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« Fruits & Légumes », à consommer sans modération

J’ai adoré “Fruits et Légumes”, le roman d’Anthony Palou, publié l’an passé chez Albin Michel. Sans doute ce récit écrit dans un style très personnel, mêlant tendresse et un sens souvent irrésistible de la dérision, devait-il me parler car il raconte une part d’histoire de Quimper, ma ville natale. Les halles de Quimper sont le théâtre de la fortune, puis de l’infortune de trois générations dominées par le personnage du grand-père d’Anthony Palou, fuyant l’Espagne franquiste jusqu’en pays glazik pour venir y convertir avec bonheur les Quimpérois à ses bocaux de « sope mallorquine ». Vint ensuite un business de fruits et légumes florissant, périclitant peu à peu du fait de l’émergence de la grande distribution autour de la ville et, drame pour tout Quimper, l’incendie des halles en 1976.

Je me souviens de cet incendie, du choc dans notre petite ville et de l’exil des commerçants, des années durant, sur le lointain parking de la Glacière. Beaucoup y laissèrent leurs sous et leurs illusions. Les halles ont été reconstruites depuis, mais l’esprit de ce marché et sans doute aussi une époque ont définitivement disparu. C’était un petit monde dont on ne se lassait pas. Les personnages comme le poissonnier ou le charcutier étaient tels que les décrit Anthony Palou, hauts en couleur, drôles, impressionnants, parfois un peu inquiétants aussi. Sans le talent d’Anthony Palou, « Fruits et Légumes » aurait pu être un roman triste s’achevant dans une dèche magistrale. Il ne l’est pas. C’est la chronique douce-amère d’un temps lointain, qui parle encore au cœur de beaucoup.

Deux ou trois descriptions au gré des pages sont absolument hilarantes, comme la description de l’accident coûtant la vie au curé sitôt après avoir célébré en l’église Saint-Mathieu le mariage des grands-parents d’Anthony Palou : « Le curé, le père Le Bars, enleva l’affaire tout en latin et, pressé par l’extrême-onction d’un nourrisson qui l’attendait, traversa le parvis en trottinant – la soutane l’empêchait de faire des grandes enjambées – puis la rue quand un camion plein de bouteilles de lait l’écrasa comme une vulgaire taupe. Sur la chaussée, un missel, une barrette à trois cornes et une dent en or flottaient dans une flaque de sang éclairci par un nuage de lait entier ». Paix à l’homme d’église, mais ces quelques phrases sont à hurler de rire.

Voici un autre extrait, plus tard dans le livre, lorsqu’un huissier, lui-même peu épargné par les malheurs personnels, commença à tourner maladroitement autour des affaires du père d’Anthony Palou : « Il avait pitié de nous comme nous avions pitié de lui. Puis il mourut. D’une rupture d’anévrisme un matin d’hiver sur son trône, en forçant. Il avait toujours eu cet air constipé. Les pompiers retrouvèrent son corps en état de décomposition, le bénouze de son pyjama aux chevilles, Le Télégramme de Brest à ses pieds ». « Fruits et Légumes » est un livre attachant, à lire et à aimer sans modération aucune, pour rire, pour se souvenir et aussi méditer sur la fin des petits commerces, victimes d’Edouard Leclerc et des « supermarchés, fossoyeurs de notre dolce vita ». Le roman d’Anthony Palou a obtenu le Prix des Deux-Magots. Il le mérite amplement.


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