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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Faire vivre l’esprit des Jeux de Paris

Dans quelques heures, la flamme olympique s’éteindra. Nous serons des centaines de millions, des milliards peut-être, partout autour du monde, à avoir le cœur serré. Ce sont deux magnifiques semaines de sport, de compétition et de fraternité qui prendront fin. Je suis un sportif comme les autres, passionné, heureux et certainement un peu chauvin aussi. J’ai adoré chacune de ces journées depuis la cérémonie d’ouverture. Il y avait de l’émotion, du talent, de la rage, de l’exploit, de l’épopée. Il y avait un souffle. Les Jeux Olympiques sont uniques. Tous les sports sont honorés, tous voient leurs images retransmises et partagées, tous donnent irrésistiblement envie. Je me suis souvenu de l’enfant que j’étais dans les années 1970, découvrant, émerveillé, des sports que je ne connaissais pas. Il y avait les joies, les peines, les moments de folie qui embrasent un stade, un pays ou le monde, par un record qui tombe ou par l’exploit d’une équipe, d’un collectif, défiant tous les pronostics, rappelant que le sport n’est pas une science (totalement) exacte et que la volonté, l’énergie, la force d’âme transcendent bien des réalités pour, un jour de gloire, écrire l’histoire. Tout cela, c’est la magie des Jeux Olympiques, cette formidable aventure que Pierre de Coubertin a su réinventer et rendre universelle.

Les Jeux Olympiques rendent heureux. Les Jeux de Paris nous ont rendus heureux. Il y a quelques semaines tout au plus, notre pays broyait du noir. Les gens s’engueulaient, et pas seulement les politiques sur les plateaux de télévision. C’est à peine si l’on parlait des Jeux à venir. De passage à Paris au mois de juin, j’avais été frappé par le nombre de personnes s’emportant contre les Jeux, contre Anne Hidalgo, contre Emmanuel Macron, contre tout en vérité. Ce serait un échec, tout allait foirer, on allait se ridiculiser aux yeux du monde. La cérémonie d’ouverture sur la Seine ? Une folie, bien entendu. Nager dans la Seine ? Du délire, sans aucun doute. Cela coûterait un bras, les athlètes seraient dopés et, en plus, les Russes ne seraient pas là. A l’arrivée, ce sont des Jeux magnifiques que nous avons vécus dans une ferveur populaire indescriptible et inimaginable. Chaque jour, des images merveilleuses de Paris, ville-lumière, ont été partagées à travers le monde entier. Nous avons eu le meilleur du sport et le meilleur de la France. Réjouissons-nous-en ! Et remercions celles et ceux qui, depuis 10 ans, ont préparé les Jeux de Paris, depuis les élus et les gouvernements successifs jusqu’aux milliers de bénévoles sans qui rien n’aurait tout simplement été possible.

Dans notre vieux pays dépressif et tourmenté, on avait fini par oublier que l’on pouvait être ensemble et, mieux, que l’on en serait heureux en plus. Les foules et les drapeaux ont touché partout, jusque dans les coins les plus perdus de France. Toutes les géographies, toutes les générations, toutes les conditions de notre société se sont passionnées pour les Jeux. Au point de rendre inaudibles et ridicules les habituels prophètes de malheur sévissant aux extrêmes de la vie médiatique, que la réussite de l’aventure olympique rendait malades tant ils espéraient le chaos. Que des gens désirent obsessionnellement l’échec de leur pays est pour moi, par-delà la connerie humaine que cela révèle, un insondable mystère. Que valent cependant les saillies de quelques pisse-vinaigres face à l’enthousiasme collectif des Français ? Rien du tout, et c’est cela qu’il faut retenir. L’esprit des Jeux nous a embarqués par surprise, comme un flot auquel nous avons choisi de ne pas résister. Il a remis à jour cette part de fraternité qui demeurait en nous et que nous avions souvent oubliée. La joie, l’allégresse et le bonheur collectif sont irrésistibles, nous en avons eu la preuve. Léon Marchand, Teddy Riner et tant d’autres auront marqué notre été, notre histoire sportive et notre imaginaire.

