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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

La cabane est tombée sur le chien

La nouvelle législature issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet s’est ouverte hier avec l’élection du Président de l’Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet a retrouvé le perchoir qu’elle avait occupé de juin 2022 à la dissolution de l’Assemblée le 9 juin. Il lui aura fallu trois tours de scrutin et la majorité relative autorisée au troisième tour pour l’emporter. Ce scénario, dans un Hémicycle privé de majorité absolue, était prévisible. Il l’était probablement aussi quant au résultat lui-même. C’est le soutien des députés LR et divers droite qui a permis à Yaël Braun-Pivet de battre le candidat du Nouveau Front Populaire André Chassaigne, arrivé en tête au premier tour de scrutin, mais loin de la majorité absolue requise pour être élu. Le résultat d’hier soir dessine une réalité politique que nombre d’acteurs de la vie parlementaire, essentiellement au sein du Nouveau Front Populaire, avaient refusé de voir depuis le second tour des élections législatives : arithmétiquement, la somme des sièges d’Ensemble, de LR et des députés divers droite est plus élevée que le nombre de sièges dont dispose le Nouveau Front Populaire. Cette réalité est incontournable. C’est l’arithmétique de l’Hémicycle et elle seule qui détermine les majorités nécessaires pour légiférer et aussi pour gouverner.

Pour épuiser les références rugbystiques et sourire un peu (il le faut), la cabane est tombée sur le chien. En rugby, cette expression imagée décrit un contre redoutable scellant le sort d’un match. Une équipe attaque, confusément et le dos au mur, sans percer vraiment, et s’expose à un contre définitif de son adversaire. Nous y sommes. Depuis le 7 juillet au soir, le Nouveau Front Populaire martèle qu’il a gagné les élections législatives, mais échoue à s’accorder sur le nom d’un candidat ou plutôt d’une candidate pour la fonction de Premier ministre. Les palabres n’en finissent pas et virent au mauvais feuilleton, les uns s’opposant à une première candidate, les autres à une seconde. Les invectives pleuvent et renvoient aux Français une image consternante d’impuissance, d’incohérence et d’immaturité. Le Nouveau Front Populaire apparaît comme une alliance électorale dont les perspectives aux responsabilités sont obérées par de profondes divergences stratégiques. En clair, la radicalité de La France Insoumise – « le programme, tout le programme et rien que le programme » – exclut toute ouverture pourtant obligée vers d’autres forces, fige la configuration politique et ouvre de fait la voie à d’autres scénarios, comme celui qui a conduit à la réélection de Yaël Braun-Pivet.

La France a besoin d’être gouvernée. L’échec du Nouveau Front Populaire à conquérir la Présidence de l’Assemblée nationale vaut aussi pour ses perspectives au gouvernement. On ne peut gouverner avec le soutien de quelque 200 députés sur 577, et plus encore lorsque l’on rejette toute ouverture pour construire une majorité. Jean-Luc Mélenchon fait le choix de 2027 contre 2024, de la radicalité du verbe contre le pragmatisme des solutions, tablant sur la crise politique, un pays en affaires courantes pendant des mois, la démission possible du Président de la République et une élection présidentielle anticipée qui le verrait affronter Marine Le Pen au second tour avec le soutien fantasmé d’un nouveau front républicain. Il se trompe. Les Français attendent que notre pays soit dirigé, y compris ceux qui ont voté pour le Nouveau Front Populaire. Ils n’ont pas leur œil sur 2027, mais sur la fin du mois et sur les enjeux du moment. Les calculs politiques et les coups de billard à trois bandes ne paient pas. Ils sont dérisoires et incompréhensibles. L’incapacité du Nouveau Front Populaire à s’accorder est comme un refus d’obstacle. Il existait une fenêtre d’opportunité au soir du 7 juillet, qui requérait de savoir tendre la main à d’autres partenaires dans l’Hémicycle. Elle s’est désormais refermée.

