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Mois : décembre 2023

2024, ensemble !

Quelque part, dans la campagne andalouse, les dernières lueurs de 2023

C’est l’histoire d’un premier matin, celui qui nous attendra demain, dans les lueurs de l’aube du 1er janvier 2024. Les 1ers janvier sont ceux des bonnes résolutions, tous les ans. Survivent-elles aux premières semaines de janvier ? Parfois. Je me souviens d’une anecdote croustillante à mon arrivée à l’Assemblée nationale en juin 2012. J’étais le premier député de la législature nouvelle à venir consulter le cabinet médical de l’Assemblée, la faute à des doigts coincés dans ma porte de garage le surlendemain des élections. Le médecin m’avait expliqué que les députés se portaient en général plutôt bien, sauf au mois de janvier en raison des nombreuses galettes des rois à engloutir en quantité industrielle aux quatre coins de leurs circonscriptions. Janvier et février étaient les mois du cholestérol parlementaire. Les prises de sang étaient à proscrire jusqu’en mars, le temps de se refaire. J’avais bien ri, tout en gardant à l’esprit qu’il ne fallait pas que cela m’arrive à mon tour. Quelques semaines après, profitant de l’été en Galice, j’apprenais que la longue jetée du port de La Corogne sur laquelle je courais le matin était appelée par les habitants la « avenida del colesterol ». Tous les gens au régime venaient y dégourdir leurs jambes. Mon beau-père médecin y croisait un nombre conséquent de ses patients. Les bonnes résolutions étaient donc durables.

Pour commencer l’année, il faut donc se souhaiter une bonne santé. Bouger, marcher, courir, sauter, profiter du bon air, se vider l’esprit. Et lire ! On ne lit jamais assez. Au risque de passer pour un vieux schnock, je considère que la lecture des réseaux sociaux ne compte pas. Lire, c’est un bon livre, un livre que l’on chérit, que l’on attend de retrouver le soir pour quelques pages ou plus, que l’on découvre et déguste doucement comme un whisky hors d’âge (voilà que j’oublie déjà la résolution sur le cholestérol…). On ne lit jamais assez. Le livre n’est pas un produit comme un autre, c’est un voyage pour une vie, un passeport universel. Le bonheur de lire vient souvent à l’enfance, grâce à la passion contagieuse d’instituteurs merveilleux. Ou parfois plus tard, en cours de vie, au hasard d’une rencontre ou d’une découverte. Je pense à ma maman qui, durant près de 30 ans, fit vivre bénévolement la permanence du lundi soir à la bibliothèque d’Ergué-Gabéric, accueillant avec bienveillance celles et ceux qui venaient chercher une histoire, des aventures, une évasion par les pages d’un livre partagé. Les bibliothèques sont des lieux précieux d’imaginaire pour tous, au-delà de toutes les conditions. Il faut les défendre, les développer, les soutenir. L’accès au livre ne doit pas être barré par le manque de moyens. C’est l’une des plus belles causes.

Derrière le livre, il y a la liberté, celle de penser, celle d’être soi-même, celle de vivre, d’imaginer, de créer, d’entreprendre. Il faut se souhaiter la liberté. Y pense-t-on encore ? Rien n’est moins sûr. Nous vivons dans un monde de contraintes, de peurs multiples, de catastrophes réelles et intériorisées. L’année 2023 qui s’achève en aura été un terrible exemple. Le monde de demain ne peut être celui de Poutine, du Hamas, de l’Iran des mollahs, des tyrans sanguinaires et autres frappadingues asservissant leurs peuples. Ni celui de Trump, de Netanyahu ou de Milei, pour qui l’état de droit est un concept incongru tant il incarne le vivre-ensemble dont ils ne veulent pas, blindés qu’ils sont dans leurs certitudes, leurs obsessions et leur folie. Il faut chérir la liberté, s’engager pour elle, ne pas s’arrêter au triste motif, entendu ici ou là, que s’en préoccuper, ce serait juste pour des temps meilleurs, quand l’économie va bien, que les budgets sont équilibrés et que la paix règne. La liberté, les droits, les valeurs et les principes de la démocratie ne relèvent pas d’un prêchi-prêcha d’intellectuels en goguette, c’est un combat de tous les jours. Ils sont l’essence même de nos vies de citoyens, ils incarnent la dignité et le meilleur d’une société. Ils sont des causes pour maintenant, pour chacune et chacun. N’oublions jamais tous ceux qui sont tombés parce qu’ils les portaient.

