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Accord de Paris : réussir, parce que c’est encore possible

Ponta Delgada, Açores, octobre 2025

Il y aura 10 ans dans quelques semaines, la COP 21 s’achevait par l’adoption de l’accord de Paris sur le climat. Je garde un souvenir fort de ce moment. Rien n’était sûr jusqu’à quelques heures de la conclusion de la conférence. Toutes les parties étaient là et leurs ambitions, leurs différences et leurs divergences étaient nombreuses. Il y avait près de 200 Etats représentés. A la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, je suivais jour après jour et bientôt heure par heure les informations qui nous parvenaient du Bourget. J’avais le sentiment que si la conférence débouchait sur un échec, le cadre multilatéral de l’action climatique n’y survivrait pas. L’enjeu était considérable. Connaissant le sujet climatique de ma vie professionnelle passée, j’avais suivi comme député les COP précédentes et la préparation de la COP 21. J’avais été le rapporteur de l’Assemblée sur la prolongation du Protocole de Kyoto. J’étais convaincu qu’il y aurait à Paris en cette fin d’année 2015 un momentum diplomatique, politique et sans doute économique à saisir. Au finish, l’accord fut adopté. J’ai encore en mémoire l’émotion de Laurent Fabius, qui avait présidé la conférence avec persévérance et passion. Il y avait sur les visages la fatigue de nuits trop courtes et la joie d’un dénouement si longtemps espéré.

Dix ans ont passé. J’ai été le rapporteur du projet de loi de ratification de l’accord de Paris à l’Assemblée nationale au début 2016. C’est mon meilleur souvenir de vie parlementaire. Je voulais aller chercher le vote unanime de mes collègues députés et j’avais mis toutes mes tripes dans la rédaction de mon rapport. Au moment de monter à la tribune, j’avais ressenti à mon tour cette même émotion submergeante devant l’énormité du sujet : l’habitabilité de notre planète et l’avenir de la vie. L’accord de Paris a pour objectif de limiter à la fin du XXIème siècle le réchauffement climatique nettement au-dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle et de poursuivre l’action pour ne pas dépasser 1,5°C. A cette fin, l’accord prévoit que les Etats parties augmentent tous les 5 ans leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et qu’une aide financière massive est versée aux pays en développement par les pays développés, principaux responsables de la crise climatique en raison de leurs émissions et de leur forte consommation. L’accord de Paris est entré en vigueur à la fin 2016. Tous les Etats l’ont ratifié à l’exception de l’Iran, de la Libye et du Yémen. Les Etats-Unis en sortiront en janvier prochain. Il reste pour tous l’ensemble des autres pays le cadre d’action commune.

Les 10 dernières années ont été les plus chaudes depuis que les températures sont enregistrées et l’objectif de ne pas dépasser 1,5°C est malheureusement devenu illusoire. Pouvons-nous encore rester sous la barre des 2°C ? Si le rythme des émissions devait demeurer à son niveau actuel,  les 2°C seraient dépassés à leur tour sous une trentaine d’années. Les émissions continuent d’augmenter, même si leur augmentation annuelle est désormais bien moindre. Tout le défi est d’aller chercher au plus vite le pic mondial d’émissions et de réduire celles-ci massivement par la suite. Aujourd’hui, une décennie après l’accord, le réchauffement projeté pour la fin du siècle serait de 2,8°C. C’est certes plus faible que les 4°C modélisés avant la COP 21, mais cela reste toujours terrifiant pour la vie humaine et l’avenir des écosystèmes. L’accord de Paris est parvenu à ralentir le processus de réchauffement de la planète, mais insuffisamment à ce stade, et si tous les Etats parties ont présenté leurs plans de réduction des émissions pour 2030, moins de la moitié d’entre eux l’ont fait pour 2035. Or, c’est sur ces plans et leur mise en œuvre que tout se jouera. Si les engagements étaient tenus et que les objectifs de neutralité carbone pour 2050 et 2070 étaient respectés, rester sous la barre des 2°C serait encore possible.

