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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

2024, ensemble !

Quelque part, dans la campagne andalouse, les dernières lueurs de 2023

C’est l’histoire d’un premier matin, celui qui nous attendra demain, dans les lueurs de l’aube du 1er janvier 2024. Les 1ers janvier sont ceux des bonnes résolutions, tous les ans. Survivent-elles aux premières semaines de janvier ? Parfois. Je me souviens d’une anecdote croustillante à mon arrivée à l’Assemblée nationale en juin 2012. J’étais le premier député de la législature nouvelle à venir consulter le cabinet médical de l’Assemblée, la faute à des doigts coincés dans ma porte de garage le surlendemain des élections. Le médecin m’avait expliqué que les députés se portaient en général plutôt bien, sauf au mois de janvier en raison des nombreuses galettes des rois à engloutir en quantité industrielle aux quatre coins de leurs circonscriptions. Janvier et février étaient les mois du cholestérol parlementaire. Les prises de sang étaient à proscrire jusqu’en mars, le temps de se refaire. J’avais bien ri, tout en gardant à l’esprit qu’il ne fallait pas que cela m’arrive à mon tour. Quelques semaines après, profitant de l’été en Galice, j’apprenais que la longue jetée du port de La Corogne sur laquelle je courais le matin était appelée par les habitants la « avenida del colesterol ». Tous les gens au régime venaient y dégourdir leurs jambes. Mon beau-père médecin y croisait un nombre conséquent de ses patients. Les bonnes résolutions étaient donc durables.

Pour commencer l’année, il faut donc se souhaiter une bonne santé. Bouger, marcher, courir, sauter, profiter du bon air, se vider l’esprit. Et lire ! On ne lit jamais assez. Au risque de passer pour un vieux schnock, je considère que la lecture des réseaux sociaux ne compte pas. Lire, c’est un bon livre, un livre que l’on chérit, que l’on attend de retrouver le soir pour quelques pages ou plus, que l’on découvre et déguste doucement comme un whisky hors d’âge (voilà que j’oublie déjà la résolution sur le cholestérol…). On ne lit jamais assez. Le livre n’est pas un produit comme un autre, c’est un voyage pour une vie, un passeport universel. Le bonheur de lire vient souvent à l’enfance, grâce à la passion contagieuse d’instituteurs merveilleux. Ou parfois plus tard, en cours de vie, au hasard d’une rencontre ou d’une découverte. Je pense à ma maman qui, durant près de 30 ans, fit vivre bénévolement la permanence du lundi soir à la bibliothèque d’Ergué-Gabéric, accueillant avec bienveillance celles et ceux qui venaient chercher une histoire, des aventures, une évasion par les pages d’un livre partagé. Les bibliothèques sont des lieux précieux d’imaginaire pour tous, au-delà de toutes les conditions. Il faut les défendre, les développer, les soutenir. L’accès au livre ne doit pas être barré par le manque de moyens. C’est l’une des plus belles causes.

Derrière le livre, il y a la liberté, celle de penser, celle d’être soi-même, celle de vivre, d’imaginer, de créer, d’entreprendre. Il faut se souhaiter la liberté. Y pense-t-on encore ? Rien n’est moins sûr. Nous vivons dans un monde de contraintes, de peurs multiples, de catastrophes réelles et intériorisées. L’année 2023 qui s’achève en aura été un terrible exemple. Le monde de demain ne peut être celui de Poutine, du Hamas, de l’Iran des mollahs, des tyrans sanguinaires et autres frappadingues asservissant leurs peuples. Ni celui de Trump, de Netanyahu ou de Milei, pour qui l’état de droit est un concept incongru tant il incarne le vivre-ensemble dont ils ne veulent pas, blindés qu’ils sont dans leurs certitudes, leurs obsessions et leur folie. Il faut chérir la liberté, s’engager pour elle, ne pas s’arrêter au triste motif, entendu ici ou là, que s’en préoccuper, ce serait juste pour des temps meilleurs, quand l’économie va bien, que les budgets sont équilibrés et que la paix règne. La liberté, les droits, les valeurs et les principes de la démocratie ne relèvent pas d’un prêchi-prêcha d’intellectuels en goguette, c’est un combat de tous les jours. Ils sont l’essence même de nos vies de citoyens, ils incarnent la dignité et le meilleur d’une société. Ils sont des causes pour maintenant, pour chacune et chacun. N’oublions jamais tous ceux qui sont tombés parce qu’ils les portaient.

