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Sur un coup de pompe et quelques idées

Mon petit bureau, sous le toit de ma maison

Ce dernier jour de novembre est tout gris depuis les hauteurs de ma maison, sous le toit, là où j’ai niché mon petit bureau. L’automne a filé vite et l’hiver pointe déjà son nez. Au milieu de mes livres, dans mon cocon, je suis heureux. Je suis au repos aussi, instruction du médecin. J’ai trop tiré sur la corde. Entre 12 et 13 heures de travail par jour depuis le début septembre. La fatigue m’a rattrapé. Les nuits trop courtes, les journées trop longues, les notes écrites au kilomètre, les réunions empilées les unes après les autres sans plus trop savoir pourquoi, la volonté de (trop) bien faire, la crainte d’oublier quelque chose, tout cela était devenu mon quotidien. J’étais comme dans un tunnel, travaillant à l’arrache, sans plus rien sentir si ce n’est l’obligation récurrente de « délivrer ». Jusqu’à un sérieux coup de pompe le week-end dernier. Ces quelques jours de repos obligé pour remonter ma tension devenue toute faible s’imposaient. Mes proches le voyaient, moi un peu moins. On n’est jamais le meilleur juge de sa fatigue. Il faut savoir se ménager. Je l’ai parfois dit à d’autres, mais je ne m’étais jamais appliqué ce sain conseil à moi-même. Il n’est jamais trop tard pour le faire. C’est une résolution que je fais mienne désormais, avec quelques semaines d’avance sur la nouvelle année.

Travailler, c’est ce que j’ai toujours aimé et voulu faire, comme salarié, puis comme entrepreneur. J’ai beaucoup souffert de l’inactivité forcée après mon retrait de la vie publique en 2017. Je voyais chacun partir au travail le matin. Je restais seul, avec le souvenir de ma vie professionnelle passée. Les chasseurs de tête que je rencontrais et connaissais parfois depuis longtemps me disaient, certes gentiment, que la probabilité pour un cinquantenaire de renouer avec une carrière d’entreprise n’était pas bien grande. Rien n’était plus terrible pour moi. Je ne me sentais pas vieux – je ne le sens d’ailleurs toujours pas – mais j’étais malgré tout renvoyé à mon âge. Je rentrais chez moi, accablé, à l’issue de ces entretiens. Les candidatures que j’envoyais à des annonces d’emploi ne recevaient que rarement des réponses. J’avais même pensé postuler, un soir de tristesse, comme serveur au café situé tout près de chez nous. Travailler, c’est bien sûr gagner des sous, cotiser pour la retraite et avoir une assurance sociale, mais c’est aussi et d’abord être utile aux siens, agir, entreprendre. C’est ainsi qu’à la fin 2018, las de ne rien trouver, je me suis lancé comme entrepreneur, conseil, enseignant et conférencier. Je suis parti à l’aventure, devenant mon propre patron. J’ai aimé cela et j’ai réussi.

Un jour, alors que je n’y pensais même plus, la vie salariée s’est rappelée à moi. Pour dire les choses en raccourci, on cherchait un vieux, quelqu’un qui aurait vécu, qui pourrait apporter son expérience et son recul pour débrouiller une gouvernance compliquée et mettre les choses d’équerre. Je me suis dit que je pouvais être cette personne-là, ajoutant la sérénité à l’expérience requise. Les choses se sont faites et j’ai repris une activité salariée depuis un an. Je suis convaincu qu’il faut travailler plus longtemps. Je vis en Belgique où le taux d’emploi des 60-64 ans est au même niveau qu’en France (autour de 33%), très en deçà de la Suède (70%), de l’Allemagne (62%) et de la moyenne européenne (42%). Il est urgent de changer cela et de remonter le plus haut possible le taux d’emploi des séniors, qui fléchit dès le milieu de la cinquantaine, alors même qu’il reste une dizaine d’années de vie active à accomplir. C’est un regard différent sur l’expérience professionnelle et l’âge qu’il faut porter. On n’est pas cuit à la cinquantaine, bien au contraire. L’argument de la business continuity pour ne pas engager au-delà de 50 ans est injuste et infondé. Je pense que c’est le mix générationnel qui génère le meilleur partage de l’expérience, la transmission du témoin et la meilleure productivité.