Je veux croire que ce moment olympique puisse être bien plus qu’une parenthèse enchantée. Il n’est pas fatal que la France, la fête achevée, retourne à ses passions tristes, aux divisions et à la déprime. Il y a dans l’olympisme et dans ce qui sera – je l’espère – le leg des Jeux de Paris le respect, l’altruisme, le désintéressement dont une société crispée, bloquée, malheureuse a immensément besoin. Cela vaut pour les politiques bien sûr, mais finalement pour nous tous aussi. Et si l’on choisissait de se faire confiance, les uns aux autres, parce que nous sommes une Nation, que nous avons une histoire et un avenir commun ? Et si l’on se tendait la main, à l’Assemblée nationale, dans le monde économique, dans la société, parce que là se trouve l’intérêt du pays ? S’asseoir, se parler, échanger, essayer de construire ensemble, je suis persuadé que nous pouvons le faire. On peut agir non dans le rejet de l’autre, mais dans le respect de l’autre et avec lui. Les Jeux Olympiques de Paris nous ont montré que nous étions capables d’enthousiasme et de dépassement. Faisons vivre leur esprit après ces belles semaines d’un été qui aura marqué nos mémoires. Les Jeux de Paris devront être bien plus que des souvenirs, des photos, un moment, une fierté. Ils doivent être le signal d’un nouveau départ.

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La France est belle

Depuis le sommet du Col du Tourmalet

J’écris ces lignes dans une chambre d’hôtel de Pau. Pas loin de moi, une petite télévision diffuse les images des Jeux Olympiques de Paris. Il y a une heure, nos rugbymen bleus ont remporté la première médaille d’or pour la France. De la terrasse de l’hôtel un étage plus bas monte une rumeur gourmande, celle qui attend l’exploit, celle qui révèle le bonheur tout simplement aussi. Hier soir, j’étais dans un petit hôtel au bord de la Creuse. J’étais arrivé pile pour la cérémonie d’ouverture des Jeux. Je n’avais pas fait exprès, mais ça tombait quand même bien. Je mourais de faim et ne pouvais me résoudre à jeuner dans ma chambre pour ne pas rater la cérémonie. Manger ou célébrer, je ne pouvais choisir. Une petite table me fut prestement dressée dans le bar, face à un grand écran. C’était un privilège. Au départ, j’étais tout seul, mais quand Zizou remit la flamme à Rafael Nadal deux ou trois heures plus tard, il n’y avait plus une chaise de libre. Et quand Céline Dion reprit l’Hymne à l’amour depuis la Tour Eiffel, il n’y avait plus un œil de sec. Le patron en oubliait de servir les clients, la patronne ne bougeait plus. Le moment était immense. Il tombait des trombes d’eau comme à Paris, mais l’émotion était indescriptible. Tout était sublime, juste, surprenant aussi. C’était la France. C’est la France.

Je suis dans ma transhumance estivale, celle qui me conduit chaque fin de mois de juillet de Bruxelles en Galice. 2 300 kilomètres de route pour retrouver ma famille, installée depuis quelques semaines déjà à La Corogne. J’aime cette longue route que j’accomplis en solitaire. Je la fais en 3 jours, sans me presser, prenant parfois des chemins de traverse pour m’arrêter là où bon me semble. Cela me rappelle mes vacances d’enfant lorsque, assis à l’arrière de la voiture familiale, je voyais défiler avec bonheur les paysages changeants de notre pays, petit Breton à la recherche du premier toit en tuile, comptant les châteaux d’eau en attendant les premiers reliefs. Il y avait moins d’autoroutes qu’aujourd’hui. Et mon père aimait s’arrêter déjeuner, prendre le temps, sentir les régions que nous traversions. J’ai hérité de tout cela. J’ai à jamais dans la tête une géographie de la France par département et la carte des sous-préfectures. Je crois bien que si je m’écoutais, ce ne sont pas trois jours qu’il me faudrait pour rejoindre La Corogne, mais une bonne semaine. Chaque été, je me dis que la France est belle. Je le sais bien pourtant, mais cette vérité me rattrape sous le soleil et parfois la pluie, face à une montagne ou un clocher, dans un petit bistrot ou sur un banc. Notre pays est une source inépuisable d’émotions.

