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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Revoter pour mes idées

Il est tard ce dimanche soir. La nuit enveloppe le TGV qui file vers la Bretagne. L’hiver vient et avec lui son cortège de jours courts et d’incertitudes. Je n’ai jamais vraiment aimé cette période de l’année. Les fêtes sont encore lointaines. C’est la saison des budgets, ceux des entreprises, ceux de l’Etat aussi. Etablir un budget n’est jamais facile, le voter ne l’est pas davantage. J’ai le souvenir de jours et de nuits dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, votant des amendements à la chaîne jusqu’aux aurores, cuit de fatigue comme la plupart de mes collègues. Je mesure la responsabilité des parlementaires en cet automne de tous les dangers face à des finances publiques lourdement dégradées et en l’absence de majorité pour le gouvernement. Sans doute cette équation budgétaire est-elle la plus difficile de la Vème République. La politique est affaire de passions et de convictions, de responsabilité et de sens de l’Etat aussi. Peut-on imaginer que la France, avec ses déficits et son endettement, termine l’année 2024 sans budget pour 2025 ? Que le gouvernement, renversé ou pas, démissionnaire ou pas, se retrouve contraint en janvier de tenter de faire appliquer – chose inédite – le budget par ordonnances, faute d’avoir pu en obtenir le vote par le Parlement ? La question peut apparaître folle et elle est pourtant désormais réelle.

J’ai le sentiment que notre pays peut partir à vau-l’eau demain. La dégradation des finances publiques est un échec politique majeur. Nous, Français, jouons très gros en ces ultimes semaines de 2024. Il en va de la croissance de notre économie, de la compétitivité de nos entreprises, de nos emplois, de nos salaires, de notre pacte social, de notre vivre-ensemble. Personne, sans doute, y compris même le Premier ministre, ne trouvera le projet de budget pour 2025 idéal. Il est le reflet des circonstances et d’une bien trop faible marge de manœuvre. Il y a des dispositions dans ce budget que je n’aime pas, autant dans les recettes que dans les dépenses d’ailleurs, et qu’en temps ordinaires, si j’étais encore parlementaire, je tenterais de corriger. Mais les temps ne sont plus ordinaires, ils sont terriblement périlleux pour la France et pour nous tous. La perspective de la censure du gouvernement et donc de son renversement par les oppositions à l’Assemblée nationale devient réelle et peut-être même probable. Elle m’effraie, par-delà l’appréciation sur le budget, car il n’existe aucune alternative en l’état de l’arithmétique à l’Assemblée nationale pour conduire une politique fondamentalement différente de celle que met en œuvre Michel Barnier. Prétendre l’inverse serait un déni de vérité.

J’espère ainsi que la censure ne sera pas votée par l’Assemblée, même si le Rassemblement national décidait de s’y rallier. Il faudrait pour cela que les députés socialistes choisissent enfin de rompre avec La France Insoumise. J’espère qu’ils auront ce courage. J’ai quitté le PS en 2017, mais l’espace politique de la gauche de gouvernement demeure le mien. La famille socialiste a pour elle d’avoir exercé les plus éminentes responsabilités de l’Etat, d’avoir affronté des situations de crise, d’avoir tenu bon pour protéger la France et les Français, d’avoir su se dépasser lorsque les circonstances l’exigeaient. Elles l’exigent aujourd’hui à nouveau. Il est urgent d’éviter à la France une crise financière et une crise de régime, dont les plus fragiles et les plus humbles de nos compatriotes seraient les premières victimes. La France doit être gouvernée, elle doit être prémunie d’une envolée funeste des taux d’intérêts, elle doit conserver à l’échelle européenne et internationale une voix écoutée et influente. Tout cela, elle le perdrait si demain, sans budget ni gouvernement, 2025 devenait pour notre pays un saut dans l’inconnu. La censure ne se vote pas au bénéfice du vide, sans autre alternative que l’incantation ou le calcul. Et encore moins pour organiser l’empêchement du Président de la République et forcer sa démission.

