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La caisse, le Kärcher et les emmerdements

Il m’arrive parfois de me sentir très vieux. Ou d’une autre époque, ce qui est une manière un peu plus rassurante de ressentir les choses. Mes premiers souvenirs politiques, mes premières émotions devant le débat public aussi, remontent aux années 1970, au sortir des Trente Glorieuses, lorsque s’affrontaient la gauche et la droite dans un combat souvent manichéen, marqué de clivages et d’oppositions rudes, mais jamais trivial ou vulgaire. Mon cœur battait pour François Mitterrand et peu à peu, l’âge des études venant, la pensée de Michel Rocard et son regard sur la transformation de la société m’influenceraient profondément, et ce jusqu’à ce jour. En face, il y avait Valéry Giscard d’Estaing. Je le percevais comme un adversaire, mais je le respectais aussi. A la fois pour son intelligence et également pour la fonction qu’il exerçait. Les débats étaient certes tendus, rudes et parfois même empreints d’une certaine cruauté dans la joute – on se souviendra du « monopole du cœur » ou de « l’homme du passif » – mais ils étaient toujours de haute tenue, jamais médiocres ou relâchés dans l’expression. En clair, il n’aurait pas été question alors de faire procès à quelq’un d’avoir « cramé la caisse », de « ressortir le Kärcher de la cave » ou de vouloir « emmerder » certains.

Toute ressemblance avec des propos récents n’est ici aucunement fortuite. Et je ne suis pas non plus très objectif, moi dont les préférences vont au Président de la République. J’écris cependant ce petit billet pour regretter que le débat public et plus encore électoral s’affaisse ainsi. Y a-t-il une fatalité à devoir s’exprimer de telle manière, sans doute pour faire le buzz – et cela marche – au risque que l’expression des convictions et in fine le fond de la pensée disparaissent derrière la forme ? Je veux croire que non. Nous vivons tellement plus qu’auparavant à l’ère de l’instantané, des réseaux sociaux, des chaînes TV d’information en continu, où un bon mot, une formule, une phrase un peu enlevée susciteront des dizaines de milliers de commentaires outrés ou laudateurs. Mais qu’en restera-t-il cependant, une fois effacée l’écume des réactions et de l’émotion ? Pas grand-chose. Aura-t-on, citoyens, électeurs, compris durablement ce que veut, pense et propose celle ou celui qu’une formule aura mis momentanément au centre de l’attention ? Je ne le pense pas. C’est précisément cela qu’il faut regretter et, quelque part aussi, déplorer. Au risque d’apparaître vieux jeu, n’est-il pas nécessaire de vouloir convaincre, d’expliquer et d’entendre ? C’est ce que j’espère.

Il nous arrive à tous de parler cash, certains sans doute plus que d’autres. Je n’en suis pas exempt à titre personnel. Parler cash n’est pas choquant, c’est même utile. Mais parler cash, ce doit aussi être parler juste. Une expression sera d’autant plus forte qu’elle sonnera authentique. Ce n’est pas toujours le cas et c’est ce qui sépare souvent le parler cash du parler vrai. L’unité de la parole est une chose importante, essentielle même dans le débat public. On ne peut être tour à tour direct ou lointain, intello ou techno, raffiné ou argotique. Ce sont autant de directions différentes vers lesquelles le choix des mots renvoie et qui finissent par brouiller le message, son contenu, l’image même de celle ou celui qui multiplie ces changements de pied et tout au bout sa crédibilité. A l’inverse de cela, une femme d’Etat comme Angela Merkel a construit ses succès politiques et électoraux, sa longévité et son lien avec le peuple allemand par la sobriété de son expression et l’unité de celle-ci. L’exemple d’Angela Merkel m’impressionne, comme également, il y a quelques décennies désormais, l’attention toute particulière que Pierre Mendès France accordait à ses prises de parole, aux responsabilités, puis dans sa longue période d’opposition, soucieux de nuance et désireux toujours de convaincre.

J’ai assez pratiqué les campagnes électorales pour savoir qu’il y a des hauts et des bas, que certains moments sont meilleurs que d’autres. Je m’inquiète cependant du bruit de fond. Souvent aussi, l’écart entre les propos de campagne et l’expression dans l’exercice des responsabilités, une fois l’élection gagnée, fait mal à la vie publique. C’est là également que l’unité de la parole est précieuse, pour ne pas décevoir bien sûr, mais avant tout pour entrainer, mobiliser, emmener. Il y a dans le débat public et la vie démocratique une réelle noblesse, qu’il faut retrouver, avec le souci d’exposer les différences, les envies, les rêves, avec respect et bienveillance. Cette noblesse-là n’a pas disparu. Il n’en tient qu’aux candidats, à nous aussi, qu’elle revive pour le bien-même de l’action publique et la vitalité de la démocratie. L’hystérisation du débat ne construit pas une société apaisée, pas plus qu’elle ne conduit à l’acceptabilité des choix électoraux, à la liberté d’action de la majorité et au respect dû à l’opposition. La crise démocratique aux Etats-Unis depuis les années Trump le montre bien tristement. Ayons cela à l’esprit pour souhaiter qu’au-delà de la séquence de la caisse, du Kärcher et des emmerdements, ce soit enfin sur les projets, la vision, l’avenir de notre pays que les échanges se nouent.