Les Jeux Olympiques lui feront, nous feront du bien. La joie d’hier et celle des semaines à venir rassembleront des millions de personnes. On laissera de côté les angoisses et les colères, l’interrogation sourde et taraudante sur l’avenir, le temps d’une longue fête, le temps de se retrouver. Pensant à ma longue route vers cet autre Finistère, j’imaginais il y a quelques jours que l’esprit des Jeux agirait peut-être comme un baume et que je le ressentirais sur ma route. Je le souhaitais bien sûr. Nous sortons de semaines et de mois suffocants. A l’évidence, le baume est efficace et il est tellement bienvenu. Mon épouse espagnole me dit souvent que les Français sont grognons, râleurs et chauvins. Ce n’est objectivement pas très faux. Mais nous sommes capables aussi d’enthousiasmes indescriptibles, de joies nationales qui rassemblent celles et ceux qui d’ordinaire voient plutôt le ciel tout gris que très bleu. Cela nous dit une chose : non seulement il n’est pas interdit d’être heureux, mais c’est même possible. Je me suis autorisé à l’écrire entre hier soir et ce matin à quelques pisse-vinaigres et autres peine-à-jouir que le bonheur français fait chroniquement enrager. La sinistrose n’est pas ma tasse de thé. Et s’il est un grand remplacement auquel je crois, c’est celui de la déprime par la ferveur collective.

Au temps de mes châteaux d’eau, il y avait une chanson d’été indémodable, Une belle histoire, interprétée par Michel Fugain. « C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui… », l’histoire d’un type qui rentrait chez lui là-haut vers le brouillard et d’une femme qui descendait dans le Midi. Ils s’étaient trouvés au bord du chemin, sur l’autoroute des vacances, c’était sans doute un jour de chance, ils avaient le ciel à portée de main. Cette chanson s’échappait du petit transistor rouge de mon père, été après été. Je l’attendais. Elle avait pour moi les saveurs des beaux jours, l’odeur des foins et les images des routes de France. Elle annonçait le soleil et l’insouciance. Cinquante ans ou presque après, je me surprends chaque fois à la fredonner durant ma transhumance estivale, comme pour retrouver ce temps lointain. C’est une belle chanson, largement intemporelle. Elle a toujours sens aujourd’hui. J’aime l’été parce que l’air est léger. Je l’aime aussi parce qu’il appelle le rêve et l’espérance. Et comme le chantait Nino Ferrer dans Le Sud, une autre chanson du temps de mes châteaux d’eau, « le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d’un million d’années et toujours en été ». Je retrouve l’esprit de l’été dans la beauté des paysages de France.

Je n’avais pas envie de finir dans un bouchon ce matin. J’ai traversé la Corrèze par les routes départementales. C’était génial. J’ai pensé à Jacques Chirac. Et à François Hollande aussi. Tulle, Brive-la-Gaillarde, Collonges-la-Rouge. La pluie avait cessé. A la radio, on parlait avec émotion de la cérémonie d’ouverture des Jeux. Je me suis retrouvé sur le Causse. C’était le début du sud. J’avais de l’avance. Pourquoi arriver trop tôt à Pau ? Avant d’aller acheter mon Jurançon, je suis allé voir le col du Tourmalet. Je ne le connaissais que de la télévision. Il me manquait juste le vélo. Il y a une semaine, j’escaladais les cols des Vosges. La fièvre des ascensions me gagne en fin de cinquantaine. Il faudra que je revienne sur ces pentes pyrénéennes. A Sainte-Marie-de-Campan, j’ai aperçu la statue d’Eugène Christophe et sa fameuse fourche réparée chez le forgeron durant le Tour de France de 1913. Mon père connaissait l’histoire par cœur et il me l’avait apprise. Tout en haut du col, la profondeur du ciel était immense. Je me suis arrêté longtemps, comme pour en faire provision. Des cyclistes passionnés grimpaient. Quelques moutons leur disputaient la chaussée. C’était calme et doux. Dans ces paysages, il y avait cette beauté et cette force d’âme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et de me rappeler combien j’aime la France.