Sur ce blog, j’ai explicité mon vote en 2017 et 2022 pour Emmanuel Macron. En 2017, j’ai voulu voir en lui l’héritier des idées de Michel Rocard qui avaient tant influencé mon cheminement politique. Je me suis trompé. Macron n’est pas Rocard. En 2022, j’ai à nouveau voté pour lui car le « quoi qu’il en coûte », en réponse à la pandémie, avait été pour moi un temps social-démocrate. Aux autres élections, j’ai voté pour la gauche de gouvernement, la gauche républicaine, la gauche laïque, celle que porte par exemple Loïg Chesnais-Girard en Bretagne, ma région. Ma gauche n’est pas celle de LFI. Elle en est même rigoureusement aux antipodes. Que le PS en soit réduit à l’état de vassalisation par rapport à Jean-Luc Mélenchon m’afflige. Comment peut-on partager un quelconque combat avec LFI, qui vote pour la suppression de la contribution financière de la France à l’Union européenne ? Ou qui dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour abroger le délit d’apologie du terrorisme ? Je suis orphelin d’une offre politique qui placerait le progrès social, la croissance décarbonée et l’ordre public au cœur de l’action. Je ne peux me résoudre à ce que l’avenir soit dans un second tour mortifère entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, garantie de l’élection haut la main de cette dernière.

J’ai envie de revoter pour mes idées, de militer pour elles, de construire avec d’autres cette offre politique dont je rêve. J’en ai assez de faire barrage. Je comprends pourquoi des millions de gens se sentent floués par les résultats des élections législatives de l’été dernier. Personne n’a gagné et ce n’est pas normal. Une élection doit désigner des vainqueurs. Or, il n’y en a pas eu. A toujours voter utile et donc pour d’autres pour préserver la République, c’est la lisibilité des scrutins et leur acceptabilité qui disparaissent. C’est un poison pour la démocratie. Il faut que cela change. On pourrait disserter à l’infini sur l’immaturité du débat politique français, l’absence de culture de coalition, les calculs communautaristes de Jean-Luc Mélenchon et la xénophobie du Rassemblement national. Tout cela est juste, mais vain tant il y a le feu. Ce n’est pas être grand clerc que de prédire que l’actuelle législature n’a pas d’avenir. Elle pourrait approuver deux textes : le budget pour 2025 bien sûr, et une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives. Je plaide pour une représentation proportionnelle à l’échelle départementale, qui permette de redistribuer les cartes, de voter pour ses idées et de forger ensuite, en transparence et responsabilité, un contrat de gouvernement au service des Français.

On a beaucoup moqué le soi-disant « vieux monde ». C’était injuste et hors de propos. La crise des gilets jaunes a montré, s’il le fallait, que l’avenir de la France ne se décrétait pas d’en haut avec toute l’humanité d’un tableur Excel. Il faut connaître la France et sa diversité, territoriale, générationnelle, économique, humaine pour prétendre la changer. On ne réforme pas la France contre les Français, sans vouloir les convaincre, sans accepter d’être convaincu par eux aussi. Le déni de galère et l’indifférence sociale sont, à raison, ressentis durement et injustement. J’aime la formule de François Ruffin sur les bourgs et les tours. C’est la réalité de la France, de ses richesses et de ses peines, de ses attentes et de ses colères. On ne peut opposer une France à une autre, on ne peut en écarter une pour l’autre, par mépris, calcul ou haine. Il faut des tripes et de l’émotion pour écrire une nouvelle page du récit national, une page qui rassemble et qui engage. La politique n’est pas un situationnisme. Elle doit retrouver valeur d’idéal. J’ouvre souvent les livres un peu jaunis de ma bibliothèque. Il y a Rocard, Mendès France, Delors aussi. J’ai retrouvé il y a peu un petit mot manuscrit de Pierre Mauroy. Ce temps-là avait de l’allure. Il ne reviendra pas, mais les idées demeurent pour demain. Il n’en tient qu’à nous.

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Saurai-je un jour être sage ?

