
Lorsque j’étais parlementaire, nourri par mon expérience en Allemagne et par la connaissance que j’y avais acquise des entreprises de taille intermédiaire – le fameux Mittelstand – l’idée d’attirer l’attention comparative sur les freins au développement des PME et des ETI en France et en particulier sur le traitement fiscal de leur transmission m’était venue. J’avais pris rendez-vous avec le Secrétaire-Général de l’Elysée de l’époque, Jean-Pierre Jouyet, et j’étais allé lui en parler. J’en avais fait de même dans les couloirs de l’Assemblée nationale avec le ministre de l’Economie, un certain Emmanuel Macron. Ce sujet n’était pas très populaire au sein du groupe socialiste dont j’étais membre. J’en avais pris acte, tout en le regrettant. J’aime l’entreprise, l’initiative, la liberté. Je suis convaincu du rôle essentiel de l’entreprise dans notre économie, pour la création de richesses et aussi le partage de celles-ci. J’avais été un homme d’entreprise avant d’être député. Je le suis redevenu quand a pris fin ma vie publique. Il y a différentes formes, vies et réalités d’entreprises. La France ne compte pas assez d’ETI. Ce sont ces entreprises, par leur taille intermédiaire et leur intégration dans les territoires, qui irriguent le plus profondément l’économie. Il faut les protéger, les encourager, les soutenir.
J’écris cela dans le contexte des échanges sur la taxe Zucman. Je ne nie aucunement la nécessité de faire davantage contribuer les « ultra-riches » à l’effort national dans le contexte de grave crise des dépenses publiques que traverse la France. Je pense que ce surcroît de contribution s’impose, tant pour les recettes fiscales qu’il s’agit de trouver que par le souci d’équité et de justice qu’il exprimerait. Il est impératif de vouloir entendre les colères et les souffrances de ceux à qui l’on demande de payer toujours davantage, en particulier la classe moyenne, face à l’optimisation fiscale indécente pratiquée par les plus riches. La dégressivité de l’impôt pour ceux qui ont le plus est démocratiquement, socialement, moralement insupportable. Le dispositif imaginé par Gabriel Zucman reviendrait à taxer à hauteur de 2% les patrimoines, y compris professionnels, excédant 100 millions d’Euros. L’idée peut apparaître séduisante à première vue, mais elle ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Les propriétaires d’entreprises de type PME et ETI ont un patrimoine constitué d’actions. Or, ces entreprises ne sont pas cotées et le patrimoine n’est guère liquide. Doit-on d’ailleurs considérer comme patrimoine une valorisation virtuelle d’entreprise, une simple promesse de richesse ? Je pense que non.
On ne peut taxer une richesse qui n’est que potentielle. Une part des propriétaires, notamment dans les start-up, ne pourraient payer la somme demandée et seraient donc contraint de vendre pour pouvoir l’acquitter. Tant mieux, assurent certains politiques qui ne connaissent rien à l’entreprise, à la stratégie et à la concurrence internationale. La vérité pourtant, c’est que vendre revient à mettre le capital et donc l’entreprise en péril, à risquer la perte ou la fuite de pépites nationales, à ignorer l’attente prédatrice de grands groupes étrangers qui achètent à bas prix et partent cyniquement avec le savoir-faire, les brevets, tout ce qui constitue la vraie richesse de l’entreprise. Et ce serait aussi décourager l’entrepreneuriat au moment critique où la France, frappée par un début de XXIème siècle de lourde désindustrialisation, doit redresser fermement la barre et travailler à son attractivité dans l’ensemble de ses territoires. Je regrette que cette réalité-là, que je connais dans le monde des PME et ETI, soit ignorée, si ce n’est balayée par des affirmations péremptoires. Le débat des dernières semaines a totémisé la taxe Zucman, au point qu’en pointer les dangers, serait désormais défendre les privilèges, se coucher, être de droite, n’avoir pas de cœur, etc. Ce manichéisme est malsain.