Le vignoble de Jurançon, entre Lacommande et Artiguelouve

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La cabane est tombée sur le chien

La nouvelle législature issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet s’est ouverte hier avec l’élection du Président de l’Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet a retrouvé le perchoir qu’elle avait occupé de juin 2022 à la dissolution de l’Assemblée le 9 juin. Il lui aura fallu trois tours de scrutin et la majorité relative autorisée au troisième tour pour l’emporter. Ce scénario, dans un Hémicycle privé de majorité absolue, était prévisible. Il l’était probablement aussi quant au résultat lui-même. C’est le soutien des députés LR et divers droite qui a permis à Yaël Braun-Pivet de battre le candidat du Nouveau Front Populaire André Chassaigne, arrivé en tête au premier tour de scrutin, mais loin de la majorité absolue requise pour être élu. Le résultat d’hier soir dessine une réalité politique que nombre d’acteurs de la vie parlementaire, essentiellement au sein du Nouveau Front Populaire, avaient refusé de voir depuis le second tour des élections législatives : arithmétiquement, la somme des sièges d’Ensemble, de LR et des députés divers droite est plus élevée que le nombre de sièges dont dispose le Nouveau Front Populaire. Cette réalité est incontournable. C’est l’arithmétique de l’Hémicycle et elle seule qui détermine les majorités nécessaires pour légiférer et aussi pour gouverner.

Pour épuiser les références rugbystiques et sourire un peu (il le faut), la cabane est tombée sur le chien. En rugby, cette expression imagée décrit un contre redoutable scellant le sort d’un match. Une équipe attaque, confusément et le dos au mur, sans percer vraiment, et s’expose à un contre définitif de son adversaire. Nous y sommes. Depuis le 7 juillet au soir, le Nouveau Front Populaire martèle qu’il a gagné les élections législatives, mais échoue à s’accorder sur le nom d’un candidat ou plutôt d’une candidate pour la fonction de Premier ministre. Les palabres n’en finissent pas et virent au mauvais feuilleton, les uns s’opposant à une première candidate, les autres à une seconde. Les invectives pleuvent et renvoient aux Français une image consternante d’impuissance, d’incohérence et d’immaturité. Le Nouveau Front Populaire apparaît comme une alliance électorale dont les perspectives aux responsabilités sont obérées par de profondes divergences stratégiques. En clair, la radicalité de La France Insoumise – « le programme, tout le programme et rien que le programme » – exclut toute ouverture pourtant obligée vers d’autres forces, fige la configuration politique et ouvre de fait la voie à d’autres scénarios, comme celui qui a conduit à la réélection de Yaël Braun-Pivet.

La France a besoin d’être gouvernée. L’échec du Nouveau Front Populaire à conquérir la Présidence de l’Assemblée nationale vaut aussi pour ses perspectives au gouvernement. On ne peut gouverner avec le soutien de quelque 200 députés sur 577, et plus encore lorsque l’on rejette toute ouverture pour construire une majorité. Jean-Luc Mélenchon fait le choix de 2027 contre 2024, de la radicalité du verbe contre le pragmatisme des solutions, tablant sur la crise politique, un pays en affaires courantes pendant des mois, la démission possible du Président de la République et une élection présidentielle anticipée qui le verrait affronter Marine Le Pen au second tour avec le soutien fantasmé d’un nouveau front républicain. Il se trompe. Les Français attendent que notre pays soit dirigé, y compris ceux qui ont voté pour le Nouveau Front Populaire. Ils n’ont pas leur œil sur 2027, mais sur la fin du mois et sur les enjeux du moment. Les calculs politiques et les coups de billard à trois bandes ne paient pas. Ils sont dérisoires et incompréhensibles. L’incapacité du Nouveau Front Populaire à s’accorder est comme un refus d’obstacle. Il existait une fenêtre d’opportunité au soir du 7 juillet, qui requérait de savoir tendre la main à d’autres partenaires dans l’Hémicycle. Elle s’est désormais refermée.