Bréhat, novembre 2024

Je suis entré hier dans une nouvelle décennie. Il n’y avait plus assez de place sur le gâteau pour les nombreuses bougies désormais nécessaires et le pâtissier de l’île de Bréhat ne m’en avait finalement donné qu’une seule, belle et symbolique. C’était mieux. C’est l’âge de la sagesse, paraît-il. Mais saurai-je un jour être sage ? Si c’est ne plus oser, vivre précautionneusement, sans âme ni sel, ce ne sera pas moi. Si c’est en revanche ne jamais cesser d’avoir envie, d’agir et d’aimer, alors ce sera moi. Je n’ai jamais eu peur de voir les années défiler. En 2020, dans la nuit d’un autre 4 novembre, au bord de l’océan à l’Ile-Tudy, j’avais écrit un petit texte pour mon blog que j’avais intitulé Le temps qui reste. Là est en effet le sujet : il y a tant de choses que je souhaite faire qu’il faudra que ce temps-là soit vraiment long. Je compte bien m’y employer. Il faut avoir la forme, bouger, ne jamais manquer d’idées, de projets, d’enthousiasme et de rêves. Il faut surtout ne rien s’interdire, et notamment d’être heureux. Au commencement, il y avait certainement la joie de vivre. Elle m’habite depuis le premier jour. Je la tiens d’une enfance simple et tendre, de l’éducation reçue de mes parents, et d’une grand-mère qui avait su dépasser toutes les misères de la vie pour en voir et, plus encore, en vivre le meilleur.

La vie est une succession d’époques. Il y a 10 ans, j’ai eu 50 ans. Je revois encore la photo, dans la cour de l’Assemblée nationale. J’avais connu des années de conquête, professionnelle, politique, familiale. Celles qui suivirent furent différentes. J’ai eu le chagrin de perdre mon père. J’ai quitté la vie publique, ou, plutôt, elle m’a échappé. J’ai vécu la solitude des revers de fortune, quand le téléphone ne sonne plus guère, que la boîte mail reste vide, et que certaines amitiés – ou relations que je croyais telles – s’évaporent. Dans le succès, on est toujours entouré. Dans l’infortune, on est bien seul. Ce fut pour moi une rude et utile leçon de vie. La cinquantaine fut ainsi un parcours de résilience. J’ai fait le dos rond. Je me suis reconstruit. Je me suis occupé de mes enfants. J’ai appris à cuisiner. Je suis devenu un pro du spinning dans ma salle de sport. J’ai créé mon entreprise et je suis reparti humblement sur la route. J’ai enseigné. J’ai écrit. J’ai crapahuté dans des coins aussi perdus que magnifiques, de vie et de générosité d’âme, et j’ai surtout rencontré des femmes et hommes dont l’humanité, la personnalité et les passions m’ont marqué. Je me suis rendu compte à quel point, finalement, j’aimais les gens. On ne vit pas sans chaleur, sans communion de pensée et de projets, sans les autres ou contre les autres.

C’est fort de cette histoire que j’aborde le temps qui vient. Il y a tant de belles causes à rallier. Mes ultimes années professionnelles sont pour la planète, pour réussir la transition énergétique et écologique, sans sacrifier la croissance ni la justice sociale. J’aime ce que je fais, en Savoie, à Bruxelles, en Bretagne et ailleurs. Dans quelques jours, je partirai pour les Açores, imaginer et agir pour des îles laboratoires du monde décarboné de demain. C’est possible. Il faut y croire, ne jamais cesser d’inventer, d’innover, d’investir, de travailler et de convaincre. Le pire n’est probable que si l’on renonce. Il m’arrive de regretter ce temps où les réseaux sociaux n’existaient pas et que les prophètes de malheur et autres porte-paroles de la sinistrose étaient réduits à une vie groupusculaire. Aujourd’hui, ils ont un boulevard pour la désinformation et la haine de l’autre. Ils ont leur rond de serviette sur des chaînes de télévision abrutissantes et des réseaux planétaires devenus toxiques. L’avenir ne peut être cela. La connerie ambiante n’est pas fatale. C’est par l’exemple qu’il faut s’y attaquer, par les valeurs, par les projets, par les succès concrets et surtout partagés. Cette dimension de partage et d’inclusion m’est chère. Notre société n’est pas une somme d’individualités, elle est un destin commun qu’il nous faut faire vivre.

