C’est aujourd’hui le 14 juillet, jour de fête nationale. Dans chaque coin de France, grandes et petites villes, bourgs et villages, les drapeaux flottent, les bals et feux d’artifice sont à venir, les bénévoles et les services s’affairent pour que la fête soit belle et qu’elle soit partagée. A l’étranger aussi, sous toutes les latitudes, par-delà les distances, le 14 juillet est fêté dignement, passionnément et même amoureusement. J’ai toujours aimé ce jour, plein de joie et de soleil. Je me souviens des rues pavoisées de mon enfance, de la musique, de l’allégresse sincère et contagieuse du moment. C’est la fête nationale, venue du 14 juillet 1789, un souvenir qui a scellé l’histoire, la nôtre, et un peu plus que la nôtre aussi. C’est le moment de se rappeler ce qui nous unit : des idéaux, des principes, une devise, un destin. La vie d’un pays comme la France est volontiers rageuse. Cela fait son originalité, certainement une part de son charme et également l’un de ses plus grands défis. Faire nation n’est pas seulement affaire de 14 juillet. Ce devrait être tous les jours, mais le mettre en œuvre le 14 juillet a tout de même un sens particulier. Les querelles cessent, un pays se réunit, un peuple se retrouve, non pas parce qu’on le doit, mais parce qu’on le veut. Le 14 juillet vient de loin et il nous appartient.
J’ai des souvenirs drôles et merveilleux du 14 juillet. Jeune journaliste au Télégramme de Brest, je me revois dans un Zodiac patrouillant sur la rivière et la mer avec les forces de sécurité devant la foule amassée sur les quais de Bénodet, dans l’attente de la nuit et du feu d’artifice. Il arrivait parfois qu’un vacancier joyeux et quelque peu enivré tombe dans la rivière. Nous allions le repêcher et la chaleur ambiante le réchauffait bien vite. A Los Angeles, barman parmi d’autres de la fête du Consulat de France, j’ouvrais des bouteilles jusqu’au bout de la nuit. Durant mes premières années d’élu, je frissonnais d’émotion en entendant le peuple de Liège entonner la Marseillaise à pleins poumons sur les bords de la Meuse. L’année de mon élection à l’Assemblée nationale, j’avais enchaîné trois cérémonies le 14 juillet 2012: à Berlin, Hambourg et Munich. Mon petit Marcos, 10 mois, était de la partie. Sa poussette était décorée de petits drapeaux tricolores. Je me souviens de Düsseldorf, de Mannheim, de Francfort, de Vienne et de bien d’autres villes visitées les 14 juillet des années d’après. Et d’un 14 juillet dans la tribune officielle Place de la Concorde, face au défilé militaire, un moment de grande émotion. Je sais par mon histoire familiale l’immense gratitude que nous devons à nos armées.
C’est la fête nationale, c’est aussi celle de la République. Le 14 juillet 1790, un après la prise de la Bastille, c’est en présence du roi que la Fête de la Fédération avait eu lieu à Paris sur le Champ-de-Mars. Ce n’était pas (encore) la République et le roi, s’il avait prêté serment à la Constitution, n’était sans doute pas le plus réjoui des nombreux participants. Le moment avait pourtant valeur de symbole. Il s’agissait de célébrer l’unité de la France et l’adhésion des Français à des valeurs communes, des valeurs qui les rassemblent, où qu’ils se trouvent dans le pays et quelles que soient leurs conditions. Par le fait des soubresauts de l’histoire, la célébration du 14 juillet mettra ensuite bien du temps à revenir, jusqu’à l’adoption unanime par l’Assemblée nationale et le Sénat de la loi du 6 juillet 1880 faisant du 14 juillet le jour de la fête nationale, jour chômé, jour de rassemblement et de souvenir de la victoire du peuple sur l’arbitraire, pour la liberté et pour l’égalité. Depuis lors, le 14 juillet a traversé les époques et survécu aux moments de guerre, de peines, de calamités et de souffrances nationales. Il est entré dans notre patrimoine collectif. La France a besoin de repères collectifs, de rituels et de symboles et le 14 juillet, mieux que tout autre, en est la plus vive expression.
Un ancien parlementaire irascible et au verbe haut avait affirmé un jour de grande colère que la République, c’était lui. « La République, c’est moi », assurait-il. Non, la République, c’est nous ! C’est nous tous, Françaises et Français, de métropole, des outre-mer et de l’étranger. Nous sommes ces citoyens égaux en devoirs et en droits, qui célèbrent le 14 juillet passionnément et qui le portent en idéal. Nous sommes cette communauté faite d’histoires et d’itinéraires différents, de sang mêlé et de sang versé, de convictions multiples, de foi et de chemins intimes, soudée par l’héritage des Lumières, par la laïcité qui protège et qui libère, par l’école qui émancipe. Nous sommes ce pays tempétueux qui rêve pourtant de tempérance pour se projeter demain et écrire une nouvelle page de son histoire. Le 14 juillet, c’est tout cela, c’est le rassemblement plutôt que la haine, c’est la fraternité plutôt que le rejet, c’est l’avenir sans les fachos et aussi sans les dingos. Puissions-nous, aujourd’hui, partout en France et plus loin, éprouver dans nos célébrations cette force collective, cet engagement sincère, ce dépassement possible et espéré. Il y a tant à faire ensemble, dans la fidélité aux valeurs de la République. Une fête nous le rappelle et, avec elle, le bleu, le blanc et le rouge des drapeaux qui voleront au vent.
