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Passions mosellanes

Longtemps, la Moselle a été pour moi une petite pièce sur le puzzle de la France par départements que j’avais reçu le jour de mes 7 ans. Je me souviens encore de la couleur orange de cette pièce, du numéro 57 et du nom de la ville de Metz, qui apparaissait comme la préfecture. Du Finistère et de Quimper, la Moselle et Metz étaient loin. La route des vacances ne passait pas par là-bas. L’apprentissage de l’histoire, puis l’économie et la crise de la sidérurgie mirent peu à peu la Moselle sur ma carte à l’âge de l’adolescence et du lycée. Et un match de foot aussi, qui vit le club de mon cœur, le Stade Quimpérois, celui dont je portai le maillot gwen ha du (blanc et noir en breton) avec tant de fierté, sombrer un soir du printemps 1988 au Stade Saint-Symphorien dans un quart de finale de Coupe de France face au FC Metz, le futur vainqueur de l’épreuve. Mais en Moselle, je n’étais encore jamais allé et je crois bien que c’est en 1992, roulant dans ma vieille 2 CV en direction de Luxembourg et du stage qui m’attendait à la Cour de Justice européenne que j’y fis mon premier passage. J’étais passé par Thionville. J’avais vu aussi la vallée de la Fensch.

La Moselle m’est depuis devenue familière. J’y suis retourné souvent, poussant vers l’est du département et vers la frontière avec l’Allemagne. Il y a près de 15 ans, chargé d’une mission pour mon entreprise américaine, j’avais passé un petit temps à étudier l’idée de construire à Saint-Avold une usine de fabrication de panneaux solaires. Elle aurait été la plus grande de France. C’était un investissement de 100 millions d’Euros. Le choix s’était porté sur une autre région, mais il ne s’était pas fallu de grand-chose. Cela m’aurait plu que le projet se fasse en Moselle. L’énergie du futur dans un territoire que le charbon et la sidérurgie ont tellement façonné, il y aurait eu là une belle histoire à écrire et une aventure industrielle formidable à faire vivre. Ce qui m’avait touché, ce qui me touche toujours, c’était les gens rencontrés, la diversité des Mosellans, leur manière de parler de leur terre industrielle, marquée de tant de combats du monde ouvrier, et d’espérer qu’un nouveau chapitre puisse s’y écrire. Tout cela m’allait droit au cœur, économiquement, politiquement, mais c’est encore trop rationnel. Cela m’allait au cœur humainement.

Je raconte tout cela parce que je viens de tourner la dernière page d’un roman qui m’a laissé groggy. Son titre est « Ce qu’il faut de nuit » et son auteur Laurent Petitmangin. L’histoire débute dans le 54, mais le foot est dans le 57 et la trame du livre en dépend. C’est la Lorraine et c’est la Moselle. Il y a comme cela des bouquins que l’on prend et que l’on ne lâche plus, qui consument de l’intérieur, comme s’il fallait se cramponner aux pages et ce fut le cas pour moi. Ce livre est d’une sensibilité rare. C’est l’histoire d’un père seul avec ses deux enfants après la mort de la maman, un papa qui se bat pour eux trois, entre le travail, l’école, la maison et le foot. Un gars simple, attaché aux valeurs de la gauche et qui, quelque part, y croit pourtant de moins en moins, un gars qui, surtout, comprend un jour que son fils Fus (de Fussball), avec son bandana et sa croix celtique, file vers une autre rive. Ce roman m’a pris aux tripes car il confronte les convictions et l’amour paternel, ce déchirement intime, cette idée aussi que l’on peut et doit aimer malgré tout. Il y a dans ce récit une force incroyable, une émotion qui saisit à la gorge et qui demeure.

