Passer au contenu

La liberté de l’Ukraine est celle de l’Europe

A Bruxelles, devant le siège de la Commission européenne

Nous vivons depuis deux jours un cauchemar éveillé. La Russie a envahi l’Ukraine, entendant asservir ce pays, lui déniant toute souveraineté et accusant ses autorités régulièrement élues de « nazisme », entre autres jugements définitifs et hallucinés. Les bombes s’abattent sur les grandes villes du pays, la liste des victimes s’allonge inexorablement. Des centaines de milliers de personnes se terrent dans des abris ou tentent de fuir. Ces images font le tour du monde, des images que l’on n’aurait jamais imaginé voir, tant elles rappellent d’autres époques, d’autres conflits, un autre siècle. Et pourtant, c’est en Europe, c’est chez nous, en ce mois de février 2022. Un homme, Vladimir Poutine, ivre de lui-même, a décidé d’éradiquer l’Ukraine, réécrivant l’histoire pour assouvir sa haine venue de loin de la démocratie, de l’Etat de droit, de la liberté. Nous regardons, sidérés, la tragédie en cours, nourris par les reportages dramatiques des chaines de télévision. Il y a d’un côté le cynisme et la violence d’Etat, de l’autre un pays devenu martyr. L’invasion de l’Ukraine est une bascule pour le monde, un choc immense pour le siècle. Le droit international été violé, piétiné, moqué, méprisé. La Russie sème la mort et le revendique. Elle fait peur. Elle indigne. Elle révolte.  

La liberté est ou n’est pas. Elle ne peut être relative. Il en est de même de la souveraineté. A l’effondrement du Mur de Berlin, puis à celui de l’Union soviétique il y a désormais plus de 30 ans, des pays, des peuples, des cultures étouffées durant des décennies par les dictatures communistes ont recouvré la liberté et le droit enfin de choisir collectivement leur propre destin, sans plus craindre quiconque et en particulier la Russie. C’est l’Europe, celle de l’Union européenne, celle de la communauté euro-atlantique aussi qu’ils ont voulu rejoindre. Pour être protégés, pour se développer économiquement, pour construire des sociétés libres et entreprenantes. Qui aurions-nous été, nous, Européens de l’ouest, pour le leur refuser ? Nous n’avons pas le monopole de l’Europe, de sa géographie, de sa culture, de son économie. Il se disait que cette perspective fâchait les Russes. Et alors ? Devions-nous, à notre tour, intégrer l’idée que la souveraineté de ces jeunes démocraties serait forcément limitée, comme elle l’avait été auparavant, au nom d’un atavisme nourri à Moscou ? Assurément non. L’élargissement de l’Union européenne aux anciens Etats du Pacte de Varsovie et aux trois Républiques baltes était un devoir historique. Et leur adhésion à l’OTAN également.

Le droit international n’est pas indicatif. La souveraineté d’un pays, l’intégrité de son territoire et l’inviolabilité de ses frontières se respectent. C’est parce que l’Ukraine avait envie d’Europe que la Russie l’a envahie. Mais la Russie est européenne aussi, elle avait même rejoint le Conseil de l’Europe, maison européenne du droit et des libertés, à la fin des années 1990. L’histoire aurait pu être différente. L’Europe n’est pas hostile à la Russie. C’est un projet, un idéal, un engagement qui devait également être sien. Et qui pourrait encore l’être. Reste que l’Europe, c’est aussi le droit et que le droit ne se viole pas. On ne réécrit pas la carte des frontières à coups de menaces, d’annexions, de bombes et de guerres. L’erreur fut de ne pas l’avoir suffisamment affirmé à Poutine en Géorgie en 2008 et en Crimée en 2014. J’étais membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au moment de l’annexion de la Crimée. J’avais voté les sanctions contre la Russie. Je me souviens des protestations de certains de mes collègues. C’est mal d’avoir annexé la Crimée, assuraient-ils, mais sanctionner la Russie nuirait au dialogue et le plus important était, pour eux, ce dialogue. Mais le dialogue pour quoi ? Dialoguer n’est pas une fin en soi. Dialoguer pour dialoguer ne mène à rien.