Dans quelques jours viendra la fin de l’année scolaire à l’école primaire de la rue Berkendael à Bruxelles. Les cartables bien chargés passeront une dernière fois le portail avant l’envol joyeux et tant attendu vers les grandes vacances et vers l’été. Il y aura des cris de joies, des sourires, des embrassades, et puis quelques larmes sans doute aussi. Ce moment sera particulier pour ma petite Mariana. Après ses frères il y a trois ans et il y a un an, elle quittera à son tour l’école primaire. Ce ne sera pas sans émotion pour elle et également pour nous, ses parents. Clore le chapitre de l’école primaire, c’est dire au revoir à un bout d’enfance, à des maîtres, à des amis, à des tas de souvenirs. C’est un moment que l’on n’oublie pas et qui reste particulier au cœur d’une vie. J’ai retrouvé dans la mémoire de mon IPhone la photo du premier jour de Mariana à l’école européenne de la rue Berkendael. Elle entrait dans la section maternelle. Elle avait 4 ans et un visage timide. C’était il y a bientôt 6 ans. Ce soir, j’irai la chercher à l’école pour faire la photo du dernier jour au même endroit qu’en septembre 2019. Il s’est passé tant de choses en 6 ans. Mariana a beaucoup appris, étudié, lu, joué aussi. Elle a aimé son école. Elle était heureuse d’y aller chaque matin, avec quelques livres et cahiers, et son fidèle ballon en mousse pour les matches acharnés de foot de la cour de récréation, nécessairement plus épiques que les dictées.
Mariana m’a confié il y a peu qu’elle était triste de partir, laissant entrevoir un instant toute l’émotion qu’elle réfrénait. Je l’ai consolée et je lui ai raconté mon propre départ de l’école primaire, il y a un temps bien lointain. J’étais heureux de grandir et de filer vers le collège, mais peiné aussi car je pressentais, quelque part du haut de mes 10 ans, que c’était des personnes exceptionnelles que je m’apprêtais à quitter, qui m’avaient apporté le meilleur, des savoirs fondamentaux à leur passion simple et contagieuse d’enseigner, de partager et de transmettre. Je n’ai jamais oublié mes maîtres et j’eus cet insigne bonheur, une douzaine d’années après, de revenir à l’école comme jeune journaliste pour le départ en retraite de mon instituteur de CM2 (www.pyleborgn.eu/2021/03/a-mon-maitre). Il ne s’y attendait pas. C’est un moment émouvant, ancré dans mon mémoire. Je crois que l’on reste marqué à jamais par ses années d’école, par les amitiés enfantines et par la reconnaissance qui viendra à la mesure du temps. Les enseignants sont des héros à qui l’on ne dit jamais assez merci. Ils donnent tant d’eux-mêmes. Enseigner, c’est confier à des enfants à l’origine inconnus la meilleure part de soi-même, celle qui révèle la vocation. Et s’il y a quelques larmes qui coulent un dernier jour d’école, ce sont aussi parfois celles des maîtres au moment de voir s’en aller leurs élèves sur le chemin de la vie.
Mathieu, Justine, Gwen, Gilles, Mélanie, Tina et Emilie, Mariana ne vous oubliera pas. Je crois bien qu’elle reviendra vous voir pour vous donner des nouvelles. Le chapeau de la cérémonie de clôture, un peu ramolli par la pluie, trône déjà sur l’étagère de ses souvenirs, comme les photos de classe aux visages poupins et souriants, année après année. Une école, c’est aussi une communauté, les surveillants, l’infirmière, les animateurs de la garderie, la cantine, la direction. Et le merci est pour eux, pour elles, pour tous. L’avantage par rapport aux générations d’avant, c’est que les photos ne se font plus aussi rares, qu’elles s’échangent et se partagent. Et il y a aussi des films, des enregistrements, des voix, des chants, des rires qui résisteront au temps. Pendant toutes ces années à l’école de la rue Berkendael, j’ai entendu parler du petit renard qui vivait au fond de la cour, là où la végétation se fait plus dense. J’ai du mal à imaginer que l’on n’en parlera plus. Les nouvelles continueront à fuser. Une page se tourne pour Mariana et ses amis, mais le livre est encore long. Nous nous souviendrons d’une communauté unie, celle qui a su aider les enfants durant l’épreuve des confinements et de la pandémie, celle qui a su, à nos côtés, leur parler, pour avancer, pour apprendre et aussi pour aimer. Merci l’école, et à bientôt !
