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L’Europe, cette belle et utile utopie

Dans quelques mois, à la fin mars, l’Europe aura 60 ans. Celle du Traité de Rome, qui posa les bases institutionnelles et politiques de ce qu’est aujourd’hui l’Union européenne. Les chefs d’Etat et de gouvernement se retrouveront dans la Ville éternelle pour célébrer l’anniversaire. Ils seront 27. Sur la traditionnelle photo de famille, il manquera Theresa May. Le Royaume-Uni, dans l’intervalle, aura très probablement engagé son processus de sortie de l’Union prévu par les Traités. Les anniversaires d’une belle aventure doivent toujours se célébrer. Ils peuvent être joyeux et heureux. Ils peuvent aussi être moroses. Ces 60 ans n’auront malheureusement pas le goût de la fête. Trop d’incertitudes, de déceptions et de périls, certainement.

Les peuples n’aiment plus l’Europe. Parce que l’Europe a oublié de protéger, parce que – chemin faisant – l’Europe a oublié les Européens. Que peut-il bien rester de l’idéal lorsque la désindustrialisation et la pauvreté sont la réalité vécue par des villes, des régions et des pays entiers ? La carte électorale de la colère et des illusions perdues, tout simplement. L’Europe crève d’être devenue ce mécano institutionnel en perpétuelle réinvention, où les décisions, lorsqu’elles se prennent, sont tardives, dramatiques et illisibles. Dans le secteur solaire qui fut le mien, il aura fallu deux années de palabres pour imposer des droits anti-dumping sur les importations chinoises. Trop tard pour sauver une industrie stratégique et des dizaines de milliers de destins.

Et pourtant j’aime l’Europe, profondément. J’y suis venu par la culture. Par l’apprentissage, puis l’élaboration du droit ensuite. L’Europe est une émotion, une appartenance. Mon Europe est celle des œuvres et des paysages, des lettres et des langues, des artistes et des juristes. J’ai eu la chance de la découvrir à une époque – la fin du siècle passé – qui, sans être moins incertaine, conjuguait à la différence d’aujourd’hui la passion avec la volonté. Car sans volonté, il n’y a pas d’Europe. Quelle volonté ? D’abord celle de vivre ensemble, d’affirmer une identité commune, nourrie de valeurs partagées, revendiquées et défendues. Le refus l’an passé de certains pays de l’Union européenne d’accueillir les réfugiés chassés par la guerre, la peur et la mort m’a bouleversé.

A l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, j’ai parfois eu des mots rudes face à la sécheresse des cœurs et aux discours d’exclusion. Je les assume. L’on ne peut d’un côté recevoir des milliards d’Euros de fonds structurels et de l’autre refuser la solidarité collective. L’Europe de Viktor Orban et de Jaroslaw Kacszynski n’est pas la mienne, celle de Robert Fico non plus. Les grandes familles politiques qui ont construit l’Europe, celles d’Adenauer et de Delors, préfèrent désormais l’arithmétique des sièges et des présidences à l’idéal qui avait su les rassembler. Je le regrette infiniment. Face à la colère des peuples, c’est pourtant la voie de ce courage-là qu’il faut retrouver, en défense de notre communauté de destins et du multiculturalisme qui la fonde.

2017 est une année anniversaire. Elle sera également celle de périlleux rendez-vous électoraux en France, Allemagne, Italie et Pays-Bas. A droite et malheureusement aussi à gauche, les extrêmes veulent sortir nos pays de l’aventure européenne et nous pousser in fine hors de l’histoire. La rupture avec Schengen, la sortie des Traités, le refus du droit de l’Union, le retour au Franc ou la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme ne construiront aucunement l’avenir. Ce n’est pas en brisant ou en rejetant que l’on protègera. C’est au contraire en s’investissant courageusement sur le terrain diplomatique, parlementaire et citoyen, en bâtissant des compromis ambitieux et exigeants, en retrouvant par là-même le sens de l’idéal européen égaré.

Dans les campagnes à venir, je porterai ce message avec cœur. Jamais je ne laisserai l’Europe de côté ni ne m’en écarterai sous quelque motif ou, pire encore, pour quelque calcul que ce soit. Ce serait renier le parcours et les années qui m’ont conduit à la vie publique. Cela vaut pour le débat électoral général comme également pour celui qui traverse la gauche et ma famille politique. Le souverainisme, le pessimisme, le scepticisme, ce sera sans moi. Oui à l’Europe des valeurs, oui à l’Europe du savoir et des apprentissages, oui à l’Europe qui protège jusqu’à ceux qui viennent d’ailleurs, oui à l’Europe qui sécurise ses frontières et la gouvernance de son économie, oui à l’Europe qui agit passionnément pour la paix et le développement dans le monde !

Les 60 ans du Traité de Rome, je les célébrerai sur le terrain et dans l’action concrète, comme chaque jour depuis bientôt 5 ans, comme avant ma vie parlementaire aussi, conscient des défis qui se posent, conscient tout autant que la souveraineté européenne est la réponse. Ce n’est pas à reculons que l’on construit l’avenir, en blâmant « la Commission de Bruxelles » ou « les juges de Strasbourg » pour des décisions dont l’on est pourtant intimement comptable, en pointant du doigt, qui les Allemands, qui les Grecs, qui les Italiens, qui finalement tout le monde pour masquer nos atermoiements, nos frilosités et nos échecs. L’Europe, c’est d’abord chacun d’entre nous, chacun d’entre nos pays. Elle est notre responsabilité. Elle reste plus que jamais l’utopie utile.

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