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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Lettre d’Amérique

Saint Augustine Beach (Floride), 22 février

Il y a quelques jours, j’ai retrouvé l’Amérique. Ma dernière visite remontait à octobre 2013, dans le cadre d’une mission parlementaire aux Nations Unies. Je n’avais pas quitté Manhattan et le temps d’un road trip pour quelques jours ou même quelques heures m’avait manqué. Toutes ces années d’après sans un voyage aux Etats-Unis furent longues. J’aime profondément l’Amérique, ses paysages, sa grandeur, sa démesure aussi. Et j’aime les Américains. Je voulais revenir depuis bien longtemps. J’ai eu la chance de vivre en Californie au sortir de mes années étudiantes. Ce séjour à la dure, juste et vrai, a marqué ma vie. Il fut initiatique et pionnier pour le jeune adulte que j’étais. Je l’ai raconté sur ce blog. Je sais ce que je dois à l’Amérique : une émancipation, une découverte, la foi en la liberté. Il en reste une reconnaissance sincère et une émotion qui ne me quitte jamais. L’histoire américaine, la société américaine, la littérature et le cinéma américain me passionnent. Je me souviens, au retour de ma vie californienne, d’avoir été le grand témoin d’un petit festival du film américain à Quimper, ma ville natale, avec notamment à l’affiche Thelma and Louise et Roger and Me. J’introduisais les films avant la projection, improvisant sur les Etats-Unis, partageant avec bonheur anecdotes et souvenirs.

Depuis lors, je suis devenu papa. A mes enfants, je parlais parfois de l’Amérique, leur racontant ce bout de vie qui fut le mien sur la côte ouest et caressant le rêve de pouvoir un jour les y emmener. Je ne savais pas vraiment quand ce serait. Pas trop tôt sans doute, pour qu’ils aient assez grandi pour comprendre la valeur d’une telle aventure, pour eux et pour nous. Ce moment a fini par venir. A l’initiative de mon amie Amie Kreppel, Jean-Monnet Chair, professeure de science politique et directrice du Center for European Studies à l’Université de Floride, j’ai été invité à venir enseigner à Gainesville sur la procédure législative européenne et les mécanismes d’influence. Je me suis dit aussi que ce devrait être l’occasion, non seulement de retrouver enfin l’Amérique, mais d’y venir en famille. J’ai mis tous mes speaking fees dans les billets d’avion. Nous avons bouclé les valises et décollé pour l’aventure il y a bientôt une semaine. Nous resterons en Floride jusqu’à la fin du mois. Une belle maison nous attendait et une grande auto aussi. Entre mes cours, nous explorons frénétiquement les deux côtes et les réserves naturelles. Je souris en regardant mes enfants, à qui tout apparaît tellement grand : les routes, les voitures, les camions, les maisons, les lits, les frigos. Comme pour moi il y a plus de 30 ans.

Loin de Bruxelles, je parle chaque jour d’Europe aux étudiants. Croire en l’Europe, en son projet, en son acquis, en son avenir aussi, voilà ce que j’essaie de transmettre. Je suis arrivé à une étape de ma vie où la transmission et le partage sont autant un plaisir qu’un besoin. La rigueur académique et des étudiants passionnés font le reste. A Gainesville, dans ma salle de cours, l’Europe est peut-être lointaine par la géographie, mais elle est dans les cœurs. Hier soir, accroché à mon pupitre, j’ai planché 3 heures sur la législation secondaire dans l’Union européenne. Je guettais les moindres signes de fatigue dans l’auditoire. C’était le test. Le sujet n’était ni simple, ni particulièrement drôle ou sexy, mais pour parler d’influence, il fallait bien en passer par là. Personne n’a piqué du nez. Mes étudiants ont tenu le choc. Je dois avoir réussi leur examen, je crois. Demain, je présenterai les mécanismes européens de transparence en matière de lobbying, puis je me joindrai à un débat sur la politique africaine en compagnie de plusieurs professeurs de l’Université de Floride. Je prends plaisir à tous ces échanges. Je ne fais pas qu’enseigner, j’apprends aussi beaucoup. Transmettre, c’est accepter et même espérer découvrir en retour des champs de connaissance inattendus.