« Ce qu’il faut de nuit » est un roman, une fiction, et pourtant, j’ai vécu sa lecture comme un témoignage. De la même manière que j’avais perçu il y a deux ans « Leurs enfants après eux », le roman qui valut à Nicolas Mathieu le Prix Goncourt. J’ai vu comme une correspondance entre ces deux livres qui ont la Moselle en partage : la même interrogation sur le sens de la vie, l’avenir, la réalité brute qui rattrape le peu de rêves, le désenchantement, le déterminisme social et la tentation de fuir par tous les chemins de traverse. C’est à la fois sombre et lumineux, subtil et vif. Les personnages sont attachants, bouleversants, malgré leurs différences, sociales ou générationnelles. Est-on condamné à galérer, à ne croire en rien, à une vie triste et amère, à tout perdre avant même d’avoir vécu, à la précarité, à l’abandon et à la rage ? Ces deux livres dressent une fresque sociale rude et réaliste qu’il faut vouloir voir. Elle m’a rappelé une lecture plus ancienne, celle du livre d’Aurélie Filippetti, « Les derniers jours de la classe ouvrière », un livre plus âpre, plus militant aussi, mais qui in fine racontait la même interrogation sur l’avenir et la souffrance de ne pas en avoir.

Un roman m’a renvoyé vers un second, puis vers un troisième. Et de loin en loin, je me suis retrouvé devant mon écran avec l’envie irrésistible d’en parler et de parler de la Moselle. Une terre est-elle perdue, condamnée à l’atavisme et à la peine, parce qu’hier ne reviendra pas ? Je ne le crois pas. La réalité que ces livres racontent est bien vraie et il faut l’entendre. Comme l’est aussi la volonté de faire qui m’avait tant séduit il y a 15 ans. Et je ne sais plus très bien ici si c’est le lecteur, l’ancien cadre d’industrie, le député d’avant ou le petit entrepreneur que je suis devenu qui l’écrit. Sans doute tout le monde à la fois. Il faut donner espoir, n’ignorer aucune souffrance, ne renoncer à rien, entreprendre et entraîner. Ces allers et retours littéraires, économiques, politiques et humains m’ont rendu la Moselle plus chère encore, comme une terre de multiples passions envers laquelle il faut agir. Quand on referme un livre, le cœur conquis, viennent les envies d’après. Comme celle d’aller en Moselle prospecter, écouter, imaginer. Quelqu’un, Marie-Jo Z., m’y avait vu passer au début de l’année. Quand le virus battra en retraite, il sera temps de reprendre la route vers Metz et plus loin.

Un clin d’œil à mes amis mosellans, à Marie-Jo bien sûr, et aussi à Teresa, Stéphane, Francine, Michel, Christophe et les autres.

2 commentaires

  1. Toillier Christian

    Saint Symphorien, Saint Avold, toutes mes racines…
    Et le match retour de Quimper, j’y étais, comme à tous les autres.
    Je lirai avec intérêt ton livre, cher Pierre-Yves!

    Christian T

  2. Cà alors, cher Christian, moi qui te croyais isérois et alpin ! Ce soir de mai 1988, entre l’élection présidentielle et les élections législatives à Saint-Symphorien, le Stade Quimpérois en avait pris 5 et mis aucun. Et dans les buts messins, Michel Ettore regardait sa prochaine équipe prendre l’eau. L’été suivant, il deviendrait en effet le portier quimpérois. Un lien Metz-Quimper existait qui vit passer aussi Carmelo Micchiche, Robby Langers et Philippe Mahut sous le maillot gwen ha du. Quant à Saint-Avold, j’en cultive un certain regret. L’un des deux sites que j’avais visité se trouvait juste au-dessus de la dernière mine de charbon qui avait fermé en France. L’Allemagne était juste en face. L’idée de construire au-dessus de la mine une usine de construction de panneaux solaires avec 400 emplois à la clé aurait été merveilleuse, mais le terrain était trop instable en raison des multiples galeries creusées au fil de l’exploitation et le risque était trop grand de construire là-bas.

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