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Mois : mai 2025

Sur les traces de Paul Capitaine

Je ne sais plus bien quand j’ai rencontré Paul Capitaine. Mais je me souviens de où, en revanche. C’était durant mes années passées à l’Assemblée nationale. Je profitais parfois d’un petit moment pour quitter Paris et venir d’un coup de train voir mes parents dans le Finistère, l’espace de quelques jours. Avant que je reparte, ma mère aimait à glisser dans ma valise nos goodies à nous – une douzaine de crêpes, quelques galettes bretonnes – et un livre. Elle savait que ces petits plaisirs meublaient mes courtes nuits de député, lorsque les séances et les votes étaient souvent très nocturnes. Il fallait se substanter pour tenir bon et lire pour se changer les idées. C’est ainsi qu’un soir, ou plus probablement une nuit, dans mon petit bureau sous les toits de l’Assemblée nationale, j’ouvris le livre ramené quelques heures plus tôt de chez nous. Le titre était Quimper sur le gril. Il racontait l’histoire d’un flic, Paul Capitaine, revenant dans sa ville natale de Quimper – ça tombe bien, c’est aussi la mienne – après avoir longuement et rudement bourlingué sous d’autres latitudes. S’en suivaient toute une série d’aventures dans des coins du Sud-Finistère qui parlaient passionnément à mes souvenirs et la découverte aussi que sa jeune coéquipière d’origine polonaise, Sarah, était finalement sa fille.

Cette première lecture en entraîna bien d’autres. Paul Capitaine devint un compagnon de ma vie de saltimbanque politique. Je le lisais dans les trains, les avions et parfois le soir avant de trouver le sommeil dans mon spartiate canapé parlementaire. La sortie de chaque nouveau roman m’était annoncée par ma mère, qui repérait l’information dans Le Télégramme de Brest. Sous quelques semaines, le livre serait dans ma valise. Très vite, mon père ajouta : « Bernard Larhant ? Je me souviens de lui au Lycée La Tour d’Auvergne. Et aussi quand il jouait dans les buts au Stade Q ». L’affaire était bouclée. Non seulement le héros était quimpérois et sympathique, mais le romancier lui-même n’était pas inconnu non plus. Voilà comment, des années durant et jusqu’à ces dernières semaines, je lus toutes les aventures de Paul Capitaine, m’attachant aux personnages, de Sarah à Gaëlle, de Dominique à Rose-Marie, de Radia à Blaise. Je me suis délecté d’enquêtes souvent rock and roll dans des géographies bretonnes qui m’étaient familières. Leur commissariat était proche de la rédaction du journal où j’avais travaillé durant mes études et j’aurais pu être leur interlocuteur lorsque, jeune stagiaire, je passais la porte rue Théodore-Le-Hars à la recherche de faits divers à publier.

Les réseaux sociaux m’ont permis de faire la connaissance de Bernard Larhant, puis d’échanger régulièrement avec lui. Je lui demandais des nouvelles de Paul Capitaine comme on demande des nouvelles d’un ami commun. Et Paul, qu’est-ce qu’il devient depuis l’affaire à l’Ile-Tudy ? J’appris un jour de Bernard que Paul prendrait sa retraite et que la série s’arrêterait. Bernard m’envoya même la photo du banc face à la mer où se jouerait la dernière scène. J’en étais désolé. Un ou deux ans restaient cependant à courir. J’avais le temps de m’y faire. Il y a quelques jours, j’ai fermé la dernière page du dernier livre et c’est en effet sur ce banc, à la Pointe Saint-Gilles, que s’achève l’aventure. J’étais ému. Je comprends cependant. Paul Capitaine avait vieilli (comme ses lecteurs). Il n’aurait pas le même âge pendant 30 ans, ni Sarah d’ailleurs. Et si je suis de ceux qui pensent qu’il faut à l’écran savoir clore une belle série pour la protéger, je dois aussi pouvoir l’accepter des livres que j’aime. J’ai compris aussi, échangeant avec Bernard, que j’aurais parfois des nouvelles de Paul Capitaine dans d’autres romans, comme des clés vers un univers familier, les personnages se croisant parfois. Et au fond, qu’il me reviendrait d’imaginer ou rêver ce que deviendrait Paul et son petit monde.

Je le ferai. Je n’ai pas envie de ranger mes 24 Paul Capitaine sur une lointaine étagère de ma bibliothèque, au risque de les y oublier. Je les ressortirai de temps à autre. Mon auguste valise, certes fatiguée, existe encore et un livre s’y glissera toujours. Je suis un lecteur fidèle, qui aime relire ses livres de temps à autre, à la recherche d’une émotion, d’un indice ou d’un lieu. Et surtout, je continuerai à lire les romans à venir de Bernard Larhant. Cependant, alors que s’achève la série des Paul Capitaine, j’ai eu envie de demander à Bernard lui-même de nous la raconter, par des souvenirs et des anecdotes, comme on le fait parfois dans le monde des plateformes avec un petit documentaire conclusif et original, lorsque se termine une histoire et qu’il est trop dur pour ceux qui l’ont aimée de s’en séparer tout de suite. Je me suis dit en effet que nous étions quelques bons milliers, en Bretagne et ailleurs, à avoir vécu passionnément les aventures de Paul Capitaine, à les avoir attendues et partagées toutes ces années, et que si mon petit blog pouvait contribuer à en parler, à faire vivre cet esprit Paul Capitaine, ce serait finalement tant mieux. Je suis ravi et honoré que Bernard Larhant ait accepté cet échange, que je publie ci-dessous avec plaisir.

