
J’écris ce petit billet comme on lancerait une bouteille à la mer, depuis un rivage incertain et vers des horizons lointains. Je ne sais si ma bouteille et son message arriveront. J’aimerais bien. Je suis un électeur de gauche. J’ai longtemps été un militant. J’ai passé près de 30 ans de ma vie au Parti socialiste. J’en ai dirigé une fédération. J’ai aussi été député. Mon histoire avec la gauche est celle d’une famille modeste tout au bout de la Bretagne, de générations désireuses de s’émanciper, de partager, d’écrire un récit commun qui éloigne la pauvreté et la souffrance sociale, qui construise le progrès et la paix. Je me souviens des émotions de mes parents, des souvenirs de mes grands-parents : 1936, 1968, le programme commun, le 10 mai 1981. Nous votions socialistes. Nous étions socialistes. Un idéal nous rassemblait, une folle espérance aussi : changer la vie. La génération de mes parents était attachée au rôle protecteur de l’Etat. La mienne était plus girondine, plus européenne. Je me suis reconnu dans les idées de Michel Rocard, l’action d’Edmond Maire à la CFDT, l’engagement de la société civile, des syndicats, de l’entreprise et des collectivités locales pour transformer la société. C’est cette gauche que j’ai aimée, que j’ai rejointe, à laquelle j’ai donné avec passion une belle part de ma vie.
La gauche me manque. Je ne la retrouve plus. Elle s’est égarée, elle s’est dispersée. Il y a plus de 30 ans, la lecture d’un livre, Le long Remords du pouvoir, m’avait beaucoup marqué. Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, les auteurs, racontaient la relation ambivalente de la gauche à l’exercice des responsabilités : la crainte et peut-être même l’assurance de décevoir, l’écart immanquable avec le rêve. J’ai vécu cela comme député. S’y est rajouté le procès en trahison. François Hollande avait-il trahi la gauche ? Nous étions-nous abimés à agir au regard des contraintes de la France et du monde, en décalage, c’est vrai, avec les accents enthousiastes d’une campagne victorieuse ? J’ai pensé que non. Je le pense encore, mais je mesure la rupture latente et sincère que ce fut pour des millions de gens, avec des millions de gens. C’est parce que je ne pouvais me faire à l’idée que le Parti socialiste cesse de porter la cause du travail que je n’ai pu soutenir Benoît Hamon en 2017. J’ai voté pour Emmanuel Macron car j’ai cru, espéré voir en lui un Rocard jeune. Au fil des années, j’ai réalisé que je m’étais trompé. Il n’y avait ni Rocard, ni rocardisme. Il y avait une insensibilité sociale qui m’a peiné. Je me suis éloigné, du PS comme du macronisme, et j’ai repris ailleurs le cours de ma vie.
Un espace politique qui demeure
Suis-je condamné à une longue, vaine et peut-être définitive errance politique ? J’aimerais croire que non. L’espace politique demeure. Il n’est juste plus irrigué, renouvelé, incarné. Ma gauche est la gauche républicaine, la gauche digne, solide sur la question sociale, responsable sur l’économie, ferme sur l’égalité, impeccable sur la laïcité, engagée pour l’Europe. Elle est la gauche de Rocard et de Mendes France, elle est aussi celle de Mitterrand et de Jospin. Elle est socialiste, elle est radicale, elle est citoyenne, elle est un peu écolo également. La seule communauté qu’elle connaît – c’est tout son honneur – est la République. Pourquoi ne s’exprime-t-elle plus, pourquoi ne s’unit-elle pas ? Il y a des tas d’initiatives et de clubs qui font un travail remarquable, mais méconnu. Il faudrait les rassembler, les fédérer. L’émiettement de l’offre politique rend la gauche républicaine inaudible. Il en est même toute la faiblesse. Unir les forces, ce serait associer les diagnostics et les idées, les lectures nouvelles et nécessaires de l’évolution de l’économie et du monde, les propositions à imaginer ensemble. Il manque à la gauche républicaine un grand mouvement populaire, enraciné dans nos communes et départements, ce que fut peut-être le Parti socialiste dans ses meilleures années.
Je ne veux pas au printemps 2027 d’un match entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Parce qu’il serait l’assurance de l’élection de Marine Le Pen. Je ne vois pas la gauche dans La France Insoumise, j’y vois le chaos, l’irresponsabilité, l’autoritarisme, le communautarisme et désormais même l’antisémitisme. C’est l’honneur de la gauche républicaine de résister à une telle dérive, dans les partis politiques existants et plus souvent en dehors. Ce le serait davantage encore si cette résistance s’organisait pour construire une offre, loin de Mélenchon et pour notre pays. La gauche républicaine doit aborder toutes les questions que se posent les Français, sans totem ni tabou. Cela vaut pour les comptes publics, pour l’insécurité, pour l’immigration, pour tous les sujets si longtemps esquivés car perçus comme « de droite ». La gauche républicaine doit entendre les craintes des Français, à commencer par celles des catégories populaires, et savoir y répondre concrètement et courageusement. Le déni de réalité ou de colère ne peut être la réponse. L’avenir de notre pays n’est pas dans toujours plus de dépense publique, il est dans la qualité de celle-ci. Il n’est pas dans toujours plus d’impôts, il est dans la justice fiscale et la mise en mouvement de l’économie.
