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La Chancelière et nous

Affiche campagne 2009 / Konrad-Adenauer Stiftung

Demain est jour d’élections en Allemagne. Comme tous les 4 ans, le Bundestag sera renouvelé. Un élément marque ce rendez-vous électoral : le retrait de la vie publique d’Angela Merkel. Je ne suis pas chrétien-démocrate. Mes préférences vont à la social-démocratie, dont j’espère le succès autour d’Olaf Scholz et du SPD. Je dois reconnaître pourtant ne pas être insensible au parcours de la Chancelière. Et plus encore à sa part de mystère. Comment en effet peut-on exercer le pouvoir sans discontinuer durant 16 années et atteindre un niveau record de popularité au moment de se retirer ? Dans un pays comme la France où les courbes de popularité s’effondrent sitôt une élection présidentielle gagnée pour ne jamais se redresser, la performance de la Chancelière ne peut qu’interloquer. En 16 ans, on peut lasser un pays, faire des erreurs et en payer le prix. Il y a toute une jeunesse allemande qui n’a connu d’autre leader pour son pays qu’Angela Merkel. C’est long, 16 ans. C’est même énorme. Cette jeunesse, plus encore que le reste de la population, ne votera sans doute pas majoritairement pour la CDU demain. Mais elle regarde la Chancelière qui s’en va bien plus favorablement que le parti dont elle est membre et qu’elle a dirigé si longtemps.

Quel est le mystère d’Angela Merkel, ou plutôt l’alchimie qui a construit durablement sa popularité ? C’est un style, un leadership, une attitude. Il y a la sobriété, la simplicité, la prudence, la parole mesurée, l’écoute, le souci d’expliquer. On ne devient pas « Mutti » pour les Allemands en un jour. Angela Merkel a construit son succès et sa trace au fil de son histoire à la Chancellerie, pas à pas, à l’épreuve des faits, là où tant d’autres s’abiment par facilité ou dans l’ivresse des cimes. La Chancelière a su incarner son pays, protéger et rassurer. Protéger, rassurer, voilà des mots volontiers perçus comme frileux et que l’on balaie d’ordinaire pour imaginer que la flamboyance fait une élection. Sans doute peut-on gagner une élection sur la flamboyance, mais en aucun cas une réélection. La seule force du verbe ne fait pas illusion. Le charisme n’est pas là où on l’attend. Les temps que nous vivons depuis le début du XXIème siècle sont troublés, incertains et durs. Les citoyens attendent qu’on leur parle en confiance, clairement, justement, que l’on entende leurs craintes, leurs difficultés et leurs aspirations. Ils ont non seulement besoin de résultats, mais aussi de se sentir représentés. C’est cela qu’Angela Merkel, aux responsabilités, est parvenue à faire.

Il y a les choix politiques, que l’on peut apprécier ou non, et puis il y a l’exercice du pouvoir. Les deux sont importants. La qualité de la parole publique est essentielle. L’Allemagne n’est pas la France, les différences culturelles et historiques existent et resteront. Reconnaissons que la vie politique française est – comment dire – plus éruptive et manichéenne que la vie politique allemande. Et pourtant, il y a beaucoup à apprendre de l’exemple d’Angela Merkel et de la relation tissée par elle avec les Allemands dans l’exercice du pouvoir. Je suis convaincu que l’unité de sa parole y a été pour beaucoup. La parole publique doit être sobre, complète, juste et suffisamment rare pour être entendue. L’influence de Michel Rocard m’a conduit à donner crédit au parler vrai, au plus près des faits et des réalités. Mais le parler vrai ne suffit pas. Il faut aussi une qualité d’écoute et une sincérité d’expression, posée et directe, pour que le lien se construise, dure et qu’avec lui vienne la confiance. Si une part de cela se travaille et relève d’une méthode, la vérité est que l’essentiel repose d’abord sur la personnalité. Et la personnalité d’un leader, femme ou homme politique, est forgée par l’enfance, la formation, la relation aux autres, la capacité de se remettre en cause.

La crise démocratique que traversent de nombreux pays est une crise de confiance, dans les institutions comme aussi dans les élus qui les dirigent. Vu depuis l’étranger, c’est ainsi que je la ressens en particulier en France. Le sentiment de ne pas être écouté, de ne compter pour rien, d’être méprisé, ignoré, regardé de haut prospère dangereusement et alimente le vote vers les extrêmes, en particulier vers l’extrême-droite. La verticalité éloigne la décision, l’hétérogénéité de la parole publique dessert l’explication. D’une expression à l’autre, un pouvoir ne peut être à la fois proche et lointain, attentif et rude, bavard et sec. Il faut vouloir écouter, justifier et convaincre. En 16 ans, Angela Merkel aura travaillé avec 4 Présidents de la République française successifs. Elle aura appris à les connaître, mais eux, auront-ils appris des raisons de son succès à elle ? Une page se tournera demain pour Angela Merkel et pour les Allemands, mais aussi pour nous tant sa figure aura été familière des années durant. Des livres viendront, les siens peut-être, pour raconter le récit d’une aventure singulière, celle d’une femme de l’Est arrivée là où personne, y compris elle-même, ne l’attendait. Ce temps du témoignage sera précieux pour l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, mais aussi pour l’avenir.