Le vélo a toujours fait partie de ma vie. Il y a sans doute à l’origine de cette passion une histoire familiale. Trois générations, de celle de mes grands-parents à la mienne, ont aimé pédaler, pour le plaisir certainement et, lorsque les voitures étaient plus rares, pour se déplacer aussi. J’observe à présent mes enfants et je me dis que cette fièvre a gagné leur génération à son tour. Cela me réjouit. Je vois dans le vélo une liberté, une conquête, une émancipation gagnée à la force du jarret. J’ai aussi le cœur plein d’histoires de courses cyclistes, magnifiées sans doute avec le temps, vécues sur un écran de télévision en noir et blanc ou au bord d’une route inondée de soleil, une casquette vissée sur la tête. J’ai eu une petite casquette Gan-Mercier, achetée précieusement un jour de Circuit de l’Aulne dans le Finistère. Le Circuit de l’Aulne était la grand-messe des amoureux de la petite reine en fin d’été. Des milliers de gens venaient de partout en Bretagne et parfois même de plus loin pour acclamer les champions qui nous avaient fait rêver quelque temps plus tôt sur la route du Tour de France. J’en étais avec mon père, ma mère et ma sœur. Et puis surtout, j’ai eu, de mes 7 ans à mes 11 ans, un petit vélo rouge de la marque quimpéroise Arrow, sur lequel j’ai tant pédalé, rêvé … et vécu aussi une drôle d’aventure.
Cette aventure, je la raconte aujourd’hui car cela fait 50 ans tout rond. Personne ne la connaît, ni ma famille, ni ma maman qui la découvrira à la lecture de ce texte. Pourquoi aujourd’hui ? Parce que les fondus de vélo ont une saison et un calendrier dans la tête, et que je n’y fais pas exception. Le 22 juin 1975 avait lieu près de Limoges le championnat de France de cyclisme. Nous avions suivi la course à la télévision avec mon père. Il faisait beau et chaud. Ma mère et ma sœur étaient parties à la plage. Régis Ovion l’avait emporté. Il avait revêtu le maillot tricolore et la Marseillaise avait retenti. J’avais trouvé le moment émouvant et mon père aussi. Il avait connu bien d’autres courses certainement plus mythiques, mais celle-ci, en tout début d’été 1975 était sans doute particulière. Elle l’avait extrait durant quelques heures, et moi avec lui, de la tristesse causée par la disparition de ma grand-mère en fin d’hiver. Nous avions traversé le printemps avec ce chagrin que les beaux jours avaient entrepris d’atténuer. Peu après l’arrivée de la course, mon père s’était assoupi dans le canapé. Il devait être autour de 16 heures. J’aurais pu lire un livre, retrouver ma chambre et mes jeux, mais ma tête était encore au championnat de France. Il fallait que j’aille faire un tour sur mon petit vélo rouge.
J’avais 10 ans et des règles s’appliquaient à moi. Sur ce vélo, je ne devais pas aller plus loin qu’un petit périmètre de rues autour de chez nous. J’étais obéissant et je n’avais jamais enfreint ces règles. Ce jour-là, je ne sais plus bien pourquoi, je l’ai fait. Il y avait le soleil, quelques heures de liberté, la solitude, l’envie de revivre la course à ma façon, le besoin sans doute aussi de me libérer. J’ai pédalé jusqu’au bout de mon périmètre de rues et, au lieu de faire demi-tour, j’ai continué. Je suis parti sur une route que j’avais empruntée parfois en voiture avec mes parents, la route d’Elliant, mais après 2 ou 3 kilomètres, je suis entré en terrain inconnu. Je ne reconnaissais rien. J’ai pédalé, encore et encore, sur ce vélo aux petites roues qui faisait partie de ma vie et que je n’avais jamais emmené si loin. J’ai grimpé des côtes, porté par les images du championnat de France et de Régis Ovion. Un panneau de ci, de là indiquait que je me rapprochais d’Elliant. C’était ma seule certitude. Je roulais toujours, heureux de l’effort accompli, un peu grisé et effrayé aussi par la témérité de mon aventure. J’arrivai à Elliant, une dizaine de kilomètres plus loin que notre maison. J’étais fier. J’avais au poignet ma montre d’enfant et je savais que j’étais dans les temps. A cette heure-ci, personne encore ne s’inquiéterait chez nous.
Pour revenir, je pouvais prendre la route dans l’autre sens, ou en trouver une autre. Aventure aidant, je me dis que je devais explorer un autre chemin. Là fut mon erreur car je n’avais alors qu’une faible géographie dans la tête et – autre époque – ni carte, ni monnaie, ni bien sûr un téléphone pour signaler ma coupable errance. Ergué-Gabéric, notre commune, est à l’ouest d’Elliant. Je pris une route qui semblait viser l’ouest. Elle le fit durant quelques centaines de mètres avant qu’une succession de virages, de montées et de descentes ne me fassent progressivement douter. La route était étroite, un peu escarpée. Allais-je dans la bonne direction ? Je n’en étais plus très sûr et je sentais venir en moi la crainte sourde d’être perdu. Au coin d’une ferme, un chien entreprit de me courser. Il n’était qu’à un ou deux mètres de mes mollets et le sprint que je piquai pour les sauver acheva de me mettre hors d’haleine. Je ne savais plus trop vers où je pédalais et je ne croisais personne. Je regardais le ciel, pensant à ma grand-mère disparue. J’avais vécu le deuil autant que l’on puisse le faire à 10 ans. Était-elle là-haut ? Me regardait-elle ? Je ne trouvais pas de réponse, mais une forme de bienveillance, à l’égal de son souvenir, semblait m’entourer. Elle m’aurait sûrement fait le reproche de cette aventure et elle m’aurait protégé aussi.