Je me suis présenté au cours ce soir avec un sérieux coup de soleil et çà n’est pas passé inaperçu. J’avais emmené la famille le matin sur la plage de Saint Augustine et je ne me souvenais plus que la crème solaire devait être de rigueur face à l’Atlantique, même en février. Lourd oubli. Hier devant le Golfe du Mexique et sous les yeux de quelques pélicans très peu farouches, j’avais déjà laissé de côté une bonne partie de la pâleur hivernale bruxelloise. La Floride que je retrouve me plaît bien. Je sais aussi qu’elle n’est pas Main Street USA. Il y a sans doute plusieurs Amériques, qu’il me faudra redécouvrir aussi. Tant a changé. Devant mes étudiants, je soulignais ce soir combien l’Union européenne de l’après-Covid et de la paix menacée n’est plus celle d’il y a 30 ans. C’est tellement vrai pour l’Amérique aussi. Je dois continuer de retrouver les Etats-Unis, de m’y ressourcer par-delà cette chouette expérience à Gainesville, apprendre encore et toujours. Il m’arrive au fond de rêver que cette itinérance, ce partage puisse être l’étape d’après, de temps en temps, et chaque année peut-être. Il y aura toujours une grande auto à conduire, des valises pleines de cours et de livres, et des enfants joyeux sur la banquette arrière, un peu plus grands sûrement, mais prêts pour la suite de l’aventure.

Notre maison à Gainesville

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Loi d’accélération des énergies renouvelables: une occasion manquée?

Image par Zsuzsa Boka de Pixabay

J’ai suivi avec attention les débats à l’Assemblée nationale en décembre 2022 sur le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables. Je l’ai fait comme ancien député, rapporteur pour avis du budget de l’énergie et rapporteur en 2016 de la ratification de l’Accord de Paris sur le climat. Je l’ai fait également comme ancien cadre-dirigeant du secteur solaire, passionné par cette énergie et son déploiement que je vois comme une perspective enthousiasmante pour notre pays, pour l’Europe et pour le monde. Faut-il accélérer le déploiement des énergies renouvelables en France ? A l’évidence oui, et plus encore lorsque l’on se traine en queue de peloton, seul Etat membre de l’Union européenne incapable de tenir ses engagements de porter la part des énergies renouvelables à 23% du mix énergétique. Cette situation est invraisemblable et inacceptable. Les énergies renouvelables sont vertes, elles sont propres et elles sont déjà les moins chères. Elles permettront demain de produire le surcroît d’électricité nécessaire pour faire face aux défis d’un monde décarboné.

Je m’étais réjoui de voir le gouvernement et le Parlement s’emparer de l’accélération des énergies renouvelables. Les débats législatifs ont été animés, parfois agités. Je les ai écoutés avec intérêt, puis avec une inquiétude grandissante, au point de douter que le texte adopté par l’Assemblée nationale puisse contribuer à quelque accélération que ce soit, si ce n’est à celle du contentieux administratif. Ce n’est pas en ajoutant toute une série de verrous, interdictions et autres conditions nouvelles au cadre actuel que l’on libérera en effet le déploiement des énergies renouvelables. Le marché a besoin de liberté et nos territoires aussi. Or, le texte issu de l’Assemblée et préservé pour l’essentiel en commission mixte paritaire le 24 janvier peut conduire à un moratoire de fait tant les incertitudes sont multiples. Ainsi, à vouloir prévoir des zones d’accélération, on en arrive à parcelliser les territoires et in fine au risque que l’administration finisse, dans l’attente de leurs périmètres, par délivrer au compte-goutte les permis de construire tant attendus par les porteurs de projets.

Ma lecture des débats est celle d’un effacement des services de l’Etat au profit d’élus locaux placés dans une situation dont tous ne se réjouiront pas. Les maires et présidents de communautés de communes désireux d’agir se retrouveront davantage encore en première ligne, chargés de définir des zones d’accélération là où ils espéraient d’abord de l’Etat un relais, un soutien pour porter les projets de parcs solaires ou éoliens. Je suis attaché au développement de l’agrivoltaïsme, d’une production d’électricité verte et d’activités agricoles sur une même emprise foncière, dans une logique d’aménagement du territoire. C’est la chance de la France de disposer d’un vaste territoire ensoleillé et d’une profession agricole tentée par cette perspective. Mais qu’en restera-t-il avec l’introduction d’un nouveau régime de permis de construire dont le texte dit si peu ou avec l’avis conforme des CDPENAF, dont certaines, selon les départements, ne possèdent aucune expérience ni représentation du monde de l’énergie ? J’ai le sentiment que nous transformons l’or en plomb.

