
La semaine passée, j’ai été élu Président du Groupe Ouest. J’ai glissé une photo et un petit mot sur les réseaux sociaux. Des tas de messages me sont parvenus, sympas et encourageants, avec une question aussi : le Groupe Ouest, c’est quoi ? Bonne question en effet car le Groupe Ouest, c’est tellement de choses. C’est d’abord une aventure humaine, née de souvenirs et de rêves à partager. C’est un lieu où viennent des scénaristes de toute l’Europe et de plus loin pour travailler leurs récits au contact de personnes passionnées. C’est un endroit magique où je suis arrivé un jour d’avril 2019, invité par un ami, Paul Huon, qui en était le Président. Je m’interrogeais sur la suite à donner à ma vie, quelques mois après avoir quitté la vie publique. Ce jour-là, j’ai rencontré Antoine Le Bos, le directeur du Groupe Ouest, et nous avons échangé passionnément sur la diversité qui fait la richesse de l’Europe. Le cinéphile en moi s’est retrouvé. Quelques mois après, j’entrais au Conseil d’administration du Groupe Ouest.
J’ai envie de raconter toute l’histoire. Au tout début, il y avait Antoine Le Bos, scénariste à Paris, dont l’histoire est liée à la Côte des Légendes. Lorsqu’il était enfant, c’est à Brignogan qu’il venait passer ses vacances d’été auprès de ses grands-parents. Le temps a passé, mais ces souvenirs demeuraient, vifs, forts et inspirants. Lorsqu’il écrivait, Antoine revenait à Brignogan. Les promenades dans le sable le long de la mer libéraient l’imagination. C’est alors qu’Antoine imagine peu à peu un « ailleurs créatif » (selon ses propres mots), dédié au cinéma, dans le Nord-Finistère, loin de la centralisation parisienne, en pleine liberté. De cet « ailleurs créatif », il parle à quelques amis du coin. Et l’idée prend forme, comme le petit dossier qui la supporte, qu’Antoine Le Bos entreprend de porter aux politiques locaux. Vient le premier succès : le soutien de Pierre Maille, Président du Conseil général du Finistère. Et la constitution du Groupe Ouest en association en décembre 2005.
Il est ensuite des rencontres qui scellent un destin. La rencontre d’Antoine Le Bos avec Jean-Claude Simon, directeur de la communication du groupe Even et fondateur de Produit en Bretagne (le fameux petit phare), sera de celles-là. En 2005, le Groupe Ouest intègre l’incubateur de Produit en Bretagne. Avec Jean-Claude Simon, Antoine travaille sur la démarche de mécénat. Il sait aussi pouvoir compter sur le concours précieux de Tino Kerdraon, ancien député du Finistère vivant à Plounéour-Trez. En 2006, le Conseil général octroie au Groupe Ouest une aide financière qui permet le démarrage des activités et l’embauche d’une première collaboratrice en janvier 2007. Antoine Le Bos est alors le Président du Groupe Ouest. Tout le monde est basé au Folgoët dans les locaux de l’agence de développement de la Côte des Légendes. La première Sélection annuelle est mise en place avec un appel à projets en 2007 et les premiers accueils en résidence des auteurs se font en 2008.
De là vient le premier travail de réflexion sur le récit, axé sur la collaboration avec des collectifs d’auteurs. Comment écrire un scénario, comment conserver les spectateurs au cœur d’une histoire ? L’approche se veut pragmatique et fondée sur une multitude d’expériences à fédérer. Et ça marche : s’alimenter les uns les autres, sans partir du même endroit, mais en parlant de la même chose, c’est ce qui compte. Tout n’était pas gagné pourtant. Comment rendre le projet porteur sur la Côte des Légendes ? En l’incarnant dans un lieu symbolique. Un jour de 2009, Tino Kerdraon appelle Antoine Le Bos : un entrepôt d’échalotes est à vendre à la gare de Plounéour-Trez. C’était l’une des dernières exploitations agricoles de la commune. La communauté de communes du Pays de Lesneven et de la Côte des Légendes se porte acquéreur du bâti, puis le loue après travaux au Groupe Ouest. En 2012, le Groupe Ouest entre enfin dans ses murs.
Dès ses débuts, le Groupe Ouest a fait le choix de l’Europe des régions pour sortir de la seule logique française, viser plus loin, se faire connaître, nouer des alliances. Antoine Le Bos est engagé comme scénariste consultant au Torino Film Lab. Cette expérience lui donne l’expérience du travail à l’échelle européenne et des financements possibles pour les projets à venir. Patrice et Françoise Le Loup, habitants de Brignogan, mettent gracieusement à disposition du Groupe Ouest une maison à l’année pour l’équipe et une autre maison pour accueillir les auteurs en résidence. Patrice Le Loup deviendra plus tard le président du Breizh Film Fund. Sont aussi de ces années pionnières Claude Théard, ancien cadre d’IBM, et le papa d’Antoine, Alain Le Bos, ancien commercial dans l’informatique. Mobiliser l’expérience et l’énergie des nouveaux retraités, leurs réseaux et leur temps, ce sera une part du secret.