Souhaitons enfin que 2024 soit une année pour la solidarité. Il n’existe pas de liberté durable sans solidarité. La solidarité, il faut la faire vivre, concrètement, activement. Il ne faut pas juste en parler. La République ne peut avoir le cœur sec, trier entre les gens, se méfier des étrangers. Il faut vouloir convaincre, toujours, ne pas se laisser porter par l’air du temps. Il ne doit y avoir aucune place pour la xénophobie. En 2024, nous élirons le Parlement européen. Le projet européen est fondé sur la solidarité, n’en déplaise à ceux qui crient à longueur de temps à « l’ultra-libéralisme » ou n’imaginent notre pays que derrière des frontières. Ceux-là se trompent et parfois même se rejoignent. Le marché est un moyen, il n’est aucunement une fin. Jacques Delors évoquait à raison les trois principes qui fondent le modèle européen : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Puisse le souvenir de cet homme admirable, de cet Européen passionné, en ce dernier jour de décembre inspirer celles et ceux que la liberté et la solidarité rassemblent. Dans quelques mois, nous aurons rendez-vous ensemble pour défendre cet idéal, le porter plus loin, en réponse aux défis de l’Europe et du monde. Ce rendez-vous sera essentiel pour les temps qui viennent. Souhaitons-nous une grande, une belle année 2024, une année décisive et généreuse, une année qui rassemble !

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Vu du cimetière

J’étais hier à l’Assemblée nationale. Je n’y étais pas retourné souvent depuis 2017. Sans doute y avais-je trop de souvenirs – pensais-je – pour pouvoir retrouver les lieux sans éprouver une belle part de nostalgie et d’émotion, au moins durant un temps. Reste que les années ont filé et je regarde désormais ma vie parlementaire avec davantage de distance. Je sais pourquoi je l’ai beaucoup aimée, pourquoi je m’y suis donné corps et âme. Et comment aussi j’ai écrit la suite, lorsqu’il a fallu m’en aller. Les anciens députés ont une carte qui leur permet d’entrer au Palais-Bourbon. Ils ont aussi un petit coin à eux dans les tribunes de l’Hémicycle pour suivre les débats de leurs successeurs. Je n’y étais jamais allé avant hier. Ce petit coin a un surnom plutôt sinistre : le cimetière. Certainement parce que l’on s’attend à y croiser des éclopés du suffrage universel et quelques vieilles gloires politiques décaties. Lorsque je siégeais dans l’Hémicycle, j’entendais parfois des collègues dire : « il y avait untel au cimetière aujourd’hui ». Il m’avait même fallu un petit moment au début pour comprendre de quoi il était question. Hier, je me suis dit qu’il y avait prescription et que je pouvais pousser la porte du cimetière. Je m’y suis retrouvé tout seul. Je me suis assis, j’ai écouté et j’ai observé.

C’était la séance des questions au gouvernement. Lundi en soirée, une coalition de toutes les oppositions avait défait le gouvernement en rejetant le projet de loi sur l’immigration avant même que l’examen ne débute, et l’Hémicycle était encore parcouru de ces tensions récentes. Il se trouve que le cimetière surplombe les bancs des députés de La France Insoumise. Je ne les connaissais que de la télévision. J’ai entendu les exclamations, les noms d’oiseaux. J’ai vu certaines attitudes et des gestes affichant une agressivité qui ne devrait jamais avoir cours dans un tel lieu et qui me choque profondément. J’avais déjà le sentiment, de loin, d’appartenir à un monde ancien, un monde perdu, celui des désaccords respectueux et de la main toujours tendue. Je l’ai ressenti encore plus fort depuis ma place au cimetière. J’ai eu l’impression de venir tout droit de Jurassic Park. Peut-on débattre sereinement, utilement, efficacement au milieu des glapissements et des invectives ? D’évidence non. Le rôle de l’opposition est bien sûr de s’opposer. Encore faut-il qu’elle le fasse stratégiquement, subtilement, avec des priorités et le souci constructif de convaincre. C’est tout cela qui m’a semblé manquer. Le débat parlementaire ne peut ni ne doit être un ring de catch.

