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Présentation du rapport parlementaire sur les Balkans occidentaux et l’Etat de droit

J’ai présenté hier devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le rapport sur les Balkans occidentaux et l’Etat de droit, sur lequel je travaillais depuis le début du mois de novembre en binôme avec mon collègue et ami Jean-Claude Mignon, député de Seine-et-Marne. Vous trouverez ci-joint une copie intégrale du rapport au format PDF, dont la publication et la mise en ligne sur le site de l’Assemblée, autorisées par la Commission des Affaires étrangères, devraient intervenir sous quelques jours. Jean-Claude Mignon et moi avons la conviction que l’avenir des pays des Balkans passe par l’Europe, mais également que l’avenir de l’Europe passe par les Balkans. Un scepticisme récurrent s’exprime souvent chez nous à l’égard de ces pays, que l’on considère volontiers, parfois avec une regrettable condescendance, comme aux franges de l’Europe et non en son cœur. C’est une erreur. Ces pays, tous ces pays, sont en Europe et ont vocation à rejoindre les organisations européennes, y compris l’Union européenne, dès lors qu’ils auront accompli de nécessaires et importants progrès sur la voie de l’Etat de droit.

Il faut en effet tenir un langage de vérité. Si l’Etat de droit reste incertain, si le débat public est muselé, si l’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas garantie, si la corruption n’est pas vaincue, la porte de l’Union européenne ne s’ouvrira pas. Rejoindre l’Union commande de changer de paradigme et de montrer, non seulement que les législations requises ont été votées, mais qu’elles sont pleinement appliquées et que les résultats sont là. Voilà pourquoi le chemin des Balkans sera long et exigeant. Nous devons aider ces pays. La France doit replacer les Balkans au rang de priorité diplomatique, politique et économique. Notre rapport déplore l’effacement de la France depuis son retrait militaire au début des années 2000. Notre présence sur place est insuffisante par rapport à l’Allemagne, l’Autriche ou l’Italie, mais aussi à la Turquie et à la Russie. Un redressement s’opère certes depuis la participation du Président François Hollande au Sommet de Brdo-Brioni en 2013, mais il reste encore timide et le renforcer est, de notre point de vue, une obligation.

Notre rapport présente la vocation européenne d’Etats de droit à ce jour inachevés. Il examine les forces et faiblesses de chacun d’entre eux : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro et Serbie. Nous insistons sur l’intégration régionale comme antichambre de l’Union et cadre de la normalisation des relations de voisinage. L’intégration régionale est une condition politique et économique essentielle sur le chemin de l’Europe. Pour les besoins de notre travail, nous avons auditionné et rencontré des dizaines de personnes : diplomates, universitaires, chercheurs, politiques, journalistes, chefs d’entreprise, ONG et société civile. J’ai interrogé également les Français des Balkans, recueillant plus d’une quinzaine de témoignages, écrits ou partagés à l’occasion de conférences sur Skype. Nous avons effectué une mission d’une semaine en Bosnie-Herzégovine et en Serbie du 5 au 10 février. Je me suis par ailleurs rendu au Kosovo, en Macédoine, en Albanie et au Monténégro au cours des 10 derniers mois écoulés.

Jean-Claude Mignon et moi avons mesuré tout au long de notre travail de rapporteurs le chemin qu’il reste à parcourir pour les pays des Balkans occidentaux. La lucidité et l’exigence s’imposent : ce chemin sera long, très long. C’est pour cela que la France doit se donner objectifs et moyens de peser plus fortement dans la région et d’y tracer son sillon. Il existe une attente à l’égard de notre pays, à laquelle il faut répondre. Nous recommandons ainsi de mieux utiliser l’outil de l’assistance technique, de développer la coopération décentralisée, de renforcer notre présence économique et de miser sur la jeunesse et la culture. La jeunesse est à la fois l’atout et le talon d’Achille des Balkans. C’est elle qui croit en l’Europe et en la démocratie libérale, mais c’est elle aussi qui s’en va, loin des Balkans, loin même de l’Europe, désespérée par l’absence d’avenir et le clientélisme. Si rien n’est fait, pour reprendre l’expression d’un de nos interlocuteurs, il ne restera plus à terme dans les Balkans « que des personnes âgées et des nationalistes ».

