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Une nouvelle étape

L’été est la saison du repos, des vacances, des retrouvailles, des petits bonheurs, et Dieu sait combien, après ces longs mois rudes et douloureux au cœur de la crise sanitaire, nous en avions tous tellement besoin. Les plus anciens (très anciens, même) se souviendront des paroles de cette chanson du groupe Elégance d’il y a près de 40 ans : « Vacances, j’oublie tout, plus rien à faire du tout, j’m’envoie en l’air, çà c’est super, folie légère… ». Quelque part, ce souvenir irrésistiblement vintage n’est pas loin de vivre une seconde jeunesse, au risque cependant que la progression inquiétante du variant Delta ne ramène tout le monde à la réalité sous quelques semaines si la vaccination, voire l’obligation vaccinale, ne s’imposait pas davantage. Au fond, nous vivons l’été de tous les bonheurs et aussi de tous les dangers. Mais l’été, c’est également le temps de la réflexion et peut-être des changements, nourris par la pandémie, par les crises profondes que nous traversons, économiques, sociales et climatiques, par le besoin de se protéger et l’urgence d’agir aussi. Au cours des mois écoulés, cette réflexion s’est peu à peu imposée à moi, bousculant certitudes et perspectives, et elle m’a conduit récemment à la décision de reprendre des fonctions dirigeantes au sein d’une belle organisation européenne.

Il y a 4 ans, je quittais la vie publique sans le moindre horizon, sinon celui de retrouver les miens. Cadre du secteur privé international durant près de 20 ans, je n’avais ni statut ni garantie de retour à l’emploi. Et de fait, de retour à l’emploi, à tout le moins salarié, il n’y en eut point. Trop vieux, telle était la réalité crue des entretiens que j’avais pu avoir avec plusieurs chasseurs de tête. Et trop jeune, cette fois de mon point de vue, pour vivre ma vie comme un pré-retraité. Pour rebondir, je décidai de fonder ma propre entreprise, entre conseil en développement durable et enseignement des droits fondamentaux. Rien de cela ne fut simple. Pendant des mois, je ne me suis pas payé. Je me souviens de ces 2 ou 3 semaines durant lesquelles il ne restait plus qu’une centaine d’euros sur le compte de l’entreprise. Je me suis battu, j’ai tenu bon, je suis allé à la recherche de clients et j’ai réussi. Ceux qui m’ont fait confiance, qui ne me connaissaient pas et qui sont devenus des amis, savent qu’ils pourront toujours compter sur moi. Les mains qui se tendent sont précieuses, plus encore quand elles sont rares. La pandémie aurait pu me couler. Elle a au contraire décuplé ma volonté. Et de premiers mois sur le fil, ma petite entreprise est devenue florissante. C’est pour moi une immense fierté.

J’ai aimé ce que j’ai fait comme entrepreneur et enseignant. Nombre de projets sur lesquels j’ai collaboré prennent vie. Ils sont concrets, ils créeront de la valeur, de l’emploi. Ils feront du bien à des villages, à des communautés … et à la planète. Rien n’est plus passionnant que d’être dans le faire et d’y investir son temps, sa passion et aussi ses sous. Et rien n’est plus motivant que de convaincre, de transmettre, de passer le témoin. Cela a été le privilège des ateliers juridiques et des cours que j’ai animés sur la crise climatique et les droits fondamentaux, essentiellement à l’Ecole de droit de Sciences-Po Paris. Sur le terrain, dans des endroits parfois perdus, dans une salle de classe ou un amphithéâtre de fac, je me suis découvert des passions et une volonté qui sans doute existaient, mais que je n’avais juste jamais explorées, parce que je n’en avais jamais eu besoin. Si tant est qu’une défaite électorale est un revers de vie, ce revers-là s’est avéré in fine être une chance pour moi. Je me suis remis en cause, et il le fallait pour ne pas disparaître, « pour ne pas crever », comme l’écrit Manuel Valls dans son dernier livre. Je me le devais à moi-même, mais plus encore à ma famille et en particulier mes enfants. Il y avait une histoire à écrire, un enthousiasme à ressusciter. J’y suis allé.