Il y a les oppositions et il y a aussi la majorité. Elle n’a pas trop la forme. L’adoption de la motion de rejet préalable a été pour elle et le gouvernement un échec politique lourd, comme une censure qui ne dirait pas son nom. Fallait-il une loi sur l’immigration ? Oui. Je comprends l’objectif de fermeté. Michel Rocard disait à raison il y a plus de 30 ans que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Je mesure aussi l’exigence d’humanité. Nous devons traiter dignement celles et ceux qui viennent, le temps de leur présence, courte ou longue, en France. Je suis co-signataire d’une initiative citoyenne européenne sur l’accueil des migrants. L’équilibre fermeté-humanité n’est pas simple à trouver in abstracto, plus encore dans le contexte d’un Sénat à droite et d’une Assemblée nationale sans majorité absolue. La droite sénatoriale lie la question migratoire à celle de la sécurité. C’est un réel sujet, mais il est loin d’être le seul sur l’immigration. Il s’en est suivi la large réécriture du projet de loi au Sénat, corrigée ensuite en commission à l’Assemblée nationale. Le débat en séance devait avoir lieu. Il était nécessaire. Je ne comprends pas que certaines des oppositions, en particulier LR et PS parce qu’ils ont exercé la responsabilité gouvernementale, aient voté la motion de rejet.

C’est peu dire que les oppositions sont diverses sur la question migratoire, entre le RN qui rejette tous les migrants et LFI qui ouvre toutes les portes. Elles n’ont rien en commun, mais l’addition de leurs votes a mis en échec le gouvernement. C’est une victoire en trompe-l’œil, en particulier pour la gauche de gouvernement. Le projet de loi n’a pas été retiré et la commission mixte paritaire qui se réunira sous quelques jours travaillera sur la base du texte du Sénat, infiniment plus dur que la version corrigée par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale. Pour que le projet de loi soit adopté, ce à quoi tient le gouvernement, il faudra détacher du rejet de lundi les députés LR – sans perdre de députés de la majorité – et revenir pour ce faire à un équilibre proche de celui défini par le Sénat. L’histoire aurait été différente si l’examen en séance à l’Assemblée nationale avait eu lieu. J’aurais souhaité, parce que je viens de cette histoire-là, que la gauche de gouvernement ait un impact dans la construction d’un compromis. Le débat en séance à l’Assemblée l’aurait peut-être permis. La situation actuelle dans le pays méritait en tout état de cause que le projet de loi sur l’immigration soit traité différemment par tous les acteurs gouvernementaux et parlementaires.

Je suis convaincu qu’un sujet comme l’immigration requiert des majorités d’idées solides et donc une ouverture dépassant les clivages classiques de la vie politique. C’est pour cela que le dépassement cher au Président de la République a pu initialement me convaincre. La crispation politique, les calculs électoraux, les erreurs de stratégie gouvernementale ont plombé le projet de loi. Y avait-il place pour un tel texte dans ces conditions, sans majorité à l’Assemblée nationale ? J’en doute désormais. Un an et demi à peine après les élections du printemps 2022, il n’y a plus de dynamique politique. Le « en même temps » a vécu. Cela ne peut durer. On ne peut aborder ainsi le chemin de plus de 3 ans qui nous sépare encore de 2027. La France est dans une impasse politique dont elle doit se sortir. Dissoudre l’Assemblée nationale serait une possibilité, mais elle conduirait à une chambre encore plus introuvable en l’état de l’opinion avec un RN dopé en voix et en sièges et une majorité en retrait. Changer d’équipe gouvernementale serait une autre possibilité, mais elle n’aurait de sens que si elle était accompagnée d’un changement profond et sincère de méthode, loin de la verticalité, en lien étroit avec les territoires, les collectivités et les corps intermédiaires.

