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Nos jours et nos nuits

Voilà un an désormais que la pandémie est devenue notre quotidien. Je revois encore ce moment où je reçus, à Paris, un mail de l’école de mes enfants indiquant que les classes fermeraient le lendemain. Je m’empressais de rentrer, filant à pied vers la Gare du Nord dans l’espoir d’attraper un train qui me permettrait de revenir à Bruxelles à temps, lorsque mes enfants, les cartables lourds de tous leurs livres et cahiers, arriveraient à la maison. L’accélération des contaminations laissait entrevoir des décisions drastiques. Elles le furent, bien au-delà de ce que nous pouvions imaginer ou redouter. Nous ignorions alors que ces journées d’incertitude deviendraient des semaines, des mois et désormais même plus. D’un monde, nous avons versé vers un autre. Un an, c’est long. Et plus encore lorsque ce bout du tunnel tant espéré reste distant à mesure pourtant que nous avançons. Il y a eu les confinements, les restrictions de déplacement, les couvre-feux, les fermetures de frontières. Il y a le vaccin et l’espoir qu’il nous rende une vie enfin libérée. Mais il y a aussi les variants et leurs redoutables incertitudes. Et cette course contre la montre avec le virus, pour la vie, pour ne pas sombrer. Progrès de la science contre chaos logistique. Qui l’emportera ? La vie bien sûr, car il le faut.

Est-ce bien réel ? Il y a quelques mois encore, cette interrogation s’entendait encore. Je me souviens d’amis m’assurant qu’ils ne connaissaient personne dans leur entourage que le Covid aurait touché. Au point de s’interroger sur la pertinence de toutes ces mesures envahissant notre quotidien, plombant l’économie, restreignant la liberté d’aller et venir, contraignant la vie familiale, écartelant les générations. Tout cela relève désormais de l’histoire. Le Covid a fauché plus de 90 000 vies en France et fait des millions de malades. En Belgique, où j’habite, ce sont 22 000 vies qui ont été perdues. 22 000 visages dont il ne reste juste que le souvenir, les photos poignantes des jours heureux. Nous sommes à nu. La sidération a fait place à la rude réalité. Oui, tout cela est bien réel. Plus personne n’en doute, sauf quelques complotistes à l’esprit dérangé. Il y a la maladie, la souffrance, la mort qui rode. Il y a l’isolement, la crainte de l’autre, la peur qui vient. Et ces inégalités qui explosent, la pauvreté galopante, la jeunesse reléguée, les anciens isolés. Nous tenons, par le dévouement de soignants héroïques, sur le pont jour et nuit depuis un an. Et par le « quoi qu’il en coûte », qui maintient l’économie à flot, écartant une crise sociale qui, sans cela, serait abyssale.

S’il est quelque chose que la pandémie condamne, c’est l’impréparation, le court-termisme, le chaos organisationnel, la souveraineté bradée. Tout cela malheureusement, nous l’affrontons. Les difficultés rencontrées sont moins le fait de ceux qui, aux responsabilités, se battent tant bien que mal pour vaincre la pandémie que d’années de non-choix et de coups de rabot ici où là, dans un budget, pour des investissements, contre des risques proclamés lointains et perçus comme improbables. L’histoire se rappelle à nous et la tragédie avec elle là où, peut-être, on voulait la croire maîtrisée. Un peu comme, 30 ans auparavant, sur les ruines du communisme, on voulait l’imaginer achevée. Or, il n’y a pas de fin de l’histoire, il y a les dangers d’aujourd’hui, qui sont parfois aussi ceux d’hier, et les nouveaux périls du monde qui vient, comme celui du dérèglement climatique, qu’il faut affronter bille en tête, avec ambition, en cessant de s’observer, de mégoter, de calculer, parce que la cause est commune et qu’elle est tout simplement celle de la vie. Il est temps de sortir de la frilosité, mais aussi de paroles généreuses qu’aucune réalisation ne viendrait incarner. C’est de résultats qu’il doit être question, de leçons tirées du drame que nous traversons, de volonté farouche pour demain.

