“Ce n’est pas une montagne, mais ce n’est plus une colline: c’est Garlaban”
J’écris ces quelques lignes depuis un petit bastidon perché dans la garrigue, à quelques kilomètres d’Aubagne. Le jour se lève à peine. La lumière, bientôt, inondera le jardin face à moi. J’avais longtemps rêvé de ce moment, de voir enfin les collines de Provence, de les arpenter, d’affronter les ascensions et les descentes sur les chemins caillouteux menant au Garlaban, là où passaient autrefois les mules et les chèvres. Comment tant d’autres enfants devenus grands, j’ai été bercé par les livres et les récits de Marcel Pagnol. Il y avait les dictées de mes instituteurs et sans doute aussi de mes professeurs de collège, puisées dans les souvenirs du jeune Marcel. Je les trouvais moins dures, moins piégeuses car les textes étaient si beaux. Et il y avait surtout ces livres formidables qui racontaient une enfance à flanc de collines, l’aventure, les émotions, un petit monde bien loin de mon Finistère et que je sentais pourtant proche de moi tant il était au fond universel. Pagnol a enchanté mes jeunes années. J’ai lu et relu La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets. Je m’en suis nourri, imaginant la puissance du ciel, le vol des bartavelles, les senteurs des plantes enveloppées par le vent. Je n’avais alors pas d’autres images que celles que les mots faisaient naître en moi.
Longtemps, j’avais nourri le rêve de venir jusqu’à la Treille, d’emprunter le chemin menant à la Bastide Neuve, cette vieille maison « neuve depuis bien longtemps », mais qui avait au début du XXème siècle le luxe inouï d’avoir l’eau courante, là où Marcel Pagnol vécut ses plus belles années, là où commençait la féérie, comme il l’écrivit dans La Gloire de mon père. J’avais envie d’aller voir Pagnol. Ce serait pour cette année, m’étais-je dit il y a quelques mois. J’ai vécu ces quelques jours en Provence comme un pèlerinage. Je me suis arrêté au cimetière, j’y ai vu aussi la tombe de Lili des Bellons, toute proche de celle de Pagnol. Lili, son ami des collines, tombé au champ d’honneur un jour de 1918. Je me suis laissé bercer par mes souvenirs de ses souvenirs. Mes enfants étaient avec moi. Ils ont commencé à leur tour à lire Pagnol. Nous avons trouvé la Bastide Neuve. Une porte était entrouverte, laissant apercevoir une vieille cheminée. Quelques personnes échangeaient. Une dame vint vers nous. « Je suis ici avec Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel », nous dit-elle. « Voulez-vous entrer ? », ajouta-t-elle. Et c’est ainsi que nous avons découvert l’intérieur de la Bastide Neuve, émus, intimidés, émerveillés aussi. « Les fusils au mur, ce sont ceux de l’Oncle Jules ? », demanda à la dame mon petit Pablo.
Observant mes enfants, curieux et heureux, j’ai compris que l’œuvre de Marcel Pagnol est une transmission. Le temps peut filer et les générations avec lui, l’émotion demeure. J’aime Pagnol pour sa simplicité, la poésie des mots, la tendresse des souvenirs, l’amour d’une région. Je me souviens de ce jour d’avril 1974, lorsque la télévision annonça sa disparition. J’étais chez ma grand-mère. J’avais 9 ans et je lisais ses livres. De lui, je ne connaissais pourtant qu’une photo, celle d’un vieil homme au visage doux. Il était mort à Paris, disait la télévision. Mais que diable y faisait-il, avais-je alors pensé. Pour moi, Pagnol ne pouvait qu’habiter la Provence dont il parlait si bien. J’ignorais tout de sa vie d’après les collines, des pièces de théâtre, des films et de l’Académie Française. Je n’ai découvert cela qu’après, à l’adolescence, lisant passionnément Topaze, Marius, Fanny, puis voyant sur France 3, tard le soir, les premiers films comme César, Merlusse, La Femme du boulanger ou La Fille du puisatier. Et bien sûr Manon des Sources, première version, avec son épouse Jacqueline comme héroïne et Rellys en Ugolin aussi tordu que vrai. Le noir et blanc rendait merveilleusement la force des paysages et la lumière du ciel. Le jeu des acteurs, de Raimu à Fernandel, de Fresnay à Orane Demazis était bouleversant.
C’est tout cela que j’ai retrouvé au cours de ces journées dans la garrigue, bercé par les émotions. Il y a des bonheurs inestimables car ils remontent à loin. Je crois qu’avoir lu Pagnol et le lire toujours m’a aidé dans l’exploration de l’âme humaine, de ses tourments et de la bonté, dans la découverte de l’empathie, de l’humour et des sentiments aussi. Il y a un Pagnol pour tous les âges, y compris celui qui est le mien aujourd’hui. Je serais heureux de revoir les films et entendre à nouveau les sermons des curés. Le fils de l’instituteur prêtait des mots formidables aux curés. Il y a dans son œuvre un humanisme délicat, mêlant le meilleur de la laïcité et de la foi. A l’image de Jean de Florette qui creusait dans la détresse un sillon dans la terre aride des collines, c’est un profond sillon que Marcel Pagnol a tracé pour longtemps, pour toujours en moi. Les émotions demeurent. Demain, la voiture reprendra la route de la Belgique, laissant à regret derrière elle le Garlaban, la Treille et la fontaine de Manon. Je reviendrai. J’ai ressenti ces derniers jours que cette visite si longtemps rêvée en appelait bien d’autres, sur les chemins d’une œuvre et d’un homme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et dont je sais qu’il me restera toujours beaucoup à découvrir.