L’autre part du secret, ce sera le mécénat du Crédit Agricole à compter de 2009. La Bretagne est une terre d’amitiés, une terre de convictions et d’entrepreneurs aussi. Jean-Claude Simon s’ouvre de l’aventure du Groupe Ouest à son ami Jean Le Vourc’h, Président du groupe Even et du Crédit Agricole du Finistère, qui en parle à son tour à Paul Huon, responsable de la communication de la caisse finistérienne. Le mécénat est scellé. Les politiques régionaux se joignent à leur tour, mobilisés par Tino Kerdraon. Le Conseil régional de Bretagne rejoint le Conseil général du Finistère dans le soutien au Groupe Ouest. En 2009, Jean-Yves Le Drian, Président du Conseil régional, assiste à Lesneven à la projection d’un film coaché par le Groupe Ouest. Claude Théard devient Président du Groupe Ouest en 2009. Dix ans plus tard, c’est à Paul Huon, que Claude Théard transmet le relais. Et c’est à Paul Huon que j’ai succédé en ce mois de juin.
Chaque année passent à Plounéour-Trez des stagiaires et auteurs talentueux. L’Europe vient à Plounéour-Trez : l’Europe des auteurs, mais aussi l’Europe institutionnelle, avec un premier financement Interreg. En 2010, le Groupe Ouest est identifié dans un premier projet européen comme lead partner. Il répond à des appels à projets et se désengage du Torino Film Lab en 2016, à mesure que monte en puissance Less is more (LIM). LIM, c’est être à la fois lucide et positif sur l’état du monde, croire en la puissance des récits pour faire société. Les plus belles histoires ne sont pas toutes issues des écoles de cinéma. Elles viennent aussi d’esprits libres et curieux. Le pari de LIM, c’est soutenir ces cinéastes-là dans l’écriture de leur scénario. C’est renforcer la puissance des histoires qu’ils portent et qui les portent. LIM, c’est aussi une coalition pour un cinéma européen à l’écart des récits simplifiés et des super-héros, en lien avec la complexité et la compréhension du monde.
L’originalité du récit, la diversité du récit, le sens du récit, tout cela fonde l’engagement du Groupe Ouest. Avec LIM sont arrivés les workshops de pré-écriture, puis le Story Tank. A l’origine, seuls les Etats-Unis avaient réellement théorisé leur vision du scénario et la puissance du récit. L’Europe n’avait jamais vraiment souhaité s’emparer du sujet. Elle aurait dû pourtant, et elle s’y risque désormais, notamment par des initiatives originales comme le Story Tank et le travail plus récent sur le nouveau Bauhaus européen. Le but du Story Tank est l’échange entre professionnels du récit et chercheurs en neurosciences, sciences cognitives et sciences humaines au bénéfice des auteurs qui écrivent. Le Story Tank est né en 2019, comme une forme de département R&D du Groupe Ouest. Le Story Tank, par ses activités, remue, défie, challenge le Groupe Ouest, par un aller-retour continuel avec les auteurs coachés sur la Côte des Légendes. Il en est devenu l’aiguillon.
En 2008, le premier appel à projets avait conduit 6 auteurs au Groupe Ouest. Aujourd’hui, la Sélection annuelle attire plus de 300 candidatures. Une pré-sélection est opérée par un jury composé de professionnels de l’audiovisuel travaillant en Bretagne. La sélection finale est faite par des professionnels nationaux et internationaux. Les lauréats bénéficient du coaching des scénaristes-consultants du Groupe Ouest gratuitement, y compris durant les 4 sessions d’une semaine en résidence d’avril à décembre. D’autres candidats non-sélectionnés peuvent bénéficier du soutien de la SAS Groupe Ouest Développement via le financement de la formation professionnelle. Pour LIM, 300 candidatures sont reçues pour 16 projets sélectionnés. LIM apporte un accompagnement professionnel sur la conception de l’écriture. Cela se fait en résidence, à raison de 3 semaines dans l’année, de mars à octobre, et d’un suivi à distance entre les séances en résidence.