Je roulais en scrutant les champs. C’était la campagne la plus totale. J’étais là, petit garçon sur un petit vélo, des rêves dans la tête et face à ce que j’appellerais plus tard une belle galère. La route me paraissait si longue. A un moment apparut entre les arbres une chapelle. C’était Notre Dame de Kerdévot. Je n’y étais encore jamais allé, mais j’en connaissais le nom et je savais surtout que j’étais quelque part à Ergué-Gabéric. Je n’étais plus totalement perdu. Il me fallait trouver le chemin du bourg. J’avançais à vue de nez, jaugeant les croisements et les calvaires. A gauche, à droite, j’allais à l’instinct, sans certitude. Je sentais mes forces faiblir et la crainte m’envahir. Je piochais tant bien que mal sur mon petit vélo rouge pour avancer, zigzaguant dangereusement en danseuse. Je n’avais bien sûr rien à manger ni à boire. J’étais parti à l’aventure sans imaginer un instant sa longueur. Je vis finalement arriver le clocher de l’église du bourg. L’instinct et les calvaires ne m’avaient pas totalement abandonné. Du bourg, je connaissais la route pour retrouver la maison. J’avais dépassé la vingtaine de kilomètres, j’étais fourbu, un peu honteux aussi, et je me demandais surtout ce que j’allais bien pouvoir raconter pour expliquer mon absence. Je n’étais ni Régis Ovion, ni un autre champion, juste un gamin qui s’était égaré.
Je n’eus en vérité rien à raconter. Mon père corrigeait ses copies, pensant que je lisais dans ma chambre, comme je le faisais si souvent. Ma mère et ma sœur arrivèrent de la plage peu de temps après que j’eus rangé mon petit vélo rouge. A lui comme à elles, je ne racontai l’histoire. La nuit venue, je revécus dans mon lit cette aventure. Elle m’avait effrayé, mais séduit aussi. J’avais juste devancé les années en roulant sur les chemins qu’emprunterait plus tard l’adolescent cyclotouriste que je deviendrai, bien meilleur connaisseur de sa géographie et chevauchant un beau demi-course, Arrow lui aussi, mais orange, doté d’un guidon de pro et de vitesses à même de faire passer les côtes bretonnes. Le vélo mythique de mon enfance reste pourtant ce petit vélo rouge, sans doute pour ce jour initiatique de juin 1975. De ce vélo, je n’ai malheureusement aucune photo et je le regrette. Il a fini son parcours chez des cousins à qui nous l’avions donné et qui ne l’avaient pas aimé comme je l’avais fait. Il vit dans mes souvenirs. Et les souvenirs se racontent, même très longtemps après. Du 22 juin 1975 au 22 juin 2025, je me suis dit qu’il y avait prescription et que je pouvais partager cette histoire, entre faits et méfaits, qui dit au fond quel enfant j’étais et aussi quel adulte, fidèle à ses jeunes années, je suis devenu.
Régis Ovion et son beau maillot de Champion de France
La semaine passée, j’ai été élu Président du Groupe Ouest. J’ai glissé une photo et un petit mot sur les réseaux sociaux. Des tas de messages me sont parvenus, sympas et encourageants, avec une question aussi : le Groupe Ouest, c’est quoi ? Bonne question en effet car le Groupe Ouest, c’est tellement de choses. C’est d’abord une aventure humaine, née de souvenirs et de rêves à partager. C’est un lieu où viennent des scénaristes de toute l’Europe et de plus loin pour travailler leurs récits au contact de personnes passionnées. C’est un endroit magique où je suis arrivé un jour d’avril 2019, invité par un ami, Paul Huon, qui en était le Président. Je m’interrogeais sur la suite à donner à ma vie, quelques mois après avoir quitté la vie publique. Ce jour-là, j’ai rencontré Antoine Le Bos, le directeur du Groupe Ouest, et nous avons échangé passionnément sur la diversité qui fait la richesse de l’Europe. Le cinéphile en moi s’est retrouvé. Quelques mois après, j’entrais au Conseil d’administration du Groupe Ouest.
J’ai envie de raconter toute l’histoire. Au tout début, il y avait Antoine Le Bos, scénariste à Paris, dont l’histoire est liée à la Côte des Légendes. Lorsqu’il était enfant, c’est à Brignogan qu’il venait passer ses vacances d’été auprès de ses grands-parents. Le temps a passé, mais ces souvenirs demeuraient, vifs, forts et inspirants. Lorsqu’il écrivait, Antoine revenait à Brignogan. Les promenades dans le sable le long de la mer libéraient l’imagination. C’est alors qu’Antoine imagine peu à peu un « ailleurs créatif » (selon ses propres mots), dédié au cinéma, dans le Nord-Finistère, loin de la centralisation parisienne, en pleine liberté. De cet « ailleurs créatif », il parle à quelques amis du coin. Et l’idée prend forme, comme le petit dossier qui la supporte, qu’Antoine Le Bos entreprend de porter aux politiques locaux. Vient le premier succès : le soutien de Pierre Maille, Président du Conseil général du Finistère. Et la constitution du Groupe Ouest en association en décembre 2005.