Nos sociétés ne peuvent faire le choix du chômage. Passer par le chômage avant d’aller à la retraite est un traumatisme personnel et une perte économique pour les intéressés eux-mêmes, mais pour la collectivité aussi. Des années de chômage se traduisent par de moindres retraites et un coût d’indemnisation élevé. Il faut absolument inverser cela. En Belgique, l’âge de départ à la retraite a été porté à 67 ans récemment. En France, il le sera vraisemblablement à 65 ans. Comment imaginer et, plus encore, accepter que l’on puisse traverser une décennie de galère pour atteindre cet âge faute de pouvoir travailler ? Je ne crois pas au laisser-faire, à la main invisible du marché du travail, à la seule volonté des entreprises lorsque les préjugés à l’encontre des séniors demeurent si forts. Je pense que la place des séniors dans l’entreprise doit faire l’objet de négociations pour un pacte intergénérationnel. Chez Orange, un accord permet aux séniors de travailler à mi-temps avec une rémunération à 80% et une cotisation retraite à taux plein. De tels accords devraient pouvoir être soutenus par une fiscalité avantageuse. Le maintien dans l’emploi est un enjeu considérable alors que la vie s’allonge et que l’on entre dans la carrière professionnelle plus tard qu’auparavant.

Je serai bientôt l’un de ces séniors de plus de 60 ans. Il ne reste qu’une poignée d’années. J’approche pourtant la vie professionnelle avec la même envie qu’il y a 30 ans, lorsqu’elle a débuté pour moi. J’y vois les mêmes opportunités et les mêmes risques aussi, y compris celui du coup de pompe qui me conduit à cette semaine de repos sous mon toit de Bruxelles et le ciel tout gris de l’hiver qui vient. Dans le calme de mon petit bureau, laissant un livre de côté, j’ai eu envie de confier ces quelques réflexions. Je sais ce que c’est d’avoir plus de 50 ans et de vouloir travailler, j’en ai vécu les interrogations, les épreuves et les peines. J’ai eu de la chance. Tant ne l’ont pas eue, cette même chance. Je mesure également ce que c’est d’être arrivé à ce point de ma vie en bon état, laissant de côté ma fatigue du moment. Cela aussi, ce n’est pas partagé. C’est pour cela que je crois à la nécessité de prendre en compte la pénibilité des tâches dans l’accès à la retraite. Ce n’est pas un regard désabusé, d’abandon ou de rejet qu’il faut porter sur le travail, c’est un regard lucide et ambitieux, rompant avec toutes les idées reçues. Il faut travailler plus et plus longtemps. Il faut travailler mieux aussi (ma résolution) et savoir dire stop lorsque c’est trop. On travaille pour vivre, on ne vit pas pour travailler.

6 commentaires

  1. Claude Sonmez

    Tout a fait d’accord en tous points. J’ai eu la chance de démarrer un nouveau job a 57 ans et le garder jusqu’à 65. J’aurai bien continué.
    J’ai toujours pensé qu’aussi bien à 30,40 ans ou plus il faut garder un juste équilibre entre travail et vie personnelle et que rien ne justifie de devoir travailler douze heures par jour sauf pour des périodes limitées.
    Je te souhaite de te rétablir et de revenir à un rythme soutenable.

  2. Jutta

    Bravo! Bien dit et courage mon cher Pierre-Yves

  3. FONDENEIGE

    bonjour Pierre-Yves, je me retrouve bien dans ce que tu as écrit, et te remercie pour la sincérité de cette analyse personnelle, mais aussi collective. Bon courage, bonne fin d’année et joyeuses fêtes ! nicole

  4. Merci, chère Claude. Cet équilibre auquel tu fais mention est vital si l’on veut travailler efficacement et avec plaisir. Il faut faire attention, savoir écouter son corps lorsqu’il dit stop. C’est la leçon que je retire de ce coup de pompe.

  5. Merci, chère Jutta. Nous nous comprenons, n’est-ce pas, grands quinquas que nous sommes!

  6. Merci, chère Nicole. Je te sais attachée à ces valeurs qui nous rassemblent.

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