Dans quelques heures, la flamme olympique s’éteindra. Nous serons des centaines de millions, des milliards peut-être, partout autour du monde, à avoir le cœur serré. Ce sont deux magnifiques semaines de sport, de compétition et de fraternité qui prendront fin. Je suis un sportif comme les autres, passionné, heureux et certainement un peu chauvin aussi. J’ai adoré chacune de ces journées depuis la cérémonie d’ouverture. Il y avait de l’émotion, du talent, de la rage, de l’exploit, de l’épopée. Il y avait un souffle. Les Jeux Olympiques sont uniques. Tous les sports sont honorés, tous voient leurs images retransmises et partagées, tous donnent irrésistiblement envie. Je me suis souvenu de l’enfant que j’étais dans les années 1970, découvrant, émerveillé, des sports que je ne connaissais pas. Il y avait les joies, les peines, les moments de folie qui embrasent un stade, un pays ou le monde, par un record qui tombe ou par l’exploit d’une équipe, d’un collectif, défiant tous les pronostics, rappelant que le sport n’est pas une science (totalement) exacte et que la volonté, l’énergie, la force d’âme transcendent bien des réalités pour, un jour de gloire, écrire l’histoire. Tout cela, c’est la magie des Jeux Olympiques, cette formidable aventure que Pierre de Coubertin a su réinventer et rendre universelle.
Les Jeux Olympiques rendent heureux. Les Jeux de Paris nous ont rendus heureux. Il y a quelques semaines tout au plus, notre pays broyait du noir. Les gens s’engueulaient, et pas seulement les politiques sur les plateaux de télévision. C’est à peine si l’on parlait des Jeux à venir. De passage à Paris au mois de juin, j’avais été frappé par le nombre de personnes s’emportant contre les Jeux, contre Anne Hidalgo, contre Emmanuel Macron, contre tout en vérité. Ce serait un échec, tout allait foirer, on allait se ridiculiser aux yeux du monde. La cérémonie d’ouverture sur la Seine ? Une folie, bien entendu. Nager dans la Seine ? Du délire, sans aucun doute. Cela coûterait un bras, les athlètes seraient dopés et, en plus, les Russes ne seraient pas là. A l’arrivée, ce sont des Jeux magnifiques que nous avons vécus dans une ferveur populaire indescriptible et inimaginable. Chaque jour, des images merveilleuses de Paris, ville-lumière, ont été partagées à travers le monde entier. Nous avons eu le meilleur du sport et le meilleur de la France. Réjouissons-nous-en ! Et remercions celles et ceux qui, depuis 10 ans, ont préparé les Jeux de Paris, depuis les élus et les gouvernements successifs jusqu’aux milliers de bénévoles sans qui rien n’aurait tout simplement été possible.
Dans notre vieux pays dépressif et tourmenté, on avait fini par oublier que l’on pouvait être ensemble et, mieux, que l’on en serait heureux en plus. Les foules et les drapeaux ont touché partout, jusque dans les coins les plus perdus de France. Toutes les géographies, toutes les générations, toutes les conditions de notre société se sont passionnées pour les Jeux. Au point de rendre inaudibles et ridicules les habituels prophètes de malheur sévissant aux extrêmes de la vie médiatique, que la réussite de l’aventure olympique rendait malades tant ils espéraient le chaos. Que des gens désirent obsessionnellement l’échec de leur pays est pour moi, par-delà la connerie humaine que cela révèle, un insondable mystère. Que valent cependant les saillies de quelques pisse-vinaigres face à l’enthousiasme collectif des Français ? Rien du tout, et c’est cela qu’il faut retenir. L’esprit des Jeux nous a embarqués par surprise, comme un flot auquel nous avons choisi de ne pas résister. Il a remis à jour cette part de fraternité qui demeurait en nous et que nous avions souvent oubliée. La joie, l’allégresse et le bonheur collectif sont irrésistibles, nous en avons eu la preuve. Léon Marchand, Teddy Riner et tant d’autres auront marqué notre été, notre histoire sportive et notre imaginaire.
Je veux croire que ce moment olympique puisse être bien plus qu’une parenthèse enchantée. Il n’est pas fatal que la France, la fête achevée, retourne à ses passions tristes, aux divisions et à la déprime. Il y a dans l’olympisme et dans ce qui sera – je l’espère – le leg des Jeux de Paris le respect, l’altruisme, le désintéressement dont une société crispée, bloquée, malheureuse a immensément besoin. Cela vaut pour les politiques bien sûr, mais finalement pour nous tous aussi. Et si l’on choisissait de se faire confiance, les uns aux autres, parce que nous sommes une Nation, que nous avons une histoire et un avenir commun ? Et si l’on se tendait la main, à l’Assemblée nationale, dans le monde économique, dans la société, parce que là se trouve l’intérêt du pays ? S’asseoir, se parler, échanger, essayer de construire ensemble, je suis persuadé que nous pouvons le faire. On peut agir non dans le rejet de l’autre, mais dans le respect de l’autre et avec lui. Les Jeux Olympiques de Paris nous ont montré que nous étions capables d’enthousiasme et de dépassement. Faisons vivre leur esprit après ces belles semaines d’un été qui aura marqué nos mémoires. Les Jeux de Paris devront être bien plus que des souvenirs, des photos, un moment, une fierté. Ils doivent être le signal d’un nouveau départ.