Depuis le cimetière, on voit finalement beaucoup de choses. On a le recul utile. Mais le cimetière n’est pas très attirant. On l’évite soigneusement ou on le regarde d’en bas, un peu comme les spectateurs du Muppet Show regardaient les deux vieux au balcon comme des personnages pittoresques, mais datés. C’est dommage. Le recul du temps, cette forme d’expérience aussi nous montre que notre pays ne peut vivre à la godille, un coup de rame par ci, un coup de rame par là, dans l’illusion que l’on peut concilier non les différences, mais bien les contraires, en promettant au Sénat l’inverse de ce que l’on promet à l’Assemblée nationale. C’est courir à l’échec assuré que d’agir ainsi. Il en résulte une crispation qui ne profite qu’à l’extrême-droite, qui engrange silencieusement les soutiens et se prépare à gouverner inéluctablement si aucune prise de conscience de la nécessité de changer radicalement de méthode et de braquet n’intervient. Ce fut une erreur funeste de la choisir comme l’opposition préférée car cela l’inscrit in fine dans l’alternance. Ce fut une erreur aussi de présenter le dépassement comme un effacement des différences. Au fond, tout cela donne envie de quitter le cimetière – c’est encore possible – et de retrouver l’engagement. Parce qu’il le faut et parce qu’il est temps.

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Minuit moins le quart

Dans le port d’Amsterdam, fin octobre 2023

C’était un soir de la fin octobre dans le port d’Amsterdam. Le petit bateau sur lequel je me trouvais avançait vers un quai lointain où nous devions débarquer. Dans la pénombre se détachaient plusieurs installations industrielles, entre lumières et fumées que le vent chassait. Le contraste des couleurs rendait l’instant irréel et inquiétant aussi. Je pris une photo. Elle symbolisait, au fond, tout le défi qui se pose à nos pays et au monde : lutter pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, poursuivre le développement de nos économies, lier ces efforts pour rendre le saut vers un monde décarboné juste socialement et acceptable politiquement. L’équation est redoutable. Elle est chaque année, chaque mois, chaque jour plus urgente aussi. Huit ans ont passé depuis l’Accord de Paris de 2015. Ce texte, j’ai eu l’honneur d’en être le rapporteur à l’Assemblée nationale. Je l’ai défendu, expliqué, détaillé. Il n’est certes pas idéal, mais il a entrainé une prise de conscience universelle de l’urgence d’agir pour limiter au-dessous de 2°C et si possible 1,5°C la hausse des températures par rapport à l’ère préindustrielle. Les Etats parties ont pris à cette fin l’engagement de présenter leurs efforts et de les réévaluer tous les 5 ans. Il faut les examiner, en souligner les forces et faiblesses. Ce sera le devoir de la COP 28 qui s’ouvrira à Dubaï dans quelques jours.

Nous ne sommes pas aujourd’hui à la hauteur de la crise. Les efforts des Etats parties, les Nationally Determined Contributions (NDC), sont réels, mais trop timides. Au mieux, si tous ces efforts étaient réalisés, la baisse des émissions des gaz à effet de serre ne serait, selon la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), que de 2% en 2030 par rapport à 2019. Or, il faudrait avoir baissé, non de 2%, mais de 43% ces émissions en 2030 pour rester sur la trajectoire de l’Accord de Paris et limiter à la fin du siècle la hausse des températures à 1,5°C. En cette fin d’année 2023, la réalité, sur la base des NDC transmises par les Etats parties, est que le monde se trouve sur une trajectoire conduisant à une augmentation de 2,9°C. C’est dire à quel point nous n’y sommes pas. Une augmentation pareille de la température aurait pour la planète et son habitabilité des conséquences redoutables. Dès lors, que faire à Dubaï, sinon prendre la mesure de la falaise qui se dresse devant nous et changer de braquet ? Le coût de l’action à entreprendre est immense, mais celui de la non-action le serait encore bien davantage. La COP 28 doit être l’occasion d’un bilan sans concession sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris pour relever massivement les ambitions, lister les actions à entreprendre et déterminer comment le faire.

