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Recul inquiétant des effectifs d’élèves germanistes au collège

J’ai pris connaissance avec inquiétude des résultats de l’enquête menée par l’ADEAF (Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France) sur l’évolution des effectifs d’élèves germanistes à la rentrée 2016 (lire ici). Selon cette enquête, conduite du 1er au 30 septembre 2016 dans 370 collèges en France, ces effectifs sont en retrait de 8% par rapport à la rentrée de septembre 2015. Qu’est-il intervenu dans l’intervalle ? L’entrée en vigueur de la réforme du collège et la suppression des classes bi-langues. Tout au long du printemps 2015, comme bien d’autres acteurs et militants de l’apprentissage de l’allemand en France, je n’avais eu de cesse de mettre en garde le gouvernement et la Ministre de l’Education nationale contre les risques immédiats que ferait courir la suppression des classes bi-langues et des sections européennes pour l’apprentissage de l’allemand dans notre pays (lire ici). En vain. Il fallait coûte que coûte en finir avec le supposé « élitisme » des classes bi-langues, vues comme un instrument de « contournement » de la carte scolaire et en rien comme le dispositif qui avait permis depuis les années 2004-2005 de stabiliser les effectifs d’élèves germanistes en France. La substitution de l’apprentissage de la LV2 en 5ème aux défuntes classes bi-langues, assurait la Ministre, non seulement maintiendrait les effectifs de germanistes, mais les ferait croître.  

Les chiffres, malheureusement, prouvent tout l’inverse et cela ne me surprend pas. Dans les 370 collèges participants à l’enquête de l’ADEAF, sur l’ensemble des 3 classes concernées par la réforme (6ème, 5ème et 4ème), la baisse est de 8%. Elle est de 31% en 6ème et de 12% en 4ème. Les effectifs augmentent certes de 20% en 5ème, mais ne renversent pas la tendance négative que cette première rentrée dans le cadre du collège réformé fait apparaître. La vérité est que la suppression des classes bi-langues entraîne une régression de l’apprentissage de l’allemand sur l’ensemble du collège. J’ai été consterné de découvrir des témoignages de professeurs d’allemand sur le regroupement d’élèves à des stades d’apprentissage pourtant différents, comme par exemple des élèves de 5ème issus de 6ème bi-langue avec des débutants de 5ème ou 4ème). Tout cela n’a aucun sens pour ces élèves-là et ne contribue pas à l’évidence à l’attractivité de l’apprentissage de l’allemand, annoncée pourtant par la Ministre comme l’une de ses priorités. J’observe en outre que la réforme du collège a accru les inégalités entre régions face à l’apprentissage de l’allemand : les classes bi-langues ont disparu partout où n’existe aucun enseignement en primaire. Ainsi, il ne reste quasiment plus aucune classe bi-langue dans l’académie de Caen alors même que toutes ont survécu à Paris…

L’élitisme tel que je le comprends, c’est lorsque certains élèves, en fonction de la ville et région où ils vivent, ont plus de chances que d’autres de pouvoir apprendre l’allemand. Et la suppression des classes bi-langues sera parvenue, tristement, à renforcer cet élitisme. Un collège rural et un collège de ZEP qui ont perdu leurs classes bi-langues, ce sont des centaines d’élèves exposés à davantage d’inégalités et d’injustice encore. Je ne peux l’accepter. J’ai des amis germanistes issus de ZEP, à qui les classes bi-langues ont mis le pied à l’étrier non seulement de l’allemand mais plus généralement de l’excellence. S’ils retournaient en 6ème dans leur collège aujourd’hui, ils n’auraient plus cette même chance. Une seconde langue, même débutée en 5ème, ne s’apprendra jamais de la même manière et en tout état de cause avec autant d’heures de cours qu’une première langue. Je pense aux professeurs d’allemand découragés par cette réforme, contraints de se démultiplier sur plusieurs collèges et/ou écoles primaires pour pouvoir conserver l’intégralité de leur service. Est-ce ainsi que l’on alimente les vocations, que l’on donne envie d’enseigner et de faire partager la passion de l’allemand ? Non. La preuve en est, malheureusement, que seulement quelque 60% des postes offerts aux concours sont désormais pourvus.

Comme député de la majorité, je suis en total porte-à-faux avec le gouvernement sur cette affaire depuis deux ans. J’ai assumé cette différence (lire ici) et continue de le faire. Ma conviction est que la suppression des classes bi-langues et des sections européennes se place à rebours de nos engagements avec l’Allemagne, notre premier partenaire politique, économique et commercial. J’aime l’Allemagne, c’est vrai, et la situation présente me peine d’abord pour cette raison. Mais je pense plus que tout, au-delà de la dimension affective, à l’employabilité des jeunes Français. L’employeur que je fus avant mon élection à l’Assemblée nationale se souvient combien la maîtrise de l’allemand était un plus pour l’embauche et la carrière professionnelle, en Allemagne bien sûr, mais aussi en France et ailleurs (lire ici). Tant de jeunes Français pourraient trouver un emploi en Allemagne, où les offres restent parfois non-pourvues, s’ils maîtrisaient l’allemand. Il est désespérant, même dans les régions frontalières, de voir que le taux de chômage des jeunes est de 4 ou 5 fois supérieur chez nous et que la barrière linguistique (et donc culturelle) empêche d’aller trouver le premier emploi (et donc la confiance personnelle qui, souvent, manque) de l’autre côté de la frontière. Apprendre l’allemand, c’est plus que jamais un passeport professionnel, un passeport pour l’avenir.

Je voudrais imaginer que ces premiers chiffres présentés par l’ADEAF provoqueront une prise de conscience et que la réponse ne sera pas de leur opposer d’autres chiffres, officiels ceux-là, en fin d’année. Car nous serions encore dans cet affligeant dialogue de sourds qui dure depuis près de deux ans et qui ne mène strictement nulle part, sauf au recul des effectifs d’élèves germanistes et au découragement d’enseignants formidables auquel hommage doit plus que jamais être rendu. Je pense en particulier à ces jeunes professeurs à qui des formations accélérés sont désormais proposées en toute hâte afin de les conduire à enseigner d’autres matières que l’allemand, auquel ils avaient pourtant choisi, se présentant au concours, de consacrer leur vie. Je pense également à tous ceux qui font vivre les échanges franco-allemands, enseignants ou non, que ces incertitudes attristent et démotivent. Une déléguée interministérielle à l’allemand avait été nommée à la mi-2015. Un an plus tard, elle est déjà partie. N’est-ce pas là aussi un signe inquiétant, la preuve d’une erreur politique dont je veux croire qu’il n’est pas encore trop tard pour la corriger ? Seule la généralisation des classes bi-langues, couplée au développement de l’apprentissage précoce, relanceront l’allemand en France. C’est à cette tâche qu’il faudra s’atteler dans les mois et années à venir, sans préjugé ni tabou, avec la plus grande volonté.

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