J’aime la liberté. Et la solidarité. Je n’oublie pas que je suis né le jour de l’élection de Lyndon Johnson à la Présidence des Etats-Unis. C’était il y a 60 ans, un grand mandat, des réformes pour tous les Américains. Aujourd’hui, une autre élection se tient. J’espère la victoire de Kamala Harris, d’abord pour la démocratie américaine. Que l’on puisse, comme le fait Donald Trump, menacer de saper les fondements de la constitution de son pays si le suffrage ne lui souriait pas est effrayant. J’ai peur pour nos démocraties, là-bas et chez nous. La violence verbale gangrène le débat public. Les insultes tiennent lieu d’arguments. Essentialiser un adversaire – le juif, l’arabe, le chrétien – devient normal. Le communautarisme prospère. Que reste-t-il donc de l’universalisme ? Je tiens à la République, à la laïcité et j’ai envie de me battre pour cela. L’Etat de droit, la démocratie, la liberté sont un héritage formidable qu’il faut protéger, développer et transmettre. Au regard des défis de nos sociétés et du monde, ce n’est pas de moins de démocratie dont nous avons besoin, mais de bien plus. En inventant des formes nouvelles d’échanges et de décisions collectives, en sécurisant nos processus électoraux contre les menaces étrangères et la pression des intérêts particuliers, en formant la jeunesse à la citoyenneté.

Tout cela, au fond, n’est guère sage. Ma vie de sexagénaire ne se voudra pas reposante, mais entreprenante. Et elle sera drôle aussi. Je revendique de rire et peut-être également de faire rire. Se marrer est recommandé. On ne vit pas longtemps sans joie. Et puis il y aura du sport. Un jour, je partirai grimper les cols mythiques du Tour de France à vélo. Je ferai le Tourmalet, le Ventoux, le Galibier, l’Izoard. Quand les enfants auront grandi, je prendrai le chemin de Saint-Jacques de Compostelle au départ de Vézelay et je leur raconterai tous les soirs mon aventure. Mais avant qu’ils ne grandissent de trop, nous retournerons ensemble en Amérique et la traverserons d’est en ouest, vers la Californie et mes souvenirs de jeunesse au bord du Pacifique. Peut-être bien aussi que nous irons voir les ours – ma secrète passion – au Canada ou dans les Carpates. Il y aura des grands matches de la Ligue des Champions dans des stades mythiques, des séjours émus sur les traces provençales de Pagnol, des tas de bouquins à lire et quelques-uns à écrire aussi. Avoir 60 ans, c’est avoir envie de tout cela et se préparer à l’accomplir. Et il y aura toujours ce petit blog sur lequel je continuerai de confier mon histoire, pour que la mémoire demeure, que vivent les idées et les rêves, et que l’avenir reste plus que jamais à écrire.

4 novembre 1966

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Ces séries que j’ai aimées

O sabor das margaridas, une série galicienne qui m’a passionné

Les longues semaines de confinement il y a bientôt 5 ans ont fait de moi un amateur de séries. J’avais mes livres – et j’en lis toujours beaucoup – mais j’avais besoin, pour tromper ces journées si particulières qui allaient marquer durablement le cours de nos vies, de voir de l’action, des images, des intrigues. Nous étions à résidence dans nos maisons, réduits à observer l’extérieur, à rêver d’y sortir sans crainte, et les séries étaient comme une bouée, une petite lucarne sur la vie soudainement devenue lointaine. Avant cela, j’avais regardé comme beaucoup quelques titres iconiques, parmi lesquels House of Cards et Borgen, sans cependant m’attacher au format ou au rendez-vous du soir, lorsque la maison s’endort et que le jingle de Netflix peut retentir presque mystérieusement. J’y suis venu de loin en loin, au fil de l’eau dira-t-on, captivé par une histoire ou des personnages, la force d’un scénario ou la puissance insoupçonnée de dialogues. Ainsi, sans en prendre réelle conscience, j’ai reporté peu à peu une part de mon besoin d’imaginaire sur le catalogue des plates-formes, là où le grand écran et les salles obscures avaient longtemps été inégalés. J’avais injustement l’idée que les séries étaient une création de moindre niveau et l’expérience, en vérité, m’a donné tort.