Le Breizh Film Fund, fonds de dotation du Groupe Ouest, se place dans la continuité de la Sélection annuelle et de LIM, joignant le financement privé au financement public pour permettre à des projets de voir le jour par l’avantage fiscal de la loi sur le mécénat culturel. L’objectif est de soutenir le cinéma indépendant européen et de faire émerger une création cinématographique issue de Bretagne. Le Breizh Film Fund a été créé en 2014 comme premier outil privé de financement du cinéma hors Ile-de-France. Nicolas Menard, Directeur-Général du Crédit Agricole du Finistère, avait alors injecté 1 million d’Euros par an sur 3 ans dans le Breizh Film Fund. Cela a considérablement aidé des sociétés bretonnes de production à s’engager dans des coproductions internationales. Cette dimension territoriale de la création était essentielle pour l’aventure.
Voilà l’histoire du Groupe Ouest, en route désormais vers ses 20 ans. Des succès, il y en a eu beaucoup. L’un d’entre eux, c’est celui du jeune cinéaste belge Lukas Dhondt, récompensé par le Grand Prix au Festival de Cannes en 2022 pour Close. Il y a eu aussi Divines, caméra d’or à Cannes en 2015, passé par la Sélection annuelle en 2013 (Houda Binyamina) et Les Innocentes (Anne Fontaine), qui a rassemblé plus d’un million d’entrées – un chiffre énorme pour la tranche Art et Essai – issu de la Sélection annuelle en 2015 et présenté au Festival Sundance aux Etats-Unis. Et tant d’autres films aussi. Ces succès ont été un tournant dans la reconnaissance du Groupe Ouest, quelque 10 années après sa création. Ils ont été des accélérateurs pour le nombre de candidats à la Sélection annuelle dès les années suivantes. A tel point qu’il est dur aujourd’hui d’imaginer la Côte des Légendes sans le cinéma … et le cinéma sans la Côte des Légendes aussi.
Cette aventure m’a aspiré et passionné. Chaque trimestre depuis 2019, j’ai pris le chemin de la Côte des Légendes. Et d’administrateur, je suis devenu Président. Je ne l’aurais pas imaginé. Il y a tant à construire, tant à raconter, notre histoire commune bien sûr, nos identités multiples aussi . Cette année, nous lançons La Fabrique des Mondes, avec le soutien d’Etat français dans le cadre des investissements d’avenir de France 2030. Notre objectif est de faire du Groupe Ouest le centre de recherche européen en pointe sur les nouvelles méthodes collaboratives en création de scénarios pour le cinéma, les séries et les jeux vidéos. La Fabrique des Mondes s’adressera aussi aux entreprises pour faciliter leurs propres récits, au monde de l’éducation pour aider les générations à venir à comprendre et pratiquer la richesse du narratif, et au défi écologique, car le monde de demain dépendra beaucoup de projets collectifs et de la capacité à les raconter et partager.
L’aventure, c’est un état d’esprit, une curiosité jamais assouvie. Le Groupe Ouest, ses permanents, ses collaborateurs, les 200 cinéastes qu’il forme bon an mal an – y compris durant le plus dur de la pandémie – n’a pas fini de surprendre. Dans l’entrepôt d’échalotes de la gare de Plounéour-Trez, au Café du Port à Brignogan, sur la plage ou le long de la mer à vélo se pense et s’écrit la suite avec Antoine, son équipe et le Conseil d’administration que je préside désormais. Dans la fidélité aux rêves des débuts, pour faire vivre la diversité des histoires, raconter la vie autrement, rassembler et passionner. En lien également avec l’évolution du monde, de la société et des technologies, sans jamais oublier que le cinéma et les séries sont des vecteurs puissants, communicatifs et contagieux d’humanité et de solidarité. En ces temps difficiles que traverse le monde, la création et l’imaginaire sont plus que jamais nécessaires. Pour cela, le Groupe Ouest et la Côte des Légendes ne seront jamais trop loin.

Dans les collines de Pagnol
J’écris ces quelques lignes depuis un petit bastidon perché dans la garrigue, à quelques kilomètres d’Aubagne. Le jour se lève à peine. La lumière, bientôt, inondera le jardin face à moi. J’avais longtemps rêvé de ce moment, de voir enfin les collines de Provence, de les arpenter, d’affronter les ascensions et les descentes sur les chemins caillouteux menant au Garlaban, là où passaient autrefois les mules et les chèvres. Comment tant d’autres enfants devenus grands, j’ai été bercé par les livres et les récits de Marcel Pagnol. Il y avait les dictées de mes instituteurs et sans doute aussi de mes professeurs de collège, puisées dans les souvenirs du jeune Marcel. Je les trouvais moins dures, moins piégeuses car les textes étaient si beaux. Et il y avait surtout ces livres formidables qui racontaient une enfance à flanc de collines, l’aventure, les émotions, un petit monde bien loin de mon Finistère et que je sentais pourtant proche de moi tant il était au fond universel. Pagnol a enchanté mes jeunes années. J’ai lu et relu La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets. Je m’en suis nourri, imaginant la puissance du ciel, le vol des bartavelles, les senteurs des plantes enveloppées par le vent. Je n’avais alors pas d’autres images que celles que les mots faisaient naître en moi.
