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Audition par la mission d’information sur les relations entre la France et l’Azerbaïdjan (nov. 2016)

Rapporteur général de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), j’ai été auditionné jeudi dernier par la mission d’information mise en place à l’Assemblée nationale sur les relations politiques entre la France et l’Azerbaïdjan. Cette mission, présidée par le député UDI de la Loire François Rochebloine et dont le rapporteur est le député PS de l’Eure Jean-Louis Destans, compte 30 membres, issus de tous les groupes parlementaires de l’Assemblée. Elle remettra dans quelques semaines son rapport qui, à en juger par le débat qui avait présidé à sa formation au printemps dernier, fera certainement du bruit.

L’Azerbaïdjan est un partenaire commercial de la France dont l’importance doit être reconnue. C’est aussi un pays dont la relation au respect des droits et libertés fondamentales est notoirement distendue. Sur fond de largesses azerbaïdjanaises à l’égard de certains projets et causes chez nous, présentées notamment dans l’émission Cash Investigation sur France 2 l’an passé (voir ici), et de perception en France du conflit territorial au Nagorno-Karabakh avec l’Arménie, le débat ne peut être que difficile. Sommes-nous trop attentifs aux intérêts commerciaux et insuffisamment exigeants sur les droits de l’homme, voilà, rapidement résumée, l’interrogation.

J’ai été heureux que la mission d’information décide de m’auditionner. Il est malheureusement peu fréquent que le travail effectué à l’APCE soit ainsi mis en valeur par l’Assemblée nationale dans ses propres activités. Je me suis attaché dans mon intervention à rester sur les faits faisant l’objet d’arrêts de la CEDH. J’ai également souligné les initiatives et interventions du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muiznieks ainsi que les travaux du Comité des Ministres sur l’exécution des arrêts. La réalité est rude : l’Azerbaïdjan malmène les droits et libertés dans le but de faire taire tous les défenseurs des droits de l’homme. Cette affirmation a pu irriter certains membres de la mission. Elle n’en est pas moins vraie.

Voici plus bas la trame de l’intervention que j’avais préparée en vue de cette audition. A l’issue de mon intervention, j’ai répondu aux questions du président et du rapporteur, ainsi que de plusieurs membres de la mission. Mon appréciation sur le respect des droits et libertés fondamentales en Azerbaïdjan est sévère, mais juste, je crois, au regard des faits et jurisprudences portées à mon attention comme rapporteur général à l’APCE. A une question qui m’était posée sur le contrepied que prendrait mon expression par rapport à la perception de nos diplomates sur place, j’ai répondu que je ne pouvais me résoudre à relativiser le respect des droits et libertés, même face à des perspectives commerciales importantes.

L’idée que je me fais de la protection des droits et libertés n’épouse pas une géométrie variable. Mon cheminement personnel vers l’action publique s’est construit sur le combat pour la démocratie. Aujourd’hui député, actif sur ces questions à Paris et Strasbourg, ce serait me renier que de faire silence sur les violations des droits de l’homme en Azerbaïdjan. J’avais à l’esprit jeudi, face à la mission, le visage perdu de Dinara Yunus, la fille unique des défenseurs des droits Leyla et Arif Yunus, venue me voir à Strasbourg au printemps 2015 pour me demander de l’aide afin de sortir ses parents des prisons où les avaient jetés le régime du Président Aliyev. Une jeune femme seule d’à peine 20 ans, en exil aux Pays-Bas. C’est pour elle, pour eux deux, pour eux tous que je suis intervenu jeudi.

 

Pierre-Yves Le Borgn’

Mission d’information sur les relations entre la France et l’Azerbaïdjan

Jeudi 3 novembre 2016

Détérioration marquée des libertés d’expression, de réunion et d’association en Azerbaïdjan ces dernières années.

L’Azerbaïdjan n’est clairement pas une démocratie au sens où nous l’entendons et il n’est pas illégitime de s’interroger sur le bien-fondé de sa présence comme Etat membre d’une organisation telle que le Conseil de l’Europe, la maison européenne du droit. Depuis l’adhésion de l’Azerbaïdjan en 2001, l’Etat de droit non seulement n’y a pas progressé, mais il a sans doute reculé. Pas certain que si la demande d’adhésion était reformulée en cette fin 2016, elle serait acceptée.

Quelle est la difficulté ? La volonté du régime du Président Aliyev de réduire au silence TOUS les défenseurs des droits de l’homme en Azerbaïdjan. C’est en prison, à l’hôpital ou en exil qu’ils se trouvent désormais pour la plupart. De ce fait, il devient impossible pour le Conseil de l’Europe, notamment pour l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et le Commissaire aux droits de l’homme, de travailler efficacement sur les questions de droits et libertés en Azerbaïdjan.

Exemples :

1 : Poursuites pénales sous divers motifs fantaisistes exercées à l’encontre de personnes critiques du régime : opposants politiques, journalistes, bloggeurs et militants des droits de l’homme. Harcèlement judiciaire et représailles systématiques contre ceux qui coopèrent avec les organisations internationales pour dénoncer les violations des droits de l’homme. Détention préventive illimitée, sans passage devant un juge.