Il existe bien d’autres moyens de faire contribuer les « ultra-riches » qu’une taxe qui fragiliserait une part essentielle de l’économie française, menacerait l’activité et dont on peine au demeurant à évaluer le montant du produit. Une réforme gagnerait par exemple à être entreprise sur les facilités fiscales consenties pour les successions. Des patrimoines considérables échappent ainsi à l’impôt dans le cadre successoral. Si l’on veut encourager le travail – et il le faut – ne serait-il pas juste de s’interroger sur tout ce qui bénéficie excessivement à la rente en France et creuse, génération après génération, les inégalités sociales davantage encore ? C’est une piste. Il y en a sûrement d’autres, comme le relèvement de la flat tax. Nous traversons une période moche, où l’idée même de rechercher l’équilibre entre la justice fiscale et l’activité économique est dépeint comme un renoncement, une lâcheté, un scandale, que l’on écoute Jean-Luc Mélenchon d’un côté ou Bernard Arnault de l’autre. Cette caricature n’est pas seulement vaine, elle est à terme mortifère. La France ne peut vivre dans l’ignorance de ses faiblesses, lourdes de menaces pour son avenir, et toute réponse doit être un compromis, y compris entre la réduction des dépenses publiques et l’effort demandé aux « ultra-riches ».
Ma conviction est que l’acceptabilité est la clé de tout. Il n’y a plus de place pour la nuance, pour les arguments et les contre-propositions. Je pense que la taxe Zucman est une fausse bonne idée. Je ne sais si c’est entendable. Je l’espère, sauf à désespérer de tout. Il n’existe aucune solution miracle qui effacerait par bonheur tous les malheurs du monde et dispenserait d’agir lucidement, en responsabilité. La misère de notre pays en ces temps redoutablement difficiles, c’est l’incapacité d’aller chercher ensemble une solution alors que tout cependant le requiert, y compris l’arithmétique parlementaire. Il y a au Parti socialiste des gens qui connaissent les écueils de la taxe Zucman, mais qui les taisent par logique politique. Il y a à droite des gens qui admettent la nécessité de justice fiscale, mais qui ne l’assument pas par clientélisme. Les postures l’emportent sur la raison, au risque d’envoyer le pays dans le mur. On crève de tout cela. Il est temps pour les acteurs du débat publics, élus, partis politiques, partenaires sociaux de changer de logiciel. Si la confrontation démocratique est saine, la volonté de s’accorder sur un chemin commun au nom de l’intérêt national l’est tout autant. Les circonstances nous appellent sans tarder à cette maturité-là.
Une réflexion équilibrée qui mérite qu’on s’y arrête. Comme lui, la “totémisation” n’est pas mon fort, pas plus que toute mesure apparemment simple arithmetiquement ou sur d’autres sujets de bon sens. Il faut impérativement reprendre le chemin de la justice fiscale et les “ultra riches” doivent contribuer en % comme tout autre contribuable et être empêchés d’échapper à toute ou partie de l’impôt grâce à l’optimisation fiscale avec l’aide d’une batterie de fiscalistes qui usent (et abusent) de toutes les failles de notre système. Il est plus que temps de s’y attaquer. N’ayant ni le bagage économique de Gabriel Zucman, ni l’experience professionnelle de mon ex collègue de groupe à l’Assemblée, j’ai donc lu et l’argumentaire du premier et lu avec un grand intérêt le second. Son argumentaire apporte au débat. Je lui adresse ici un salut amical et je partage son post..
Un grand merci pour ton commentaire, cher Gérard. J’ai hésité avant d’écrire ce post car j’avais crainte qu’il soit mal compris. Le débat est tellement polarisé autour de la taxe Zucman que le fait d’émettre des interrogations ou des doutes est perçu comme une opposition de principe à l’idée de la contribution accrue des “ultra-riches”. Ce n’est aucunement ma position. Je souhaite cette contribution accrue et j’espère que le débat parlementaire permettra de définir un mécanisme qui produise des recettes utiles et qui soit juridiquement solide, sans menacer les PME, ETI et autres start-up que la France doit s’attacher à protéger, encourager et développer. Il en va de la réindustrialisation nécessaire et incontournable pour sortir de la difficulté qui affecte notre économie depuis le tournant du siècle. Au plaisir de te revoir, cher Gérard! Bien amicalement à toi.