Le fils de l’instituteur prêtait des mots formidables aux curés. Il y a dans son œuvre un humanisme délicat, mêlant le meilleur de la laïcité et de la foi. A l’image de Jean de Florette qui creusait dans la détresse un sillon dans la terre aride des collines, c’est un profond sillon que Marcel Pagnol a tracé pour longtemps, pour toujours en moi. Les émotions demeurent. Demain, la voiture reprendra la route de la Belgique, laissant à regret derrière elle le Garlaban, la Treille et la fontaine de Manon. Je reviendrai. J’ai ressenti ces derniers jours que cette visite si longtemps rêvée en appelait bien d’autres, sur les chemins d’une œuvre et d’un homme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et dont je sais qu’il me restera toujours beaucoup à découvrir.

Les fleurs du paradis, là haut sur les collines

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Sur les traces de Paul Capitaine

Je ne sais plus bien quand j’ai rencontré Paul Capitaine. Mais je me souviens de où, en revanche. C’était durant mes années passées à l’Assemblée nationale. Je profitais parfois d’un petit moment pour quitter Paris et venir d’un coup de train voir mes parents dans le Finistère, l’espace de quelques jours. Avant que je reparte, ma mère aimait à glisser dans ma valise nos goodies à nous – une douzaine de crêpes, quelques galettes bretonnes – et un livre. Elle savait que ces petits plaisirs meublaient mes courtes nuits de député, lorsque les séances et les votes étaient souvent très nocturnes. Il fallait se substanter pour tenir bon et lire pour se changer les idées. C’est ainsi qu’un soir, ou plus probablement une nuit, dans mon petit bureau sous les toits de l’Assemblée nationale, j’ouvris le livre ramené quelques heures plus tôt de chez nous. Le titre était Quimper sur le gril. Il racontait l’histoire d’un flic, Paul Capitaine, revenant dans sa ville natale de Quimper – ça tombe bien, c’est aussi la mienne – après avoir longuement et rudement bourlingué sous d’autres latitudes. S’en suivaient toute une série d’aventures dans des coins du Sud-Finistère qui parlaient passionnément à mes souvenirs et la découverte aussi que sa jeune coéquipière d’origine polonaise, Sarah, était finalement sa fille.

Cette première lecture en entraîna bien d’autres. Paul Capitaine devint un compagnon de ma vie de saltimbanque politique. Je le lisais dans les trains, les avions et parfois le soir avant de trouver le sommeil dans mon spartiate canapé parlementaire. La sortie de chaque nouveau roman m’était annoncée par ma mère, qui repérait l’information dans Le Télégramme de Brest. Sous quelques semaines, le livre serait dans ma valise. Très vite, mon père ajouta : « Bernard Larhant ? Je me souviens de lui au Lycée La Tour d’Auvergne. Et aussi quand il jouait dans les buts au Stade Q ». L’affaire était bouclée. Non seulement le héros était quimpérois et sympathique, mais le romancier lui-même n’était pas inconnu non plus. Voilà comment, des années durant et jusqu’à ces dernières semaines, je lus toutes les aventures de Paul Capitaine, m’attachant aux personnages, de Sarah à Gaëlle, de Dominique à Rose-Marie, de Radia à Blaise. Je me suis délecté d’enquêtes souvent rock and roll dans des géographies bretonnes qui m’étaient familières. Leur commissariat était proche de la rédaction du journal où j’avais travaillé durant mes études et j’aurais pu être leur interlocuteur lorsque, jeune stagiaire, je passais la porte rue Théodore-Le-Hars à la recherche de faits divers à publier.