La culture politique française doit vraiment évoluer. Ce rejet tripal du compromis conduit à une impasse politique consternante. Partout en Europe, des coalitions se forment entre adversaires, une fois les résultats d’une élection proclamés. Ces coalitions travaillent et réussissent. Pourquoi donc chez nous, ce qui existe favorablement ailleurs serait impossible ? Pourquoi le compromis vécu vertueusement dans nombre de démocraties parlementaires européennes est-il perçu comme une compromission en France ? Il est temps de changer, d’évoluer, de voir le monde autrement que sous la loupe franco-française de la Vème République, laquelle n’avait d’ailleurs pas été imaginée par les constituants de 1958 comme requérant des majorités absolues. C’est la pratique politique depuis lors qui a conduit à cette illusion que, faute de majorité absolue, le pays serait perdu. Il faut vouloir en sortir, oser à gauche et – singulièrement au Parti socialiste – rompre, s’il le faut, avec La France Insoumise, accepter au centre et à droite d’agir avec la gauche au sein d’un gouvernement répondant aux attentes, aux colères et aux souffrances des Français. Il n’y a pas de fatalité à ce que la situation actuelle perdure si les responsables politique faisaient le choix courageux de s’élever au-dessus des atavismes.

La France n’est pas une île. L’intérêt de notre pays exige de savoir se sublimer. La politique politicienne n’est en rien à la hauteur des circonstances que nous traversons. Changer ferait beaucoup de bien. Je suis parlementariste dans l’âme. J’ai vu durant mes années à l’Assemblée nationale tout le potentiel citoyen de la vie parlementaire. Je sais aussi combien la Vème République l’a bridé. Ce n’est pas la présidentialisation accrue qui permettra de mener des politiques plus justes et efficaces au service des Français, c’est le renforcement du travail parlementaire. Aurait-on oublié que les parlementaires sont responsables, qu’ils ont le sens de l’intérêt général ? L’erreur d’Emmanuel Macron a été de s’en défier. Il n’était pas écrit en 2017 que cela doive être ainsi. Le Parlement doit être réhabilité et ses prérogatives renforcées. C’est pour cela que je suis partisan d’un changement du mode de scrutin pour l’élection des députés. Il faut passer à la représentation proportionnelle car elle est inhérente à la recherche de coalitions. Briser les tabous et les non-dits est urgent. La vie politique doit respirer, la Constitution aussi. Elle ne peut être corsetée comme elle l’est aujourd’hui, au risque de la suffocation. Ce que nous vivons depuis le 7 juillet montre qu’il faut lucidement donner corps au changement.

La réélection de Yael Braun-Pivet à la Présidence de l’Assemblée nationale ne peut être une restauration des deux années écoulées, comme si des élections législatives n’avaient jamais eu lieu et qu’un message puissant et rageur n’avait pas été adressé par les Français tout récemment. Le vote d’hier peut être mal compris par des millions de personnes qui attendaient autre chose et qui voient revenir le parti défait dans les urnes. Il importe d’en avoir conscience, en particulier pour la recherche d’une majorité de gouvernement. Si la réalité arithmétique empêche le Nouveau Front Populaire de gouverner seul, elle empêche tout autant l’ancienne majorité de le faire aussi, y compris même avec le concours des députés du parti Les Républicains. Il n’y aura de solution que dans le dialogue et l’ouverture entre adversaires d’hier, en empruntant ainsi une voie originale dans notre pays si volontiers clivé. Ce sera la responsabilité de Yaël Braun-Pivet d’y donner corps à l’Assemblée nationale. Cela aurait été aussi celle d’André Chassaigne, que j’apprécie et respecte, s’il avait été élu. Ce signal de l’ouverture est attendu. Depuis le 7 juillet, la réalité du pouvoir a traversé la Seine. Elle est à l’Assemblée nationale. C’est certes un enjeu, mais c’est aussi une chance. Puisse cette chance être saisie.

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Le chat est maigre

Depuis quatre jours et l’annonce des résultats des élections législatives, le spectacle offert par le monde politique français relève davantage du chaos que de la clarté. Face à une Assemblée nationale sans majorité, absolue comme relative, chaque parti ou alliance y va de ses affirmations péremptoires, notamment celle d’avoir gagné et donc de se voir nécessairement confier les rênes du gouvernement. Que les émotions soient vives le lendemain des élections se comprend volontiers, qu’elles le restent quatre jours après devrait commencer à alerter. Là où, dans toute démocratie parlementaire rompue aux coalitions gouvernementales et aux discussions apaisées qui les précèdent, les forces politiques auraient désormais échangé, à tout le moins informellement, en France, personne n’a encore parlé à personne et les invectives continuent de fuser comme si la campagne électorale se poursuivait. Les passions l’emportent sur la raison et ceci n’augure rien de bon pour la suite. Les chaînes d’information en continu servent à l’envi les images des députés posant pour les photographes sur les marches du Palais Bourbon et rivalisant, toutes étiquettes politiques confondues, de déclarations mêlant certitudes et inflexibilité. Pour des millions de Français, ce spectacle devient anxiogène.

