
J’ai suivi avec attention les débats à l’Assemblée nationale en décembre 2022 sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. Je l’ai fait comme ancien député, rapporteur pour avis du budget de l’énergie et rapporteur en 2016 de la ratification de l’Accord de Paris sur le climat. Je l’ai fait également comme ancien cadre-dirigeant du secteur solaire, passionné par cette énergie et son déploiement que je vois comme une perspective enthousiasmante pour notre pays, pour l’Europe et pour le monde. Faut-il accélérer le déploiement des énergies renouvelables en France ? A l’évidence oui, et plus encore lorsque l’on se traine en queue de peloton, seul Etat membre de l’Union européenne incapable de tenir ses engagements de porter la part des énergies renouvelables à 23% du mix énergétique. Cette situation est invraisemblable et inacceptable. Les énergies renouvelables sont vertes, elles sont propres et elles sont déjà les moins chères. Elles permettront demain de produire le surcroît d’électricité nécessaire pour faire face aux défis d’un monde décarboné.
Je m’étais réjoui de voir le gouvernement et le Parlement s’emparer de l’accélération des énergies renouvelables. Les débats législatifs ont été animés, parfois agités. Je les ai écoutés avec intérêt, puis avec une inquiétude grandissante, au point de douter que le texte adopté par l’Assemblée nationale puisse contribuer à quelque accélération que ce soit, si ce n’est à celle du contentieux administratif. Ce n’est pas en ajoutant toute une série de verrous, interdictions et autres conditions nouvelles au cadre actuel que l’on libérera en effet le déploiement des énergies renouvelables. Le marché a besoin de liberté et nos territoires aussi. Or, le texte issu de l’Assemblée et préservé pour l’essentiel en commission mixte paritaire le 24 janvier peut conduire à un moratoire de fait tant les incertitudes sont multiples. Ainsi, à vouloir prévoir des zones d’accélération, on en arrive à parcelliser les territoires et in fine au risque que l’administration finisse, dans l’attente de leurs périmètres, par délivrer au compte-goutte les permis de construire tant attendus par les porteurs de projets.
Ma lecture des débats est celle d’un effacement des services de l’Etat au profit d’élus locaux placés dans une situation dont tous ne se réjouiront pas. Les maires et présidents de communautés de communes désireux d’agir se retrouveront davantage encore en première ligne, chargés de définir des zones d’accélération là où ils espéraient d’abord de l’Etat un relais, un soutien pour porter les projets de parcs solaires ou éoliens. Je suis attaché au développement de l’agrivoltaïsme, d’une production d’électricité verte et d’activités agricoles sur une même emprise foncière, dans une logique d’aménagement du territoire. C’est la chance de la France de disposer d’un vaste territoire ensoleillé et d’une profession agricole tentée par cette perspective. Mais qu’en restera-t-il avec l’introduction d’un nouveau régime de permis de construire dont le texte dit si peu ou avec l’avis conforme des CDPENAF, dont certaines, selon les départements, ne possèdent aucune expérience ni représentation du monde de l’énergie ? J’ai le sentiment que nous transformons l’or en plomb.
Accélérer les énergies renouvelables, c’est partir du cadre actuel et donner avant toute chose aux services instructeurs les ressources et moyens qui leur manquent concrètement. Le défi est là. C’est créer à l’échelle de chaque Préfecture une fonction de référent pour les énergies renouvelables, placée sous l’autorité directe du Préfet, afin de mener les contacts nécessaires avec les énergéticiens et l’ensemble des partenaires locaux, pour définir la position des autorités de l’Etat sur chacun des projets envisagés et l’exprimer en mode unique au nom de tous les services concernés. Cette expression centralisée et fédérative des diverses autorités est essentielle pour maximiser les opportunités de développement, pour sécuriser les parties prenantes dans leur choix d’investissement et pour hâter la prise de décision au bénéfice des projets. Elle l’est également pour localiser demain dans notre pays des capacités de production, dans une perspective de reconquête industrielle, et ce n’est pas là le moindre des enjeux en termes de stratégie et de souveraineté. Cette dimension-là manque dans le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables à l’approche du vote final.
Il importe de prendre le tournant annoncé des énergies renouvelables avec ambition, avec volonté et aussi avec lucidité. Trop longtemps, la France s’est dotée d’objectifs de déploiement dans les PPE successives qu’elle n’a jamais atteint, faute d’avoir osé faire les choix nécessaires. Il n’est plus temps d’hésiter. La crise climatique nous le rappelle, le respect du droit européen aussi. Il faut développer les énergies renouvelables matures le plus rapidement possible, rechercher les volumes et les échelles qui feront la différence plutôt que la somme de multiples segments. Le 24 janvier, le jour où se réunissait la commission mixte paritaire, une étude publiée par l’observatoire Observ’ER montrait que la France n’atteindrait pas ses objectifs éoliens et solaires sur la période 2019-2013, se plaçant déjà en décalage par rapport à une PPE définie il n’y a pourtant pas si longtemps. J’ai crainte que l’économie du texte issu de la commission mixte paritaire ne permette pas de redresser la barre. On ne peut sacrifier la cohérence et l’ambition de la loi à la recherche d’une majorité, au risque d’une immense et regrettable occasion manquée. S’il est encore possible d’agir, c’est le moment.