Le compromis au service du progrès
Créer de la valeur n’est pas un vilain mot, même si cela peut vouloir dire travailler plus. Il le faut pour renforcer notre protection sociale et nos services publics, si chers à la gauche. Comment le faire ? Pas par le haut, pas par la décision imposée, le conflit et l’humiliation. Par le dialogue social, la démocratie participative, l’intelligence collective. La gauche républicaine doit assumer le meilleur de la social-démocratie : la recherche sincère et constante du compromis. Il n’est plus temps d’entendre que la division syndicale et toute une série de particularismes surjoués feraient de la France une terre incompatible avec la social-démocratie, de même qu’il faut cesser de voir dans l’entreprise un lieu obligé de conflit pour y reconnaître à l’inverse un acteur essentiel de la création de richesses et un partenaire avec lequel travailler. C’est cette dynamique-là que la gauche républicaine doit encourager, impulser et faire vivre. D’évidence, la France Insoumise ne le fera pas, la droite non plus. Ce ne sont ni la révolution, ni la réaction qui feront avancer notre pays, mais un mouvement de la société que la gauche républicaine doit proposer et défendre. Ces convictions lui sont propres, elles la distinguent même, et il lui faut les affirmer dans le combat politique pour l’avenir de la France.
Il y aura 2027 bien sûr, mais 2026 et les municipales, et 2028 et les régionales aussi. La présidentielle étouffe le débat. C’est à un long sillon que la gauche républicaine devrait s’atteler, rassemblée sur ses valeurs et ses propositions, non pour faire l’appoint dans un second tour dont elle ne serait pas, mais pour s’y qualifier et pour gagner. Il y a dans notre pays des talents qui portent ses combats. Je pense à Mickaël Delafosse à Montpellier, à Carole Delga en Occitanie, à Loïg Chesnais-Girard en Bretagne, à Juliette Méadel au gouvernement, et bien d’autres. Je pense à Bernard Cazeneuve et à Raphaël Glucksmann, dont l’engagement et la force de conviction touchent durablement l’opinion nationale. Je voudrais imaginer que ces talents s’unissent, que les différences de personnalité ou de parcours non seulement ne freinent pas le mouvement, mais le renforcent, et que la porte ne soit pas fermée aux partis existants non plus. Il faut y aller parce qu’il est temps. C’est l’espoir que je caresse dans la quête de ma gauche perdue. J’ai toujours envie d’y croire. Cela fait finalement un long billet pour une bouteille à la mer. Qui que ce soit qui le recevra, de l’autre côté de l’océan ou d’une mer plus petite, aura une longue lecture. S’il peut être utile pour que la gauche renaisse, j’en serai heureux.
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Mon ami Avi
Avi Assouly était mon ami. Sa soudaine disparition le 14 février m’a beaucoup peiné. Avi était tellement plein de vie qu’il m’est difficile d’imaginer qu’il n’en est plus, de cette vie qu’il embrassait avec passion et tant de bonté. J’ai encore le sentiment qu’un message m’arrivera bientôt qui commencera par le même « Salut, frérot, tu as vu le dernier match de l’OM ! ». La réalité, malheureusement, est tristement rude. Avi est passé de l’autre côté du miroir et nous sommes nombreux à le pleurer. Il me manque comme à tant d’autres. Depuis deux semaines, je suis retourné souvent sur sa page Facebook, là où il nous racontait des tas de trucs, à commencer par les matchs de l’OM vécus depuis les hauteurs du Vélodrome, photos et commentaires détaillés à l’appui, comme au temps où il était derrière le micro de France Bleu Provence. Lisant Avi live les soirs de matchs, j’avais l’impression de l’entendre. Derrière ses mots, il y avait sa voix, unique, inimitable, chaleureuse, irrésistible. Avi affichait un enthousiasme contagieux. Dans notre époque morose, glauque et rageuse, il était un rayon de soleil bienvenu. Contre lui, les pisse-vinaigres et autres passe-murailles tristounes comme un jour sans pain ne pouvaient rien. KO technique assuré pour eux et joie sans limite pour nous. Tout cela, c’était Avi.
Avi et moi nous sommes connus dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale. Il était assis derrière moi. L’Hémicycle est un lieu solennel et nous étions bien sûr toute ouïe pour les orateurs successifs, sérieux comme des papes et concentrés comme jamais lorsque venait notre tour de parler. Mais il faut reconnaître aussi que les séances étaient parfois longues, surtout la nuit, et que le bavardage, comme des élèves dissipés au fond des salles de classe – le radiateur en moins – était sans doute pardonnable dans ces conditions. C’est comme cela que j’ai engagé l’échange avec Avi et que nous l’avons poursuivi des années. On a causé, puis on a souri, puis on a ri, beaucoup. Un humour potache s’est ainsi installé en haut et au centre de l’Hémicycle. A 3 heures du matin, après des heures de débats, cela faisait tellement de bien. Le président de séance nous regardait, parfois sévèrement et sans doute plus souvent avec envie. Il devait observer les mêmes 3 ou 4 député(e)s hilares depuis la solitude de son perchoir. Avi avait un don hallucinant pour raconter des histoires à voix basse et avec un vocabulaire fleuri. Je dois avouer – il y a désormais prescription – qu’il m’est arrivé de devoir filer par la sortie de secours derrière nos bancs pour libérer un fou-rire que je ne parvenais plus à maîtriser.