Personne n’aspire à la guerre, du moins du côté libre de l’Europe. Tout le monde veut la paix. Mais c’est un rapport de forces et non une affirmation béate qui crée les conditions de la paix, si l’on veut, cette paix, qu’elle soit pérenne et juste pour tout le monde. En Ukraine, la Russie ne construit pas la paix, elle la détruit. Les Accords de Minsk étaient la base de la paix. Elle les a piétinés. Un pouvoir fort s’est attaqué à une démocratie, un pouvoir qui a découragé, emprisonné, éliminé toutes les oppositions chez lui. Un pouvoir qui pourrait demain ne pas s’arrêter à l’Ukraine, s’en prendre à d’autres voisins aussi, imposer ses visées impérialistes un peu partout au nom d’une soi-disant menace, agressé qu’il serait par la démocratie et autorisé à faire régner la terreur au nom de la bombe atomique qu’il possède. La liberté de l’Ukraine est aussi celle de l’Europe. Ce qui se joue dans ce pays en ces heures si tragiques est notre avenir à nous tous, Européens. Ce n’est pas un conflit aux marches de l’Europe, c’est un conflit en Europe. Soutenir l’Ukraine est le devoir de tous les Européens, de tous ceux, où qu’ils soient, qui veulent vivre libres et en paix, dans le respect des souverainetés, des territoires et des histoires qui ont fait la grandeur de notre continent.

Le monde de demain ne peut être celui du plus fort, du plus menaçant, du plus dingue. Il doit être celui du respect de tous, du plus petit au plus grand des Etats, celui de tous les citoyens aussi. L’Ukraine doit vivre, librement, souverainement. Il faut sanctionner la Russie, dès maintenant, rudement et décisivement. Et fournir les forces armées ukrainiennes en armes. N’ayons pas peur des mots et des réalités : ce qui nous attend est empli de tant de risques. Il ne peut y avoir de paix européenne achetée au prix de la disparition de l’Ukraine. Ce serait une terrible lâcheté et une redoutable illusion avant, immanquablement, la prochaine attaque. Les démocraties n’ont pas vocation à la faiblesse, elles ont vocation à s’unir et à se défendre. Vladimir Poutine ne connaît ni ne respecte que la force. Montrons-la lui. Nous le devons et nous le pouvons. C’est le moment. Je pense à mes amis ukrainiens, à ceux qui donnent quelques nouvelles encore, à ceux qui n’en donnent plus. Je me souviens de nos échanges passionnés sur l’Europe de demain à Strasbourg, de leur accueil à la Rada à Kiev à l’automne 2017. Nous voulions faire la paix par le droit. Ces souvenirs me brisent le cœur autant qu’ils me donnent envie d’espérer. L’Europe est plus que jamais la promesse à défendre.

3 commentaires

  1. Bertrand Gosset

    La guerre revient en Europe alors que nous pensions être à l’abri en construisant l’Union Européenne.

    Pour être positifs, espérons que la résistance ukainienne et la risposte européenne et mondiale seront plus fortes que l’armée russe.

    Espérons aussi que la société russe puisse s’opposer quelque peu à son dictateur.

  2. Bertrand Gosset

    L’avenir des relations avec la Chine se joue aussi certainement en partie maintenant: si nous sommes faibles, la Chine y verra l’opportunité de son impérialisme.

  3. Merci, cher Bertrand. Le courage des Ukrainiens, qui parviennent à mettre en échec l’armée russe, est admirable. Il faut que les livraisons d’armements leur parviennent rapidement car la paix se construira par un rapport de forces. L’engagement de la communauté internationale est décisif aussi. Cette résistance au coup de force de Poutine est un réconfort et un motof d’espoir pour l’avenir. Elle doit encourager aussi cette part de la société russe qui aspire à l’Europe, à la démocratie et à la paix.

Les commentaires sont fermés.