J’ai vécu ma vie d’adulte au contact de pays – la Belgique et l’Allemagne – à la culture de coalition reconnue. Aucun parti n’y gouverne seul. Lorsque j’y suis arrivé, venant de notre monde de majorité absolue, les discussions d’après élections m’apparaissaient comme une faiblesse, comme l’assurance d’un changement politique obligatoirement modeste puisqu’il faudrait en passer par l’accord de formations concurrentes jusqu’aux élections. A la pratique, je me suis aperçu que les coalitions peuvent ancrer les décisions publiques bien plus profondément par la solidité des majorités qu’elles constituent. Les coalitions créent aussi les conditions de l’apaisement utile après un débat électoral. Elles sont pour moi le signe d’une maturité de la vie démocratique et de l’acceptabilité du choix populaire, que l’on y soit représenté ou que l’on siège dans l’opposition. Pour toutes ces raisons, je me sens proche des démocraties parlementaires allemande, scandinaves et du Benelux. Je n’en vis que plus difficilement ce chaos s’éternisant depuis le 7 juillet et je redoute l’impasse vers laquelle l’impossibilité, voire le refus de dialoguer à la recherche d’une solution partagée entraîne la France. J’ai peur pour notre pays, alors que les défis s’accumulent. Je suis peiné aussi de le voir se donner en spectacle.

Personne n’a gagné les élections législatives. Les circonstances du front républicain qui a mis en échec le Rassemblement national empêchent de distinguer un vainqueur. Ma culture de coalition me conduit à regarder à froid la réalité de l’arithmétique parlementaire. Comment trouver dans cet Hémicycle si éclaté la majorité absolue ou la grosse majorité relative permettant à une action gouvernementale de s’inscrire dans la durée ? C’est un travail d’additions. Mais peut-être que mon examen à froid gagnerait cependant à s’ouvrir à quelques émotions car le rejet massif de l’idée de compromis quatre jours après les élections gangrène tout développement à venir. Le Nouveau Front Populaire clame qu’il a gagné le 7 juillet. Je pense que c’est une illusion, mais soit, s’il l’entend ainsi, acceptons-le. Il ne serait pas choquant dès lors qu’il prétende, par l’un de ses leaders, diriger le gouvernement. Là où le bas blesse en revanche, c’est qu’il entend le faire seul, avec une base de 182 sièges sur 577 à l’Assemblée nationale. C’ela ne fait pas sens. A 107 sièges de la majorité absolue, ce n’est même pas une majorité relative. Un gouvernement agissant sur une aussi petite base verrait tous ses projets de loi rejetés à l’Assemblée et la censure peut-être même votée le surlendemain de sa nomination.

La vérité, pour reprendre une autre expression rugbystique que j’adore, c’est que le chat est maigre. En rugby, lorsque le chat est maigre, c’est que l’on a gagné par le plus petit écart. C’est le cas ici. 182 sièges pour le Nouveau Front Populaire, 168 pour Ensemble. L’écart n’est que de 14 sièges et c’est bien peu. Mais 182 + 168, cela fait 350 sièges, soit largement plus que la majorité absolue à l’Assemblée nationale et là est la réalité arithmétique qui doit être la boussole. Dès lors que les députés du parti Les Républicains bottent en touche – autre expression rugbystique – et fuient leurs responsabilités de membres d’un parti autrefois de gouvernement, la solution se trouve dans une discussion à nouer entre le Nouveau Front Populaire et Ensemble. Premier en sièges, le Nouveau Front Populaire peut prétendre diriger le gouvernement. Celui-ci, idéalement, devrait reposer sur un contrat de coalition entre les deux alliances. C’est ainsi que cela fonctionne chez nos voisins. Les partenaires de coalition profilent leurs propositions essentielles et trouvent un dénominateur commun. Personne ne met en œuvre 100% de son programme électoral d’origine, mais peut-être 60 à 70% de celui-ci. Est-ce un renoncement ? Non. Est-ce un progrès ? Bien sûr que oui. 60 à 70%, c’est plus que 0%.