6 commentaires

  1. André Delpont

    Bien d’accord avec toi

  2. Saffré

    Bonjour monsieur ,
    Je lis vos commentaires avec plaisir, parce qu´ils sont calmes, réalistes et que vous avez la bonne vision. J ai toujours été de gauche, au grand dam de mes parents, mais on a réussi quand même à vivre ensemble et à se respecter!!!
    DE vivre en Basse_Saxe depuis 14 années, j ai beaucoup appris de la facon de vivre de ce pays,dont les dirigeants sont vraiment complètement différents..
    Il m´apparaît que la centralisation n est peut-être pas la bonne solution, et que notre système électoral en est la cause, quand le Président est un chef de parti,donc politisé, il ne peut plus représenter la Nation, et qu ´en prime, il s´arroge le droit d´être le Chef du Gouvernement, et se sert des médias publics pour faire sa pré-campagne électorale… Cela devient incompréhensible pour beaucoup de nos concitoyens.
    Il y a un fossé énorme que seuls les francais de votre ancienne circonscription connaissent. La majorité de nos concitoyens ne connaissant pas nos institutions, ils ne connaissent pas non plus les autres fonctionnements européens. Combien pensent que les élections en Allemagne, c est comme en France? La France est plus que fière de son élection présidentielle à 2 tours de scrutin, mais vu les conditions, peut-on dire que cette élection est juste, quand le premier tour est un procédé pour éliminer? Le 2e tour nous donne et nous donnera sans doute encore, une personne élue par défaut, avec peu de suffrages, et donc non représentatif, et ne répondant pas aux aspirations des citoyens. Est-ce pus démocratique que le systéme allemand par exemple? ou nordique`? Une seule personne, élue pour 5 ans,,avec tous les pouvoirs, parce que les citoyens sont maintenant dégoûtés et boycottent les Législatives, élections les plus importantes, vous le savez bien.
    Il y a donc des réformes profondes à faire… Le milieu politicien n est pas non plus sans reproche, et quand la Justice n est pas à la hauteur, cela ne relèvera pas non plus le débat. Quand après une petite condamnation, on retrouve les mêmes… Pas vraiment chez nos amis allemands, par exemple. Personne ne veut remettre en question notre systéme électoral et nos Institutions, donc le fossé va s´agrandir, jusqu´au jour ou il y aura la surprise de retrouver à la tête de ce pays, une personne peut-être pas vraiment démocrate, qui nous rapprochera de certains pays connus pour leur quasi-dictature. La pandémie actuelle de ce virus commence à nous y amener, on a déjà les dérives verbales très fortes, des menaces, et la volonté de casser la société. Cela ressemble à des actes qui e sont déroulés il y a presque 80 ans, quand un homme a commencé à emmerder ses opposants, puis les tziganes et les juifs. Bien sûr, cela ne va pas finir de la même facon, mais le début est bien le même. De montrer du doigt les personnes non vaccinées d un vaccin qui n est utile que pour les formes graves, finalement, même si ces gens sont majoritairement responsables et se protégent, comme lorsqu il n´y avait pas encore ce vaccin, c est pathétique, et de se servir de la télévision publique pour distiller leur volonté. DE capter France 2 ,c est le fonds de commerce du gouvernement qui en est arrivé à faire la pression sur le personnel soignant,qu il ne paye pas cher, On nous montre les non-vaccinés, et on leur fait faire leur méa-culpa. Mao a fait cela,à son époque… C est pathétique.
    Je suis inquiet pour mes proches restés en France, ma maman, n a jamais été contactée par qui que ce soit dans son village de 3000 habitants, elle a 92 ans, comme elle ne conduit pas, elle doit être classée dans les réfractaires au vaccin? Heureusement, elle s ´est débrouillée pour trouver une voiture…
    merci pour votre commentaire qui devrait être lu par le plus grand nombre possible.
    Avec mes voeux de bonne et heureuse année pour vous et vos proches,
    Cordialement

  3. Av

    Merci Pierre-Yves d’avoir traduit ce que beaucoup ressentent. Eh oui, on ne s’abaisse jamais à relever le débat…mais avouons que cette discipline est de plus en plus une ascèce.

  4. Merci, cher Pierre. Le débat public ne peut se résumer à des expressions chocs et souvent triviales, au risque qu’elles éclipsent le reste, à commencer par les projets. Il y a tant à dire et surtout à faire en cette période si difficile pour que l’on choisisse de résister à la tentation de la tactique et que l’on parle enfin, justement, clairement et simplement aux Français.

  5. Un tout grand merci pour votre message et votre contribution au débat. J’ai le meilleur souvenir de nos échanges lors de mes passages à Hanovre et ces moments-là me manquent. Très cordialement à vous.

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