Voici plus bas le texte et la vidéo de ma présentation du rapport devant la Commission des Affaires étrangères. J’y ajoute une seconde vidéo : celle de mes réponses aux questions soulevées par mes collègues, en particulier Pierre Lellouche et Jacques Myard, farouchement opposés à l’intégration des pays des Balkans occidentaux dans l’Union européenne. Ce rapport des Balkans occidentaux à l’Europe et vice-versa est sans doute, au sein de la Commission des affaires étrangères et sans doute aussi de nos groupes parlementaires la ligne de partage. Dans cette seconde vidéo, je rends également hommage aux soldats français du front d’Orient, qui reposent par milliers dans les cimetières de la région, où je me rends régulièrement au nom du devoir de mémoire. Je cite le cimetière de Bitola, en Macédoine. Et je rappelle enfin le souvenir de la République de Korça, région autonome mise en place par la France dans le sud de l’Albanie durant la Première Guerre mondiale et un peu après (1916-1920), dont nous commémorons le centenaire.

Vidéo de la présentation du rapport :

[youtube VqnqPR6xJOw]

 

 

Vidéo des réponses aux questions :

[youtube fLkVLB6plpQ]


Pierre-Yves Le Borgn’

Commission des Affaires étrangères

468ème (et dernière) réunion de la XIVème législature

 

Madame la Présidente,

Chers collègues,

À l’orée du XXIème siècle, la perspective européenne semblait s’ouvrir en grand pour les Balkans occidentaux, sortis enfin des guerres qui les avaient ravagés tout au long de la dernière décennie du siècle passé. Le sommet de Thessalonique en 2003 officialisait cette vocation européenne : le chemin serait long et difficile, mais au terme d’une décennie, les pays des Balkans occidentaux, à l’époque au nombre de 5, deviendraient d’évidence membres de l’Union européenne.

Rien de cela ne s’est produit. Cette décennie post-Thessalonique, en dépit de progrès conséquents accomplis par les pays concernés, aura été à maints égards une décennie perdue : au nom de la paix retrouvée, l’Union européenne s’est souvent contentée d’une adhésion discursive des dirigeants balkaniques au processus européen, sans chercher à savoir si elle s’accompagnait d’une évolution réelle des pratiques du pouvoir et d’une progression de l’Etat de droit. 

Des pas importants ont été faits dans le cadre des processus de rapprochement entre l’Union européenne et chacun des cinq, puis six pays afin d’intégrer l’acquis communautaire, sur les plans matériel, institutionnel et normatif, malgré les difficultés politiques et économiques. Le processus d’adhésion a été enrichi, se dotant d’instruments juridiques et opérationnels robustes ainsi que de moyens conséquents, même s’ils n’atteignent pas le niveau des financements autrefois accordés aux PECO.

Néanmoins, ce processus d’adhésion rencontre d’importantes limites. Elles tiennent à des caractéristiques propres à chacun des six pays comme à la région dans son ensemble, mais aussi à l’incapacité de l’Union européenne à exercer pleinement un rôle de catalyseur des changements auxquels aspire pourtant une grande partie de la population des Balkans.

Le processus d’élargissement aux Balkans est certes progressivement devenu le prisme structurant des politiques gouvernementales dans les six pays, mais cette situation ne doit pas être considérée comme définitivement acquise. L’intégration européenne n’est pas l’œuvre de démocrates libéraux pro-européens, mais le fait de nationalistes assagis, devenus euro-compatibles. Les héritiers politiques de Franco Tudjman en Croatie ont été les premiers à ouvrir la voie, les autres ont ensuite suivi. Cela s’explique par le fort soutien populaire dont bénéfice l’intégration européenne, la reconduction du Premier ministre Serbe Aleksandr Vučić en est d’ailleurs un exemple récent.

Il faut être attentif à la montée de l’euroscepticisme dans la population des Balkans occidentaux, en particulier chez les jeunes. La population s’impatiente de ne voir aucun changement dans son quotidien. Dans un contexte où les conditions socio-économiques ne cessent de se dégrader et où d’autres modèles, russe ou turc, s’imposent, le positionnement politique des dirigeants balkaniques peut basculer rapidement. Jean-Claude Mignon et moi-même avons pu le constater lors de notre déplacement en Bosnie-Herzégovine, à Sarajevo bien sûr, mais surtout à Mostar et Banja Luka.