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Lettre d’Amérique
Il y a quelques jours, j’ai retrouvé l’Amérique. Ma dernière visite remontait à octobre 2013, dans le cadre d’une mission parlementaire aux Nations Unies. Je n’avais pas quitté Manhattan et le temps d’un road trip pour quelques jours ou même quelques heures m’avait manqué. Toutes ces années d’après sans un voyage aux Etats-Unis furent longues. J’aime profondément l’Amérique, ses paysages, sa grandeur, sa démesure aussi. Et j’aime les Américains. Je voulais revenir depuis bien longtemps. J’ai eu la chance de vivre en Californie au sortir de mes années étudiantes. Ce séjour à la dure, juste et vrai, a marqué ma vie. Il fut initiatique et pionnier pour le jeune adulte que j’étais. Je l’ai raconté sur ce blog. Je sais ce que je dois à l’Amérique : une émancipation, une découverte, la foi en la liberté. Il en reste une reconnaissance sincère et une émotion qui ne me quitte jamais. L’histoire américaine, la société américaine, la littérature et le cinéma américain me passionnent. Je me souviens, au retour de ma vie californienne, d’avoir été le grand témoin d’un petit festival du film américain à Quimper, ma ville natale, avec notamment à l’affiche Thelma and Louise et Roger and Me. J’introduisais les films avant la projection, improvisant sur les Etats-Unis, partageant avec bonheur anecdotes et souvenirs.
Depuis lors, je suis devenu papa. A mes enfants, je parlais parfois de l’Amérique, leur racontant ce bout de vie qui fut le mien sur la côte ouest et caressant le rêve de pouvoir un jour les y emmener. Je ne savais pas vraiment quand ce serait. Pas trop tôt sans doute, pour qu’ils aient assez grandi pour comprendre la valeur d’une telle aventure, pour eux et pour nous. Ce moment a fini par venir. A l’initiative de mon amie Amie Kreppel, Jean-Monnet Chair, professeure de science politique et directrice du Center for European Studies à l’Université de Floride, j’ai été invité à venir enseigner à Gainesville sur la procédure législative européenne et les mécanismes d’influence. Je me suis dit aussi que ce devrait être l’occasion, non seulement de retrouver enfin l’Amérique, mais d’y venir en famille. J’ai mis tous mes speaking fees dans les billets d’avion. Nous avons bouclé les valises et décollé pour l’aventure il y a bientôt une semaine. Nous resterons en Floride jusqu’à la fin du mois. Une belle maison nous attendait et une grande auto aussi. Entre mes cours, nous explorons frénétiquement les deux côtes et les réserves naturelles. Je souris en regardant mes enfants, à qui tout apparaît tellement grand : les routes, les voitures, les camions, les maisons, les lits, les frigos. Comme pour moi il y a plus de 30 ans.
Loin de Bruxelles, je parle chaque jour d’Europe aux étudiants. Croire en l’Europe, en son projet, en son acquis, en son avenir aussi, voilà ce que j’essaie de transmettre. Je suis arrivé à une étape de ma vie où la transmission et le partage sont autant un plaisir qu’un besoin. La rigueur académique et des étudiants passionnés font le reste. A Gainesville, dans ma salle de cours, l’Europe est peut-être lointaine par la géographie, mais elle est dans les cœurs. Hier soir, accroché à mon pupitre, j’ai planché 3 heures sur la législation secondaire dans l’Union européenne. Je guettais les moindres signes de fatigue dans l’auditoire. C’était le test. Le sujet n’était ni simple, ni particulièrement drôle ou sexy, mais pour parler d’influence, il fallait bien en passer par là. Personne n’a piqué du nez. Mes étudiants ont tenu le choc. Je dois avoir réussi leur examen, je crois. Demain, je présenterai les mécanismes européens de transparence en matière de lobbying, puis je me joindrai à un débat sur la politique africaine en compagnie de plusieurs professeurs de l’Université de Floride. Je prends plaisir à tous ces échanges. Je ne fais pas qu’enseigner, j’apprends aussi beaucoup. Transmettre, c’est accepter et même espérer découvrir en retour des champs de connaissance inattendus.
Je me suis présenté au cours ce soir avec un sérieux coup de soleil et çà n’est pas passé inaperçu. J’avais emmené la famille le matin sur la plage de Saint Augustine et je ne me souvenais plus que la crème solaire devait être de rigueur face à l’Atlantique, même en février. Lourd oubli. Hier devant le Golfe du Mexique et sous les yeux de quelques pélicans très peu farouches, j’avais déjà laissé de côté une bonne partie de la pâleur hivernale bruxelloise. La Floride que je retrouve me plaît bien. Je sais aussi qu’elle n’est pas Main Street USA. Il y a sans doute plusieurs Amériques, qu’il me faudra redécouvrir aussi. Tant a changé. Devant mes étudiants, je soulignais ce soir combien l’Union européenne de l’après-Covid et de la paix menacée n’est plus celle d’il y a 30 ans. C’est tellement vrai pour l’Amérique aussi. Je dois continuer de retrouver les Etats-Unis, de m’y ressourcer par-delà cette chouette expérience à Gainesville, apprendre encore et toujours. Il m’arrive au fond de rêver que cette itinérance, ce partage puisse être l’étape d’après, de temps en temps, et chaque année peut-être. Il y aura toujours une grande auto à conduire, des valises pleines de cours et de livres, et des enfants joyeux sur la banquette arrière, un peu plus grands sûrement, mais prêts pour la suite de l’aventure.