Souhaitons enfin que 2024 soit une année pour la solidarité. Il n’existe pas de liberté durable sans solidarité. La solidarité, il faut la faire vivre, concrètement, activement. Il ne faut pas juste en parler. La République ne peut avoir le cœur sec, trier entre les gens, se méfier des étrangers. Il faut vouloir convaincre, toujours, ne pas se laisser porter par l’air du temps. Il ne doit y avoir aucune place pour la xénophobie. En 2024, nous élirons le Parlement européen. Le projet européen est fondé sur la solidarité, n’en déplaise à ceux qui crient à longueur de temps à « l’ultra-libéralisme » ou n’imaginent notre pays que derrière des frontières. Ceux-là se trompent et parfois même se rejoignent. Le marché est un moyen, il n’est aucunement une fin. Jacques Delors évoquait à raison les trois principes qui fondent le modèle européen : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Puisse le souvenir de cet homme admirable, de cet Européen passionné, en ce dernier jour de décembre inspirer celles et ceux que la liberté et la solidarité rassemblent. Dans quelques mois, nous aurons rendez-vous ensemble pour défendre cet idéal, le porter plus loin, en réponse aux défis de l’Europe et du monde. Ce rendez-vous sera essentiel pour les temps qui viennent. Souhaitons-nous une grande, une belle année 2024, une année décisive et généreuse, une année qui rassemble !

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Vu du cimetière

J’étais hier à l’Assemblée nationale. Je n’y étais pas retourné souvent depuis 2017. Sans doute y avais-je trop de souvenirs – pensais-je – pour pouvoir retrouver les lieux sans éprouver une belle part de nostalgie et d’émotion, au moins durant un temps. Reste que les années ont filé et je regarde désormais ma vie parlementaire avec davantage de distance. Je sais pourquoi je l’ai beaucoup aimée, pourquoi je m’y suis donné corps et âme. Et comment aussi j’ai écrit la suite, lorsqu’il a fallu m’en aller. Les anciens députés ont une carte qui leur permet d’entrer au Palais-Bourbon. Ils ont aussi un petit coin à eux dans les tribunes de l’Hémicycle pour suivre les débats de leurs successeurs. Je n’y étais jamais allé avant hier. Ce petit coin a un surnom plutôt sinistre : le cimetière. Certainement parce que l’on s’attend à y croiser des éclopés du suffrage universel et quelques vieilles gloires politiques décaties. Lorsque je siégeais dans l’Hémicycle, j’entendais parfois des collègues dire : « il y avait untel au cimetière aujourd’hui ». Il m’avait même fallu un petit moment au début pour comprendre de quoi il était question. Hier, je me suis dit qu’il y avait prescription et que je pouvais pousser la porte du cimetière. Je m’y suis retrouvé tout seul. Je me suis assis, j’ai écouté et j’ai observé.

C’était la séance des questions au gouvernement. Lundi en soirée, une coalition de toutes les oppositions avait défait le gouvernement en rejetant le projet de loi sur l’immigration avant même que l’examen ne débute, et l’Hémicycle était encore parcouru de ces tensions récentes. Il se trouve que le cimetière surplombe les bancs des députés de La France Insoumise. Je ne les connaissais que de la télévision. J’ai entendu les exclamations, les noms d’oiseaux. J’ai vu certaines attitudes et des gestes affichant une agressivité qui ne devrait jamais avoir cours dans un tel lieu et qui me choque profondément. J’avais déjà le sentiment, de loin, d’appartenir à un monde ancien, un monde perdu, celui des désaccords respectueux et de la main toujours tendue. Je l’ai ressenti encore plus fort depuis ma place au cimetière. J’ai eu l’impression de venir tout droit de Jurassic Park. Peut-on débattre sereinement, utilement, efficacement au milieu des glapissements et des invectives ? D’évidence non. Le rôle de l’opposition est bien sûr de s’opposer. Encore faut-il qu’elle le fasse stratégiquement, subtilement, avec des priorités et le souci constructif de convaincre. C’est tout cela qui m’a semblé manquer. Le débat parlementaire ne peut ni ne doit être un ring de catch.

