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La Convention d’Istanbul, un texte fondateur pour les droits des femmes

C’est aujourd’hui la journée internationale des droits des femmes, un moment important chaque année pour souligner l’urgence des combats pour l’égalité des genres, de pays à pays et au sein de chacune de nos sociétés. Mais le 8 mars n’est qu’une journée dans une année. Au-delà de la symbolique, c’est tous les jours que ces combats doivent être menés pour aller chercher, pas à pas, les résultats nécessaires. Beaucoup a déjà été fait, reconnaissons-le, et cela doit à la mobilisation collective de générations de femmes et d’hommes au cours du XXème siècle et à la prise de conscience qu’elle a permis d’ouvrir. Ajoutons cependant que beaucoup reste encore à faire, chez nous et plus loin. Il y a le droit et il y a les faits. Comme il y a également les paroles et les actes. Or, l’écart entre les deux est parfois confondant. Les clichés, les « traditions » et les préjugés ont volontiers la vie dure. Sans compter l’instrumentalisation politique orchestrée ici ou là au nom d’idéologies rétrogrades. En clair, quoi qu’on en dise (et qu’ils en disent), il y a des milieux politiques et sociaux qui s’opposent à l’égalité entre les femmes et les hommes parce que la liberté, l’émancipation et les droits ne figurent tout simplement pas à leur agenda.

Les combats pour l’égalité entre les femmes et les hommes couvrent de nombreux sujets. Tous trouvent ou doivent trouver une traduction en droit. Il y a bientôt 10 ans – ce sera le 11 mai prochain – était signée à Istanbul la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, connue comme la Convention d’Istanbul. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe en sont signataires, à la regrettable exception de la Russie et de l’Azerbaïdjan. Dix ans après, il manque encore les ratifications de la Lettonie, de la Lituanie, de la République tchèque, de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Bulgarie, du Royaume-Uni, du Liechtenstein, de la Moldavie, de l’Ukraine et de l’Arménie. Ce texte est pourtant largement fondateur. Il est né de multiples constats sur la diversité des réponses apportées à l’échelle nationale aux violences faites aux femmes et à la violence domestique. En clair, certains pays combattaient ces violences bien davantage que d’autres. Le mérite de la Convention d’Istanbul a été d’élever cette cause au rang de priorité européenne en recherchant un niveau de protection identique et exigeant par la mise en place de normes harmonisées et contraignantes.

La Convention d’Istanbul est insuffisamment connue du grand public. Elle est pourtant le premier texte européen fixant un cadre juridique exhaustif pour prévenir la violence, protéger les victimes et mettre fin à l’impunité de ceux qui se rendent coupables de violences. La Convention caractérise les violences faites aux femmes comme une violation des droits de l’homme et une discrimination. Cette expression est fondamentale car elle commande tout le reste du texte et en particulier ses exigences à l’égard des pays signataires. Ainsi, les Etats parties à la Convention doivent intégrer dans leur code pénal la violence psychologique, le stalking, la violence physique, la violence sexuelle, le mariage forcé, les mutilations génitales, l’avortement forcé et la stérilisation forcée. Le harcèlement sexuel doit également être réprimé par des sanctions pénales ou d’autres sanctions en droit. La Convention s’applique bien sûr en temps de paix, mais aussi dans des situations de guerre et de conflits armés pour qu’aucun gouvernement ne vienne s’abstraire de ses engagements au motif d’une sécurité nationale agitée. Un groupe d’experts indépendants, prévu par la Convention, assure la surveillance de la mise en œuvre par les Etats parties.

La Convention d’Istanbul est en vigueur depuis 2014. Cela fait 7 ans. C’est peu et beaucoup à la fois. De premiers enseignements peuvent déjà être tirés. Ce texte a-t-il pu faire progresser les droits des femmes ? Oui, là où il a été ratifié. Et là où il est correctement appliqué. Ce n’est pas le cas partout. Certains pays sont à la pointe du combat, d’autres un peu moins. Et il s’en trouve quelques-uns aussi qui envisagent de se retirer de la Convention, à commencer par la Turquie, celui où le texte a pourtant été signé. Et la Pologne également. Tout à trac, on reproche entre Ankara et Varsovie à la Convention d’Istanbul de relever de la « culture occidentale » ou de constituer un instrument de « propagande homosexuelle ». A en croire l’AKP ou le PiS au pouvoir, la Convention d’Istanbul relèverait d’une « idéologie » et menacerait les « valeurs familiales », rien moins que cela. Et le seul moyen de protéger ces valeurs serait donc de dénoncer la Convention pour en sortir au plus vite. Au fond et sans beaucoup caricaturer, à suivre l’AKP et le PiS, les valeurs en question s’accommoderaient in fine de violences de genre ici ou là et de l’inégalité de fait entre les femmes et les hommes. Tout cela est profondément réactionnaire et affligeant.

Il n’y a pas de place en Europe pour le mépris à l’égard des droits des femmes et le sexisme sous couvert de bigoterie. L’égalité entre les femmes et les hommes existe en droit et doit être mise en œuvre. Mieux, elle doit aussi être enseignée à l’école, dans toutes ses dimensions. Chaque enfant doit pouvoir se l’approprier comme règle de vie. Contre le fondamentalisme et les mentalités d’un autre âge, c’est l’opinion publique qu’il faut prendre à témoin, qu’il faut gagner pour faire changer les choses. Les tragédies des violences de genre sont insupportables. Elles bouleversent nos sociétés, elles indignent, elles appellent à la mobilisation et à l’action résolue. La Convention d’Istanbul, il faut la signer (Moscou et Bakou) ou la ratifier (Riga, Vilnius, Prague, Bratislava, Budapest, Sofia, Londres, Vaduz, Chisinau, Kiev, Erevan). Et certainement pas la dénoncer (Ankara et Varsovie). Il y a des textes qui font honneur à ce que nous sommes, Européens. La Convention d’Istanbul est l’un de ceux-là. C’est un texte de progrès, émancipateur et légitime, une feuille de route pour l’égalité des genres et contre les violences. En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, rappeler son actualité et l’importance de sa mise en œuvre fait plus que jamais sens.