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Mois : novembre 2021

Pour un débat public sur les choix énergétiques de la France

Dans le département du Cher, sur ma route, en avril 2021

Il y a quelques années, un ami qui se reconnaîtra à la lecture de ces lignes m’avait offert un joli livre de photographies sur le combat mené en 1980-1981 contre la construction d’une centrale nucléaire à Plogoff, dans le Finistère. J’en avais été très touché car ce combat-là fut pour beaucoup dans mon éveil citoyen. J’étais lycéen et Plogoff était tout près de chez nous, à Quimper. Je ne sais avec le recul ce qui me révoltait le plus, de la destruction immanquable du cadre naturel unique de la Pointe du Raz pour y implanter deux réacteurs ou du péril que le développement de cette énergie nous ferait courir. J’étais porté par l’idéalisme de mes 15 ans. A l’époque, c’est de la fin du pétrole dont on parlait, pas de réchauffement climatique. Que ferions-nous lorsqu’il ne resterait plus une goutte de brut ? L’alternative était entre l’atome et le vent, l’atome et le soleil. Et mes préférences étaient bien sûr pour le vent et pour le soleil. Le danger lié à l’exploitation des centrales nucléaires et de leurs déchets m’effrayait. Une autre chose me révoltait : la décision venue d’en haut, de Paris et d’un gouvernement lointain d’imposer le choix du nucléaire à la population, sans que son avis ne soit sollicité sérieusement, comme si son avis, d’ailleurs, ne devait aucunement compter.

C’était il y a plus de 40 ans. Le monde a tellement changé depuis. Et j’ai changé moi aussi, ou j’ai pris à tout le moins, âge aidant, la mesure de son évolution et des défis qu’il nous pose. Je n’aime toujours pas l’énergie nucléaire. J’ai consacré une part de ma vie professionnelle aux énergies renouvelables, en particulier à l’énergie solaire photovoltaïque. Je crois profondément en l’avènement des énergies renouvelables et en leur déploiement à grande échelle dans notre pays, en Europe et au-delà. Pour autant, je sais aussi qu’un scénario 100% renouvelables est à l’horizon des 20 prochaines années objectivement irréaliste. Or, un devoir s’impose à nous au nom de l’urgence climatique : sortir des énergies fossiles sans plus attendre. De deux périls, climatique et nucléaire, le plus imminent, le plus redoutable est bien le péril climatique. C’est lui qu’il faut combattre. On ne fera pas l’économie du nucléaire pour sortir des énergies fossiles. Les énergies renouvelables à elles seules ne pourront faire face à l’électrification considérable de nos usages rendue nécessaire par la fin des énergies fossiles en l’espace d’une génération. Je regarde ainsi l’énergie nucléaire comme une énergie de transition pour produire davantage d’électricité en émettant le moins possible de CO2.

Ce débat nous engage pour longtemps. Il est même l’un des plus structurants de ce siècle pour notre pays. Encore faut-il qu’il ait lieu et qu’il soit public, partagé, citoyen, ouvert à tous. Ce n’est pas faire injure à la vérité que de dire que ce n’est pas le cas, pas davantage que cela ne l’était déjà lorsque l’Etat entendait implanter envers et contre tout une centrale nucléaire à Plogoff. La question énergétique ne peut plus être tenue à l’écart du public, confisquée par certains milieux au motif qu’elle serait trop complexe pour être portée au jugement utile des Français. Je pense au contraire qu’un débat citoyen, constructif et profond doit être conduit pour rassembler une majorité de Français sur une trajectoire énergétique à long terme et sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir, y compris budgétairement. Récemment, le Président de la République a annoncé la construction de 6 EPR, en parallèle au déploiement renforcé des énergies renouvelables. La magnitude de ce choix est immense. Il soulève de nombreuses questions quant à ses mérites, quant à ses conséquences aussi, et en particulier son coût, alors même que l’EPR de Flamanville reviendra à près de 20 milliards d’Euros lorsqu’il entrera en service 12 ans après la date initialement prévue.

En fin de quinquennat, le choix peut interroger. Présenté ainsi, il reproduit le schéma de la décision lointaine. On est pour ou on est contre, il n’y aurait pas matière à débat, à tout le moins au-delà de l’élection présidentielle. C’est regrettable. S’il est légitime de vouloir prévoir le remplacement de réacteurs nucléaires vieillissants, il faut alors aborder également les sujets du démantèlement des centrales, de leur sécurité et du traitement des déchets. Et parler, « en même temps », de l’investissement tout aussi considérable à réaliser pour moderniser nos réseaux de transport d’électricité et les adapter au déploiement à grande échelle des énergies renouvelables et à leur intermittence et pour développer le stockage de l’énergie. Or, nous n’aurons pas les moyens de tout faire dans un contexte contraint de finances publiques, autant le reconnaître aussi. C’est de tout cela dont il faut pouvoir parler, avec gravité certes, mais avec sérénité aussi. J’ai la conviction qu’il existe en France un besoin d’appropriation de la question énergétique et une attente sincère, qui requièrent que l’on aborde ce sujet autrement que dans la fièvre d’un rendez-vous électoral, dans la transparence des faits, des chiffres et des choix possibles.

Un débat public, réalisé à l’échelle du pays et de ses territoires, en prenant à cette fin le temps nécessaire, doit pouvoir y conduire. Il n’y a pas de fatalité à ce que la question énergétique radicalise ou qu’elle clive, à ce qu’elle oppose vainement les tenants du nucléaire et des énergies renouvelables ou bien les soutiens de l‘éolien terrestre et ses détracteurs. Le débat public est une méthode, il est une construction pas à pas d’un consensus inédit ou d’un rassemblement qu’il faut vouloir aller rechercher sur la question énergétique. Cela vaut par exemple pour l’éolien offshore, cela vaut aussi pour le déploiement de grands parcs solaires terrestres en lien avec la production agricole. Il y a derrière ces questions et tellement d’autres une acceptabilité à forger sur ce qu’il convient de décider et de faire ensemble pour réussir la sortie des énergies fossiles. Plus que tout, de tous les côtés, il faut vouloir convaincre autant que se laisser convaincre. C’est ce qui doit asseoir toute la légitimité et la profondeur des choix énergétiques à venir. Cet effort-là est nécessaire. Et peut-être même que le résultat d’un tel débat, s’il était engagé et réussi, pourrait alors être soumis au vote des Français, non à l’occasion d’une élection, mais d’un référendum, convoqué à cette fin, comme l’étape ultime d’un projet engageant pour longtemps notre pays.

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