Accélérer les énergies renouvelables, c’est partir du cadre actuel et donner avant toute chose aux services instructeurs les ressources et moyens qui leur manquent concrètement. Le défi est là. C’est créer à l’échelle de chaque Préfecture une fonction de référent pour les énergies renouvelables, placée sous l’autorité directe du Préfet, afin de mener les contacts nécessaires avec les énergéticiens et l’ensemble des partenaires locaux, pour définir la position des autorités de l’Etat sur chacun des projets envisagés et l’exprimer en mode unique au nom de tous les services concernés. Cette expression centralisée et fédérative des diverses autorités est essentielle pour maximiser les opportunités de développement, pour sécuriser les parties prenantes dans leur choix d’investissement et pour hâter la prise de décision au bénéfice des projets. Elle l’est également pour localiser demain dans notre pays des capacités de production, dans une perspective de reconquête industrielle, et ce n’est pas là le moindre des enjeux en termes de stratégie et de souveraineté. Cette dimension-là manque dans le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables à l’approche du vote final.

Il importe de prendre le tournant annoncé des énergies renouvelables avec ambition, avec volonté et aussi avec lucidité. Trop longtemps, la France s’est dotée d’objectifs de déploiement dans les PPE successives qu’elle n’a jamais atteint, faute d’avoir osé faire les choix nécessaires. Il n’est plus temps d’hésiter. La crise climatique nous le rappelle, le respect du droit européen aussi. Il faut développer les énergies renouvelables matures le plus rapidement possible, rechercher les volumes et les échelles qui feront la différence plutôt que la somme de multiples segments. Le 24 janvier, le jour où se réunissait la commission mixte paritaire, une étude publiée par l’observatoire Observ’ER montrait que la France n’atteindrait pas ses objectifs éoliens et solaires sur la période 2019-2013, se plaçant déjà en décalage par rapport à une PPE définie il n’y a pourtant pas si longtemps. J’ai crainte que l’économie du texte issu de la commission mixte paritaire ne permette pas de redresser la barre. On ne peut sacrifier la cohérence et l’ambition de la loi à la recherche d’une majorité, au risque d’une immense et regrettable occasion manquée. S’il est encore possible d’agir, c’est le moment.

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Chemins d’Europe

La pause de fin d’année prendra fin dans quelques heures. Famille espagnole oblige, nous l’avons prolongée jusqu’à l’arrivée des Rois mages. Gaspard, Melchior et Balthazar sont passés avant-hier et il est temps désormais de retrouver le mois de janvier, le nord, la pluie (sûrement) et le froid (peut-être). J’ai aimé ces deux semaines loin de la vie quotidienne. J’en avais besoin, cette année plus encore que les précédentes. Un second Covid m’avait mis à plat au début décembre et je voyais dans ces fêtes de Noël comme un objectif, un Graal étrange et merveilleux pour retrouver la forme et l’énergie qui m’avaient abandonné, malgré la frénésie de la Coupe du Monde de football. Je me réjouissais aussi de lire dans les yeux de mes enfants, par-delà le temps qui passe, la magie renouvelée de Noël et des fêtes. Il y a la part de rêve qui demeure, les cadeaux et, plus que tout, les retrouvailles familiales, cette joyeuse troménie qui, d’année en année, nous conduit par la route et par les airs chez moi dans le Finistère, puis à Grenade et en Andalousie rurale, là où vit notre famille espagnole. Nous reviendrons demain à Bruxelles les valises chargées de présents, souvenirs et autres denrées culinaires, locales et utiles qui rendront les mois d’hiver à venir moins longs, moins durs et aussi plus heureux.

