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Les livres sont notre liberté

Dans mon antre, sous le toit

Le mois de septembre arrive bientôt à sa fin et les écoliers voient venir les premières évaluations, interrogations et travaux. Il ne manque plus que la pluie et l’été sera déjà bien loin. En Belgique, cela ne saurait tarder. Les sacs de classe le matin sont parfois lourds au moment d’aller prendre le bus. Les esprits et les cœurs ne le sont pas, heureusement. C’est chouette d’apprendre. Et cela l’est tout autant de faire participer les parents. A peine étais-je descendu de vélo à l’issue de la joyeuse journée sans voiture de Bruxelles ce dernier week-end qu’une question m’était en effet posée par mon petit Pablo : pourquoi aimes-tu les livres ? C’était un projet de sa classe de français. Les parents, les amis, les cousins et tout plein d’autres pouvaient être interrogés, mais il était fatal et sans doute drôle aussi pour Pablo de venir poser la question au papa qui, un étage au-dessus de sa chambre, travaille depuis des années au milieu d’un fatras de bouquins. Il me voit depuis toujours avec des livres, que je lis, que j’achète, que je range, que j’offre. Il connaît aussi plusieurs écrivains qui me sont chers, passés par la maison en Belgique ou nos heureuses soirées d’été à l’Ile-Tudy. Et il sait que certaines des histoires que je racontais lorsque son frère, sa sœur et lui étaient plus jeunes venaient de livres.

Alors, pourquoi j’aime les livres ? Parce que mes parents et mes maîtres d’école m’ont communiqué le virus de la lecture très tôt. J’avais toujours envie de lire. J’ai fait le parcours classique, passant de la Bibliothèque rose à la Bibliothèque verte, de Fantomette à Jules Verne. Le livre que je préférais à l’école, à mesure que je grandissais, était le livre de lecture. Il s’y trouvait des extraits de romans qui étaient autant d’appels à découvrir la totalité d’une œuvre. Je crois bien que c’est par les livres de lecture que je suis devenu un lecteur passionné. Je me souviens de deux romans que j’avais voulu lire après en avoir découvert trois ou quatre pages. C’était L’Assommoir, d’Emile Zola, et La Promesse de l’Aube, de Romain Gary. L’extrait de l’Assommoir était la chute du couvreur Coupeau du toit. Il m’avait impressionné. Je voulais comprendre, découvrir toute l’histoire. Ma mère en avait parlé à ma professeure de français, qui trouvait que la découverte de Zola à 12 ans était certes un peu précoce. Qu’importe, je devins accro, lisant tous les Rougon-Macquart avant le bac de français. Quant à Romain Gary, il entra dans mon panthéon avec cette phrase mythique de sa maman dans La Promesse de l’aube : « tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France ».

J’aime les livres car ils me font rêver ou penser, qu’ils m’émeuvent ou me révoltent, qu’ils me mettent au défi d’imaginer différemment les choses et l’avenir. Les meilleurs livres pour moi sont ceux qui surprennent et qui bouleversent. Je ne suis pas un lecteur compulsif. J’aime plutôt prendre mon temps, cheminer avec un livre, comme un compagnon de voyage, parfois jusqu’au bout de certaines nuits. Il m’est arrivé de lire de plus en plus lentement à mesure que se rapprochait la fin du livre car je ne voulais juste pas qu’il s’achève tant il me captivait. Je ne me suis pas attaché à un type d’écriture, j’ai toujours envie d’être surpris. J’ai eu du mal cependant avec le Nouveau Roman. Et puis, le temps passant, j’ai commencé à relire des livres que je connaissais de longue date, vivant différemment les intrigues, le talent d’écriture, savourant sans doute le meilleur d’un livre avec le recul des années et de l’âge. J’ai ainsi retrouvé les romans, les pièces et les récits de Marcel Pagnol au tournant de la cinquantaine et j’ai adoré. Je lis en anglais, en allemand. J’y ai rajouté le portugais et l’espagnol, même si c’est moins facile. Appréhender un auteur dans sa langue d’écriture est une belle et profonde aventure. Je chéris ainsi Der Richter und sein Henker, de Friedrich Dürrenmatt, ou Sunset Park, de Paul Auster.