La culture politique française doit vraiment évoluer. Ce rejet tripal du compromis conduit à une impasse politique consternante. Partout en Europe, des coalitions se forment entre adversaires, une fois les résultats d’une élection proclamés. Ces coalitions travaillent et réussissent. Pourquoi donc chez nous, ce qui existe favorablement ailleurs serait impossible ? Pourquoi le compromis vécu vertueusement dans nombre de démocraties parlementaires européennes est-il perçu comme une compromission en France ? Il est temps de changer, d’évoluer, de voir le monde autrement que sous la loupe franco-française de la Vème République, laquelle n’avait d’ailleurs pas été imaginée par les constituants de 1958 comme requérant des majorités absolues. C’est la pratique politique depuis lors qui a conduit à cette illusion que, faute de majorité absolue, le pays serait perdu. Il faut vouloir en sortir, oser à gauche et – singulièrement au Parti socialiste – rompre, s’il le faut, avec La France Insoumise, accepter au centre et à droite d’agir avec la gauche au sein d’un gouvernement répondant aux attentes, aux colères et aux souffrances des Français. Il n’y a pas de fatalité à ce que la situation actuelle perdure si les responsables politique faisaient le choix courageux de s’élever au-dessus des atavismes.

La France n’est pas une île. L’intérêt de notre pays exige de savoir se sublimer. La politique politicienne n’est en rien à la hauteur des circonstances que nous traversons. Changer ferait beaucoup de bien. Je suis parlementariste dans l’âme. J’ai vu durant mes années à l’Assemblée nationale tout le potentiel citoyen de la vie parlementaire. Je sais aussi combien la Vème République l’a bridé. Ce n’est pas la présidentialisation accrue qui permettra de mener des politiques plus justes et efficaces au service des Français, c’est le renforcement du travail parlementaire. Aurait-on oublié que les parlementaires sont responsables, qu’ils ont le sens de l’intérêt général ? L’erreur d’Emmanuel Macron a été de s’en défier. Il n’était pas écrit en 2017 que cela doive être ainsi. Le Parlement doit être réhabilité et ses prérogatives renforcées. C’est pour cela que je suis partisan d’un changement du mode de scrutin pour l’élection des députés. Il faut passer à la représentation proportionnelle car elle est inhérente à la recherche de coalitions. Briser les tabous et les non-dits est urgent. La vie politique doit respirer, la Constitution aussi. Elle ne peut être corsetée comme elle l’est aujourd’hui, au risque de la suffocation. Ce que nous vivons depuis le 7 juillet montre qu’il faut lucidement donner corps au changement.

La réélection de Yael Braun-Pivet à la Présidence de l’Assemblée nationale ne peut être une restauration des deux années écoulées, comme si des élections législatives n’avaient jamais eu lieu et qu’un message puissant et rageur n’avait pas été adressé par les Français tout récemment. Le vote d’hier peut être mal compris par des millions de personnes qui attendaient autre chose et qui voient revenir le parti défait dans les urnes. Il importe d’en avoir conscience, en particulier pour la recherche d’une majorité de gouvernement. Si la réalité arithmétique empêche le Nouveau Front Populaire de gouverner seul, elle empêche tout autant l’ancienne majorité de le faire aussi, y compris même avec le concours des députés du parti Les Républicains. Il n’y aura de solution que dans le dialogue et l’ouverture entre adversaires d’hier, en empruntant ainsi une voie originale dans notre pays si volontiers clivé. Ce sera la responsabilité de Yaël Braun-Pivet d’y donner corps à l’Assemblée nationale. Cela aurait été aussi celle d’André Chassaigne, que j’apprécie et respecte, s’il avait été élu. Ce signal de l’ouverture est attendu. Depuis le 7 juillet, la réalité du pouvoir a traversé la Seine. Elle est à l’Assemblée nationale. C’est certes un enjeu, mais c’est aussi une chance. Puisse cette chance être saisie.