Les réseaux sociaux m’ont permis de faire la connaissance de Bernard Larhant, puis d’échanger régulièrement avec lui. Je lui demandais des nouvelles de Paul Capitaine comme on demande des nouvelles d’un ami commun. Et Paul, qu’est-ce qu’il devient depuis l’affaire à l’Ile-Tudy ? J’appris un jour de Bernard que Paul prendrait sa retraite et que la série s’arrêterait. Bernard m’envoya même la photo du banc face à la mer où se jouerait la dernière scène. J’en étais désolé. Un ou deux ans restaient cependant à courir. J’avais le temps de m’y faire. Il y a quelques jours, j’ai fermé la dernière page du dernier livre et c’est en effet sur ce banc, à la Pointe Saint-Gilles, que s’achève l’aventure. J’étais ému. Je comprends cependant. Paul Capitaine avait vieilli (comme ses lecteurs). Il n’aurait pas le même âge pendant 30 ans, ni Sarah d’ailleurs. Et si je suis de ceux qui pensent qu’il faut à l’écran savoir clore une belle série pour la protéger, je dois aussi pouvoir l’accepter des livres que j’aime. J’ai compris aussi, échangeant avec Bernard, que j’aurais parfois des nouvelles de Paul Capitaine dans d’autres romans, comme des clés vers un univers familier, les personnages se croisant parfois. Et au fond, qu’il me reviendrait d’imaginer ou rêver ce que deviendrait Paul et son petit monde.

Je le ferai. Je n’ai pas envie de ranger mes 24 Paul Capitaine sur une lointaine étagère de ma bibliothèque, au risque de les y oublier. Je les ressortirai de temps à autre. Mon auguste valise, certes fatiguée, existe encore et un livre s’y glissera toujours. Je suis un lecteur fidèle, qui aime relire ses livres de temps à autre, à la recherche d’une émotion, d’un indice ou d’un lieu. Et surtout, je continuerai à lire les romans à venir de Bernard Larhant. Cependant, alors que s’achève la série des Paul Capitaine, j’ai eu envie de demander à Bernard lui-même de nous la raconter, par des souvenirs et des anecdotes, comme on le fait parfois dans le monde des plateformes avec un petit documentaire conclusif et original, lorsque se termine une histoire et qu’il est trop dur pour ceux qui l’ont aimée de s’en séparer tout de suite. Je me suis dit en effet que nous étions quelques bons milliers, en Bretagne et ailleurs, à avoir vécu passionnément les aventures de Paul Capitaine, à les avoir attendues et partagées toutes ces années, et que si mon petit blog pouvait contribuer à en parler, à faire vivre cet esprit Paul Capitaine, ce serait finalement tant mieux. Je suis ravi et honoré que Bernard Larhant ait accepté cet échange, que je publie ci-dessous avec plaisir.

Bernard Larhant, chez lui, à Plomelin

Bernard, Paul Capitaine règle ses comptes est le dernier livre de la série de Paul Capitaine. Vous avez choisi de mettre un terme à cette série qui aura passionné des tas de lecteurs en Bretagne et plus loin. Pourquoi ?

—Bonjour Pierre-Yves et d’abord merci pour ce retour de lecture de la série entière, si émouvant pour l’auteur. Comme vous l’avez écrit, Paul Capitaine a pris un an tous les ans et arrivait à l’âge de la retraite. J’avais d’abord fixé mon fil conducteur à vingt enquêtes que j’avais déjà en synopsis dans mes projets d’écriture. À la demande d’une société de production télévisuelle, le nombre est monté à vingt-quatre, soit quatre saisons de six épisodes, dans l’objectif d’une série qui n’a jamais vu le jour. Déception légitime. Les personnages de cette série sont un peu ma seconde famille et les abandonner ainsi, au point final de l’ultime enquête, a été un douloureux crève-cœur. Mais aussi un profond soulagement d’avoir mené le projet à terme, pour ne pas frustrer les lecteurs.

Comment avez-vous créé le personnage de Paul Capitaine ? Etes-vous quelque part Paul Capitaine vous-même ? Paul est quimpérois comme vous. Il s’exprime à la première personne dans chacun de vos livres et cette expression narrative le rapproche du romancier que vous êtes.

