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Mes vieilles quilles

Il y a quelques mois, passant le cap d’une nouvelle décennie, je me suis promis de ne pas laisser l’âge – ou ce que l’on en dit – venir modérer ma passion du sport et plus encore ma pratique. J’ai grandi dans une famille qui aimait le sport ou plutôt les sports, tous les sports, pourvu qu’ils soient populaires, qu’ils passionnent et qu’ils rassemblent. J’ai eu la chance d’avoir des parents sportifs. Ils avaient en commun un sport – le handball – et un poste, celui de gardien de but. Ma mère a été championne d’académie de handball en Bretagne et mon père, sans gagner un championnat identique, jouait autant dans les buts des salles omnisports que dans ceux des terrains de foot. Aussi loin que je puisse me souvenir, le sport a toujours fait partie de ma vie, pour la performance elle-même, mais plus encore pour le plaisir, les rencontres, le bien-être, l’équilibre et au fond l’hygiène de vie. J’ai joué au foot et au tennis, j’ai couru et j’ai fait du vélo. J’ai nagé, j’ai ramé, j’ai barré. Je n’ai jamais gagné un seul trophée. J’étais moyen partout – quel malheur … – et les classements n’étaient pas vraiment faits pour moi. Je prenais en vérité bien plus de plaisir à courir dans la nature ou pédaler avec des amis qu’à la recherche unique du record. Il fallait que le sport reste une joie. Il le faut toujours.

Lorsque l’on devient sexagénaire, même en faisant attention, les petites misères peuvent survenir. L’an passé, une lourde infiltration – du genre à faire grimper aux rideaux – est venue me rendre la mobilité d’une épaule douloureusement bloquée des mois durant. Je ne pouvais me résoudre à la déglingue anticipée. Avec une épaule « dans le sac » (une curieuse expression qu’affectionnait mon père), on court assurément moins bien, on rame d’évidence beaucoup moins bien aussi et on finit la saison plutôt tordu. Or, j’avais surtout en cette année 2024 un rendez-vous que je voulais absolument honorer : les premiers 10 km de mon petit Marcos à Uccle, sa première course à pied. Je devais être là pour courir avec lui. Il attendait cela depuis longtemps, lorsque, plus jeune, il me voyait partir avec mon dossard pour un semi-marathon. La médecine faisant des miracles, j’ai pu vivre ce moment à ses côtés, distillant les conseils à mesure que défilaient les kilomètres, les pavés et les chemins caillouteux de la Forêt de Soignes. Nous avons passé la ligne d’arrivée ensemble. Marcos était heureux et j’étais fier. Il avait découvert le bonheur des courses populaires. Quant à moi, Papa soucieux de transmission, mais aussi coureur vétéran+++++, j’avais tenu très décemment mon rang.

Voilà pourquoi j’en ai repris pour 10 ans au moins. Je me suis dit que je devais mettre mes vieilles quilles (et un peu mes vieux bras aussi) au défi de quelques aventures en 2025. L’hiver bruxellois est humide et c’est dans ma salle de sport que je me suis préparé. Comme l’an passé, Marcos et moi sommes retournés courir les 10 km de Uccle aux premiers jours d’avril. Je suis parti ensuite pédaler sur la Vennbahn, de l’Allemagne au Luxembourg, pour 200 kilomètres d’échappée solitaire au milieu des tourbières, des prés et des bois. C’était le week-end passé et c’était génial. Vient désormais après-demain, jour de 1er mai, le semi-marathon de Knokke. Je me réjouis de courir le long de la Mer du Nord, dans le vent marin et le soleil de printemps. Il faut un paysage, une ambiance, des gens pour bien courir. J’aurai tout cela à Knokke. Comme je l’aurai aussi à Woluwe-Saint-Lambert pour y courir le 11 mai les 15 km. C’est la course bruxelloise que je préfère. De là, une autre aventure, cadeau de ma famille, m’appellera en juin : le tour de l’Ile de Groix en kayak de mer au départ de Lorient. En juillet, je retrouverai les cols des Vosges à vélo, en y ajoutant une autre étape : l’ascension de la redoutable Super Planche des Belles Filles. Il sera temps en août de renouer avec la course à La Corogne et à l’Ile-Tudy, les sorties en kayak et peut-être un « revival », longtemps après, en planche à voile.

Le sport est un état d’esprit. C’est aussi un partage. On n’est jamais seul. Et on peut rire aussi. Je me souviens d’une édition des 20 km de Bruxelles qui m’avait vu perdre la semelle de l’une de mes chaussures vers le 14ème kilomètre. J’avais parcouru la distance restante en claudiquant, une jambe plus haute que l’autre, suscitant la curiosité, puis l’hilarité de certains coureurs à mes côtés. Passant la ligne très dignement, j’avais eu l’impression de descendre d’une voiture dont tous les pneus étaient à plat. Je n’avais plus de jus, j’étais moulu, mais j’avais été au bout et j’avais bien mérité ma médaille. Je me souviens d’une autre course que j’avais courue sans lentilles et j’étais juste, comment dire, un peu perdu… On apprend de ses erreurs et, osons même le mot, de ses conneries. Bien vérifier son matériel, ne rien oublier, écouter son corps, ne pas se mettre dans le rouge, se souvenir que l’important est de participer, tout cela compte, mine de rien. Mais le sport, ce sont aussi des tas d’anecdotes et quelques moments de grâce qui font les souvenirs. A Lisbonne en mars 2012, alors que j’étais déjà en campagne pour les élections législatives, j’avais couru sans grand entrainement le semi-marathon, obtenant mon meilleur temps à ce jour alors que tout l’inverse aurait dû se produire. C’était un beau printemps.

Le sport fait du bien à tous les âges. Je rends un fier hommage à ma maman qui a repris le stretching cette année en cours collectif. Tant dépend de la volonté, finalement. De la volonté, elle en a et moi aussi. Si je parviens en haut de la Super Planche des Belles Filles en juillet, j’aurai qualifié mes vieilles quilles pour aller plus loin. Depuis si longtemps, je rêve du Galibier, de l’Izoard, du Tourmalet, du Puy-de-Dôme à vélo. Il n’est jamais trop tard pour pédaler jusqu’au bout de ses rêves. Et il y a aussi un autre truc qui me trotte dans la tête : aller à pied à Saint-Jacques de Compostelle, depuis Vézelay. C’est un peu dingue, mais c’est possible. J’en ai parlé une ou deux fois sur mon blog. Ce serait autant pour le sport que pour l’âme. Il faudra que je trouve le temps nécessaire, sans grand doute celui de la retraite, que mes enfants aient grandi et qu’une autre vie soit venue pour que je puisse partir ainsi sur le chemin l’espace de quelques mois pour user mes souliers, noircir de notes des tas de carnets de souvenirs et capter par la photo les paysages traversés. Dans l’intervalle, il faudra bien les entretenir, ces vieilles quilles impatientes, renouveler les aventures, et rallier d’autres sportifs car rien ne bat l’émulation collective, la joie de vivre partagée, le bonheur de bouger et de découvrir, encore et toujours.

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