Toutes les séries ne sont certes pas géniales. Il y a pas mal de trucs décevants, voire nuls, mais j’ai vu des séries surprenantes qui m’ont réellement touché. Au mois de mai, j’avais écrit sur ce blog un petit post sur le moment que j’avais passé dans un bar tout simple de Madrid, lieu du tournage de la série Entrevias. J’avais adoré ma petite demi-heure devant un cafe solo, entouré d’habitués du quartier comme dans la série elle-même. J’avais eu envie de voir cet endroit qui m’était familier depuis mon salon à Bruxelles. J’ai l’impression aussi que cette découverte des séries m’a fait faire un tour d’Europe. Je fuis la violence et les scénarios par trop hollywoodiens. Cela m’a conduit vers des séries moins spectaculaires et tellement plus profondes en Finlande, en Suède, au Danemark, en Pologne, en Belgique, au Luxembourg, au Royaume-Uni, en Irlande et en Espagne, toujours regardées en version originale. Et au fond, de séries françaises, je n’en ai vu guère. Il y avait Marseille avec Depardieu et une autre, Le Chalet, que j’ai revue deux fois tant le scénario m’avait bluffé. Pourquoi la France est-elle moins profilée pour les séries que les pays scandinaves ou l’Espagne, par exemple ? Je ne le sais pas vraiment. A l’inverse, la création de certains pays ou de certaines régions comme la Galice m’impressionne.

On croise parfois dans les séries des actrices et acteurs venus du cinéma, mais la plupart des comédiens sont plus fréquents à la télévision. Je me souviens il y a quelques années qu’Alvaro Morte, l’interprète du personnage connu comme El Profesor, le cerveau de La Casa de Papel, ne faisait plus trois pas dans la rue sans déclencher des scènes d’hystérie collective. J’ai adoré La Casa de Papel. Je crois bien que je n’avais jamais vu un tel scénario et une mise en scène aussi impressionnante. Mais cette histoire m’a fait toucher du doigt aussi une interrogation à laquelle je n’ai pas de réponse : comment finir une série ? Les premiers moments de La Casa de Papel sur Antena 3 en Espagne n’avaient pas frappé l’opinion. Le succès national, puis planétaire n’est venu qu’après. Il fallait s’accrocher, se laisser emporter par une intrigue a priori incertaine. La série doit-elle être un filon que l’on exploite jusqu’à l’épuisement ? Je pense que non. La mort de Nairobi, puis celle de Tokyo dans La Casa de Papel ont choqué et peiné, comme si les scénaristes avaient fini par manquer d’idées et décider que pour durer, la violence devait nécessairement s’imposer ou le caractère des personnages changer du tout au tout, jusqu’à l’invraisemblance. Une série est tellement meilleure lorsqu’elle se termine sans suite ni retour.

C’est une ambiance, une atmosphère particulière que je recherche et que j’aime dans une série. Je pense au côté glacé et sombre de Deadwind, une série finlandaise qui m’avait captivé il y a un an ou deux. Ou à l’incertitude crispante qui règne dans Quicksand, une série suédoise adaptée du roman de Malin Persson Giolito, une amie de Bruxelles. J’ai besoin de me sentir pris, captivé par l’atmosphère. Peut-être est-ce là l’une des forces des séries. L’atmosphère s’y crée mieux par la longueur que dans un film. Un moment décisif peut aussi donner corps à une création. Il y a peu, j’allais abandonner la série espagnole La Sagrada Familia, que je trouvais poussive, lorsque deux scènes d’amour parallèles, inattendues et magnifiquement filmées sur la musique du tube Voyage, Voyage de Desireless m’ont maintenu devant l’écran et convaincu d’aller au bout. Ces 3 ou 4 minutes hallucinantes et surprenantes renversent un scénario improbable. Rien au fond ne doit être prévisible, ni des rythmes d’une histoire, ni de son déroulé. Et c’est peut-être là que les séries sont des créations encore jeunes, des champs entiers de réflexion à investiguer quant à l’art et la diversité des récits, les nombreuses manières de les faire vivre, la diversité formidable des styles, entre auteurs et scénaristes.