Un an, un an à avoir peur, pour les siens, pour soi, pour l’avenir. Il y a quelques jours, ma petite Mariana, qui a tout juste 6 ans, m’a demandé : « tu crois que lorsque j’aurai 18 ans, il y aura encore le coronavirus ? ». Il y avait dans sa question la naïveté de son âge, l’espoir secret que je la rassurerais, le désir lancinant, aussi, de retrouver les grands-parents, en Bretagne, en Galice, qu’elle n’a plus vu depuis des mois et qui lui manquent tant. Hier soir, c’est mon petit Marcos, 9 ans, qui a été déclaré cas contact. Nous en avons parlé tout de suite. « Il faut faire attention », m’a-t-il assuré, « je ferai attention », comme pour me dire que je pourrai compter sur lui, qu’il serait fort et attentif. Grandir en temps de pandémie, c’est sans doute cela. C’est réconfortant et c’est un peu triste aussi. J’aimerais que mes enfants vivent une jeunesse, leur jeunesse, retrouvant ce que les années qui passent leur laisse encore d’insouciance. Souvent, le soir venu, ramassant un livre, redressant une couverture, j’observe leurs visages endormis, guettant le rêve qui passe et que, parfois, je crois deviner. Bien des parents, sans doute, en font de même. C’est l’histoire commune de nos jours et de nos nuits, à la recherche du temps d’après, pour eux, pour nous, demain et plus loin.

4 commentaires

  1. Boris Faure

    Tout y est dans ce billet qui marque l’anniversaire des un an de l’épidémie.
    Notre sidération, nos angoisses collectives, nos espoirs et surtout nos enfants à qui nous tendons la main et qui nous montre le chemin de l’avenir….mes pensées pour les tiens et ta famille

    Merci à toi pour ce billet tendre.

  2. André Delpont

    Tu exprimes toujours très bien la mélancolie virale.
    Pour nous grands parents de la classe 65-75 ans, et nos enfants et petits enfants la rengaine c’est : “Et ce vaccin qui ne vient pas… Un de nos fils au téléphone l’autre jour : “Pour Pâques on n’a pas encore fait de plan pour les enfants; Est ce que vous serez vaccinés?” Qui le sait ? Personne!
    Début février je devais aller à Toulouse garder Félix le benjamin de notre ribambelle, qui a 15 mois, car sa nounou prenait des vacances. Patatras ! Un collègue de ma belle fille, qui partage son bureau, a été testé positif au virus. Les parents confinés se sont occupés du bambin et Félix a été privé de grand père. et je n’ai pu voir ses premiers pas.
    Il y a aussi des sourires : ma pétulante et entreprenante petite fille Juliette, qui a 11 ans, est déléguée de classe dans son collège parisien.. A ce titre elle prépare le carnaval.”Je me déguiserai en infirmière, tu comprends, comme ça sera naturel que je porte un masque”.
    La vie continue;
    Bon vent

  3. Merci, cher André. C’est vrai que la vie continue malgré tout, mais elle est rude pour les petits qui voient la distance dans le temps et la géographie s’accroître avec les grands-parents. Et c’est dur aussi pour les grands-parents, pour qui ces moments partagés, à mesure que la jeunesse passe, sont infiniment précieux. Mes 3 enfants (9, 7 et 6 ans) n’ont plus vu la propriété familiale de Grenade, au coeur des collines parsemées d’oliviers, depuis décembre 2019. Je calme leur détresse quand elle vient, mais elle m’émeut aussi. Amitiés, Pierre-Yves

  4. Merci, cher Boris. C’est une épreuve rude pour les petits et les anciens, à mesure que le temps passe et écarte ces générations qui sont pourtant si liées. Je le mesure à la détresse de mes enfants lorsqu’elle vient. Et aux mots pudiques de tristesse des grands-parents. Il faut se battre pour retrouver la chance de nous voir. Seul le vaccin nous y conduira.

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