Il est minuit moins le quart. Tout se jouera dans les prochaines 10 années. Après, il sera trop tard. La responsabilité qui pèse sur les autorités des Etats parties est énorme, mais elle est aussi la nôtre à nous, acteurs du monde économique, financiers, leaders associatifs, simples citoyens désireux de s’engager. Je n’ai jamais adhéré aux théories de la décroissance. Ce n’est pas par la pénurie et les prohibitions que l’on sauvera la planète et cela pour une raison toute simple : dans le monde et dans nos sociétés, nous ne sommes pas égaux devant le changement climatique. La décroissance conduirait à une explosion sociale. Le combat est, à l’inverse, de travailler à la justice des choix d’adaptation et d’atténuation, à veiller qu’ils soient porteurs de progrès, de développement et d’émancipation. Ce n’est pas seulement dans nos pays industrialisés que tout se jouera, ce sera d’abord dans le monde en développement à la démographique galopante. Et tout l’enjeu pour l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine sera d’assurer, depuis nos nations riches, les transferts financiers nécessaires, d’une magnitude inégalée – on parle de 1000 milliards de dollars par an. Il faut que l’action climatique bénéficie en priorité au Sud, parce que nous sommes, au Nord, historiquement responsables de la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre qui nourrissent le changement climatique.

L’efficacité de l’action climatique commande cette redistribution. L’action climatique, ce n’est pas chacun chez soi, la solidarité doit être la clé. C’est dire le rôle, notamment, des banques internationales de développement et le devoir aussi de mobiliser l’épargne privée. Le développement énergétique et économique de l’Afrique requiert de financer l’installation de milliers de mini-réseaux à l’échelle du continent, pour hâter la croissance et le progrès social, pour réussir également l’intégration des énergies renouvelables. Tout cela nécessite un investissement massif. Il existe des ressources dans les Etats pétroliers et auprès des majors des énergies fossiles qu’il s’agit de lever. La neutralité carbone continuera de dériver dans le temps si la volonté de sortir des énergies fossiles n’est pas actée par la COP 28 avec une démarche précise de mise en œuvre. Il y a aujourd’hui sur la planète des bombes climatiques dans les mains de certaines entreprises pétrolières et minières qui peuvent ruiner ce combat planétaire de 30 ans si la vénalité de quelques-uns continue à prévaloir sous forme d’exceptions et de délais toujours plus longs consentis de guerre lasse à de puissants lobbies. Il est aussi incohérent qu’indécent que soit produit d’ici à 2030 deux fois plus de pétrole que la quantité compatible avec les 1,5°C d’augmentation de la température terrestre.

Les COP sont devenues de gigantesques barnums où défilent des dizaines de milliers de participants. Le plus importants est que ces discussions, en marge des négociations diplomatiques, soient utiles et concrètes. Il n’est plus temps d’attendre ou de se disperser. Les COP ne peuvent devenir des foires commerciales vaines et insensibles. Des technologies doivent être présentées, la digitalisation et l’intelligence artificielle ouvrent de nouveaux horizons pour réussir la transition vers le tout électrique, pour tous, et dans la sobriété. C’est là qu’est le chemin. Mais d’une COP à l’autre, le combat, c’est tous les jours aussi qu’il doit être mené. Il s’agit de convaincre au plus près, autour de nous. Nos pays riches, qui concentrent les richesses et l’influence dans la dynamique de négociation, ont été ébranlés par la pandémie, par les guerres à leurs portes, par l’inflation récurrente, par la précarité qui s’en suit pour une large part de leurs classes moyennes. Le sentiment de déclassement alimente le vote pour les extrêmes et les extrêmes excluent l’action climatique, promettant ici de sortir de l’Accord de Paris, là de reprendre les forages. Le combat climatique n’est pas neutre, il est d’abord une cause humaniste. Affirmons-le ! Cette dimension-là ne doit jamais cesser de nous habiter face à la difficulté des temps, au découragement, aux colères aussi. Car nous n’avons qu’une seule option : réussir.