La question posée par notre rapport est donc la suivante : comment arrimer cette région stratégique à une Union européenne elle-même frappée par une crise sans précédent ? La stratégie des petits pas de l’Union européenne, qui a fait le choix de se concentrer sur le renforcement de l’Etat de droit, est-elle pertinente ? Quel est le bilan de cette décennie qui devait conduire les Balkans occidentaux à rejoindre l’Union européenne ?

En 1999 avait été lancé à Sarajevo le « Pacte de stabilité », en lien avec le FMI et la Banque mondiale, dont l’objectif principal était d’accompagner la transition des économies balkaniques. Contrairement aux pays d’Europe centrale et orientale, dont le rattrapage économique fut fulgurant dans la perspective de leur intégration à l’Union européenne, après une courte décennie de rattrapage entre 2000 et 2008, les économies balkaniques ont été touchées de plein fouet par la crise financière et peinent depuis lors à sortir de la récession.

Tous les pays de la zone ont des balances commerciales déficitaires de 20 % en moyenne et leurs exportations représentent moins de la moitié du PIB. La concentration des investissements dans des secteurs non productifs, notamment bancaire, a eu pour effet d’accélérer la désindustrialisation. S’y ajoutent le chômage endémique (de 50 % en moyenne pour les jeunes de 16 à 25 ans, ce chiffre atteint près de 70% dans certains pays), la faiblesse du taux d’emploi (inférieur à 50 %), et l’économie souterraine surdimensionnée (entre le quart et le tiers du PIB).

Face à la dégradation des conditions de vie, la colère de la population s’amplifie, et trouve trois principaux canaux d’expression. Le premier symptôme de ce mal-être, c’est le nombre et l’intensité des mouvements sociaux qui ont touché la quasi-totalité des pays des Balkans occidentaux depuis 2010, au point que certains commentateurs ont pu prédire un « printemps des Balkans », qui en réalité n’est jamais advenu, faute de traduction politique des mouvements populaires.

Le second symptôme, très préoccupant, c’est l’exode massif de la jeunesse balkanique. D’ici quelques décennies, des pays comme la Bosnie-Herzégovine pourraient perdre la moitié de leurs forces vives, qui sont pourtant l’avenir de ce pays et les principaux partisans du projet européen. Ainsi que le résumait un interlocuteur de notre mission, il ne restera bientôt plus dans les Balkans que des « personnes âgées et des nationalistes », ce qui réduit certes l’hypothèse de conflits armés, mais fragilise l’orientation européenne de ces pays et leur développement économique.

Car, et c’est le dernier mode d’expression d’une fatigue vis-à-vis du processus européen, le maintien des Balkans dans une situation de sous-développement est propice à la résurgence des nationalismes : en l’absence d’amélioration économique, les thèmes nationalistes demeurent les plus mobilisateurs au plan électoral. L’absence de réaction européenne à l’envoi par Belgrade vers Pristina d’un train couvert de slogans nationalistes ou à l’organisation en République serbe de Bosnie d’un référendum de quasi pré auto-détermination est à ce titre un très mauvais signal adressé à nos partenaires balkaniques.

 

La Commission européenne a fait le choix de faire de la progression de l’Etat de droit la pierre angulaire de l’intégration à l’Union européenne. La lecture de ses rapports annuels de suivi permet de constater la très grande hétérogénéité de la situation des six États : il y a les bons élèves, en particulier l’Albanie ; il y a ceux qui, comme la Serbie, sont plus proches de l’intégration mais ont encore du chemin à parcourir ; il y a enfin des pays comme la Bosnie-Herzégovine, dont la paralysie institutionnelle demeure un obstacle majeur à l’intégration européenne. Cette approche au mérite garantit les mêmes conditions pour tous au départ, mais ne présage pas de la date d’arrivée.

Les travaux de notre mission ont mis en exergue plusieurs difficultés dans ce processus :

 Des obstacles intrinsèques aux Balkans en premier lieu, avec deux États en situation de fragilité juridique :

C’est d’abord la Bosnie-Herzégovine et l’horizon qui semble malheureusement indépassable des accords de Dayton. Pensés pour être provisoires, ces accords enferment le pays dans les clivages hérités de la guerre, font peser des menaces de sécession, serbes ou croates, et maintiennent le nationalisme et le clientélisme. Comme l’a souligné un interlocuteur de notre mission, « avant d’adhérer à l’Union européenne, les Bosniens devraient d’abord adhérer à leur propre pays ».