 

2 : Pénalisation de la diffamation et octroi d’indemnités disproportionnées dans le cadre de procédures civiles. Volonté systématique d’ignorer les recommandations du Conseil de l’Europe et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La pénalisation de la diffamation est le meilleur moyen de réduire les journalistes au silence. Cela veut dire prison et ruine financière pour avoir exprimé des opinions libres. Entraine l’autocensure par peur pour soi et pour les siens.

 

3 : Restrictions des activités des ONG depuis loi de 2014, adoptée sans tenir compte des critiques et recommandations de la Commission de Venise (2011 et 2013). La complexité des exigences en matière d’enregistrement (refus non-motivés, traitement très long des demandes) pousse un certain nombre d’ONG à fonctionner en marge de la loi. Aussitôt poursuivies pour évasion fiscale et activités illicites. Pour les ONG internationales, nécessité d’obtenir un accord préalable du Ministre de la Justice, après avoir démontré qu’elles respectent les « valeurs morales nationales » et ne sont pas impliquées dans une « propagande politique ou religieuse ». Interdiction de percevoir fonds étrangers supérieurs à plus de 185 Euros sans accord préalable du Ministre de la Justice. Comptes bancaires de nombreuses ONG gelés, dont association azerbaïdjanaise des avocats, institut pour la liberté et la sécurité des reporters, Transparency International ou Oxfam.

 

4 : Usage excessif de la force contre des manifestations pacifiques. Participants arrêtés, placés en détention administrative et condamnés à de lourdes amendes.

 

5 : Violation du droit de propriété. Démolitions d’habitations sans droit de recours effectif.

 

6 : Fraude électorale. Nombre conséquent de jugements de la CEDH depuis plus de 10 ans, allant d’irrégularités dans le processus électoral à l’invalidation arbitraire des résultats des opposants, en passant par l’absence d’examen des plaintes déposées. Présence massive de représentants du parti au pouvoir dans les commissions électorales. Cas symbolique d’Anar Mammadli, militant des droits de l’homme et directeur d’une organisation reconnue de surveillance électorale. 5 ans de prison pour ses critiques sur la fraude électorale. En prison au moment où l’APCE lui décerne le Prix des droits de l’homme Vaclav Havel en 2014. Idem pour Ilgar Mammadov, opposant politique au régime du Président Aliyev, arrêté et emprisonné juste avant les élections. Condamné à 7 ans de prisons pour troubles à l’ordre public. Tellement insupportable que l’OSCE retire sa mission de surveillance sur place.

Nombreuses interventions du Commissaire aux droits de l’homme en qualité de tierce partie. Ces interventions ne contiennent aucun commentaire sur les faits ou la substance de la requête. Elles visent à fournir à la CEDH des informations objectives et impartiales sur les éléments d’inquiétude concernant le respect des droits de l’homme. En 2015, 5 interventions dans ce cadre : Hilal Mammadov, Intigam Aliyev (7,5 années de prison), Rasul Jfarov (6,3 années de prison), Anar Mammadi, Leyla et Arif Yunus (respectivement 8,5 années et 7 années de prison, avant assignation à résidence pour raisons médicales, puis expulsion). En 2016, une intervention : journaliste d’investigation Khadija Ismayilova, arrêtée au retour d’un débat à l’APCE (7,5 années de prison).

Impossible de travailler avec l’Azerbaïdjan à ce jour : Le Secrétaire-général du Conseil de l’Europe Thorbjorn Jagland décide en 2015 le retrait de son représentant au groupe de travail établi sur les droits de l’homme.

Suivi par le Comité des Ministres des arrêts de la CEDH non-exécutés par l’Azerbaïdjan : 164 affaires au 2 novembre 2016. Elles portent essentiellement sur :

– Application arbitraire du droit pénal dans le but de limiter la liberté d’expression (affaires Mahmudov et Agazade, Ilgar Mammadov, Rasul Jafarov). Recommandations portent sur indépendance du pouvoir judiciaire et des procureurs. Réformes nécessaires, réclamées par le Conseil de l’Europe. Moratoire en ce moment sur peines longues pour diffamation (léger progrès). Demande de libération immédiate de Ilgar Mammadov. Attention particulière sur la situation de l’ancien Ministre Ali Insanov, condamné à 11 ans de prison sous divers motifs fantaisistes et contre qui de nouvelles charges ont été portées à 9 jours de sa libération, le conduisant aussitôt en détention préventive.

 

– Impossibilité pour les personnes déplacées durant le conflit au Nagorno-Karabakh de retrouver leurs maisons et leurs biens. Aucun moyen de défense effectif à leur disposition.

 

– Arbitraire dans le contrôle de la régularité des élections.

 

Conclusion : tableau sombre. Pareille situation devrait provoquer la même réprobation unanime dans une enceinte parlementaire. Confiance cependant dans la capacité de mobilisation des ONG au plan international pour forcer le changement à terme. Le regard des pairs a du poids. Ne pas relâcher la pression, l’intensifier même.

Election récente en octobre dernier du juge azerbaïdjanais à la CEDH, un candidat convaincant et indépendant. Après 2 listes initialement rejetées par l’APCE… Ne jamais désespérer, finalement.

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