—Paul Capitaine, fils du chef de gare de Quimper, possède l’entame de vie d’un bon camarade de l’école Jules Ferry, fils du chef de gare de Quimper, François Béchu, avec lequel le lien d’amitié s’est renoué depuis. L’idée du patronyme Capitaine est venu d’un autre ami de jeunesse qui portait ce nom. Capitaine Paul Capitaine, cela sonnait à mon oreille comme le Jerome K. Jerome de mon enfance, auteur britannique de Trois hommes dans un bateau. Mais il est honnête de dire qu’il y a aussi beaucoup de mon parcours et de mes sentiments dans le cheminement et les réflexions de Paul. Oui, il s’exprime à la première personne, ce qui permet un style plus vivant, plus direct, mais limite hélas la description des scènes d’action qui lui sont forcément narrées, s’il n’est pas lui-même présent sur les lieux. Une contrainte dont je suis satisfait de me libérer pour la suite de mes écrits.

L’histoire de Paul Capitaine fait apparaître Sarah Nowak, sa fille, née de la rencontre passionnée à Gdansk du jeune Paul avec Beata, une tout aussi jeune militante de Solidarnosc. Pourquoi avoir tracé ce lien avec la Pologne ?

—Depuis mon mariage avec Barbara, la Pologne est un peu devenue ma seconde patrie, pour laquelle j’ai eu un énorme coup de cœur dès la première visite. Il faut avoir visité le musée Solidarnosc à Gdansk pour percevoir la profondeur et la force intérieure de l’âme polonaise, la sensibilité et la dignité de ce peuple. Je savais dès le début de la série Capitaine Paul Capitaine que la dernière enquête se déroulerait pour partie entre Gdansk et Poznan, ville où habite la famille de Barbara.

La diversité et la force de caractère des personnages ont marqué, je crois, les lecteurs de la série. Ces personnages se sont-ils imposés à vous, avec leur style et leur identité, à mesure que vous écriviez les romans ?

—Oui et non. Certaines trajectoires se sont modifiées, comme celle notamment de la magistrate Dominique Vasseur, appelée à de plus hautes fonctions loin de Quimper. Autre anecdote, Blaise Juillard, ce jeune flic glandeur et dragueur, mais doté d’un grand cœur, prévu pour figurer le temps de quatre enquêtes, est devenu, sous l’insistance des lecteurs, un personnage à part entière de l’équipe. En revanche, pour Paul et Sarah, pour Rose-Marie Cortot, alias RMC, ou pour la jeune commissaire Radia Belloumi, le cheminement correspond à celui que j’avais prévu. Et puis il y a Gaëlle Le Bris, cette jeune journaliste free-lance, oiseau tombé d’un nid et qui en recherche un autre, apparue furtivement dans l’un des premiers épisodes, réapparue pas mal de temps plus tard pour devenir, elle aussi, un personnage incontournable, terriblement attachant, et lien entre la série Capitaine Paul Capitaine et la série qui débute, Agnès Delacour, profileuse.

Il y a chez Paul Capitaine un humanisme bourru qui force l’attachement et chez Sarah une grande quête d’absolu. Aviez-vous en tête quelqu’un de la vraie vie ou d’une vie passée pour vous inspirer lorsque vous pensiez à eux deux en particulier ?

—Oui, bien sûr. L’humanisme bourru de Paul Capitaine est sans doute un peu le mien. Je rêve d’un monde de fraternité et de générosité, d’une société dans laquelle le sentiment reprendrait le pas sur l’argent, l’être sur l’avoir. Et Sarah est probablement à l’image de celui que j’étais à vingt ans, convaincu qu’avec sincérité et bonne volonté, on pouvait changer le monde. À l’entame de la série, on me disait qu’on ne faisait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. Pourtant, quand Alain Bargain y a cru et accepté d’éditer la série, le premier Opus, Quimper sur le gril, a été bien accueilli par les lecteurs. Cependant, je ne me sens toujours pas écrivain, juste un conteur d’histoires, un créateur de personnages assez idéalistes et respectueux des valeurs humaines.

Comment choisissiez-vous les lieux qui seraient, en Bretagne et aussi ailleurs, le théâtre de vos intrigues ? Faisiez-vous des repérages ? Les descriptions des lieux sont d’une grande fidélité pour qui les connaît bien.