Le résultat de tout cela est une bibliothèque qui déborde. Je ne suis pas immensément doué pour ranger. Il n’y a pas de piles de bouquins de tous les côtés, juste un joyeux désordre dans les rayonnages qui rend la recherche d’un ouvrage incertaine, au risque qu’un autre livre n’emporte l’attention et la lecture dans l’intervalle. Dans ma bibliothèque, il y a aussi une bonne trentaine d’années de livres politiques, alternant idées, essais et mémoires. Ce sont comme des strates de mon propre itinéraire personnel, militant et public. On y trouve Rocard, Mitterrand, Delors, mais aussi Obama, Clinton, Blair. Et Chirac. Je relis en ce moment les mémoires de Louis Mermaz, qui m’avaient passionné il y a 10 ans. Ce livre est une histoire de vie d’une grande profondeur historique et d’une très belle humanité. J’ai des livres de photos aussi, à peu près tout ce qui s’est publié sur le Tour de France et, ma plus grande fierté, la collection entière du Livre d’Or du Tennis depuis la raquette Donnay de Bjorn Borg et la raquette Wilson de Jimmy Connors. C’est un capharnaüm éclectique et très subjectif, reflet d’une vie et de passions, avec de ci, de là, quelques souvenirs que nos amis belges appellent un brol.

Les livres disent certainement ce que nous sommes. Mon père aussi était l’homme de bibliothèques débordantes. Nous avions en commun un talent de rangement tout relatif. C’est, je crois, un atavisme familial. Mon père était moins sur les romans et les récits que je ne le suis, plus sur les livres d’histoire et ceux qui racontaient la nature, la faune et la flore, la géologie et les cailloux du monde, ses passions et son métier. Sa bibliothèque est encore là, à Quimper. J’y puise parfois un livre, mais je veux qu’il reste en Bretagne. Une bibliothèque ne voyage pas. Elle est un souvenir et une transmission. Mes livres d’enfants sont en Bretagne, mes livres d’adolescent aussi. Zola est finistérien pour moi, il ne peut pas être belge. Comme ma collection de Tout l’Univers, la bible de mes jeunes années. C’était le temps d’avant la télévision, et plus encore des écrans. Je me souviens encore de certaines lectures, le soir sous mon toit, alors que soufflaient les tempêtes de l’hiver. Dans mes livres en Bretagne, je retrouve parfois des petits mots d’il y a très longtemps. J’en avais écrit certains. D’autres m’avaient été transmis, comme des surprises, petites lettres aujourd’hui devenues bouts d’histoire. Ces livres-là n’ont de valeur que dans ma mémoire et c’est ce qui les rend finalement si précieux.  

Voilà, pêle-mêle, tout ce que j’ai raconté à Pablo, en espérant ne pas l’avoir inquiété. Ma passion des livres est une histoire un peu foutraque, guère rationnelle et à jamais enthousiaste. Pablo vient toujours dans mon bureau plein de bouquins avec le sourire. L’endroit l’intrigue, mais peut-être que le message passe aussi. Je fais rire mes enfants en assurant très régulièrement d’un ton exagérément docte qu’il faut lire. Lisent-ils ? Je crois. Il y a certes des saisons plus livresques que d’autres. Et des bouquins qui conquièrent les cœurs plus que d’autres aussi. A moi de les aider à les trouver. Aimer un livre, c’est parfois se souvenir de l’avoir cherché. Je me souviens de Malataverne, le roman de Bernard Clavel dont la lecture à l’âge de Pablo m’avait marqué. J’étais tout jeune et c’est à l’école que je l’avais lu. Figurez-vous, m’arrive-t-il de dire à mes enfants, que les livres que les professeurs demandent de lire ne sont pas forcément tous ennuyeux ! Ce qui n’empêche pas de découvrir Harry Potter en parallèle, pour peu de lire jusqu’au bout de la nuit parce que les histoires de sorciers sont très longues. Il faut vouloir, au hasard des pages, se laisser porter par l’imaginaire, guider par l’auteur, conquérir par des personnages, il faut y voir des ponts avec la vie, nos vies, l’avenir. Les livres sont notre liberté.