Je souhaite ce scénario pour notre pays. Il est temps d’élever le débat et l’action au niveau des enjeux. Il est temps aussi de respecter les Français en leur offrant une solution. Il est temps d’arrêter de dire non et de commencer à dire oui. Il est temps d’afficher le sens des responsabilités et d’en apporter la preuve. S’il faut rouvrir la question de la réforme des retraites, faisons-le, dès lors qu’un projet alternatif et financé est proposé. S’il faut augmenter le SMIC, faisons-le, dès lors que la situation des TPE et PME est prise en compte. Ces questions, pour ne citer qu’elles, ne sont pas simples et requièrent un travail de fond, minutieux et courageux, et donc du temps. C’est aussi la vocation d’une coalition que de le permettre. Mais une coalition, c’est aussi respecter le partenaire « junior », celui qui a peut-être un peu moins de sièges au Parlement, mais dont la présence est la garantie de l’existence de la majorité. Ses priorités doivent être valorisées et mises en œuvre également. Et donc, s’il faut désendetter la France par la maîtrise de la dépense publique, faisons-le, dès lors que la justice fiscale est prise en compte par le retour de l’impôt sur la fortune. S’il faut construire de nouvelles centrales nucléaires, faisons-le, dès lors que le développement des énergies renouvelables demeure soutenu.

Je crois aux coalitions. La vie collective crève des certitudes des uns et des autres, des déclarations de matamores, de la promesse renouvelée du grand soir et de la récurrence dans le jeu politique de grandes gueules inoxydables devenues des boulets pour tout le monde. Les Français veulent des résultats tangibles à hauteur de leurs vies. Ils veulent aussi de la lisibilité et de la sécurité. Pour dire les choses crûment, il y en a marre de la chienlit. La politique n’est pas une fuite en avant, une somme d’égoïsmes et d’égotismes, un jeu gratuit et désincarné. Notre pays n’est pas un tapis vert ou une réalité abstraite. Il est peuplé de millions de gens et de centaines de milliers d’entreprises qui entendent vivre et se développer. C’est pour eux, c’est pour elles qu’il faut s’entendre pour préparer l’avenir, majorité comme opposition. Nous y sommes. J’espère que ce sens des responsabilités et cette maturité prévaudront. Il n’en sera que plus aisé alors pour le Président de la République, dans un cadre de cohabitation, de procéder à la nomination du gouvernement et de travailler avec lui, fort de ses importantes et légitimes prérogatives. Le pire n’est jamais sûr si la raison s’impose. Je sais, pour l’avoir été, que chaque parlementaire sait en faire preuve pour le bien de la France. C’est maintenant qu’il faut le montrer.

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Les mouches ont changé d’âne

La France se réveille ce 8 juillet avec une nouvelle législature. Il y a une semaine, l’extrême-droite pouvait conquérir une majorité absolue de députés, peut-être même plus de 300. Elle n’en aura finalement que 143. Dans un réflexe de front républicain, près de 200 candidats qualifiés pour le second tour dans le cadre de triangulaires se sont retirés, permettant le report des voix sur l’adversaire du Rassemblement national. Cette stratégie, mise en place non sans mal, suivie davantage à gauche qu’au centre et à droite, a fonctionné et conduit à la surprise majeure des résultats du second tour. Le Rassemblement national progresse en voix (beaucoup) et en sièges (aussi), mais il ne sera que la troisième force de l’Assemblée nationale derrière Ensemble, la coalition présidentielle, revenue du diable Vauvert, et le Nouveau Front Populaire, arrivé finalement premier. D’un dimanche à l’autre, les choses ont changé du tout au tout et, pour reprendre une expression rugbystique imagée que j’affectionne, les mouches ont changé d’âne. Comme citoyen, je ressens un intense soulagement. Le vote d’hier montre qu’une majorité de Français continue de ne pas considérer le Rassemblement national comme républicain. Une phase politique nouvelle s’ouvre désormais, inconnue et incertaine.