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Le chat est maigre

Depuis quatre jours et l’annonce des résultats des élections législatives, le spectacle offert par le monde politique français relève davantage du chaos que de la clarté. Face à une Assemblée nationale sans majorité, absolue comme relative, chaque parti ou alliance y va de ses affirmations péremptoires, notamment celle d’avoir gagné et donc de se voir nécessairement confier les rênes du gouvernement. Que les émotions soient vives le lendemain des élections se comprend volontiers, qu’elles le restent quatre jours après devrait commencer à alerter. Là où, dans toute démocratie parlementaire rompue aux coalitions gouvernementales et aux discussions apaisées qui les précèdent, les forces politiques auraient désormais échangé, à tout le moins informellement, en France, personne n’a encore parlé à personne et les invectives continuent de fuser comme si la campagne électorale se poursuivait. Les passions l’emportent sur la raison et ceci n’augure rien de bon pour la suite. Les chaînes d’information en continu servent à l’envi les images des députés posant pour les photographes sur les marches du Palais Bourbon et rivalisant, toutes étiquettes politiques confondues, de déclarations mêlant certitudes et inflexibilité. Pour des millions de Français, ce spectacle devient anxiogène.

J’ai vécu ma vie d’adulte au contact de pays – la Belgique et l’Allemagne – à la culture de coalition reconnue. Aucun parti n’y gouverne seul. Lorsque j’y suis arrivé, venant de notre monde de majorité absolue, les discussions d’après élections m’apparaissaient comme une faiblesse, comme l’assurance d’un changement politique obligatoirement modeste puisqu’il faudrait en passer par l’accord de formations concurrentes jusqu’aux élections. A la pratique, je me suis aperçu que les coalitions peuvent ancrer les décisions publiques bien plus profondément par la solidité des majorités qu’elles constituent. Les coalitions créent aussi les conditions de l’apaisement utile après un débat électoral. Elles sont pour moi le signe d’une maturité de la vie démocratique et de l’acceptabilité du choix populaire, que l’on y soit représenté ou que l’on siège dans l’opposition. Pour toutes ces raisons, je me sens proche des démocraties parlementaires allemande, scandinaves et du Benelux. Je n’en vis que plus difficilement ce chaos s’éternisant depuis le 7 juillet et je redoute l’impasse vers laquelle l’impossibilité, voire le refus de dialoguer à la recherche d’une solution partagée entraîne la France. J’ai peur pour notre pays, alors que les défis s’accumulent. Je suis peiné aussi de le voir se donner en spectacle.

Personne n’a gagné les élections législatives. Les circonstances du front républicain qui a mis en échec le Rassemblement national empêchent de distinguer un vainqueur. Ma culture de coalition me conduit à regarder à froid la réalité de l’arithmétique parlementaire. Comment trouver dans cet Hémicycle si éclaté la majorité absolue ou la grosse majorité relative permettant à une action gouvernementale de s’inscrire dans la durée ? C’est un travail d’additions. Mais peut-être que mon examen à froid gagnerait cependant à s’ouvrir à quelques émotions car le rejet massif de l’idée de compromis quatre jours après les élections gangrène tout développement à venir. Le Nouveau Front Populaire clame qu’il a gagné le 7 juillet. Je pense que c’est une illusion, mais soit, s’il l’entend ainsi, acceptons-le. Il ne serait pas choquant dès lors qu’il prétende, par l’un de ses leaders, diriger le gouvernement. Là où le bas blesse en revanche, c’est qu’il entend le faire seul, avec une base de 182 sièges sur 577 à l’Assemblée nationale. C’ela ne fait pas sens. A 107 sièges de la majorité absolue, ce n’est même pas une majorité relative. Un gouvernement agissant sur une aussi petite base verrait tous ses projets de loi rejetés à l’Assemblée et la censure peut-être même votée le surlendemain de sa nomination.