Il est ensuite des rencontres qui scellent un destin. La rencontre d’Antoine Le Bos avec Jean-Claude Simon, directeur de la communication du groupe Even et fondateur de Produit en Bretagne (le fameux petit phare), sera de celles-là. En 2005, le Groupe Ouest intègre l’incubateur de Produit en Bretagne. Avec Jean-Claude Simon, Antoine travaille sur la démarche de mécénat. Il sait aussi pouvoir compter sur le concours précieux de Tino Kerdraon, ancien député du Finistère vivant à Plounéour-Trez. En 2006, le Conseil général octroie au Groupe Ouest une aide financière qui permet le démarrage des activités et l’embauche d’une première collaboratrice en janvier 2007. Antoine Le Bos est alors le Président du Groupe Ouest. Tout le monde est basé au Folgoët dans les locaux de l’agence de développement de la Côte des Légendes. La première Sélection annuelle est mise en place avec un appel à projets en 2007 et les premiers accueils en résidence des auteurs se font en 2008.
De là vient le premier travail de réflexion sur le récit, axé sur la collaboration avec des collectifs d’auteurs. Comment écrire un scénario, comment conserver les spectateurs au cœur d’une histoire ? L’approche se veut pragmatique et fondée sur une multitude d’expériences à fédérer. Et ça marche : s’alimenter les uns les autres, sans partir du même endroit, mais en parlant de la même chose, c’est ce qui compte. Tout n’était pas gagné pourtant. Comment rendre le projet porteur sur la Côte des Légendes ? En l’incarnant dans un lieu symbolique. Un jour de 2009, Tino Kerdraon appelle Antoine Le Bos : un entrepôt d’échalotes est à vendre à la gare de Plounéour-Trez. C’était l’une des dernières exploitations agricoles de la commune. La communauté de communes du Pays de Lesneven et de la Côte des Légendes se porte acquéreur du bâti, puis le loue après travaux au Groupe Ouest. En 2012, le Groupe Ouest entre enfin dans ses murs.
Dès ses débuts, le Groupe Ouest a fait le choix de l’Europe des régions pour sortir de la seule logique française, viser plus loin, se faire connaître, nouer des alliances. Antoine Le Bos est engagé comme scénariste consultant au Torino Film Lab. Cette expérience lui donne l’expérience du travail à l’échelle européenne et des financements possibles pour les projets à venir. Patrice et Françoise Le Loup, habitants de Brignogan, mettent gracieusement à disposition du Groupe Ouest une maison à l’année pour l’équipe et une autre maison pour accueillir les auteurs en résidence. Patrice Le Loup deviendra plus tard le président du Breizh Film Fund. Sont aussi de ces années pionnières Claude Théard, ancien cadre d’IBM, et le papa d’Antoine, Alain Le Bos, ancien commercial dans l’informatique. Mobiliser l’expérience et l’énergie des nouveaux retraités, leurs réseaux et leur temps, ce sera une part du secret.
L’autre part du secret, ce sera le mécénat du Crédit Agricole à compter de 2009. La Bretagne est une terre d’amitiés, une terre de convictions et d’entrepreneurs aussi. Jean-Claude Simon s’ouvre de l’aventure du Groupe Ouest à son ami Jean Le Vourc’h, Président du groupe Even et du Crédit Agricole du Finistère, qui en parle à son tour à Paul Huon, responsable de la communication de la caisse finistérienne. Le mécénat est scellé. Les politiques régionaux se joignent à leur tour, mobilisés par Tino Kerdraon. Le Conseil régional de Bretagne rejoint le Conseil général du Finistère dans le soutien au Groupe Ouest. En 2009, Jean-Yves Le Drian, Président du Conseil régional, assiste à Lesneven à la projection d’un film coaché par le Groupe Ouest. Claude Théard devient Président du Groupe Ouest en 2009. Dix ans plus tard, c’est à Paul Huon, que Claude Théard transmet le relais. Et c’est à Paul Huon que j’ai succédé en ce mois de juin.
Chaque année passent à Plounéour-Trez des stagiaires et auteurs talentueux. L’Europe vient à Plounéour-Trez : l’Europe des auteurs, mais aussi l’Europe institutionnelle, avec un premier financement Interreg. En 2010, le Groupe Ouest est identifié dans un premier projet européen comme lead partner. Il répond à des appels à projets et se désengage du Torino Film Lab en 2016, à mesure que monte en puissance Less is more (LIM). LIM, c’est être à la fois lucide et positif sur l’état du monde, croire en la puissance des récits pour faire société. Les plus belles histoires ne sont pas toutes issues des écoles de cinéma. Elles viennent aussi d’esprits libres et curieux. Le pari de LIM, c’est soutenir ces cinéastes-là dans l’écriture de leur scénario. C’est renforcer la puissance des histoires qu’ils portent et qui les portent. LIM, c’est aussi une coalition pour un cinéma européen à l’écart des récits simplifiés et des super-héros, en lien avec la complexité et la compréhension du monde.