Bernard Larhant, chez lui, à Plomelin

Bernard, Paul Capitaine règle ses comptes est le dernier livre de la série de Paul Capitaine. Vous avez choisi de mettre un terme à cette série qui aura passionné des tas de lecteurs en Bretagne et plus loin. Pourquoi ?

—Bonjour Pierre-Yves et d’abord merci pour ce retour de lecture de la série entière, si émouvant pour l’auteur. Comme vous l’avez écrit, Paul Capitaine a pris un an tous les ans et arrivait à l’âge de la retraite. J’avais d’abord fixé mon fil conducteur à vingt enquêtes que j’avais déjà en synopsis dans mes projets d’écriture. À la demande d’une société de production télévisuelle, le nombre est monté à vingt-quatre, soit quatre saisons de six épisodes, dans l’objectif d’une série qui n’a jamais vu le jour. Déception légitime. Les personnages de cette série sont un peu ma seconde famille et les abandonner ainsi, au point final de l’ultime enquête, a été un douloureux crève-cœur. Mais aussi un profond soulagement d’avoir mené le projet à terme, pour ne pas frustrer les lecteurs.

Comment avez-vous créé le personnage de Paul Capitaine ? Etes-vous quelque part Paul Capitaine vous-même ? Paul est quimpérois comme vous. Il s’exprime à la première personne dans chacun de vos livres et cette expression narrative le rapproche du romancier que vous êtes.

—Paul Capitaine, fils du chef de gare de Quimper, possède l’entame de vie d’un bon camarade de l’école Jules Ferry, fils du chef de gare de Quimper, François Béchu, avec lequel le lien d’amitié s’est renoué depuis. L’idée du patronyme Capitaine est venu d’un autre ami de jeunesse qui portait ce nom. Capitaine Paul Capitaine, cela sonnait à mon oreille comme le Jerome K. Jerome de mon enfance, auteur britannique de Trois hommes dans un bateau. Mais il est honnête de dire qu’il y a aussi beaucoup de mon parcours et de mes sentiments dans le cheminement et les réflexions de Paul. Oui, il s’exprime à la première personne, ce qui permet un style plus vivant, plus direct, mais limite hélas la description des scènes d’action qui lui sont forcément narrées, s’il n’est pas lui-même présent sur les lieux. Une contrainte dont je suis satisfait de me libérer pour la suite de mes écrits.

L’histoire de Paul Capitaine fait apparaître Sarah Nowak, sa fille, née de la rencontre passionnée à Gdansk du jeune Paul avec Beata, une tout aussi jeune militante de Solidarnosc. Pourquoi avoir tracé ce lien avec la Pologne ?

—Depuis mon mariage avec Barbara, la Pologne est un peu devenue ma seconde patrie, pour laquelle j’ai eu un énorme coup de cœur dès la première visite. Il faut avoir visité le musée Solidarnosc à Gdansk pour percevoir la profondeur et la force intérieure de l’âme polonaise, la sensibilité et la dignité de ce peuple. Je savais dès le début de la série Capitaine Paul Capitaine que la dernière enquête se déroulerait pour partie entre Gdansk et Poznan, ville où habite la famille de Barbara.

La diversité et la force de caractère des personnages ont marqué, je crois, les lecteurs de la série. Ces personnages se sont-ils imposés à vous, avec leur style et leur identité, à mesure que vous écriviez les romans ?

—Oui et non. Certaines trajectoires se sont modifiées, comme celle notamment de la magistrate Dominique Vasseur, appelée à de plus hautes fonctions loin de Quimper. Autre anecdote, Blaise Juillard, ce jeune flic glandeur et dragueur, mais doté d’un grand cœur, prévu pour figurer le temps de quatre enquêtes, est devenu, sous l’insistance des lecteurs, un personnage à part entière de l’équipe. En revanche, pour Paul et Sarah, pour Rose-Marie Cortot, alias RMC, ou pour la jeune commissaire Radia Belloumi, le cheminement correspond à celui que j’avais prévu. Et puis il y a Gaëlle Le Bris, cette jeune journaliste free-lance, oiseau tombé d’un nid et qui en recherche un autre, apparue furtivement dans l’un des premiers épisodes, réapparue pas mal de temps plus tard pour devenir, elle aussi, un personnage incontournable, terriblement attachant, et lien entre la série Capitaine Paul Capitaine et la série qui débute, Agnès Delacour, profileuse.

Il y a chez Paul Capitaine un humanisme bourru qui force l’attachement et chez Sarah une grande quête d’absolu. Aviez-vous en tête quelqu’un de la vraie vie ou d’une vie passée pour vous inspirer lorsque vous pensiez à eux deux en particulier ?