Avi était authentique et fidèle. Le fondu de foot que je suis était un bon client. Et comme en plus j’aime l’OM, nous étions destinés à devenir copains. Il m’avait tout appris de la science du catenaccio, l’air navré et faussement grognon, car ce n’était pas le foot qu’il aimait. Le foot d’Avi, ce n’était pas un but et le verrou, c’était des buts, des tas de buts, de la joie, de l’intuition. Il me racontait ses grands matchs, ceux que j’avais vus, plus jeune, à la télévision. Ces matchs avaient parfois 20 ans et plus, mais l’émotion qui accompagnait ses paroles me donnaient le frisson. J’avais presque l’impression d’être assis à côté de lui dans la tribune de presse. Il y avait aussi son Panthéon personnel de l’OM et du ballon rond : Basile, Chris, Abedi, Pixie, Fabrizio, Zizou et quelques autres. Et bien sûr Tapie, le boss, pour qui il avait une admiration et une reconnaissance éternelle. Avi m’avait raconté Furiani, le 5 mai 1992, les jours de coma, les mois de souffrance, le sentiment, la certitude même que Tapie lui avait sauvé la vie. Il avait des anecdotes à la pelle sur le boss, ses appels, les voyages en avion avec lui, la passion dévorante d’un club et d’une ville. J’adorais ces moments-là. Lorsqu’Avi quitta l’Assemblée au printemps 2014, j’en fus atterré. Je pris une photo de sa dernière intervention en séance en nous jurant de nous retrouver.
Je mettrai du temps à utiliser le passé pour parler d’Avi. Je crois que l’on ne rencontre pas beaucoup de gens comme lui dans une vie. Nous étions proches par l’amitié, proches aussi politiquement. Nous siégions ensemble à la commission des affaires étrangères. Son regard sur les affaires internationales m’était précieux. J’ai quitté la politique en 2018. On se donnait des nouvelles. On se lisait l’un l’autre sur les réseaux sociaux. Il m’avait parlé de son retour aux législatives de 2022 et m’encourageait à revenir avec un tel entrain que l’idée avait fini par me traverser l’esprit. On parlait aussi de business, d’investissements, de livres. Et de foot. La dernière fois que j’ai vu Avi, c’était à Louvain-la-Neuve, en Belgique il y a deux ans. Nous avions déjeuné ensemble, Avi et toute ma famille. Mon fils Pablo avait des yeux ronds comme des soucoupes en l’entendant parler de foot. Le surnom de Pablo est Api. Avi et Api étaient ainsi destinés à être amis. Avi lui avait fait promettre de garder du temps pour l’OM quand nous viendrions à Marseille. J’allais appeler Avi en ces jours de février pour lui dire que le voyage familial à Marseille était enfin programmé pour le mois de mai. A Pablo, j’ai dû expliquer le départ d’Avi et ma grande peine. Ce fut aussi la sienne, tant cet échange sur le foot avec Avi l’avait touché.
Nous irons au Vélodrome et notre pensée sera pour Avi. Lorsque nous marcherons sur les collines de Pagnol, ce sera le cas aussi. A Avi, j’avais en effet confessé une bien malheureuse carence : j’aime Marseille, mais je n’y suis jamais allé. Il m’avait dit avec un grand sourire que c’était certes fâcheux, mais qu’il n’était jamais trop tard pour corriger cela. Ce sont les livres et les films qui m’ont fait aimer Marseille (et le foot aussi), au point de devenir incollable sur l’œuvre de Pagnol. Avi s’était amusé de cela : un petit gars du Finistère, devenu député des Français d’Allemagne et d’Europe centrale, établi en Belgique avec sa famille espagnole, connaissait tout de Cigalon, de La Fille du puisatier ou de Marius, Fanny et César. C’est donc que Marseille est universelle, avait-il dit. Bien sûr que oui, avais-je ajouté. Et Avi faisait partie de ces Marseillais qui ne pouvaient que la faire aimer. De lui, je garderai ces discussions heureuses, ces fous-rires, ces déconnades comme il aimait les nommer. Je les garderai avec une immense affection et une infinie reconnaissance. J’ai eu cette grande chance de connaître Avi et son souvenir m’habitera longtemps. Je pense à son épouse Martine, à ses enfants Céline, Eva et Yoni, à ses petits-enfants, à toute sa famille. Je veux leur dire ma sincère amitié et combien leur chagrin est aussi le mien.