Dans les collines de Pagnol
J’écris ces quelques lignes depuis un petit bastidon perché dans la garrigue, à quelques kilomètres d’Aubagne. Le jour se lève à peine. La lumière, bientôt, inondera le jardin face à moi. J’avais longtemps rêvé de ce moment, de voir enfin les collines de Provence, de les arpenter, d’affronter les ascensions et les descentes sur les chemins caillouteux menant au Garlaban, là où passaient autrefois les mules et les chèvres. Comment tant d’autres enfants devenus grands, j’ai été bercé par les livres et les récits de Marcel Pagnol. Il y avait les dictées de mes instituteurs et sans doute aussi de mes professeurs de collège, puisées dans les souvenirs du jeune Marcel. Je les trouvais moins dures, moins piégeuses car les textes étaient si beaux. Et il y avait surtout ces livres formidables qui racontaient une enfance à flanc de collines, l’aventure, les émotions, un petit monde bien loin de mon Finistère et que je sentais pourtant proche de moi tant il était au fond universel. Pagnol a enchanté mes jeunes années. J’ai lu et relu La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets. Je m’en suis nourri, imaginant la puissance du ciel, le vol des bartavelles, les senteurs des plantes enveloppées par le vent. Je n’avais alors pas d’autres images que celles que les mots faisaient naître en moi.
Longtemps, j’avais nourri le rêve de venir jusqu’à la Treille, d’emprunter le chemin menant à la Bastide Neuve, cette vieille maison « neuve depuis bien longtemps », mais qui avait au début du XXème siècle le luxe inouï d’avoir l’eau courante, là où Marcel Pagnol vécut ses plus belles années, là où commençait la féérie, comme il l’écrivit dans La Gloire de mon père. J’avais envie d’aller voir Pagnol. Ce serait pour cette année, m’étais-je dit il y a quelques mois. J’ai vécu ces quelques jours en Provence comme un pèlerinage. Je me suis arrêté au cimetière, j’y ai vu aussi la tombe de Lili des Bellons, toute proche de celle de Pagnol. Lili, son ami des collines, tombé au champ d’honneur un jour de 1918. Je me suis laissé bercer par mes souvenirs de ses souvenirs. Mes enfants étaient avec moi. Ils ont commencé à leur tour à lire Pagnol. Nous avons trouvé la Bastide Neuve. Une porte était entrouverte, laissant apercevoir une vieille cheminée. Quelques personnes échangeaient. Une dame vint vers nous. « Je suis ici avec Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel », nous dit-elle. « Voulez-vous entrer ? », ajouta-t-elle. Et c’est ainsi que nous avons découvert l’intérieur de la Bastide Neuve, émus, intimidés, émerveillés aussi. « Les fusils au mur, ce sont ceux de l’Oncle Jules ? », demanda à la dame mon petit Pablo.
Observant mes enfants, curieux et heureux, j’ai compris que l’œuvre de Marcel Pagnol est une transmission. Le temps peut filer et les générations avec lui, l’émotion demeure. J’aime Pagnol pour sa simplicité, la poésie des mots, la tendresse des souvenirs, l’amour d’une région. Je me souviens de ce jour d’avril 1974, lorsque la télévision annonça sa disparition. J’étais chez ma grand-mère. J’avais 9 ans et je lisais ses livres. De lui, je ne connaissais pourtant qu’une photo, celle d’un vieil homme au visage doux. Il était mort à Paris, disait la télévision. Mais que diable y faisait-il, avais-je alors pensé. Pour moi, Pagnol ne pouvait qu’habiter la Provence dont il parlait si bien. J’ignorais tout de sa vie d’après les collines, des pièces de théâtre, des films et de l’Académie Française. Je n’ai découvert cela qu’après, à l’adolescence, lisant passionnément Topaze, Marius, Fanny, puis voyant sur France 3, tard le soir, les premiers films comme César, Merlusse, La Femme du boulanger ou La Fille du puisatier. Et bien sûr Manon des Sources, première version, avec son épouse Jacqueline comme héroïne et Rellys en Ugolin aussi tordu que vrai. Le noir et blanc rendait merveilleusement la force des paysages et la lumière du ciel. Le jeu des acteurs, de Raimu à Fernandel, de Fresnay à Orane Demazis était bouleversant.
C’est tout cela que j’ai retrouvé au cours de ces journées dans la garrigue, bercé par les émotions. Il y a des bonheurs inestimables car ils remontent à loin. Je crois qu’avoir lu Pagnol et le lire toujours m’a aidé dans l’exploration de l’âme humaine, de ses tourments et de la bonté, dans la découverte de l’empathie, de l’humour et des sentiments aussi. Il y a un Pagnol pour tous les âges, y compris celui qui est le mien aujourd’hui. Je serais heureux de revoir les films et entendre à nouveau les sermons des curés. Le fils de l’instituteur prêtait des mots formidables aux curés. Il y a dans son œuvre un humanisme délicat, mêlant le meilleur de la laïcité et de la foi. A l’image de Jean de Florette qui creusait dans la détresse un sillon dans la terre aride des collines, c’est un profond sillon que Marcel Pagnol a tracé pour longtemps, pour toujours en moi. Les émotions demeurent. Demain, la voiture reprendra la route de la Belgique, laissant à regret derrière elle le Garlaban, la Treille et la fontaine de Manon. Je reviendrai. J’ai ressenti ces derniers jours que cette visite si longtemps rêvée en appelait bien d’autres, sur les chemins d’une œuvre et d’un homme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et dont je sais qu’il me restera toujours beaucoup à découvrir.