L’originalité du récit, la diversité du récit, le sens du récit, tout cela fonde l’engagement du Groupe Ouest. Avec LIM sont arrivés les workshops de pré-écriture, puis le Story Tank. A l’origine, seuls les Etats-Unis avaient réellement théorisé leur vision du scénario et la puissance du récit. L’Europe n’avait jamais vraiment souhaité s’emparer du sujet. Elle aurait dû pourtant, et elle s’y risque désormais, notamment par des initiatives originales comme le Story Tank et le travail plus récent sur le nouveau Bauhaus européen. Le but du Story Tank est l’échange entre professionnels du récit et chercheurs en neurosciences, sciences cognitives et sciences humaines au bénéfice des auteurs qui écrivent. Le Story Tank est né en 2019, comme une forme de département R&D du Groupe Ouest. Le Story Tank, par ses activités, remue, défie, challenge le Groupe Ouest, par un aller-retour continuel avec les auteurs coachés sur la Côte des Légendes. Il en est devenu l’aiguillon.
En 2008, le premier appel à projets avait conduit 6 auteurs au Groupe Ouest. Aujourd’hui, la Sélection annuelle attire plus de 300 candidatures. Une pré-sélection est opérée par un jury composé de professionnels de l’audiovisuel travaillant en Bretagne. La sélection finale est faite par des professionnels nationaux et internationaux. Les lauréats bénéficient du coaching des scénaristes-consultants du Groupe Ouest gratuitement, y compris durant les 4 sessions d’une semaine en résidence d’avril à décembre. D’autres candidats non-sélectionnés peuvent bénéficier du soutien de la SAS Groupe Ouest Développement via le financement de la formation professionnelle. Pour LIM, 300 candidatures sont reçues pour 16 projets sélectionnés. LIM apporte un accompagnement professionnel sur la conception de l’écriture. Cela se fait en résidence, à raison de 3 semaines dans l’année, de mars à octobre, et d’un suivi à distance entre les séances en résidence.
Le Breizh Film Fund, fonds de dotation du Groupe Ouest, se place dans la continuité de la Sélection annuelle et de LIM, joignant le financement privé au financement public pour permettre à des projets de voir le jour par l’avantage fiscal de la loi sur le mécénat culturel. L’objectif est de soutenir le cinéma indépendant européen et de faire émerger une création cinématographique issue de Bretagne. Le Breizh Film Fund a été créé en 2014 comme premier outil privé de financement du cinéma hors Ile-de-France. Nicolas Menard, Directeur-Général du Crédit Agricole du Finistère, avait alors injecté 1 million d’Euros par an sur 3 ans dans le Breizh Film Fund. Cela a considérablement aidé des sociétés bretonnes de production à s’engager dans des coproductions internationales. Cette dimension territoriale de la création était essentielle pour l’aventure.
Voilà l’histoire du Groupe Ouest, en route désormais vers ses 20 ans. Des succès, il y en a eu beaucoup. L’un d’entre eux, c’est celui du jeune cinéaste belge Lukas Dhondt, récompensé par le Grand Prix au Festival de Cannes en 2022 pour Close. Il y a eu aussi Divines, caméra d’or à Cannes en 2015, passé par la Sélection annuelle en 2013 (Houda Binyamina) et Les Innocentes (Anne Fontaine), qui a rassemblé plus d’un million d’entrées – un chiffre énorme pour la tranche Art et Essai – issu de la Sélection annuelle en 2015 et présenté au Festival Sundance aux Etats-Unis. Et tant d’autres films aussi. Ces succès ont été un tournant dans la reconnaissance du Groupe Ouest, quelque 10 années après sa création. Ils ont été des accélérateurs pour le nombre de candidats à la Sélection annuelle dès les années suivantes. A tel point qu’il est dur aujourd’hui d’imaginer la Côte des Légendes sans le cinéma … et le cinéma sans la Côte des Légendes aussi.
Cette aventure m’a aspiré et passionné. Chaque trimestre depuis 2019, j’ai pris le chemin de la Côte des Légendes. Et d’administrateur, je suis devenu Président. Je ne l’aurais pas imaginé. Il y a tant à construire, tant à raconter, notre histoire commune bien sûr, nos identités multiples aussi . Cette année, nous lançons La Fabrique des Mondes, avec le soutien d’Etat français dans le cadre des investissements d’avenir de France 2030. Notre objectif est de faire du Groupe Ouest le centre de recherche européen en pointe sur les nouvelles méthodes collaboratives en création de scénarios pour le cinéma, les séries et les jeux vidéos. La Fabrique des Mondes s’adressera aussi aux entreprises pour faciliter leurs propres récits, au monde de l’éducation pour aider les générations à venir à comprendre et pratiquer la richesse du narratif, et au défi écologique, car le monde de demain dépendra beaucoup de projets collectifs et de la capacité à les raconter et partager.
L’aventure, c’est un état d’esprit, une curiosité jamais assouvie. Le Groupe Ouest, ses permanents, ses collaborateurs, les 200 cinéastes qu’il forme bon an mal an – y compris durant le plus dur de la pandémie – n’a pas fini de surprendre. Dans l’entrepôt d’échalotes de la gare de Plounéour-Trez, au Café du Port à Brignogan, sur la plage ou le long de la mer à vélo se pense et s’écrit la suite avec Antoine, son équipe et le Conseil d’administration que je préside désormais. Dans la fidélité aux rêves des débuts, pour faire vivre la diversité des histoires, raconter la vie autrement, rassembler et passionner. En lien également avec l’évolution du monde, de la société et des technologies, sans jamais oublier que le cinéma et les séries sont des vecteurs puissants, communicatifs et contagieux d’humanité et de solidarité. En ces temps difficiles que traverse le monde, la création et l’imaginaire sont plus que jamais nécessaires. Pour cela, le Groupe Ouest et la Côte des Légendes ne seront jamais trop loin.
