Tous les étés, j’aime retrouver l’Ile-Tudy. Cela fait des années que j’y reviens, depuis les premiers pas de mes enfants sur la plage, depuis ma propre enfance quimpéroise aussi sans doute. Il règne à l’Ile-Tudy une atmosphère particulière, une douceur de vie et d’âme que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. Ce sont la plage, la ria, les rochers. Ce sont aussi les petites ruelles, les maisons serrées les unes contre les autres, qui racontent une époque lointaine, humble et courageuse, chère aux cœurs et à la mémoire. La mer est partout, calme ou ventée, forte et généreuse, odorante et envoutante. Il y a l’écho des vagues, les cris des oiseaux de mer, un bruit de bateau. C’est un bout du monde duquel je me suis épris au point désormais de m’imaginer difficilement ailleurs. L’été ne dure pourtant pas toute l’année. Je reviens à la Toussaint, à Noël, à Pâques. La magie est autre dans les lumières d’une autre saison. Il y a bien moins de monde sur le Boulevard de l’Océan. L’été est particulier. Le village se remplit d’estivants, visiteurs de juillet, d’août et surtout de toujours. Les volets s’ouvrent, les maisons s’animent, les familles et les générations se retrouvent, les amis aussi. C’est rendez-vous à l’Ile-Tudy pour quelques jours, quelques semaines, un mois et plus peut-être, comme une promesse d’éternité.
Le soir, quand vient la nuit, j’aime marcher dans l’Ile-Tudy. La lune éclaire mon chemin. Je me laisse porter au hasard des rues. Rue des Ecoles, rue du Cimetière, rue des Tempêtes, rue des Mousses, rue des Mouettes, rue de la Conserverie et dans tant d’autres petites voies au nom évocateur, je me glisse comme une ombre, discrètement, goûtant l’instant, le moment. Je suis souvent seul et pourtant il y a du monde derrière les murs. Les fenêtres éclairées, les conversations, les éclats de rire qui parviennent jusqu’au dehors racontent les rassemblements joyeux autour d’une grande table ou d’un salon. J’aperçois subrepticement des visages animés, je devine les bonheurs des jours et des nuits, les amitiés et les amours aussi. J’imagine le souhait certainement partagé que ces jours et ces nuits durent longtemps. J’aime le jaune incertain de ces pièces vite entrevues et aussitôt dépassées, illuminées de vie, et le bleu sombre d’un ciel dans lequel subsistent parfois les ultimes lueurs du soleil couchant. C’est l’Ile-Tudy la nuit, l’été. Je marche longtemps, sans me presser, accompagné par le bruissement rassurant de la mer. Sur mon chemin, je n’oublie jamais de passer devant l’église. J’ai besoin de croiser Saint-Tudy ou plutôt de le laisser m’observer depuis les hauteurs du clocher.
Il y a dans ces pérégrinations nocturnes comme un parcours à la Simenon. L’Ile-Tudy, ce sont des lumières, des couleurs, du vent et de temps à autre aussi un peu de pluie, autant d’éléments finalement que le romancier liégeois et génial créateur de Maigret aimait à disposer tout au long de ses romans, avec la part nécessaire de mystère et quelques solides personnages. Il y a quelques jours, j’ai relu avec bonheur le roman de Jean Failler, Mort d’une rombière. L’intrigue se passe à l’Ile-Tudy. Je l’avais découvert une première fois au tournant du siècle, il y a quelques bonnes années. Une génération a filé depuis, mais j’ai retrouvé dans l’enquête de Mary Lester, l’intemporelle héroïne de Jean Failler, tant de repères passés et encore présents qui font de l’Ile-Tudy un lieu à l’atmosphère unique. Je me suis ainsi arrêté devant la maison que je devinais être celle de la malheureuse rombière, imaginant la nuit où Mary Lester, la visitant discrètement à la recherche d’indices, avait rencontré l’ombre du meurtrier qu’elle arrêterait peu après – la nuit encore – dans un vivier de Loctudy. Et je me suis souvenu aussi, parce que le souvenir de Simenon ne me quittait plus, que c’est également la nuit, depuis le toit de l’Hôtel de l’Amiral, que Maigret avait percé à Concarneau l’épais mystère du roman Le chien jaune.
Je me suis dit que je devais écrire cela. Il y a les jours et il y a les nuits. Les jours de l’Ile-Tudy, on en parle volontiers, d’autant qu’ils sont actifs et animés, mais les nuits, on ne les partage pas assez, je crois, alors qu’elles évoquent certainement bien des choses, des sentiments et sûrement des souvenirs aussi, pour ces petites silhouettes, solitaires ou non, qui se faufilent, l’obscurité venue, entre les petites maisons vers la mer ou la ria, le port ou la cale. La nuit dernière, l’orage a déchiré le ciel de puissants éclairs et de fracassants coups de tonnerre à faire dresser les cheveux sur la tête. Lorsque les éléments se sont calmés, je suis sorti. La nuit était noire et les rues étaient luisantes de pluie. J’étais seul. Il n’y avait personne et il régnait un calme absolu. Même la mer se faisait discrète. Dans les maisons, les lumières étaient moins présentes. Il était déjà tard. Il y avait dans l’air tout d’un coup comme un petit côté automnal. Nous glissons vers la fin du mois d’août. C’est pourtant trop tôt pour que la saison s’achève, me suis-je dit, espérant croiser une âme ou deux sur mon chemin, sans succès. L’orage avait découragé les ardeurs nocturnes. Ce soir, je repartirai à l’aventure. Il reste quelques jours, quelques semaines d’été. Tout n’est pas dit. Il y a encore beaucoup à explorer, à imaginer et raconter.
