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Minuit moins le quart

Dans le port d’Amsterdam, fin octobre 2023

C’était un soir de la fin octobre dans le port d’Amsterdam. Le petit bateau sur lequel je me trouvais avançait vers un quai lointain où nous devions débarquer. Dans la pénombre se détachaient plusieurs installations industrielles, entre lumières et fumées que le vent chassait. Le contraste des couleurs rendait l’instant irréel et inquiétant aussi. Je pris une photo. Elle symbolisait, au fond, tout le défi qui se pose à nos pays et au monde : lutter pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, poursuivre le développement de nos économies, lier ces efforts pour rendre le saut vers un monde décarboné juste socialement et acceptable politiquement. L’équation est redoutable. Elle est chaque année, chaque mois, chaque jour plus urgente aussi. Huit ans ont passé depuis l’Accord de Paris de 2015. Ce texte, j’ai eu l’honneur d’en être le rapporteur à l’Assemblée nationale. Je l’ai défendu, expliqué, détaillé. Il n’est certes pas idéal, mais il a entrainé une prise de conscience universelle de l’urgence d’agir pour limiter au-dessous de 2°C et si possible 1,5°C la hausse des températures par rapport à l’ère préindustrielle. Les Etats parties ont pris à cette fin l’engagement de présenter leurs efforts et de les réévaluer tous les 5 ans. Il faut les examiner, en souligner les forces et faiblesses. Ce sera le devoir de la COP 28 qui s’ouvrira à Dubaï dans quelques jours.

Nous ne sommes pas aujourd’hui à la hauteur de la crise. Les efforts des Etats parties, les Nationally Determined Contributions (NDC), sont réels, mais trop timides. Au mieux, si tous ces efforts étaient réalisés, la baisse des émissions des gaz à effet de serre ne serait, selon la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), que de 2% en 2030 par rapport à 2019. Or, il faudrait avoir baissé, non de 2%, mais de 43% ces émissions en 2030 pour rester sur la trajectoire de l’Accord de Paris et limiter à la fin du siècle la hausse des températures à 1,5°C. En cette fin d’année 2023, la réalité, sur la base des NDC transmises par les Etats parties, est que le monde se trouve sur une trajectoire conduisant à une augmentation de 2,9°C. C’est dire à quel point nous n’y sommes pas. Une augmentation pareille de la température aurait pour la planète et son habitabilité des conséquences redoutables. Dès lors, que faire à Dubaï, sinon prendre la mesure de la falaise qui se dresse devant nous et changer de braquet ? Le coût de l’action à entreprendre est immense, mais celui de la non-action le serait encore bien davantage. La COP 28 doit être l’occasion d’un bilan sans concession sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris pour relever massivement les ambitions, lister les actions à entreprendre et déterminer comment le faire.

Il est minuit moins le quart. Tout se jouera dans les prochaines 10 années. Après, il sera trop tard. La responsabilité qui pèse sur les autorités des Etats parties est énorme, mais elle est aussi la nôtre à nous, acteurs du monde économique, financiers, leaders associatifs, simples citoyens désireux de s’engager. Je n’ai jamais adhéré aux théories de la décroissance. Ce n’est pas par la pénurie et les prohibitions que l’on sauvera la planète et cela pour une raison toute simple : dans le monde et dans nos sociétés, nous ne sommes pas égaux devant le changement climatique. La décroissance conduirait à une explosion sociale. Le combat est, à l’inverse, de travailler à la justice des choix d’adaptation et d’atténuation, à veiller qu’ils soient porteurs de progrès, de développement et d’émancipation. Ce n’est pas seulement dans nos pays industrialisés que tout se jouera, ce sera d’abord dans le monde en développement à la démographique galopante. Et tout l’enjeu pour l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine sera d’assurer, depuis nos nations riches, les transferts financiers nécessaires, d’une magnitude inégalée – on parle de 1000 milliards de dollars par an. Il faut que l’action climatique bénéficie en priorité au Sud, parce que nous sommes, au Nord, historiquement responsables de la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre qui nourrissent le changement climatique.

L’efficacité de l’action climatique commande cette redistribution. L’action climatique, ce n’est pas chacun chez soi, la solidarité doit être la clé. C’est dire le rôle, notamment, des banques internationales de développement et le devoir aussi de mobiliser l’épargne privée. Le développement énergétique et économique de l’Afrique requiert de financer l’installation de milliers de mini-réseaux à l’échelle du continent, pour hâter la croissance et le progrès social, pour réussir également l’intégration des énergies renouvelables. Tout cela nécessite un investissement massif. Il existe des ressources dans les Etats pétroliers et auprès des majors des énergies fossiles qu’il s’agit de lever. La neutralité carbone continuera de dériver dans le temps si la volonté de sortir des énergies fossiles n’est pas actée par la COP 28 avec une démarche précise de mise en œuvre. Il y a aujourd’hui sur la planète des bombes climatiques dans les mains de certaines entreprises pétrolières et minières qui peuvent ruiner ce combat planétaire de 30 ans si la vénalité de quelques-uns continue à prévaloir sous forme d’exceptions et de délais toujours plus longs consentis de guerre lasse à de puissants lobbies. Il est aussi incohérent qu’indécent que soit produit d’ici à 2030 deux fois plus de pétrole que la quantité compatible avec les 1,5°C d’augmentation de la température terrestre.

Les COP sont devenues de gigantesques barnums où défilent des dizaines de milliers de participants. Le plus importants est que ces discussions, en marge des négociations diplomatiques, soient utiles et concrètes. Il n’est plus temps d’attendre ou de se disperser. Les COP ne peuvent devenir des foires commerciales vaines et insensibles. Des technologies doivent être présentées, la digitalisation et l’intelligence artificielle ouvrent de nouveaux horizons pour réussir la transition vers le tout électrique, pour tous, et dans la sobriété. C’est là qu’est le chemin. Mais d’une COP à l’autre, le combat, c’est tous les jours aussi qu’il doit être mené. Il s’agit de convaincre au plus près, autour de nous. Nos pays riches, qui concentrent les richesses et l’influence dans la dynamique de négociation, ont été ébranlés par la pandémie, par les guerres à leurs portes, par l’inflation récurrente, par la précarité qui s’en suit pour une large part de leurs classes moyennes. Le sentiment de déclassement alimente le vote pour les extrêmes et les extrêmes excluent l’action climatique, promettant ici de sortir de l’Accord de Paris, là de reprendre les forages. Le combat climatique n’est pas neutre, il est d’abord une cause humaniste. Affirmons-le ! Cette dimension-là ne doit jamais cesser de nous habiter face à la difficulté des temps, au découragement, aux colères aussi. Car nous n’avons qu’une seule option : réussir.

4 commentaires

  1. GALLARD Philippe

    On ne peut que partager votre point de vue que vous exposez limpidement !

  2. Merci, cher Philippe. Cette cause est tellement engageante. Il en va de l’avenir et de l’habitabilité de notre planète, de la justice et de la paix aussi.

  3. Herzlichen Dank, lieber Heiner. Zusammen müssen wir eine andere Zukunft bauen.

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