Il y a les oppositions et il y a aussi la majorité. Elle n’a pas trop la forme. L’adoption de la motion de rejet préalable a été pour elle et le gouvernement un échec politique lourd, comme une censure qui ne dirait pas son nom. Fallait-il une loi sur l’immigration ? Oui. Je comprends l’objectif de fermeté. Michel Rocard disait à raison il y a plus de 30 ans que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Je mesure aussi l’exigence d’humanité. Nous devons traiter dignement celles et ceux qui viennent, le temps de leur présence, courte ou longue, en France. Je suis co-signataire d’une initiative citoyenne européenne sur l’accueil des migrants. L’équilibre fermeté-humanité n’est pas simple à trouver in abstracto, plus encore dans le contexte d’un Sénat à droite et d’une Assemblée nationale sans majorité absolue. La droite sénatoriale lie la question migratoire à celle de la sécurité. C’est un réel sujet, mais il est loin d’être le seul sur l’immigration. Il s’en est suivi la large réécriture du projet de loi au Sénat, corrigée ensuite en commission à l’Assemblée nationale. Le débat en séance devait avoir lieu. Il était nécessaire. Je ne comprends pas que certaines des oppositions, en particulier LR et PS parce qu’ils ont exercé la responsabilité gouvernementale, aient voté la motion de rejet.

C’est peu dire que les oppositions sont diverses sur la question migratoire, entre le RN qui rejette tous les migrants et LFI qui ouvre toutes les portes. Elles n’ont rien en commun, mais l’addition de leurs votes a mis en échec le gouvernement. C’est une victoire en trompe-l’œil, en particulier pour la gauche de gouvernement. Le projet de loi n’a pas été retiré et la commission mixte paritaire qui se réunira sous quelques jours travaillera sur la base du texte du Sénat, infiniment plus dur que la version corrigée par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale. Pour que le projet de loi soit adopté, ce à quoi tient le gouvernement, il faudra détacher du rejet de lundi les députés LR – sans perdre de députés de la majorité – et revenir pour ce faire à un équilibre proche de celui défini par le Sénat. L’histoire aurait été différente si l’examen en séance à l’Assemblée nationale avait eu lieu. J’aurais souhaité, parce que je viens de cette histoire-là, que la gauche de gouvernement ait un impact dans la construction d’un compromis. Le débat en séance à l’Assemblée l’aurait peut-être permis. La situation actuelle dans le pays méritait en tout état de cause que le projet de loi sur l’immigration soit traité différemment par tous les acteurs gouvernementaux et parlementaires.

Je suis convaincu qu’un sujet comme l’immigration requiert des majorités d’idées solides et donc une ouverture dépassant les clivages classiques de la vie politique. C’est pour cela que le dépassement cher au Président de la République a pu initialement me convaincre. La crispation politique, les calculs électoraux, les erreurs de stratégie gouvernementale ont plombé le projet de loi. Y avait-il place pour un tel texte dans ces conditions, sans majorité à l’Assemblée nationale ? J’en doute désormais. Un an et demi à peine après les élections du printemps 2022, il n’y a plus de dynamique politique. Le « en même temps » a vécu. Cela ne peut durer. On ne peut aborder ainsi le chemin de plus de 3 ans qui nous sépare encore de 2027. La France est dans une impasse politique dont elle doit se sortir. Dissoudre l’Assemblée nationale serait une possibilité, mais elle conduirait à une chambre encore plus introuvable en l’état de l’opinion avec un RN dopé en voix et en sièges et une majorité en retrait. Changer d’équipe gouvernementale serait une autre possibilité, mais elle n’aurait de sens que si elle était accompagnée d’un changement profond et sincère de méthode, loin de la verticalité, en lien étroit avec les territoires, les collectivités et les corps intermédiaires.

Depuis le cimetière, on voit finalement beaucoup de choses. On a le recul utile. Mais le cimetière n’est pas très attirant. On l’évite soigneusement ou on le regarde d’en bas, un peu comme les spectateurs du Muppet Show regardaient les deux vieux au balcon comme des personnages pittoresques, mais datés. C’est dommage. Le recul du temps, cette forme d’expérience aussi nous montre que notre pays ne peut vivre à la godille, un coup de rame par ci, un coup de rame par là, dans l’illusion que l’on peut concilier non les différences, mais bien les contraires, en promettant au Sénat l’inverse de ce que l’on promet à l’Assemblée nationale. C’est courir à l’échec assuré que d’agir ainsi. Il en résulte une crispation qui ne profite qu’à l’extrême-droite, qui engrange silencieusement les soutiens et se prépare à gouverner inéluctablement si aucune prise de conscience de la nécessité de changer radicalement de méthode et de braquet n’intervient. Ce fut une erreur funeste de la choisir comme l’opposition préférée car cela l’inscrit in fine dans l’alternance. Ce fut une erreur aussi de présenter le dépassement comme un effacement des différences. Au fond, tout cela donne envie de quitter le cimetière – c’est encore possible – et de retrouver l’engagement. Parce qu’il le faut et parce qu’il est temps.

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