Je n’ai pas l’esprit religieux, mais je célèbre Noël avec tendresse et conviction. Je sais d’où je viens. Je me souviens de ma grand-mère qui me racontait avec pudeur et émotion combien l’orange reçue à Noël, seul cadeau que ses parents pouvaient lui offrir, avait pour elle une valeur immense. Son Noël n’en avait que plus de force et de sens. Ce souvenir m’est cher et, à dire vrai, il m’émeut toujours autant. Ce sont des images, des témoignages venus de loin et quelques objets, souvent modestes, qui font le caractère unique de Noël. Ce sont aussi des promenades et des marches au gré de rues illuminées et dans le silence de la campagne ou de la mer. A l’Ile-Tudy, nous avons arpenté la plage de l’été dans la lueur particulière d’un soir de décembre. Il fallait avancer vite pour retrouver notre chemin à l’approche de la nuit et de la pluie. En Andalousie, nous avons marché sous la lune au milieu des amandiers. Il faisait froid et les arbres tendaient vers le ciel leurs fines branches, comme s’ils attendaient de la pleine lune le signe fragile de la floraison à venir. La mer en Bretagne, la terre du côté de Grenade et d’Almeria, les histoires contées et partagées ont fait de ces vacances des moments doux et heureux. Nous avons parlé de nos Noëls d’avant et un peu aussi de ceux d’après.

Les paysages en hiver me touchent. Je suis un Breton rompu au vent, à la pluie et aux tempêtes. J’y suis sensible, j’en ai même presque besoin. Je crois bien qu’il me manquerait quelque chose dans un Noël sans bourrasque. A condition bien sûr que, fuyant les éléments déchaînés, je trouve par chance, miracle ou soudaine inspiration une crêperie et, derrière sa lourde porte, une joyeuse assemblée et les effluves revigorantes du froment. J’ai appris aussi à connaître et aimer les paysages andalous, les collines parsemées d’oliviers, ces espaces de terre et de vie où l’histoire est une conquête et la recherche de l’eau l’est tout autant. Dans l’oliveraie de notre famille espagnole, décembre est le temps de la récolte. Sur les petits arbres, trop jeunes encore pour être soumis aux machines, nous faisons la cueillette à la main. Mes enfants courent avec leurs petits paniers chargés d’olives. Ils grimpent parfois sur le tracteur et participent ainsi à la récolte d’un peu plus haut. Petits, ils avaient découvert aussi la récolte des amandes. Des générations ont planté et entretenu ces arbres, vivant les bonnes et les moins bonnes années, sans jamais renoncer. Tant de paysages d’Europe, dans leur diversité, sont le fruit de siècles d’abnégation à la tâche pour défricher, protéger, planter.

Les paysages européens racontent notre histoire. J’aime les coins perdus, improbables, authentiques. J’aime les moments d’échange, simples et chaleureux, que les fêtes rendent plus faciles ou spontanés. Nous avons eu la chance durant notre séjour andalou de rouler vers l’est, vers les parties les plus arides de la province d’Almeria, où je n’étais jamais allé. Le champ d’amandiers de notre famille était à plus de 1000 mètres d’altitude. Il faisait froid sous la lune. J’essaie de l’imaginer en fleurs dans quelques semaines. J’en ai vu les photos. Et plus tard aussi, sous la chaleur écrasante de l’été. Il y a tant à apprendre de la terre, à voir et à comprendre du cycle des saisons. Il y a tant aussi à faire pour défendre et promouvoir ces territoires lointains des plus grandes villes, entreprendre et faire croître une économie, défier la désertification et donner sens aux solidarités. C’est cela aussi, l’Europe : la liberté, la dignité, l’égalité, entre autres valeurs qui fondent notre identité commune. Les temps incertains et difficiles que nous traversons n’en soulignent que davantage l’actualité, l’urgence et le sens, comme un devoir pour 2023, comme une promesse aussi. Demain, en route vers Bruxelles, ces sentiments, ces images et ces espoirs m’accompagneront.

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Les Bleus reviendront et nous aussi

C’est l’histoire d’une finale que nous voulions tellement gagner, un match qui nous aura totalement échappé durant 80 minutes avant de devenir fou, hallucinant, enthousiasmant, irréel, de nous conduire tout près du Graal et finalement de laisser tout au bout du bout la plus haute marche à nos adversaires argentins. Il y a des finales de Coupe du Monde pour l’histoire et celle-là en sera une, peut-être même la première. Nous nous en souviendrons longtemps. Ce que nous avons vécu, rivés par milliards devant nos postes de télévision dans tous les coins du monde, est une tragédie comme seul le sport et singulièrement le football peuvent en produire. Plus que tout, ce trophée, Leonel Messi le voulait. Et il l’aura mérité, comme ses coéquipiers. L’Argentine est une belle équipe, un grand champion du Monde. Mais nos Bleus aussi, cette troisième étoile, ils en rêvaient. Et ils la méritaient tout autant. Durant ce mois qatari, ils nous ont passionnés, transportés. Qui croyait réellement en leurs chances il y a encore quelques semaines, après une saison internationale médiocre, des cascades de blessures et les forfaits de tant d’entre eux ? L’équipe de France a montré dans ce tournoi une résilience formidable, une abnégation inégalée et un réalisme qui forcent l’admiration.