Ces sujets-là me passionnent. Notre monde est divers, nos sociétés sont diverses. Les séries doivent l’être aussi. Je suis depuis 5 ans l’un des administrateurs du Groupe Ouest, le laboratoire européen du récit pour la création audiovisuelle. J’adore cette aventure dans le monde de la fiction. Tout au bout de la Bretagne, sur la Côtes des Légendes, près de cet entrepôt d’échalotes rénové de Plounéour-Brignogan-Plages qui est notre repaire, souffle un vent d’aventure et d’imagination sans limite. Nous avons inscrit les séries dans la vie du Groupe Ouest, travaillant avec les meilleurs scénaristes d’Europe. L’art du récit et du scénario permet de toucher à des tas d’histoires et de sujets, en lien avec les mouvements de nos sociétés. Cela relève autant de la découverte des cultures qui font la richesse de l’Europe que des questions contemporaines touchant à la vie, à la liberté, à l’égalité, à la justice, à l’environnement et bien sûr aux belles et ravageuses passions de l’âme humaine. Je ne veux pas opposer le cinéma et les séries, j’ai besoin des deux. Il y a des histoires à écrire et à raconter qui peuvent emprunter bien des chemins. Il y a surtout tant à inventer. Le monde des séries est là pour durer, nous distraire, nous challenger et nous convaincre aussi.

Dans le désordre, mon top 20 des meilleures séries :

La Casa de Papel (Espagne)

Entrevias (Espagne)

O sabor das margaridas (Espagne / Galice)

Vivir sin permiso (Espagne)

Toy Boy (Espagne)

Deadwind (Finlande)

Quicksand (Suède)

Borgen (Danemark)

Bodkin (Irlande)

Capitani (Luxembourg)

Knokke off (Belgique / Flandre)

La Trêve (Belgique / Wallonie)

Le Chalet (France)

La Forêt (France)

Sans un mot (Pologne)

The Crown (Royaume-Uni)

The Queen’s Gambit (USA)

Unorthodox (USA)

House of Cards (USA)

The Perfect Couple (USA)

¿Quién mató a Sara? (Mexique)

Et la vidéo de cette scène de La Sagrada Familia que je trouve très belle :

https://www.facebook.com/watch/?v=1099755377346186

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Un pays à sauver

Lyon, 18 octobre 2024

Alors que le mois d’août tirait à sa fin, une séquence à la télévision avait attiré mon attention : les adieux soigneusement organisés de Bruno Le Maire dans la cour de Bercy, acclamé par un cercle d’amis et sans doute aussi de fonctionnaires venus pour faire foule. Le gouvernement était encore en affaires courantes, l’incertitude régnait toujours quant à l’identité du successeur de Gabriel Attal, mais le ministre de l’Economie mettait déjà en scène son départ. Je n’aime pas la politique spectacle et les égos boursoufflés. Cette séquence m’avait choqué. Il n’est pas interdit de rester modeste, même après un record de 7 années à Bercy. Les craintes, les angoisses et les colères exprimées rageusement par les Français aux élections législatives quelques semaines plus tôt auraient justifié une expression sobre. La dégradation des finances publiques, connue du ministre et non-encore de nos compatriotes, le requérait encore davantage, car un déficit budgétaire de 6,2% au lieu de 4,4% relève clairement de l’accident industriel. Depuis combien de temps le ministre et ses services connaissaient-ils la réalité de cette catastrophe pour l’action publique ? En étaient-ils informés lorsque la dissolution de l’Assemblée nationale a été décidée le 9 juin ? Les Français seraient légitimes à obtenir réponse.