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Rester soi-même

Cette photo ancienne prise le 11 novembre 2016 face aux Bouches de Kotor (Monténégro) pourra peut-être surprendre. Ce fut ma dernière commémoration officielle comme parlementaire. Je me souviens de ce moment pour cela, mais davantage encore pour le tourment qui était le mien en cette fin d’année 2016. Mon père, très souffrant, vivait ses dernières semaines et nous étions, ma mère, ma sœur et notre famille, profondément affectés par cette épreuve intime. Il fallait vivre cependant et je poursuivais tant bien que mal mes activités de député des Français de l’étranger, à Paris et en circonscription. Mais ce 11 novembre 2016, mon tourment était aussi politique. Quelques jours auparavant, Donald Trump avait été élu Président des Etats-Unis. En France, nous venions de traverser deux années terribles, marquées par les attentats terroristes de Charlie Hebdo, du Bataclan, de l’Hyper Casher et de Nice. L’état d’urgence était en place. Politiquement, la majorité parlementaire ne cessait de se désagréger. La proposition de déchéance de nationalité française présentée par François Hollande m’avait choqué. Elle allait à l’encontre des valeurs pour lesquelles je m’étais engagé dans la vie politique. Les deux minutes d’expression dans l’Hémicycle pour dire que je m’y opposerais furent les plus dures de mon mandat.

Je n’ai jamais aimé être un Cassandre. Je crois en la force du collectif, en la capacité d’agréger des parcours et des idées, parfois différentes, parfois même opposées. Ce fut l’histoire du Parti socialiste depuis son congrès d’Epinay en 1971, et davantage encore après les Assises du socialisme et l’arrivée de Michel Rocard en 1974. Ce fut également l’histoire de l’UMP, le parti de la droite française constitué par Jacques Chirac et Alain Juppé en 2002 par la réunion des gaullistes du RPR, des libéraux de DL et des démocrates-chrétiens de l’UDF. Un corps d’idées, un socle de valeurs et de principes unissait les membres, les militants et sans doute aussi une large part des électeurs. Je n’ai jamais vécu la vie politique comme un combat sans merci, une lutte contre des adversaires qu’il faudrait nécessairement haïr, battre, écraser. Je n’aime pas l’expression de clivage droite-gauche, non pas parce que je me défierais des différences – je suis un homme de gauche – mais parce que je récuse l’expression « clivage », qui sous-entend l’existence d’une frontière séparant irrémédiablement les gens. Je crois avant tout en le respect bienveillant des différences, qui sont saines et estimables, et que je crois par ailleurs dépassables pour les causes qui doivent rassembler, parmi lesquelles l’avenir du pays, de ses institutions et de la démocratie.   

En politique, il faut pouvoir rester soi-même. L’union ne peut se faire à contre-emploi, en reniant ce à quoi l’on croit, parfois depuis toute une vie. Le dépassement a son sens – j’ai voté pour Emmanuel Macron – mais il ne peut être en même temps un effacement des valeurs et des principes propres à un idéal ou à un courant de pensée. Ce n’est pas ainsi que l’on fait l’union. Je ne pouvais faire mienne en 2016 la proposition de déchéance de nationalité car elle heurtait le principe d’égalité entre les citoyens qui m’est cher par-dessus tout : je ne suis pas davantage français que mes enfants binationaux et je l’avais dit dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale. Fondamentalement, je ne pense pas que l’on soit crédible à porter des propositions que l’on désapprouve personnellement, sauf à verser dans le cynisme, le calcul et l’indifférence à l’égard des électeurs. Ce n’est même pas tant que l’on ait pu prendre position quelque temps auparavant contre une proposition que l’on défendrait désormais, c’est d’abord que l’on ne peut juste pas se regarder en face et se dire avec conviction que ce changement s’inscrirait dans le sens logique des choses. Je crois qu’il y a une sincère noblesse à connaître ses lignes rouges et à ne pas les dépasser, pour protéger le débat politique et se protéger également.

