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Mois : février 2023

Lettre d’Amérique

Saint Augustine Beach (Floride), 22 février

Il y a quelques jours, j’ai retrouvé l’Amérique. Ma dernière visite remontait à octobre 2013, dans le cadre d’une mission parlementaire aux Nations Unies. Je n’avais pas quitté Manhattan et le temps d’un road trip pour quelques jours ou même quelques heures m’avait manqué. Toutes ces années d’après sans un voyage aux Etats-Unis furent longues. J’aime profondément l’Amérique, ses paysages, sa grandeur, sa démesure aussi. Et j’aime les Américains. Je voulais revenir depuis bien longtemps. J’ai eu la chance de vivre en Californie au sortir de mes années étudiantes. Ce séjour à la dure, juste et vrai, a marqué ma vie. Il fut initiatique et pionnier pour le jeune adulte que j’étais. Je l’ai raconté sur ce blog. Je sais ce que je dois à l’Amérique : une émancipation, une découverte, la foi en la liberté. Il en reste une reconnaissance sincère et une émotion qui ne me quitte jamais. L’histoire américaine, la société américaine, la littérature et le cinéma américain me passionnent. Je me souviens, au retour de ma vie californienne, d’avoir été le grand témoin d’un petit festival du film américain à Quimper, ma ville natale, avec notamment à l’affiche Thelma and Louise et Roger and Me. J’introduisais les films avant la projection, improvisant sur les Etats-Unis, partageant avec bonheur anecdotes et souvenirs.

Depuis lors, je suis devenu papa. A mes enfants, je parlais parfois de l’Amérique, leur racontant ce bout de vie qui fut le mien sur la côte ouest et caressant le rêve de pouvoir un jour les y emmener. Je ne savais pas vraiment quand ce serait. Pas trop tôt sans doute, pour qu’ils aient assez grandi pour comprendre la valeur d’une telle aventure, pour eux et pour nous. Ce moment a fini par venir. A l’initiative de mon amie Amie Kreppel, Jean-Monnet Chair, professeure de science politique et directrice du Center for European Studies à l’Université de Floride, j’ai été invité à venir enseigner à Gainesville sur la procédure législative européenne et les mécanismes d’influence. Je me suis dit aussi que ce devrait être l’occasion, non seulement de retrouver enfin l’Amérique, mais d’y venir en famille. J’ai mis tous mes speaking fees dans les billets d’avion. Nous avons bouclé les valises et décollé pour l’aventure il y a bientôt une semaine. Nous resterons en Floride jusqu’à la fin du mois. Une belle maison nous attendait et une grande auto aussi. Entre mes cours, nous explorons frénétiquement les deux côtes et les réserves naturelles. Je souris en regardant mes enfants, à qui tout apparaît tellement grand : les routes, les voitures, les camions, les maisons, les lits, les frigos. Comme pour moi il y a plus de 30 ans.

Loin de Bruxelles, je parle chaque jour d’Europe aux étudiants. Croire en l’Europe, en son projet, en son acquis, en son avenir aussi, voilà ce que j’essaie de transmettre. Je suis arrivé à une étape de ma vie où la transmission et le partage sont autant un plaisir qu’un besoin. La rigueur académique et des étudiants passionnés font le reste. A Gainesville, dans ma salle de cours, l’Europe est peut-être lointaine par la géographie, mais elle est dans les cœurs. Hier soir, accroché à mon pupitre, j’ai planché 3 heures sur la législation secondaire dans l’Union européenne. Je guettais les moindres signes de fatigue dans l’auditoire. C’était le test. Le sujet n’était ni simple, ni particulièrement drôle ou sexy, mais pour parler d’influence, il fallait bien en passer par là. Personne n’a piqué du nez. Mes étudiants ont tenu le choc. Je dois avoir réussi leur examen, je crois. Demain, je présenterai les mécanismes européens de transparence en matière de lobbying, puis je me joindrai à un débat sur la politique africaine en compagnie de plusieurs professeurs de l’Université de Floride. Je prends plaisir à tous ces échanges. Je ne fais pas qu’enseigner, j’apprends aussi beaucoup. Transmettre, c’est accepter et même espérer découvrir en retour des champs de connaissance inattendus.

Je me suis présenté au cours ce soir avec un sérieux coup de soleil et çà n’est pas passé inaperçu. J’avais emmené la famille le matin sur la plage de Saint Augustine et je ne me souvenais plus que la crème solaire devait être de rigueur face à l’Atlantique, même en février. Lourd oubli. Hier devant le Golfe du Mexique et sous les yeux de quelques pélicans très peu farouches, j’avais déjà laissé de côté une bonne partie de la pâleur hivernale bruxelloise. La Floride que je retrouve me plaît bien. Je sais aussi qu’elle n’est pas Main Street USA. Il y a sans doute plusieurs Amériques, qu’il me faudra redécouvrir aussi. Tant a changé. Devant mes étudiants, je soulignais ce soir combien l’Union européenne de l’après-Covid et de la paix menacée n’est plus celle d’il y a 30 ans. C’est tellement vrai pour l’Amérique aussi. Je dois continuer de retrouver les Etats-Unis, de m’y ressourcer par-delà cette chouette expérience à Gainesville, apprendre encore et toujours. Il m’arrive au fond de rêver que cette itinérance, ce partage puisse être l’étape d’après, de temps en temps, et chaque année peut-être. Il y aura toujours une grande auto à conduire, des valises pleines de cours et de livres, et des enfants joyeux sur la banquette arrière, un peu plus grands sûrement, mais prêts pour la suite de l’aventure.

Notre maison à Gainesville

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