La première vérité, c’est que personne n’a gagné ces élections. Prétendre l’inverse relève du baratin habituel des soirées électorales et d’un déni obstiné de réalité. Lorsque Jean-Luc Mélenchon, sitôt les premiers résultats connus, se précipite à la télévision pour réclamer toute séance tenante le pouvoir et l’application du programme du Nouveau Front Populaire, il défie l’arithmétique de la nouvelle Assemblée nationale et tout simplement le bon sens. Le Nouveau Front Populaire a obtenu 182 sièges, soit à peine 30% des effectifs de l’Assemblée. C’est très loin d’une majorité absolue et ce n’est même pas une majorité relative. Jean-Luc Mélenchon est un illusionniste. Il n’a pas gagné, pas davantage qu’Ensemble, Les Républicains et bien sûr le Rassemblement national. Nous sommes face à une Assemblée sans majorité, ce que nos amis anglo-saxons appellent un hung Parliament. La tripartition progressive de la vie politique française et le front républicain ont mis en échec le clivage qu’entraînait depuis des décennies le scrutin majoritaire uninominal à deux tours et produit une répartition en sièges dans l’Hémicycle qui n’est pas sans rappeler la IVème République. Surtout, cette Assemblée, issue d’une participation électorale très élevée, est on ne peut plus légitime.

Si personne n’a donc gagné, qui aurait perdu ? A écouter les intervenants à la télévision hier soir, personne non plus. Cette seconde vérité est dure à reconnaître car des perdants, il y en a pourtant. Le premier d’entre eux est le Président de la République, qui n’est pas parvenu à justifier une dissolution apparue impulsive, irréfléchie et dangereuse aux yeux des Français. Il en paie le prix fort avec la disparition de quelque 100 sièges de députés par rapport à la précédente législature et surtout, le passage de la réalité du pouvoir de la rive droite à la rive gauche de la Seine si l’Assemblée sait trouver en son sein une solution de gouvernement dans les prochaines semaines. Emmanuel Macron pensait reprendre la main le 9 juin au soir, il l’a perdue. Les Républicains ne sont pas en grande forme non plus. Leur Président est passé avec armes et bagages à l’extrême-droite, emportant avec lui les clés du siège dans un mauvais remake de Fort Chabrol et divisant une formation qui reste cependant puissante dans les territoires, comme le montre son incontournable majorité au Sénat. Curieuse situation qui voit ainsi l’espace central de la vie politique mis en difficulté par le résultat des élections, attaqué sur ses flancs gauche et droite, et pourtant incontournable au moment d’envisager la suite.

Car là est désormais la question : que faire et avec qui ? Pour dire les choses crûment, c’est le parti ou le pays. Si c’est le parti et in fine si c’est 2027 que les leaders politiques ont en tête, rien ne bougera et cette législature n’ira nulle part. A part que le monde continuera de tourner et l’économie avec lui, que la planète continuera de se réchauffer, que Poutine continuera de bombarder l’Ukraine … et qu’il faudra à l’automne doter la France d’un budget pour 2025. La procrastination et les calculs seraient la recette du désastre. Sans doute bande-t-on immanquablement les muscles dans les jours suivant une élection, affirmant à son électorat que bien sûr « on ne lâchera rien », mais les députés nouvellement élus et les états-majors politiques seront pourtant dans le dur dès ce milieu de semaine : il faudra mettre en place une coalition gouvernementale ou des majorités d’idées. Arithmétiquement d’abord et politiquement ensuite, la seule coalition gouvernementale possible reposerait sur Ensemble, Les Républicains et tout ou partie des socialistes et des écologistes. Est-ce souhaitable ? Sans doute. Est-ce imaginable ? Ce n’est pas sûr, malheureusement. Alternativement, des majorités d’idées par sujet, à l’instar de la pratique au Parlement européen, pourraient être envisagées dans l’Hémicycle.