J’écris tout cela aujourd’hui parce que deux évènements intervenus ces derniers jours m’ont marqué. Le premier est la disparition de l’aide médicale d’Etat (AME) votée par le Sénat dans le projet de loi sur l’immigration. Si j’étais encore député, je ne pourrais en aucune manière voter en faveur de la suppression de l’AME. Je ne crois pas que l’AME crée un quelconque appel d’air en faveur de l’immigration illégale en France. Rien n’empêche de faire évoluer la législation française sur l’immigration dans le sens voulu par le gouvernement sans toucher pour autant à l’AME. L’accès aux soins médicaux relève de l’humanité la plus élémentaire, de l’égalité entre citoyens bien sûr, mais aussi et peut-être même avant toute chose de préoccupations de santé publique. La volonté du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin d’aller chercher par la suppression de l’AME une majorité avec la droite à l’Assemblée nationale pour faire adopter le projet de loi heurte profondément mes convictions. Je n’ai pas le souvenir que le candidat Emmanuel Macron portait un tel projet en 2017 et en 2022. Il portait même l’inverse. Je ne pense pas que l’on puisse à ce point se renier et je serai attentif comme électeur au choix de la majorité parlementaire et des députés. La politique ne peut être un situationnisme, une glissade indolore au fil de l’eau.

Le second évènement qui m’a interpelé est l’investiture de Pedro Sanchez à la Présidence du gouvernement espagnol grâce au soutien des députés indépendantistes catalans. Il fallait à Pedro Sanchez les voix des députés du parti indépendantiste catalan Junts pour gagner ce vote. Il y est parvenu, au prix de la promesse d’une loi d’amnistie à l’égard des dirigeants catalans de 2017, dont il disait quelques mois auparavant qu’il ne saurait aucunement en être question et qu’elle serait même anticonstitutionnelle. Fallait-il ainsi charger d’avis, du tout au tout, pour conserver coûte que coûte le pouvoir ? Pour un Européen de ma génération, a fortiori à gauche, la référence en Espagne reste Felipe Gonzalez et son opposition à l’accord de Pedro Sanchez avec Junts est assumée. Lorsque je faisais campagne pour le mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe au Parlement espagnol en 2018, le souci commun au PSOE et au PP de préserver le cadre institutionnel et l’esprit de la transition démocratique espagnole m’avait impressionné. Ces sujets-là requièrent en effet une concorde nationale, une volonté de dépassement. La fracturation de la société espagnole est un défi redoutable, qu’un autre choix que celui de l’alliance avec les indépendantistes aurait permis de réduire : celui du rassemblement, certes inédit, du PP et du PSOE, de 2 Espagnols sur 3, pour refonder le pacte constitutionnel.

La vie politique dans nos démocraties minées par le doute et la perte de confiance citoyenne souffre que rien ne soit clair, que tout devienne relatif et que l’on défende demain ce que l’on a combattu hier. Je reviens à cet automne 2016, à mes propres doutes. Je ne pouvais me faire à l’idée de porter dans un autre mandat, présidentiel et parlementaire, un projet actant la fin du travail, le doute face à l’innovation et à l’entreprise, le renoncement à l’Europe. Je pressentais que c’est ce vers quoi allait le Parti socialiste. J’ai fait un choix et il m’a coûté ma vie politique. J’en ai souffert, mais je ne regrette rien. Je n’ai pas changé, avec mes convictions, avec mes limites certainement aussi. Depuis l’automne 2016, je pense souvent à mon père, à ce qu’il aurait pensé ou dit. J’ai besoin de cette référence qu’il fut pour moi et qu’il demeure par-delà l’absence. Peut-être n’aurait-il pas fait tous mes choix. Ou bien peut-être que si, après tout. Sur la réforme des retraites, son regard m’aurait importé. Il était attaché à la retraite à 60 ans, mais il n’ignorait pas les réalités du monde qui vient non plus. De lui, je tiens l’attachement à l’honnêteté dans le débat d’idées et dans l’action, une forme de boussole juste et rassurante lorsque tout est complexe et rude, le souci d’expliquer, de convaincre et de se laisser convaincre. Et, plus que tout, de ne jamais cesser de chérir ce à quoi on croit, en un mot, en effet, de rester soi-même.

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