Il y a ensuite l’épineuse question du Kosovo, que seuls 23 des 28 Etats membres de l’Union européenne ont reconnu. Le fait que l’accord d’association ait été conclu par la Commission européenne et non pas dans le cadre d’un accord ratifié par les États membres constitue un obstacle à une politique européenne homogène. La ligne est cependant difficile à trouver : il nous faut à la fois être cohérent avec nous-mêmes, puisque la France a fait à raison le choix de reconnaître le Kosovo, sans pour autant faire de cette question le point unique des négociations avec la Serbie, au risque en effet d’aliéner l’intégralité du dialogue politique.

Les difficultés sont en second lieu structurelles du côté, et de l’Union européenne, et des États balkaniques :

La nouvelle approche développée par la Commission européenne est bienvenue en ce qu’elle place l’État de droit et les libertés au centre de l’examen des réformes pour prévenir les difficultés rencontrées lors des précédents élargissements. Néanmoins, en la matière, le bilan est clairement en demi-teinte : les réformes se limitent trop souvent à la mise en place des instruments juridiques et peinent à modifier concrètement, dans la réalité des faits, des modes de fonctionnement et des pratiques redoutablement enracinés.

Le fossé est grand entre la production législative conforme aux standards européens et la mise en œuvre réelle des réformes. Il en est ainsi des réformes de la justice : les lois sur la nomination des juges ou leur indépendance abondent, mais elles tardent à être appliquées ou les moyens et compétences du système judiciaire ne permettent pas leur mise en œuvre effective. Citons aussi le cas de la liberté de la presse, théoriquement garantie, mais qui connaît une grave régression dans la quasi-totalité de la région. Citons également la corruption, les trafics et plus généralement le clientélisme. Ou bien enfin le respect défaillant d’un débat public libre.

Notre mission estime qu’il faut faire preuve d’une fermeté assumée avec nos partenaires balkaniques, sans tomber dans une posture moralisatrice. Car le processus vers l’adhésion et les réformes structurelles qui l’accompagnent sont aussi importants que l’objectif final et l’adhésion en elle-même, ce qui implique que les États se l’approprient. Mais appropriation ne veut pas dire régime d’exception et les pays des Balkans, s’ils veulent entrer dans l’Union européenne, vont devoir accepter ce changement de paradigme politique. L’Union, c’est en effet une communauté de devoirs et de droits.

Enfin, l’Union européenne, embourbée dans ses crises, n’a plus la même capacité ni la même volonté d’assumer un processus politique. Il en résulte une inquiétante renationalisation de la politique européenne à l’égard des Balkans : il est frappant par exemple que ce soit une initiative germano-britannique qui, en 2014, ait proposé, sans y associer la France au demeurant, une relance du dialogue de la Bosnie-Herzégovine avec Bruxelles. Le refus du Conseil de suivre l’avis de la Commission sur l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine illustre également combien les intérêts nationaux, grecs et bulgares en l’occurrence, pèsent sur la poursuite et sur la crédibilité du processus d’élargissement. Le véto croate sur l’ouverture du chapitre de négociation 26 avec la Serbie illustre lui aussi les risques d’instrumentalisation du processus d’élargissement pour le règlement de différends bilatéraux.

 

Que peut faire la France ? La présence française dans les Balkans occidentaux s’est matérialisée au cours des années 1990 et 2000 par une participation intense et reconnue au sein des missions internationales (engagement dans la FORPRONU en Bosnie-Herzégovine, qui a coûté la vie à 84 soldats français, contingent de militaires au titre de l’opération EUFOR-Althéa, rôle actif dans la Mission de police de l’UE ; au Kosovo, trois français à la tête de la KFOR et deux à celle d’EULEX ; en Macédoine, participation active au règlement de la crise de 2001, négociation de l’Accord-cadre d’Ohrid et conduite de la réforme constitutionnelle par Robert Badinter).

 

Mais avec son retrait militaire intervenu par la suite, la France n’a pas développé son implantation diplomatique et économique. Elle a laissé le soin à l’Union européenne de conduire une politique d’intégration régionale et de rapprochement dont l’on vient de voir les nombreuses limites.