—Oui, bien sûr. L’humanisme bourru de Paul Capitaine est sans doute un peu le mien. Je rêve d’un monde de fraternité et de générosité, d’une société dans laquelle le sentiment reprendrait le pas sur l’argent, l’être sur l’avoir. Et Sarah est probablement à l’image de celui que j’étais à vingt ans, convaincu qu’avec sincérité et bonne volonté, on pouvait changer le monde. À l’entame de la série, on me disait qu’on ne faisait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. Pourtant, quand Alain Bargain y a cru et accepté d’éditer la série, le premier Opus, Quimper sur le gril, a été bien accueilli par les lecteurs. Cependant, je ne me sens toujours pas écrivain, juste un conteur d’histoires, un créateur de personnages assez idéalistes et respectueux des valeurs humaines.

Comment choisissiez-vous les lieux qui seraient, en Bretagne et aussi ailleurs, le théâtre de vos intrigues ? Faisiez-vous des repérages ? Les descriptions des lieux sont d’une grande fidélité pour qui les connaît bien.

—C’est souvent au coup de cœur, au cours d’une balade d’un week-end. J’aime discuter avec les gens du coin, prendre le temps de les écouter quand ils racontent leur pays. Je prends moins de plaisir à décrire les lieux — même si c’est nécessaire — que l’âme des gens, leurs fiertés et leurs blessures. Une anecdote : la seconde enquête, Douarnenez, piège à mouettes, s’est écrite au moment où l’argent était trouvé pour sauver le système bancaire, alors que les ports de pêche bretons se voyaient sacrifiés. Et mon histoire parlait justement de ce combat quotidien, chaque année plus épineux, entre monde réel et monde virtuel. Et là, dans l’actualité, d’un côté une bulle spéculative et de l’autre une dure vie de labeur qui nourrissait de nombreux foyers… J’ai sans doute perdu beaucoup des lecteurs à révéler cette fois-là mon humanisme, mais je ne le regrette pas.

Paul Capitaine aurait-il pu – ou pourrait-il encore – faire l’objet d’une série sur une plateforme ? Qui verriez-vous idéalement dans le rôle de Paul ? Et dans celui de Sarah ?

—Pour tout avouer, c’est mon rêve le plus intense sur le plan professionnel. J’y ai cru, j’ai été déçu, on me dit depuis que la série est dépassée mais en regardant les indices d’audience des programmes, je n’en suis pas convaincu. Alors… Pour ne rien vous cacher sur ma manière de travailler, à chaque enquête nouvelle, pour bien visualiser les personnages, je choisis des acteurs pour les incarner, ce qui me facilite dans mon ébauche et ensuite ma rédaction. Dès le début, pour le rôle de Paul Capitaine, j’ai pensé à Daniel Russo (qui n’était pas contre quand nous avions échangé sur le sujet) pour son côté paternaliste et empathique. Pour celui de Sarah, une autre Sarah, Biasini, fille de Romy Schneider. Mais vingt ans après, ce ne serait sans doute plus d’actualité.

Qu’est-ce qui vous a amené dans votre vie à l’écriture de romans policiers et à des intrigues dans le Finistère ?

—D’abord l’écriture, c’est à l’incitation de Barbara, grande lectrice. Un premier roman, La Croisée des maux, traitant du handicap, publié en Aquitaine en 2006, puis avec mon retour en Bretagne, l’évidence de proposer une série policière, qui n’est pourtant toujours pas mon style de prédilection. Ensuite, je me suis piqué au jeu, documenté sur les procédures, entouré de spécialistes, policiers, gendarmes, magistrats et avocats, pour tenter de me rapprocher au mieux du réel, même si ces livres ne sont que des romans. Au final, c’est une aventure fantastique, enrichissante et émouvante.

Que souhaiteriez-vous dire à vos lecteurs, un peu tristes de voir la série s’achever ?

—Tout d’abord un grand merci pour leur fidélité, leurs retours de lecture toujours sincères, leur attachement à l’équipe. Sans lecteurs, pas de série, pas de succès, aussi merci à eux d’être encore là, à l’heure du final. On regrette si souvent de ne pas avoir la fin ultime d’une série, à la télé ou dans les livres, que c’est pour moi un soulagement d’avoir mené le projet à terme. Une sorte de contrat moral avec les lecteurs, même si je comprends leur tristesse et que je la partage. Mais que tous se rassurent, ils auront des opportunités de retrouver Paul, Sarah, Gaëlle, Blaise, Rose-Marie et Mario, notamment, dans les prochaines enquêtes d’Agnès Delacour, la profileuse. Dès cette fin d’année, avec la parution de Huis clos à Bénodet, une affaire politique sur trois jours pour laquelle Agnès Delacour va avoir besoin de l’expérience d’un vieux flic de terrain qui connaît le Finistère comme sa poche, pour révéler l’effroyable cabale. Je vous laisse deviner quel policier à la retraite elle va aller chercher…

Un immense merci pour cet échange, cher Bernard ! Et pour tous vos romans.

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