La vérité, pour reprendre une autre expression rugbystique que j’adore, c’est que le chat est maigre. En rugby, lorsque le chat est maigre, c’est que l’on a gagné par le plus petit écart. C’est le cas ici. 182 sièges pour le Nouveau Front Populaire, 168 pour Ensemble. L’écart n’est que de 14 sièges et c’est bien peu. Mais 182 + 168, cela fait 350 sièges, soit largement plus que la majorité absolue à l’Assemblée nationale et là est la réalité arithmétique qui doit être la boussole. Dès lors que les députés du parti Les Républicains bottent en touche – autre expression rugbystique – et fuient leurs responsabilités de membres d’un parti autrefois de gouvernement, la solution se trouve dans une discussion à nouer entre le Nouveau Front Populaire et Ensemble. Premier en sièges, le Nouveau Front Populaire peut prétendre diriger le gouvernement. Celui-ci, idéalement, devrait reposer sur un contrat de coalition entre les deux alliances. C’est ainsi que cela fonctionne chez nos voisins. Les partenaires de coalition profilent leurs propositions essentielles et trouvent un dénominateur commun. Personne ne met en œuvre 100% de son programme électoral d’origine, mais peut-être 60 à 70% de celui-ci. Est-ce un renoncement ? Non. Est-ce un progrès ? Bien sûr que oui. 60 à 70%, c’est plus que 0%.

Je souhaite ce scénario pour notre pays. Il est temps d’élever le débat et l’action au niveau des enjeux. Il est temps aussi de respecter les Français en leur offrant une solution. Il est temps d’arrêter de dire non et de commencer à dire oui. Il est temps d’afficher le sens des responsabilités et d’en apporter la preuve. S’il faut rouvrir la question de la réforme des retraites, faisons-le, dès lors qu’un projet alternatif et financé est proposé. S’il faut augmenter le SMIC, faisons-le, dès lors que la situation des TPE et PME est prise en compte. Ces questions, pour ne citer qu’elles, ne sont pas simples et requièrent un travail de fond, minutieux et courageux, et donc du temps. C’est aussi la vocation d’une coalition que de le permettre. Mais une coalition, c’est aussi respecter le partenaire « junior », celui qui a peut-être un peu moins de sièges au Parlement, mais dont la présence est la garantie de l’existence de la majorité. Ses priorités doivent être valorisées et mises en œuvre également. Et donc, s’il faut désendetter la France par la maîtrise de la dépense publique, faisons-le, dès lors que la justice fiscale est prise en compte par le retour de l’impôt sur la fortune. S’il faut construire de nouvelles centrales nucléaires, faisons-le, dès lors que le développement des énergies renouvelables demeure soutenu.

Je crois aux coalitions. La vie collective crève des certitudes des uns et des autres, des déclarations de matamores, de la promesse renouvelée du grand soir et de la récurrence dans le jeu politique de grandes gueules inoxydables devenues des boulets pour tout le monde. Les Français veulent des résultats tangibles à hauteur de leurs vies. Ils veulent aussi de la lisibilité et de la sécurité. Pour dire les choses crûment, il y en a marre de la chienlit. La politique n’est pas une fuite en avant, une somme d’égoïsmes et d’égotismes, un jeu gratuit et désincarné. Notre pays n’est pas un tapis vert ou une réalité abstraite. Il est peuplé de millions de gens et de centaines de milliers d’entreprises qui entendent vivre et se développer. C’est pour eux, c’est pour elles qu’il faut s’entendre pour préparer l’avenir, majorité comme opposition. Nous y sommes. J’espère que ce sens des responsabilités et cette maturité prévaudront. Il n’en sera que plus aisé alors pour le Président de la République, dans un cadre de cohabitation, de procéder à la nomination du gouvernement et de travailler avec lui, fort de ses importantes et légitimes prérogatives. Le pire n’est jamais sûr si la raison s’impose. Je sais, pour l’avoir été, que chaque parlementaire sait en faire preuve pour le bien de la France. C’est maintenant qu’il faut le montrer.

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