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Amis d’été
Hier, le temps des vacances a pris fin. Nous avons bouclé les valises, le cœur lourd et pourtant plein de reconnaissance. Comme chaque été, au moment de partir, il faisait beau à l’Ile-Tudy. Une belle arrière-saison s’annonce, malheureusement sans nous. C’est le temps de la rentrée, des classes pour les enfants, des bureaux pour les parents. Nous avons fait la plus grande provision possible de souvenirs. Il le faut. Lorsque le temps deviendra froid et que les jours seront courts, là-bas dans notre lointaine et parfois pluvieuse Belgique, nous penserons plus intensément encore au bonheur des jours d’été, à la lumière unique des rivages bigoudens et aux joies sans fin d’un mois d’août îlien. Signe du temps, là où apparaissait auparavant une trentaine de clichés précieusement développés chez le photographe, ce sont désormais des centaines de photos qui finissent sur le cloud, témoins à foison de moments heureux. Ces clichés racontent une histoire, que les années rendront sûrement plus forte encore. Je les ai regardés ce matin au moment de partir. Il y avait des tas d’images sur la plage, de parties acharnées de foot et de rugby, de châteaux de sable impressionnants que la mer emporterait pourtant et de courses olympiques de petits crabes pêchés à l’épuisette, puis prestement rendus à la vie marine.
Il y avait surtout des enfants. Les miens et bien d’autres aussi. C’est le miracle de l’été, celui des amis que l’on rencontre, que l’on retrouve et que l’on garde. Au club de voile, sur le sable de la plage, au hasard un jour d’un voisinage, des copains apparaissent et s’agrègent, chaque été un peu plus forts, un plus grands, toujours heureux, avec tellement d’histoires nouvelles à partager, celles du temps qui marque le passage à venir de l’enfance à l’adolescence. Dans mon cloud, je suis passé ainsi en quelques années des pelles et seaux des premiers pas au natathlon, au rugby et aux catamarans. Le ballon ovale acheté au sortir de la Coupe du Monde est devenu le héros de l’été. Le terrain tracé à la va-vite sur l’étendue de sable libérée par la marée ressemblait chaque soir au Stade de France un soir de légende. Les joueurs étaient exténués, peu présentables et irrésistiblement acharnés à l’emporter. L’essai était-il donc valable ? Les commentaires allaient bon train et l’arbitre – merci, Simon – avait fort à faire pour maintenir la paix des braves et les amitiés joyeuses dans leur quête d’avenir. Parfois, les matchs s’éternisaient jusqu’à plus d’heure. Une partie de molkky venait prestement sceller la réconciliation, là où les choses paraissaient mal embarquées après un essai ou un en-avant douteux.
Je me souviens de mes étés d’enfance. A une génération d’écart, ils avaient cette saveur aussi. Lorsque venait le mois de juillet, nous arrivions à Loctudy, dans un petit verger, pour y planter nos tentes canadiennes. Les amis de l’été d’avant étaient là. Ils nous attendaient. Nous reprenions les jeux, les plaisanteries, les bêtises aussi, là où nous les avions laissées. Courir dans le blé, se promener la nuit en cachette des parents, attacher des boîtes de conserve à l’arrière des voitures, nous ne rations rien. J’ai le souvenir de fous rires, d’espiègleries et de quelques aventures foireuses pieusement pardonnées puisque c’était les beaux jours. Nous avons grandi ainsi, amis d’été, que quelques semaines chaque année rassemblaient intensément. C’était juillet ou c’était août. Ce n’était jamais un autre mois. Le reste de l’année, nous étions loin. Une ou deux fois, j’avais vu l’hiver un ou deux copains d’été. Ils avaient des manteaux et des bonnets. Quelque chose n’allait pas. Les souvenirs, c’est en maillot et en t-shirt que nous les construisions. Nous étions les amis des jours longs et des nuits claires. Le froid ne faisait pas partie de notre histoire. Le soleil rendait tant de choses possibles. Le reste de l’année, c’est à l’été d’après que nous rêvions, comme mes enfants hier au moment de dire « à l’année prochaine ».
Rien n’est plus précieux que ces moments-là. Ils sont des repères pour toute une vie. L’enfance est une fabrique formidable de souvenirs. J’ai longtemps gardé les miens pour moi, je ne sais trop pourquoi. Ils étaient bien présents pourtant. Et puis, devenu père, titillé par des enfants aussi curieux que tenaces, j’ai commencé à les raconter. Il m’arrive encore de me remémorer des histoires lointaines et enfouies, qu’un échange, une anecdote, une image, une musique font ressurgir là où je ne les attendais plus. Mes étés d’un autre siècle ne sont pas récents, mais ils ont beaucoup compté dans mon parcours de vie. On ne dit jamais assez merci aux amis d’été. Sans doute parce que l’on n’y pense pas dans l’instant, parce qu’un été en appellera nécessairement un autre et que l’on se retrouvera forcément. Un jour pourtant, le temps s’espace. Il reste malgré tout une fidélité, une affection, une tendresse à jamais. Et sans doute, vertu de ce nouveau siècle, des adresses et des réseaux qui préservent du risque de l’oubli, pour que vivent les souvenirs des seaux, des pelles, des vélos, des voiliers et des ballons aux côtés des visages des amis d’été et des aventures partagées. Le temps de ce bonheur n’est jamais de trop. Il faut le chérir, le faire vivre et ne jamais cesser de vouloir le transmettre.
A la mémoire de mon ami R., pour les faits et méfaits de nos étés bigoudens, et nos fous-rires à jamais dans mon cœur.
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