En 2013, le président de la République a été invité au Sommet de Brdo-Brioni en Slovénie, signe du souhait des pays des Balkans occidentaux d’un retour de la France. La prise de conscience de la nécessité de reprendre pied dans les Balkans occidentaux, dans le contexte d’affaiblissement de l’Union européenne et d’enrayement du processus d’élargissement, a alors eu lieu.

Plusieurs signes ont été donnés : réinvestissement des enceintes internationales, nomination d’un représentant spécial chargé de développer nos relations économiques dans la région (Alain Richard), mandat donné en décembre 2016 à l’AFD de lancer une prospection sur la pertinence d’y développer ses activités, décision concomitante d’adhérer au cadre d’investissement pour les Balkans occidentaux et inscription des Balkans occidentaux parmi les régions prioritaires pour l’Institut français.

L’organisation le 4 juillet 2016 à Paris du Sommet des Balkans, dans le cadre du processus de Berlin, est la manifestation la plus nette de ce retour politique. Il est important de souligner que ce Sommet ne s’est pas réduit à des déclarations incantatoires, mais a permis d’avancer sur deux volets importants : la dimension jeunesse (création de RYCO, l’office régional pour la jeunesse), avec le soutien fondateur de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ) ; la dimension économique (projets d’interconnexion et forum d’affaires : plus de 120 rendez-vous individuels avec les experts et entreprises de la zone pour les 70 entreprises françaises participantes du forum et les 20 entreprises publiques et privées venues des Balkans).

Peut-on pour autant y voir une véritable inflexion stratégique ? Non. Celle-ci reste encore clairement insuffisante à nos yeux. Il faut passer à l’échelle supérieure. La présence française demeure sous-dimensionnée et manque de cohérence globale. En termes d’implantations, le dimensionnement des postes diplomatiques est réduit. Notre ambassade au Monténégro est devenue un poste de présence diplomatique à format très allégé, alors même que le Monténégro joue pourtant un rôle-pivot dans la région. Les dotations du réseau culturel sur les 6 pays totalisent moins de 3 millions d’Euros, sachant que les capacités d’autofinancement sont faibles. Il n’y a pas sur place d’outils publics de diplomatie économique : Business France n’y a aucun bureau et le service économique régional est basé à Sofia.

Pour parvenir à avoir une présence marquée et une action cohérente et efficace sous contrainte budgétaire, il faut jouer avec toute la palette des leviers, tirer parti de la mutualisation des moyens et cibler précisément des domaines d’intervention prioritaires.

                                     

S’agissant des moyens, il est nécessaire de consolider l’articulation entre approche régionale et coopérations bilatérales. En termes d’organisation, nos Ambassades travaillent bien en réseau à l’échelle de la région et particulièrement dans l’action d’accompagnement à l’établissement de l’Etat de droit. Elles peuvent s’appuyer en matière culturelle sur le réseau européen EUNIC (réseau d’instituts culturels nationaux, dont en pratique les Instituts français pilotent les projets dans les cinq pays où ils existent). Le service économique basé à Sofia s’organise également par contractualisation avec les chambres de commerce, sous la houlette du représentant spécial.

Certaines structures implantées dans la région pourraient servir d’appui à des coopérations. La France dispose d’une conseillère chargée de la lutte contre la traite des êtres humains à la Représentation permanente auprès des Nations Unies à Vienne, d’une Ambassadrice en charge des menaces criminelles transnationales basée à Paris et d’un pôle régional de lutte contre la criminalité dans les Balkans basé à Belgrade. Ce pôle peut venir en appui des structures régionales et des mécanismes de coordination des ministères de l’Intérieur et de la justice. La France doit de manière générale mieux investir les enceintes régionales. Elle est membre observateur du SELEC (Southeast European Law Enforcement Center) et devrait devenir partenaire opérationnel comme l’Italie.

Sur le plan des financements, les enveloppes multilatérales sont conséquentes : crédits de l’Instrument de pré-adhésion (IPA), 1.5 milliard d’Euros à travers la BERD, fonds du FMI et de la Banque Mondiale… La France accuse un retard certain par rapport à l’Allemagne, l’Autriche ou l’Italie, tant dans la présence de nos ressortissants dans ces enceintes que dans la captation des fonds.