Pour que l’un ou l’autre de ces scénarios fonctionne, il faudra en tout état de cause que le Président de la République nomme un Premier ministre et un gouvernement. Ce sera, affirmons-le, une cohabitation. La coalition gouvernementale esquissée ci-dessus devrait être dirigée par une personnalité équidistante des familles politiques concernées, avec l’autorité nécessaire pour s’imposer aux ministres et tenir le rang avec le Président de la République. Dans l’hypothèse de majorités d’idées, une personnalité apolitique, haut-fonctionnaire national ou international, pourrait s’imposer. Encore faudrait-il qu’elle maîtrise la science de la vie parlementaire car la réalité du pouvoir se trouvera largement à l’Assemblée nationale. Si ni la coalition gouvernementale, ni les majorités d’idées ne fonctionnaient, l’année à venir serait redoutable pour la France avec l’incertitude sur l’adoption du budget à l’automne et la certitude à l’été prochain d’une nouvelle dissolution, une fois le délai constitutionnel d’un an expiré. Cela placerait alors le Rassemblement national dans la situation de l’emporter en arguant, au regard d’une année perdue, de l’incapacité des autres forces politiques à agir pour le pays au-delà d’un front républicain de circonstances.

Voilà tout l’enjeu. Comme citoyen, comme ancien député, je veux voir dans la nouvelle Assemblée nationale une opportunité pour travailler différemment, à l’écoute les uns des autres. La vie politique crève de la verticalité, du sectarisme et de la caporalisation des députés par le pouvoir exécutif. Une Assemblée sans majorité est une chance d’agir autrement et il faut la saisir. Un échec ouvrirait en grand les portes du pouvoir à l’extrême-droite, sans aucune barrière cette fois-ci. C’est pour cela que c’est au pays qu’il faut penser et à lui seul. Aux élections législatives, les Français ont exprimé leurs souffrances, leurs colères, leur angoisse du déclassement et de l’invisibilisation, leur soif de justice sociale avec une force inouïe. Il faut entendre cet appel à l’aide des catégories populaires et des classes moyennes et y consacrer le cœur de l’action de la nouvelle législature. C’est maintenant qu’il faut y aller, pas demain, pas en 2027. Cela commande d’élever le débat politique au-delà des postures, de rechercher le dépassement et de vouloir agir ensemble, loin des clivages et des rivalités. C’est un test pour la démocratie française et pour notre société. Je veux imaginer que ce soit possible. Il le faut. Notre pays s’est exprimé. Il requiert que l’on s’occupe de lui, humblement, fermement et justement.

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De toutes les forces de la France

A Poilley (Ille-et-Vilaine), au matin du premier tour

Ce soir, dimanche 30 juin, à l’issue du premier tour des élections législatives, le Rassemblement national n’est plus qu’à une marche du pouvoir. Dans une semaine, il peut conquérir la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale. C’est dire combien l’enjeu des prochains jours est immense. Le vote pour l’extrême-droite est une expression de colère, de désarroi, de rage, de désillusion. Ce ressentiment, je le comprends. Il tient aux inégalités de richesse, aux ruptures territoriales et générationnelles, à l’éloignement des services publics, aux déserts médicaux, à la désindustrialisation, à l’insécurité. Mais la France, pourtant, n’est pas un pays de racistes et de fascistes. Ce serait une erreur, une faute même, de le penser. C’est un pays que mine depuis longtemps la peur sourde du déclassement, de la relégation sociale, de l’invisibilité. Les Français attendent que l’on s’occupe d’eux, de la réalité de leurs vies, qu’on ne leur parle ni de haut ni de loin, mais sincèrement, dignement, en responsabilité et avec des actes. Le Rassemblement national a su s’emparer de cette peur à l’œuvre dans la société, des carences de l’action et de la parole publique, pour alimenter l’illusion que son projet et ses idées sont ce qu’il faut pour la France et les Français.