Au regard des difficultés du pays et de sa désindustrialisation, il fallait conduire une politique économique favorable à l’offre, mais lucide et responsable aussi. Cette politique a contribué sans nul doute à la chute du chômage et au regain d’attractivité de la France, mais il n’en est résulté aucun rebond notable des recettes fiscales. Or, l’idée était que l’augmentation du niveau d’activité et d’emploi contribuerait à rééquilibrer nos comptes. Les quelque 60 milliards d’Euros de baisses d’impôts votés ces 7 dernières années n’ont ainsi été compensés ni par des recettes supplémentaires ni par des économies, et la seule solution était dès lors l’endettement. Au second trimestre de cette année, la dette de la France a augmenté de 1,5 point. C’est vertigineux. Elle atteint 113% du PIB. Seules l’Italie et la Grèce font plus mal en Europe. Les intérêts à payer pour la rembourser excéderont les 50 milliards d’Euros en 2024. Ils représentent déjà le second poste de dépenses derrière l’éducation nationale et pourraient bientôt le dépasser. Les exigences de rendement de nos créanciers internationaux sont désormais plus élevées au regard de la dégradation des comptes publics. Ils jugent la dette française plus risquée que celle de l’Espagne et presque autant que celle de la Grèce.

Notre souveraineté est en jeu

Il est impossible de continuer ainsi, sauf à se rapprocher chaque mois davantage d’une crise financière redoutable dont les Français seraient les premières victimes. La souveraineté de la France, c’est-à-dire notre capacité de décider nous-mêmes de nos choix collectifs, est en jeu. Nous pouvons la perdre et voir les décisions se prendre sans nous et contre nous à Francfort, Washington ou ailleurs, faute de descendre à temps du tobogan budgétaire sur lequel nous glissons au risque définitif de la perte de contrôle. Il y a urgence à rompre avec le déni de réalité, l’inconséquence, le clientélisme et les postures qui prévalent sur une large part du spectre politique. J’aurais souhaité que Bernard Cazeneuve soit appelé à Matignon par égard à la dynamique des élections législatives et à leurs résultats. Je respecte pour autant Michel Barnier et j’espère qu’il réussira. C’est une gageure de constituer un projet de budget en deux ou trois semaines dans un contexte aussi dégradé. Il faut trouver le bon dosage entre réduction de la dépense publique et augmentation des impôts sans mettre l’économie en récession. Ne travailler que sur la réduction de la dépense publique ou l’augmentation des impôts ramènerait le chômage de masse et réduirait à néant les progrès faits pour la réindustrialisation de la France.

Il est temps de rompre avec bien des totems et des tabous. Je suis un homme de gauche. La social-démocratie est ma famille politique. Je crois en la dépense publique et en l’action protectrice de l’Etat, pour peu qu’elles soient calibrées, mesurées et efficaces. Il ne serait pas choquant d’apprécier régulièrement la qualité de la dépense publique, ligne par ligne, et son impact réel sur les Français. Le totem, c’est de considérer toute dépense comme un acquis qu’il serait inconvenant par principe de vouloir évaluer et encore moins de remettre en cause. Le totem, c’est aussi de taxer toujours plus, de prétendre « aller chercher l’argent là où il est », comme si l’impôt était une fin en soi et que les fortunes n’étaient pas volatiles. Il y a des dépenses publiques nécessaires, des dépenses publiques qui sont même cruellement manquantes, et aussi des dépenses publiques qui ne servent à rien, parce qu’elles sont redondantes ou inefficaces. Ecrire cela, ce n’est pas cesser d’être de gauche, c’est même au contraire l’être pleinement. Il faut mettre l’argent là où cela fait sens, là où cela change la vie, répare les inégalités de destins et donne à chacun sa chance dans une société en mouvement et un pays qui protège. Je regrette que la gauche, prisonnière de LFI, ait renoncé à cette lucidité.