Longtemps, j’avais nourri le rêve de venir jusqu’à la Treille, d’emprunter le chemin menant à la Bastide Neuve, cette vieille maison « neuve depuis bien longtemps », mais qui avait au début du XXème siècle le luxe inouï d’avoir l’eau courante, là où Marcel Pagnol vécut ses plus belles années, là où commençait la féérie, comme il l’écrivit dans La Gloire de mon père. J’avais envie d’aller voir Pagnol. Ce serait pour cette année, m’étais-je dit il y a quelques mois. J’ai vécu ces quelques jours en Provence comme un pèlerinage. Je me suis arrêté au cimetière, j’y ai vu aussi la tombe de Lili des Bellons, toute proche de celle de Pagnol. Lili, son ami des collines, tombé au champ d’honneur un jour de 1918. Je me suis laissé bercer par mes souvenirs de ses souvenirs. Mes enfants étaient avec moi. Ils ont commencé à leur tour à lire Pagnol. Nous avons trouvé la Bastide Neuve. Une porte était entrouverte, laissant apercevoir une vieille cheminée. Quelques personnes échangeaient. Une dame vint vers nous. « Je suis ici avec Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel », nous dit-elle. « Voulez-vous entrer ? », ajouta-t-elle. Et c’est ainsi que nous avons découvert l’intérieur de la Bastide Neuve, émus, intimidés, émerveillés aussi. « Les fusils au mur, ce sont ceux de l’Oncle Jules ? », demanda à la dame mon petit Pablo.
Observant mes enfants, curieux et heureux, j’ai compris que l’œuvre de Marcel Pagnol est une transmission. Le temps peut filer et les générations avec lui, l’émotion demeure. J’aime Pagnol pour sa simplicité, la poésie des mots, la tendresse des souvenirs, l’amour d’une région. Je me souviens de ce jour d’avril 1974, lorsque la télévision annonça sa disparition. J’étais chez ma grand-mère. J’avais 9 ans et je lisais ses livres. De lui, je ne connaissais pourtant qu’une photo, celle d’un vieil homme au visage doux. Il était mort à Paris, disait la télévision. Mais que diable y faisait-il, avais-je alors pensé. Pour moi, Pagnol ne pouvait qu’habiter la Provence dont il parlait si bien. J’ignorais tout de sa vie d’après les collines, des pièces de théâtre, des films et de l’Académie Française. Je n’ai découvert cela qu’après, à l’adolescence, lisant passionnément Topaze, Marius, Fanny, puis voyant sur France 3, tard le soir, les premiers films comme César, Merlusse, La Femme du boulanger ou La Fille du puisatier. Et bien sûr Manon des Sources, première version, avec son épouse Jacqueline comme héroïne et Rellys en Ugolin aussi tordu que vrai. Le noir et blanc rendait merveilleusement la force des paysages et la lumière du ciel. Le jeu des acteurs, de Raimu à Fernandel, de Fresnay à Orane Demazis était bouleversant.
C’est tout cela que j’ai retrouvé au cours de ces journées dans la garrigue, bercé par les émotions. Il y a des bonheurs inestimables car ils remontent à loin. Je crois qu’avoir lu Pagnol et le lire toujours m’a aidé dans l’exploration de l’âme humaine, de ses tourments et de la bonté, dans la découverte de l’empathie, de l’humour et des sentiments aussi. Il y a un Pagnol pour tous les âges, y compris celui qui est le mien aujourd’hui. Je serais heureux de revoir les films et entendre à nouveau les sermons des curés. Le fils de l’instituteur prêtait des mots formidables aux curés. Il y a dans son œuvre un humanisme délicat, mêlant le meilleur de la laïcité et de la foi. A l’image de Jean de Florette qui creusait dans la détresse un sillon dans la terre aride des collines, c’est un profond sillon que Marcel Pagnol a tracé pour longtemps, pour toujours en moi. Les émotions demeurent. Demain, la voiture reprendra la route de la Belgique, laissant à regret derrière elle le Garlaban, la Treille et la fontaine de Manon. Je reviendrai. J’ai ressenti ces derniers jours que cette visite si longtemps rêvée en appelait bien d’autres, sur les chemins d’une œuvre et d’un homme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et dont je sais qu’il me restera toujours beaucoup à découvrir.