La vérité est que l’extrême-droite, historiquement, a toujours joué contre les plus fragiles. Le progrès partagé ne l’intéresse pas. Ce n’est pas différent pour le Rassemblement national. L’extrême-droite n’aime pas la démocratie, les droits et libertés, les étrangers. Nous en avons eu le triste exemple avec la proposition d’écarter les binationaux de l’accès à la fonction publique française. A-t-on mesuré à quel point cette différence revendiquée de droits entre Français était révélatrice ? L’extrême-droite divise, discrimine selon la couleur de peau, les opinions et les religions. Elle se défie de la République, qu’elle ne goûte pas davantage aujourd’hui qu’hier. Avec le Rassemblement national, nous n’aurons ni la liberté, ni l’égalité, encore moins la fraternité. Ce n’est pas lui qui construira la solidarité nationale, entrainera l’économie, protègera l’environnement, portera en Europe et dans le monde une parole émancipatrice au nom de la France. Au droit, il opposera la force et l’arbitraire. Il sapera l’indépendance de la justice et la liberté des médias, comme l’ont fait ses alliés en Hongrie et en Pologne. Il confiera à ses protecteurs, les Bolloré et autres, nos chaînes de service public privatisées pour réduire la liberté de pensée, éliminer les contre-pouvoirs et rendre demain l’alternance impossible.

Le péril est immense pour la République. L’illibéralisme ne peut être l’avenir de la France, le renversement des alliances en faveur de Poutine et contre la construction européenne non plus. C’est pourtant cela qui nous attend si, faute de sursaut dans les prochains jours, le Rassemblement national profite des nombreuses élections triangulaires au second tour pour s’imposer et gagner une majorité absolue. Tout se jouera ce soir, cette nuit, demain. Il faut que toutes les formations politiques retirent leur candidat(e) arrivé(e) en troisième position dans chaque circonscription où le succès du Rassemblement national est possible par la division de ses concurrents. Face au Rassemblement national, il ne doit rester qu’un(e)seul(e) candidat(e). Le moment exige de dépasser les divergences politiques et les inimitiés personnelles, de s’élever au-delà des calculs et des ambitions pour protéger notre pays, et de soutenir activement et sincèrement celle ou celui qui affrontera l’extrême-droite. Lorsque tant est en jeu, il ne peut plus être question de « ni, ni ». Il faut se rassembler, sans exclusive, sans mégoter, de la gauche à la droite par un pacte inédit, dans la fidélité à cette grande et belle communauté qui nous unit : la République. C’est possible. Il le faut, de toutes les forces de la France.

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Contre l’extrême-droite, levons-nous !

Au soir des élections européennes, le Président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochains. Cette dissolution était inévitable. Elle était sans doute même devenue souhaitable au regard de l’impasse politique profonde dans laquelle glissait inexorablement la France depuis plusieurs mois. Je l’imaginais cependant pour l’automne, de l’autre côté de l’été, après les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. Nous vivons une période difficile, morose, rageuse, et un peu de joie, de soleil, de repos, de passion aurait, je crois, fait du bien avant d’aller en conscience et lucidement aux urnes. Il en a été décidé autrement. Une campagne très courte s’amorce désormais. Dans deux semaines, nous y serons déjà. Il n’y aura pas ou peu de débats. Les réseaux sociaux, à l’inverse, fonctionneront à plein. La question in fine sera de savoir si les Français éliront une majorité de députés d’extrême-droite à l’Assemblée nationale, confiant les clés du gouvernement de la France à Jordan Bardella et à Marine Le Pen. Il n’y en aura pas d’autre. Ce sera un référendum sur le Rassemblement national, comme les élections européennes auront été un référendum sur Emmanuel Macron.

Le temps n’est plus à la réflexion, à l’analyse des responsabilités, à la politique politicienne, à la procrastination. Il est à l’action et il est au choix. Faut-il se résigner à ce que l’inégalité de traitement entre les citoyens, fondée sur leurs origines, leur couleur de peau ou leur religion, devienne le fil conducteur de l’action de la France pour au moins 3 ans ? Faut-il accepter que notre pays se jette dans les bras de Poutine, de Trump, d’Orban et de tous les satrapes planétaires et climatosceptiques dont le trait commun est la haine de la démocratie, de la liberté et du droit ? Faut-il renoncer à l’Europe, s’isoler de nos voisins, barricader notre économie et courir à la ruine ? Je ne peux me résoudre à ce que ce scénario devienne réalité le mois prochain. La situation dans laquelle se trouve la France en ce vendredi 14 juin est sidérante. Il y a à peine une semaine, nous célébrions le courage et la liberté à Omaha Beach, la victoire de l’idéal contre le pire… L’extrême-droite est un poison. L’histoire nous a appris que lorsqu’elle gagne le pouvoir par les urnes, elle ne le rend jamais de la même manière. Elle hait la démocratie, l’Etat de droit et s’applique méthodiquement à les déconstruire. Elle a toujours fait du mal à la France. Elle n’est pas la France.