Entrepreneur, je le suis désormais pour le reste de mes jours. Etait-ce cependant la dernière étape ? Je l’ai pensé, avant que la pandémie n’ébranle cette perspective. En 2 ans, j’ai fait 50 000 km seul en voiture, passant les frontières dans les limites des législations nationales, accumulant des dizaines de tests PCR et autant de laissez-passer et autorisations au nom d’un motif impérieux : mes missions, faute de quoi ma petite boîte disparaitrait. Aucune d’entre elles n’était proche de chez moi. Roulant parfois à plus d’heure, il m’est arrivé de me faire peur tant j’étais consumé de fatigue. Il n’y avait plus de trains, plus d’avions, plus d’hôtels. Je n’avais aucun filet de sécurité. Il fallait tenir. Combien de temps pouvais-je vivre à ce rythme en frisant ainsi le danger ? Sur ces longues distances, j’ai pris conscience aussi que les gens, les groupes me manquaient. Arrivé à bon port, j’aimais plus que tout les rencontres, les réunions, les débats. Et puis je rentrais chez moi vers la douceur de mon petit bureau, mais également sa solitude. Une chose, enfin, avait fini par me tracasser : être reconnu pour mon passé, notamment parlementaire. Devais-je me faire à l’idée d’être défini pour ce que j’avais été et moins (ou même pas du tout) pour ce que je suis ou ce que je pourrais être ?

Telles furent les interrogations de ces mois écoulés. Il me fallait une autre étape. Je me suis posé la question du retour à la vie publique. Je l’ai envisagé, avant de comprendre que les circonstances de celui-ci n’étaient pas réunies. En vérité, ce n’est pas la parole politique ou l’exposition personnelle qui m’importait réellement, mais l’action et le résultat pour les causes qui me tiennent le plus à cœur : le progrès partagé, l’emploi, l’environnement, le climat, les droits, l’Europe. Il y a tellement d’autres endroits où l’on peut faire la différence pour ces causes et contribuer à construire un avenir meilleur. Il y a l’entreprise, la société civile, les organisations. En fin de printemps, le hasard, la chance et sans doute une petite part de destin m’ont mis sur le chemin du Comité européen de normalisation (CEN) et du Comité européen de normalisation électrotechnique (CENELEC). C’est le CEN CENELEC que je rejoins comme Director, Governance & Membership, et bras droit de la Directrice-Générale Elena Santiago Cid. L’harmonisation des normes nationales en Europe est un enjeu considérable et nécessaire. J’en parlerai dans un autre post. Cet été est la saison du tuilage, de la découverte des défis qui m’attendent. Je serai à mon poste, « full speed ahead », le 1er septembre.

Voilà ma nouvelle étape. J’y viens avec mon expérience, mon histoire, ce que j’ai appris, et notamment au cours des toutes dernières années. Je suis prêt. Il n’y a pas d’âge pour les défis, il y a l’envie, la volonté de changer les choses, d’agir, de fédérer, de réussir. J’aime les dossiers touffus, complexes, dans lesquels on plonge longtemps et résolument, ces dossiers qui requièrent bien sûr de l’expertise, mais aussi du contact et des relations humaines. Je me réjouis de travailler avec des collègues passionnants. Et aussi de travailler différemment d’avant, parce que la pandémie a changé tant de choses. Le télétravail ne m’éloignera pas tous les jours de mon petit bureau cosy sous les toits de Bruxelles, de mes cours de droit, ni de la Bretagne que je continuerai de retrouver régulièrement avec bonheur. C’est un équilibre de vie que le temps d’après dessine et comme tant d’autres, je m’y inscris avec beaucoup d’espoir. Lorsque je suis entré dans la vie professionnelle il y a une trentaine d’années, j’avais dans l’idée que les parcours étaient souvent linéaires. L’expérience m’a montré que c’était plutôt l’inverse. Mon parcours a été une succession d’étapes, d’ascensions et de succès, mais parfois aussi de moments difficiles et de peines. De cela, je n’oublie rien. J’apprends. Tout est encore à écrire.

8 commentaires

  1. Fanny Rateau

    Félicitations Pierres-Yves pour ton nouveau poste, et au plaisir de te croiser à CEN-CLC, à Bxl,
    Fanny (à ECOS depuis un peu plus d’un an)

  2. Un tout grand merci, chère Fanny. Au plaisir de te retrouver aussi!

  3. Sellin

    Félicitations Pierrre Yves pour ce nouveau challenge , une belle aventure enrichissante te tend les bras …avec la pugnacité d’un « p’tit jeune »

  4. Claude

    Si je tentais de resumer ton parcours, je dirais: tant d’experiences diverses que relient le fil
    conducteur de la passion, du desir de faire la difference, de l’excellence qui parfois peut se révéler un frein quand il s,agit de politique.
    En tout cas un parcours inspirant!

  5. André Delpont

    Content pour toi.
    Bon vent pour cette nouvelle aventure.
    André

  6. Merci, cher Stéphane. Vive la génération des jeunes de Kervilien!

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