Voilà où nous en sommes. L’accord de Paris et sa mise en œuvre ne sont pas les échecs flagrants que décrivent les milieux climato-sceptiques et les lobbies des énergies fossiles, mais la crise climatique demeure dans toute son amplitude. A nos latitudes d’Européens, nous avons tous expérimenté des canicules éprouvantes, parfois aussi des inondations et des tempêtes d’une violence insoupçonnée, et bien pire est à venir si les engagements de l’accord de Paris étaient privés de leur substance et de leur dynamique. L’ébranlement du monde joue contre l’action climatique, qu’il s’agisse de la guerre de la Russie en Ukraine ou des guerres commerciales de Donald Trump et de la Chine au reste du monde. Les priorités budgétaires sont désormais au réarmement et bien moins à la protection du climat. L’Union européenne s’est écartée de son Green Deal sous la pression de certains gouvernements. Il faut combattre frontalement le travail de sape entrepris contre la cause climatique par Donald Trump et qui s’étend jusqu’à une remise en cause insensée de la science. L’affirmation récente de la justice climatique est un atout précieux pour maintenir l’action, en particulier l’avis de la Cour internationale de justice de juillet 2025 sur les obligations contraignantes des Etats pour le climat.

Que faire ? Se battre à l’échelle des COP – et notamment à celle de Belem en ce mois de novembre – et de chacun des Etats parties pour porter plus loin les plans volontaires de réduction des émissions. Ces plans dans leur contenu actuel conduiraient à une réduction des émissions mondiales de 10% à l’horizon 2035 par rapport à 2019, alors que c’est a minima une réduction de 35% qu’il faudrait viser pour rester sous la barre des 2°C. Dans ce cadre, la question énergétique est majeure et incontournable. La production d’énergies fossiles continue d’augmenter, malgré le déploiement record des énergies renouvelables encouragées par l’accord de Paris. Un travail considérable et largement révolutionnaire est à conduire sur l’électrification des usages et procédés industriels, et sur la flexibilité de production et consommation permettant de faire de l’intermittence des énergies renouvelables non un obstacle, mais un atout décisif. C’est ainsi que l’on détournera des énergies fossiles les nombreux secteurs industriels et de service qui en restent à ce jour largement dépendants. Il faudrait pour cela le signal politique fort d’un objectif de sortie des énergies fossiles, daté et quantifié globalement, qui devienne la clé de voute des plans volontaires de réduction des émissions.

L’avenir de l’action climatique dépend enfin de la diplomatie. Aussi difficile que cela puisse paraître, c’est avec la Chine que l’Union européenne doit chercher une alliance. Il s’agit de limiter l’activisme de Donald Trump. Pour trois ans au moins, les Etats-Unis agiront hors du jeu pour ruiner la cause climatique, pressions politiques et menaces commerciales à l’appui. Mais s’ils représentent 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, leur retrait de l’accord de Paris n’est cependant pas un drame absolu si une dynamique parvient à se créer face à eux et qu’elle sait faire le pont avec les attentes des pays en développement. Ce pont relève non seulement du devoir, mais aussi de la stratégie diplomatique renouvelée. Cela requiert d’accroître les financements à destination de ces pays. La dernière COP à Bakou avait été une déception pour eux. C’est un financement de 1300 milliards de dollars par an qui est attendu à Belem et il devra reposer bien davantage sur des dons que des prêts. Il devra aussi mobiliser les banques internationales de développement. Dix ans après l’accord de Paris, c’est par la résilience de l’action diplomatique et par sa capacité à dépasser les postures que l’action climatique pourra continuer en dépit des tensions géopolitiques et des bouleversements du monde.

Il m’arrive parfois de tourner quelques pages de mon rapport sur l’accord de Paris. J’ai toujours le souvenir de mes interrogations d’alors. Devais-je privilégier la technicité ou parler avec le cœur ? Sans esquiver la technicité, j’avais choisi le cœur. Je pensais à mes trois enfants. Quel monde serait le leur ? Derrière chaque dixième de degré d’augmentation de température évité, il y a des millions de vies et de destins épargnés. C’est immense. J’avais essayé aussi de ne pas opposer l’action climatique au développement économique. On ne sauvera pas le climat sans l’économie, l’entrepreneuriat, l’innovation, la croissance. Dans mon entreprise allemande de fabrication de panneaux solaires, nous avions cette formule : « Klimaschutz beschäftigt uns » (la protection du climat nous emploie). Je l’avais citée dans mon discours. Je crois profondément au rôle et à la responsabilité de l’entreprise. Comme je crois également que la cause climatique est indissociable de la justice sociale, que son acceptabilité et donc sa réussite en dépendent. Et je défends ardemment la préservation des espaces naturels et des puits de carbone. Il y a tant à faire. Nous n’avons d’autres choix que de nous battre, encore et toujours. Nous devons aux générations futures de ne pas renoncer. Et de réussir parce que c’est encore possible.

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