L’heure est grave. Avec plus de 30% d’intentions de vote au premier tour, le Rassemblement national sera présent partout au second tour le 7 juillet. Contre qui ? Contre un adversaire que j’espère républicain. Cet adversaire-là, s’il/elle est irréprochable sur l’antisémitisme, sur l’Ukraine et par le comportement, aura ma voix. Je suis un homme de gauche. J’ai été député. L’égalité et l’universalisme sont au cœur de mes convictions. Ma gauche est une gauche réaliste, laïque, européenne, à la recherche du compromis social. J’ai voté pour Emmanuel Macron. J’ai apprécié son action durant la pandémie. C’était un temps social-démocrate. J’ai été peiné par la réforme des retraites et la loi immigration. J’aurais aimé qu’il n’oublie pas cette gauche qui l’avait soutenu et dont, je crois, il venait. J’ai attendu des propositions sur le pouvoir d’achat, en réponse aux souffrances sociales et au sentiment ravageur de relégation. J’espérais un front républicain, par-delà les différences politiques, préfigurant peut-être une coalition pour gouverner et un rassemblement inédit pour notre pays parce que la période l’exige. Les propositions ne sont pas venues et le rassemblement ne s’est pas fait. Nous tous qui ne voulons pas de l’extrême-droite allons malheureusement divisés aux élections.

Rien n’est pourtant encore écrit. Levons-nous ! Votons, faisons voter. C’est maintenant que tout se joue. Je sais d’où je viens. Je me souviens des miens, de leurs récits des combats glorieux, depuis la Résistance au militantisme politique et syndical dans le Finistère. Je me souviens de leur humilité aussi. Ils avaient, comme tant d’autres Français, la passion simple et belle de notre pays. Ils savaient se rassembler, se dépasser aussi. Ce souvenir m’oblige autant qu’il m’émeut. Nous sommes certainement des millions, une majorité à partager la même histoire, cette même volonté de préserver la France de l’extrême-droite, du racisme et du rejet de l’autre. Il faudra nous retrouver, si ce n’est au premier tour, certainement au second tour, que l’on soit de gauche, du centre, de droite ou d’ailleurs, et donc d’abord et passionnément de la République. J’ai été inspiré par la campagne européenne de Raphaël Glucksmann. J’ai aussi des amis à Renaissance, au MoDem, à LR, au PS, chez les écologistes. Ces différences, parfois grandes, parce qu’elles sont respectueuses et dignes, sont nos richesses. Nous savons que ce ne sont pas des murs qui construiront l’avenir de la France et du monde, mais le combat pour le développement de tous, contre la misère, l’abandon et le désespoir.

Depuis dimanche, j’ai reçu des messages d’amis, de parents, d’électeurs et d’électrices m’encourageant à me présenter aux élections législatives. J’en ai été touché, surpris, et pour tout dire ébranlé aussi. Je ne les attendais pas. Et, oui, pendant ces quelques jours, j’ai envisagé une candidature. Je suis à l’écart de la vie publique depuis 7 ans, mais l’amour de la France et la disponibilité pour la servir demeurent ancrés en moi. Je ne peux me résoudre à voir notre pays se perdre et cheminer vers l’abîme. Il fallait cependant que ma candidature, si je la présentais, puisse rassembler largement, qu’elle ne divise pas davantage cet espace politique opposé à l’extrême-droite, qu’elle soit utile et mieux, qu’elle soit décisive. C’est parce que le risque de division existait que j’ai choisi de ne pas la présenter. Le plus important n’était pas mon retour à la vie publique, le plus important est notre avenir à tous. Il nous reste si peu de temps d’ici au 30 juin et au 7 juillet pour mobiliser. Chaque voix comptera. Aucune peine ne doit être épargnée pour parler, convaincre, rassembler. C’est une mission qui nous engage et que nous avons en partage. Elle sera difficile, acharnée, mais j’ai confiance que nous saurons, pour notre pays et parce que l’essentiel est en jeu, la mener à bien.

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