—C’est souvent au coup de cœur, au cours d’une balade d’un week-end. J’aime discuter avec les gens du coin, prendre le temps de les écouter quand ils racontent leur pays. Je prends moins de plaisir à décrire les lieux — même si c’est nécessaire — que l’âme des gens, leurs fiertés et leurs blessures. Une anecdote : la seconde enquête, Douarnenez, piège à mouettes, s’est écrite au moment où l’argent était trouvé pour sauver le système bancaire, alors que les ports de pêche bretons se voyaient sacrifiés. Et mon histoire parlait justement de ce combat quotidien, chaque année plus épineux, entre monde réel et monde virtuel. Et là, dans l’actualité, d’un côté une bulle spéculative et de l’autre une dure vie de labeur qui nourrissait de nombreux foyers… J’ai sans doute perdu beaucoup des lecteurs à révéler cette fois-là mon humanisme, mais je ne le regrette pas.

Paul Capitaine aurait-il pu – ou pourrait-il encore – faire l’objet d’une série sur une plateforme ? Qui verriez-vous idéalement dans le rôle de Paul ? Et dans celui de Sarah ?

—Pour tout avouer, c’est mon rêve le plus intense sur le plan professionnel. J’y ai cru, j’ai été déçu, on me dit depuis que la série est dépassée mais en regardant les indices d’audience des programmes, je n’en suis pas convaincu. Alors… Pour ne rien vous cacher sur ma manière de travailler, à chaque enquête nouvelle, pour bien visualiser les personnages, je choisis des acteurs pour les incarner, ce qui me facilite dans mon ébauche et ensuite ma rédaction. Dès le début, pour le rôle de Paul Capitaine, j’ai pensé à Daniel Russo (qui n’était pas contre quand nous avions échangé sur le sujet) pour son côté paternaliste et empathique. Pour celui de Sarah, une autre Sarah, Biasini, fille de Romy Schneider. Mais vingt ans après, ce ne serait sans doute plus d’actualité.

Qu’est-ce qui vous a amené dans votre vie à l’écriture de romans policiers et à des intrigues dans le Finistère ?

—D’abord l’écriture, c’est à l’incitation de Barbara, grande lectrice. Un premier roman, La Croisée des maux, traitant du handicap, publié en Aquitaine en 2006, puis avec mon retour en Bretagne, l’évidence de proposer une série policière, qui n’est pourtant toujours pas mon style de prédilection. Ensuite, je me suis piqué au jeu, documenté sur les procédures, entouré de spécialistes, policiers, gendarmes, magistrats et avocats, pour tenter de me rapprocher au mieux du réel, même si ces livres ne sont que des romans. Au final, c’est une aventure fantastique, enrichissante et émouvante.

Que souhaiteriez-vous dire à vos lecteurs, un peu tristes de voir la série s’achever ?

—Tout d’abord un grand merci pour leur fidélité, leurs retours de lecture toujours sincères, leur attachement à l’équipe. Sans lecteurs, pas de série, pas de succès, aussi merci à eux d’être encore là, à l’heure du final. On regrette si souvent de ne pas avoir la fin ultime d’une série, à la télé ou dans les livres, que c’est pour moi un soulagement d’avoir mené le projet à terme. Une sorte de contrat moral avec les lecteurs, même si je comprends leur tristesse et que je la partage. Mais que tous se rassurent, ils auront des opportunités de retrouver Paul, Sarah, Gaëlle, Blaise, Rose-Marie et Mario, notamment, dans les prochaines enquêtes d’Agnès Delacour, la profileuse. Dès cette fin d’année, avec la parution de Huis clos à Bénodet, une affaire politique sur trois jours pour laquelle Agnès Delacour va avoir besoin de l’expérience d’un vieux flic de terrain qui connaît le Finistère comme sa poche, pour révéler l’effroyable cabale. Je vous laisse deviner quel policier à la retraite elle va aller chercher…

Un immense merci pour cet échange, cher Bernard ! Et pour tous vos romans.

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