S’agissant du contenu de la coopération, qui manque à ce jour de substance, deux axes complémentaires nous apparaissent à poursuivre : le renforcement de l’État de droit et de l’efficacité opérationnelle des structures administratives ou judiciaires pour lesquels la France dispose de capacité d’expertise reconnues ; le développement d’actions bilatérales dans le domaine de la diplomatie d’influence, avec le souci de répondre prioritairement aux besoins des sociétés des Balkans (développement économique, actions pour la jeunesse, soutien aux sociétés civiles).

Six cadres d’action nous semblent pertinents :

-1- L’assistance technique, particulièrement le développement des jumelages et l’envoi d’experts avec deux axes : une approche de diplomatie économique par le soutien aux exécutifs, à l’image de la coopération en matière de développement rural en Serbie ; une coopération en direction des professionnels du droit, qu’il s’agisse des magistrats, des avocats, des procureurs, dans les domaines pénal, administratif ou commercial. La France dispose d’une expérience au sein du Conseil supérieur de la magistrature, de l’Autorité de la concurrence, des barreaux et du Conseil supérieur du notariat, qui pourrait être utilement mise à profit ;

-2- La mobilisation des collectivités territoriales pour développer la coopération décentralisée, sur le modèle de celle qui existe entre la Macédoine et la Normandie ou l’Europe du Sud-Est et Rhône-Alpes-Auvergne. Les collectivités des Balkans tireraient profit de l’expertise des exécutifs locaux français, que ce soit pour le développement du tourisme, de la protection du patrimoine ou de la gestion de l’eau.

-3- La coopération en matière de sécurité et de défense : les coopérations bilatérales mériteraient d’être renforcées (police, douane, justice). Les initiatives en la matière fonctionnent bien car les pays sont demandeurs : accords conclus en septembre et octobre 2016 avec la Serbie, notamment sur le renseignement criminel; coopération sécuritaire avec le Kosovo sur la formation contre le terrorisme et la cybercriminalité ; coopérations sectorielles conduites par notre attaché de sécurité intérieure en Macédoine, notamment dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et l’immigration clandestine.

-4- Une mobilisation des acteurs économiques à conforter après le Forum France-Balkans du 4 juillet 2016. Les échanges et les investissements français sont très en-dessous de leur potentiel, même si l’environnement est concurrentiel. Il convient d’avoir une approche coordonnée et bien organisée, en accordant la priorité notamment aux filières de la ville durable, du tourisme et de l’agro-alimentaire.

-5- Une réponse aux aspirations de la jeunesse en contribuant à sa formation. La place de la langue française est en recul et nos coopérations universitaires restent très limitées. Une nouvelle impulsion doit être donnée en mettant l’accent sur l’excellence éducative au travers notamment de la reconnaissance des filières bilingues, qui existent parfois depuis des décennies, en les distinguant par l’octroi du label FrancEducation.

-6- Le soutien aux sociétés civiles, particulièrement dans trois directions : le travail de réconciliation et de mémoire, qui est loin d’être terminé dans la région, l’ouverture culturelle (arts vivants et cinéma) et le soutien à la professionnalisation du secteur des médias. Ce sont des domaines dans lesquels la France dispose de compétences reconnues et qui sont essentiels pour l’accompagnement politique de ces pays. C’est la raison pour laquelle l’Office balkanique pour la jeunesse (RYCO) a aujourd’hui tant d’importance. Il faut une action diplomatique forte pour permettre à cet Office, avec le soutien actif de l’OFAJ, de devenir le ferment d’une nouvelle histoire des Balkans.

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Voilà les conclusions et propositions de notre rapport. Je tiens à saluer Jean-Claude Mignon, collègue et ami, avec qui j’ai pris un immense plaisir à accomplir cette mission. En ce jour de fin de notre législature, je retire de ce travail dans les Balkans occidentaux et aussi de sessions partagées à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe avec Jean-Claude qu’il est possible, dans le respect de nos différences politiques et partisanes, de nous rassembler pour le meilleur autour de grandes causes. Nous avions, à l’évidence, la même passion pour les Balkans occidentaux, ce merveilleux coin d’Europe où se mêlent la générosité, la volonté et les drames de l’histoire. Je veux remercier aussi du fond du cœur Tiphaine Cosnier et Clémentine Simon pour leur engagement à nos côtés, leur professionnalisme, leurs qualités humaines à toutes les deux et leur solide sens de l’humour aussi, sans lequel il eut été certainement difficile de supporter le redoutable tandem que Jean-Claude et moi avons formé.

Rapport Les Balkans occidentaux et l’Etat de droit

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