“Ce n’est pas une montagne, mais ce n’est plus une colline: c’est Garlaban”
J’écris ces quelques lignes depuis un petit bastidon perché dans la garrigue, à quelques kilomètres d’Aubagne. Le jour se lève à peine. La lumière, bientôt, inondera le jardin face à moi. J’avais longtemps rêvé de ce moment, de voir enfin les collines de Provence, de les arpenter, d’affronter les ascensions et les descentes sur les chemins caillouteux menant au Garlaban, là où passaient autrefois les mules et les chèvres. Comment tant d’autres enfants devenus grands, j’ai été bercé par les livres et les récits de Marcel Pagnol. Il y avait les dictées de mes instituteurs et sans doute aussi de mes professeurs de collège, puisées dans les souvenirs du jeune Marcel. Je les trouvais moins dures, moins piégeuses car les textes étaient si beaux. Et il y avait surtout ces livres formidables qui racontaient une enfance à flanc de collines, l’aventure, les émotions, un petit monde bien loin de mon Finistère et que je sentais pourtant proche de moi tant il était au fond universel. Pagnol a enchanté mes jeunes années. J’ai lu et relu La Gloire de mon père, Le Château de ma mère, Le Temps des secrets. Je m’en suis nourri, imaginant la puissance du ciel, le vol des bartavelles, les senteurs des plantes enveloppées par le vent. Je n’avais alors pas d’autres images que celles que les mots faisaient naître en moi.
Longtemps, j’avais nourri le rêve de venir jusqu’à la Treille, d’emprunter le chemin menant à la Bastide Neuve, cette vieille maison « neuve depuis bien longtemps », mais qui avait au début du XXème siècle le luxe inouï d’avoir l’eau courante, là où Marcel Pagnol vécut ses plus belles années, là où commençait la féérie, comme il l’écrivit dans La Gloire de mon père. J’avais envie d’aller voir Pagnol. Ce serait pour cette année, m’étais-je dit il y a quelques mois. J’ai vécu ces quelques jours en Provence comme un pèlerinage. Je me suis arrêté au cimetière, j’y ai vu aussi la tombe de Lili des Bellons, toute proche de celle de Pagnol. Lili, son ami des collines, tombé au champ d’honneur un jour de 1918. Je me suis laissé bercer par mes souvenirs de ses souvenirs. Mes enfants étaient avec moi. Ils ont commencé à leur tour à lire Pagnol. Nous avons trouvé la Bastide Neuve. Une porte était entrouverte, laissant apercevoir une vieille cheminée. Quelques personnes échangeaient. Une dame vint vers nous. « Je suis ici avec Nicolas Pagnol, le petit-fils de Marcel », nous dit-elle. « Voulez-vous entrer ? », ajouta-t-elle. Et c’est ainsi que nous avons découvert l’intérieur de la Bastide Neuve, émus, intimidés, émerveillés aussi. « Les fusils au mur, ce sont ceux de l’Oncle Jules ? », demanda à la dame mon petit Pablo.
Observant mes enfants, curieux et heureux, j’ai compris que l’œuvre de Marcel Pagnol est une transmission. Le temps peut filer et les générations avec lui, l’émotion demeure. J’aime Pagnol pour sa simplicité, la poésie des mots, la tendresse des souvenirs, l’amour d’une région. Je me souviens de ce jour d’avril 1974, lorsque la télévision annonça sa disparition. J’étais chez ma grand-mère. J’avais 9 ans et je lisais ses livres. De lui, je ne connaissais pourtant qu’une photo, celle d’un vieil homme au visage doux. Il était mort à Paris, disait la télévision. Mais que diable y faisait-il, avais-je alors pensé. Pour moi, Pagnol ne pouvait qu’habiter la Provence dont il parlait si bien. J’ignorais tout de sa vie d’après les collines, des pièces de théâtre, des films et de l’Académie Française. Je n’ai découvert cela qu’après, à l’adolescence, lisant passionnément Topaze, Marius, Fanny, puis voyant sur France 3, tard le soir, les premiers films comme César, Merlusse, La Femme du boulanger ou La Fille du puisatier. Et bien sûr Manon des Sources, première version, avec son épouse Jacqueline comme héroïne et Rellys en Ugolin aussi tordu que vrai. Le noir et blanc rendait merveilleusement la force des paysages et la lumière du ciel. Le jeu des acteurs, de Raimu à Fernandel, de Fresnay à Orane Demazis était bouleversant.