Ce lundi est le matin du jour d’après. La Coupe du Monde est finie. Nous sommes un peu groggys, partagés entre tristesse et reconnaissance. Ce soir, les Bleus salueront leurs supporters sur la Place de la Concorde dans le froid de l’hiver qui vient, puis ils se sépareront, chacun retrouvant son club et sa vie. La douceur de l’automne qatari entrera dans leurs souvenirs et dans les nôtres, comme le dénouement cruel de cette finale énorme. La France avait besoin de ces moments d’enthousiasme, de joie, de force collective. Nous sommes un pays qui doute, entre craintes et crises. Les occasions de faire nation, de nous regrouper, de dépasser pour quelques heures ou quelques jours ce qui nous divise, sont rares. Le football est magique parce qu’il le permet. Il faut une force d’âme sans limite pour aller défier le destin et l’adversité, renverser le cours d’une histoire qui paraissait écrite. Cette force d’âme, les Bleus l’avaient au Qatar. Jusqu’à hier soir, lorsqu’en deux minutes et deux buts, ils ont repris contrôle de ce match qui leur échappait. Kylian Mbappé aimantait le ballon, conduisait la révolte, du haut de sa jeunesse et de son talent inégalé. Il met 3 buts en finale. Ce n’était arrivé qu’une fois dans toute l’histoire de la Coupe du Monde. L’homme du match, c’était lui.

J’ai replié mon petit drapeau tricolore ce matin. Il m’accompagne depuis près de 10 ans, comme un fétiche. Ce drapeau a une histoire. On me l’avait donné au Stade de France, un soir glacial de novembre 2013, lors du match retour de barrage entre la France et l’Ukraine pour la Coupe du Monde au Brésil. Pas grand monde croyait en la qualification des Bleus, battus 2-0 à l’aller à Kiev. Et pourtant, ce soir-là, une équipe était née, allant chercher un 3-0 rageur ouvrant la voie vers les conquêtes d’après. Je serrais mon drapeau contre moi dans le stade, puis dans le métro au retour vers l’Assemblée nationale et dans la buvette des députés, pour un moment de célébration joyeux. Je suis un vieux footeux, qui se souvient des périodes de disette, lorsque se qualifier pour la Coupe du Monde relevait de l’impossible et que l’idée même de la gagner était à des années lumières. Je me souviens des creux après la retraite de Platini et celle de Zidane. Chaque équipe connaît ses cycles, ses moments de moins bien. La différence, c’est que les Bleus d’aujourd’hui ont un esprit de compétiteurs, nourri par leur expérience internationale en club et la culture de la gagne insufflée par Didier Deschamps depuis 10 ans. Tout cela est là pour durer, assis sur une formation solide dans nos clubs et nos régions.

Je range aussi les journaux, les magazines, l’album Panini que nous compléterons avec mes enfants dans quelques jours. Il rejoindra celui de la Coupe du Monde en Russie parmi leurs souvenirs. Hier soir, ils avaient le cœur gros. Ce n’est pas simple de perdre (ou plutôt de ne pas gagner). Consoler, expliquer, je m’y suis livré tant bien que mal. Mbappé a l’avenir devant lui, Messi est l’un des plus grands joueurs de l’histoire. Et surtout, le football reste avant tout un jeu, même s’il est devenu aussi une économie et une puissance pas toujours très inspirée. En janvier, comme leurs héros français, espagnols et belges dans leurs clubs, mes enfants retrouveront l’école de foot de l’Union Saint-Gilloise, garçons et filles ensemble. Il y aura des buts à marquer, des reprises de volée à travailler et des dribbles à mener. Je crois bien que je rechausserai les crampons aussi. Les Bleus reviendront et nous avec eux. L’histoire est encore à écrire et le meilleur à venir. J’avais glissé avant la finale deux bouteilles dans notre frigo. Nous les avons ouvertes, même si la victoire ne nous avait pas souri. Les larmes séchées, nous avons parlé de ballon, de la Coupe du Monde de football féminine au printemps, de celle de rugby à l’automne et des bonheurs d’après. Le sport est une école de vie. Merci, les Bleus !

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