L’Ile-Tudy, la nuit, l’été
Tous les étés, j’aime retrouver l’Ile-Tudy. Cela fait des années que j’y reviens, depuis les premiers pas de mes enfants sur la plage, depuis ma propre enfance quimpéroise aussi sans doute. Il règne à l’Ile-Tudy une atmosphère particulière, une douceur de vie et d’âme que je n’ai trouvé nulle part ailleurs. Ce sont la plage, la ria, les rochers. Ce sont aussi les petites ruelles, les maisons serrées les unes contre les autres, qui racontent une époque lointaine, humble et courageuse, chère aux cœurs et à la mémoire. La mer est partout, calme ou ventée, forte et généreuse, odorante et envoutante. Il y a l’écho des vagues, les cris des oiseaux de mer, un bruit de bateau. C’est un bout du monde duquel je me suis épris au point désormais de m’imaginer difficilement ailleurs. L’été ne dure pourtant pas toute l’année. Je reviens à la Toussaint, à Noël, à Pâques. La magie est autre dans les lumières d’une autre saison. Il y a bien moins de monde sur le Boulevard de l’Océan. L’été est particulier. Le village se remplit d’estivants, visiteurs de juillet, d’août et surtout de toujours. Les volets s’ouvrent, les maisons s’animent, les familles et les générations se retrouvent, les amis aussi. C’est rendez-vous à l’Ile-Tudy pour quelques jours, quelques semaines, un mois et plus peut-être, comme une promesse d’éternité.
Le soir, quand vient la nuit, j’aime marcher dans l’Ile-Tudy. La lune éclaire mon chemin. Je me laisse porter au hasard des rues. Rue des Ecoles, rue du Cimetière, rue des Tempêtes, rue des Mousses, rue des Mouettes, rue de la Conserverie et dans tant d’autres petites voies au nom évocateur, je me glisse comme une ombre, discrètement, goûtant l’instant, le moment. Je suis souvent seul et pourtant il y a du monde derrière les murs. Les fenêtres éclairées, les conversations, les éclats de rire qui parviennent jusqu’au dehors racontent les rassemblements joyeux autour d’une grande table ou d’un salon. J’aperçois subrepticement des visages animés, je devine les bonheurs des jours et des nuits, les amitiés et les amours aussi. J’imagine le souhait certainement partagé que ces jours et ces nuits durent longtemps. J’aime le jaune incertain de ces pièces vite entrevues et aussitôt dépassées, illuminées de vie, et le bleu sombre d’un ciel dans lequel subsistent parfois les ultimes lueurs du soleil couchant. C’est l’Ile-Tudy la nuit, l’été. Je marche longtemps, sans me presser, accompagné par le bruissement rassurant de la mer. Sur mon chemin, je n’oublie jamais de passer devant l’église. J’ai besoin de croiser Saint-Tudy ou plutôt de le laisser m’observer depuis les hauteurs du clocher.
Il y a dans ces pérégrinations nocturnes comme un parcours à la Simenon. L’Ile-Tudy, ce sont des lumières, des couleurs, du vent et de temps à autre aussi un peu de pluie, autant d’éléments finalement que le romancier liégeois et génial créateur de Maigret aimait à disposer tout au long de ses romans, avec la part nécessaire de mystère et quelques solides personnages. Il y a quelques jours, j’ai relu avec bonheur le roman de Jean Failler, Mort d’une rombière. L’intrigue se passe à l’Ile-Tudy. Je l’avais découvert une première fois au tournant du siècle, il y a quelques bonnes années. Une génération a filé depuis, mais j’ai retrouvé dans l’enquête de Mary Lester, l’intemporelle héroïne de Jean Failler, tant de repères passés et encore présents qui font de l’Ile-Tudy un lieu à l’atmosphère unique. Je me suis ainsi arrêté devant la maison que je devinais être celle de la malheureuse rombière, imaginant la nuit où Mary Lester, la visitant discrètement à la recherche d’indices, avait rencontré l’ombre du meurtrier qu’elle arrêterait peu après – la nuit encore – dans un vivier de Loctudy. Et je me suis souvenu aussi, parce que le souvenir de Simenon ne me quittait plus, que c’est également la nuit, depuis le toit de l’Hôtel de l’Amiral, que Maigret avait percé à Concarneau l’épais mystère du roman Le chien jaune.
Je me suis dit que je devais écrire cela. Il y a les jours et il y a les nuits. Les jours de l’Ile-Tudy, on en parle volontiers, d’autant qu’ils sont actifs et animés, mais les nuits, on ne les partage pas assez, je crois, alors qu’elles évoquent certainement bien des choses, des sentiments et sûrement des souvenirs aussi, pour ces petites silhouettes, solitaires ou non, qui se faufilent, l’obscurité venue, entre les petites maisons vers la mer ou la ria, le port ou la cale. La nuit dernière, l’orage a déchiré le ciel de puissants éclairs et de fracassants coups de tonnerre à faire dresser les cheveux sur la tête. Lorsque les éléments se sont calmés, je suis sorti. La nuit était noire et les rues étaient luisantes de pluie. J’étais seul. Il n’y avait personne et il régnait un calme absolu. Même la mer se faisait discrète. Dans les maisons, les lumières étaient moins présentes. Il était déjà tard. Il y avait dans l’air tout d’un coup comme un petit côté automnal. Nous glissons vers la fin du mois d’août. C’est pourtant trop tôt pour que la saison s’achève, me suis-je dit, espérant croiser une âme ou deux sur mon chemin, sans succès. L’orage avait découragé les ardeurs nocturnes. Ce soir, je repartirai à l’aventure. Il reste quelques jours, quelques semaines d’été. Tout n’est pas dit. Il y a encore beaucoup à explorer, à imaginer et raconter.