C’est tout cela que j’ai retrouvé au cours de ces journées dans la garrigue, bercé par les émotions. Il y a des bonheurs inestimables car ils remontent à loin. Je crois qu’avoir lu Pagnol et le lire toujours m’a aidé dans l’exploration de l’âme humaine, de ses tourments et de la bonté, dans la découverte de l’empathie, de l’humour et des sentiments aussi. Il y a un Pagnol pour tous les âges, y compris celui qui est le mien aujourd’hui. Je serais heureux de revoir les films et entendre à nouveau les sermons des curés. Le fils de l’instituteur prêtait des mots formidables aux curés. Il y a dans son œuvre un humanisme délicat, mêlant le meilleur de la laïcité et de la foi. A l’image de Jean de Florette qui creusait dans la détresse un sillon dans la terre aride des collines, c’est un profond sillon que Marcel Pagnol a tracé pour longtemps, pour toujours en moi. Les émotions demeurent. Demain, la voiture reprendra la route de la Belgique, laissant à regret derrière elle le Garlaban, la Treille et la fontaine de Manon. Je reviendrai. J’ai ressenti ces derniers jours que cette visite si longtemps rêvée en appelait bien d’autres, sur les chemins d’une œuvre et d’un homme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et dont je sais qu’il me restera toujours beaucoup à découvrir.
Merci l’école !
Dans quelques jours viendra la fin de l’année scolaire à l’école primaire de la rue Berkendael à Bruxelles. Les cartables bien chargés passeront une dernière fois le portail avant l’envol joyeux et tant attendu vers les grandes vacances et vers l’été. Il y aura des cris de joies, des sourires, des embrassades, et puis quelques larmes sans doute aussi. Ce moment sera particulier pour ma petite Mariana. Après ses frères il y a trois ans et il y a un an, elle quittera à son tour l’école primaire. Ce ne sera pas sans émotion pour elle et également pour nous, ses parents. Clore le chapitre de l’école primaire, c’est dire au revoir à un bout d’enfance, à des maîtres, à des amis, à des tas de souvenirs. C’est un moment que l’on n’oublie pas et qui reste particulier au cœur d’une vie. J’ai retrouvé dans la mémoire de mon IPhone la photo du premier jour de Mariana à l’école européenne de la rue Berkendael. Elle entrait dans la section maternelle. Elle avait 4 ans et un visage timide. C’était il y a bientôt 6 ans. Ce soir, j’irai la chercher à l’école pour faire la photo du dernier jour au même endroit qu’en septembre 2019. Il s’est passé tant de choses en 6 ans. Mariana a beaucoup appris, étudié, lu, joué aussi. Elle a aimé son école. Elle était heureuse d’y aller chaque matin, avec quelques livres et cahiers, et son fidèle ballon en mousse pour les matches acharnés de foot de la cour de récréation, nécessairement plus épiques que les dictées.
Mariana m’a confié il y a peu qu’elle était triste de partir, laissant entrevoir un instant toute l’émotion qu’elle réfrénait. Je l’ai consolée et je lui ai raconté mon propre départ de l’école primaire, il y a un temps bien lointain. J’étais heureux de grandir et de filer vers le collège, mais peiné aussi car je pressentais, quelque part du haut de mes 10 ans, que c’était des personnes exceptionnelles que je m’apprêtais à quitter, qui m’avaient apporté le meilleur, des savoirs fondamentaux à leur passion simple et contagieuse d’enseigner, de partager et de transmettre. Je n’ai jamais oublié mes maîtres et j’eus cet insigne bonheur, une douzaine d’années après, de revenir à l’école comme jeune journaliste pour le départ en retraite de mon instituteur de CM2 (www.pyleborgn.eu/2021/03/a-mon-maitre). Il ne s’y attendait pas. C’est un moment émouvant, ancré dans mon mémoire. Je crois que l’on reste marqué à jamais par ses années d’école, par les amitiés enfantines et par la reconnaissance qui viendra à la mesure du temps. Les enseignants sont des héros à qui l’on ne dit jamais assez merci. Ils donnent tant d’eux-mêmes. Enseigner, c’est confier à des enfants à l’origine inconnus la meilleure part de soi-même, celle qui révèle la vocation. Et s’il y a quelques larmes qui coulent un dernier jour d’école, ce sont aussi parfois celles des maîtres au moment de voir s’en aller leurs élèves sur le chemin de la vie.
Mathieu, Justine, Gwen, Gilles, Mélanie, Tina et Emilie, Mariana ne vous oubliera pas. Je crois bien qu’elle reviendra vous voir pour vous donner des nouvelles. Le chapeau de la cérémonie de clôture, un peu ramolli par la pluie, trône déjà sur l’étagère de ses souvenirs, comme les photos de classe aux visages poupins et souriants, année après année. Une école, c’est aussi une communauté, les surveillants, l’infirmière, les animateurs de la garderie, la cantine, la direction. Et le merci est pour eux, pour elles, pour tous. L’avantage par rapport aux générations d’avant, c’est que les photos ne se font plus aussi rares, qu’elles s’échangent et se partagent. Et il y a aussi des films, des enregistrements, des voix, des chants, des rires qui résisteront au temps. Pendant toutes ces années à l’école de la rue Berkendael, j’ai entendu parler du petit renard qui vivait au fond de la cour, là où la végétation se fait plus dense. J’ai du mal à imaginer que l’on n’en parlera plus. Les nouvelles continueront à fuser. Une page se tourne pour Mariana et ses amis, mais le livre est encore long. Nous nous souviendrons d’une communauté unie, celle qui a su aider les enfants durant l’épreuve des confinements et de la pandémie, celle qui a su, à nos côtés, leur parler, pour avancer, pour apprendre et aussi pour aimer. Merci l’école, et à bientôt !