Les totems et les tabous, on les retrouve aussi dans la majorité très relative de Michel Barnier. Le refus obstiné de Gabriel Attal de relever les impôts confine à l’autisme politique. Il ne faudrait rien toucher aux fondamentaux du macronisme, comme si les élections législatives n’avaient pas été une défaite pour l’ancienne majorité et le non-financement de la politique de l’offre n’expliquait pas la dégradation des comptes publics. N’agir que sur les seules dépenses serait la garantie d’une souffrance sociale insupportable. N’est-il pas temps de faire preuve, là aussi, de lucidité et d’humilité ? Quant à la droite, et notamment au parti Les Républicains qui voudrait également n’agir que sur les dépenses, aurait-elle oublié ses revendications dépensières d’il y a quelques mois sur les boucliers énergétiques et le prix des carburants ? Où est la cohérence lorsque, dans l’opposition, le clientélisme l’emporte sur la responsabilité, puis dans la majorité, l’insensibilité sociale s’impose sans autre forme de procès ? Et, quitte à balayer tout le spectre politique, n’oublions pas bien sûr le Rassemblement national, qui voit dans la lutte contre l’immigration et les étrangers les solutions à tous les malheurs budgétaires de la France. La xénophobie au pouvoir serait ainsi un gage de sérieux financier. C’est à pleurer.

Rassembler pour redresser

Le projet de budget présenté par Michel Barnier a le mérite d’exister, mais il est loin d’être parfait. Il faudrait qu’il soit débattu, amendé et coconstruit avec la représentation nationale dans un souci de responsabilité à la hauteur de la gravité du moment. Je doute cependant que ce soit le cas tant il n’est question que de censure, recours à l’article 49.3 ou pas. Là est toute ma crainte : jamais l’atomisation du jeu politique, les calculs des uns et des autres, et la faiblesse de la majorité relative ne permettront de prendre des décisions fortes, de les présenter utilement aux Français et de trouver auprès d’eux la base de confiance nécessaire pour redresser durablement nos comptes. Or, il le faut. Rien sans cela n’est possible. Le redressement requiert une légitimité exceptionnelle et force est de constater qu’elle n’est pas au rendez-vous. Les esprits visent 2027 alors que tant se jouera dans les prochaines semaines et en 2025, et cela ne pourra se résumer à quelques décisions prises sans grand cap au fil de l’eau. Ce n’est pas de cabotage et de navigation à vue dont il est besoin, c’est de barreur et d’équipage de gros temps. Et donc de courage. Je crois que la parole devra être rendue aux Français en 2025. Si ce devait être par une dissolution, la nouvelle Assemblée devrait être élue à la proportionnelle.

L’hostilité française au compromis est une plaie politique. La proportionnelle force le compromis post-électoral. Les électeurs ne votent plus pour faire barrage, mais enfin pour leurs idées. Autour de nous, bien des démocraties parlementaires nous l’enseignent. Les résultats posés, chaque famille politique peut ensuite marcher vers les autres afin de dégager un contenu décisionnel pour l’action publique. La France peut le faire aussi. Sur le climat, sur l’innovation, sur la sécurité, il nous faudra investir résolument. C’est la clé de notre avenir et cela doit rassembler. Comme devront rassembler les choix de renoncer à certains postes de dépenses, parce que gouverner, ainsi que l’écrivait Pierre Mendes France, c’est choisir. Comme devra rassembler aussi l’exigence de justice et d’équité. Il n’est pas insupportable que les plus aisés des bénéficiaires du « quoi qu’il en coûte », entreprises et ménages, soient appelés à contribuer par un effort fiscal au redressement du pays. C’est une question de solidarité, de patriotisme et de loyauté. Il y a une différence entre les convictions et le dogmatisme. Les convictions peuvent se rencontrer. Le dogmatisme, à l’inverse, conduit à l’échec. La France ne peut se payer le luxe de l’échec. Dans la situation présente, il y a désormais tout un pays à sauver.

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