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A Calais, là où l’Europe perd son âme

Avec plusieurs députés et sénateurs, de la majorité comme de l’opposition, membres de la délégation française à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, je me suis rendu les 13 et 14 novembre à Calais. Notre souci, en menant cette mission, était de prendre la mesure de la pression migratoire qui s’exerce sur cette ville de 75 000 habitants, qui abrite l’un des plus grands ports marchands de France et l’entrée du tunnel sous la Manche, de laquelle, par les jours de beau temps, l’on aperçoit les côtes britanniques, l’Eldorado pour tant de migrants, distantes seulement d’une trentaine de kilomètres. Comme beaucoup, j’avais lu ces derniers mois divers articles de presse sur les tensions croissantes à Calais, entre migrants eux-mêmes, entre migrants et Calaisiens et plus récemment entre la Maire de Calais, Natacha Bouchart, et les autorités britanniques. Jamais, cependant, je n’aurais imaginé la réalité crue que j’allais découvrir sur place avec mes collègues. Je suis revenu de Calais bouleversé et révolté.

Il y a à Calais quelque 2 400 migrants, désireux coûte que coûte de traverser la Manche pour rejoindre la Grande-Bretagne. Nombre de ces migrants viennent de très loin, du Pakistan, d’Afghanistan, de Syrie, d’Erythrée ou bien encore du Soudan. Ils ont marché parfois des années durant dans l’espoir d’une vie meilleure, à la recherche de ce rêve que leur ont vendu des réseaux de passeurs, mafieux et criminels, qui font honteusement commerce de la misère humaine. D’autres ont traversé la Méditerranée au péril de leur vie, survivant au naufrage et à la mort. Ils pourraient être éligibles au statut de réfugiés en France. Mais ils ne veulent pas rester en France. Tous vont à Calais pour traverser, cachés dans la remorque d’un camion ou le coffre d’une voiture, par le ferry ou le tunnel sous la Manche. Tous, y compris les Albanais, nombreux à Calais, dont la présence dans notre pays est légale, mais qui ne peuvent pas davantage émigrer en Grande-Bretagne, faute d’y être acceptés.

C’est l’absence d’une politique européenne des migrations, structurée et mutualisée, qui conduit à de tels drames. C’est également l’égoïsme d’un pays, la Grande-Bretagne, qui choisit d’ignorer sans vergogne les conséquences de son refus d’embrasser la cause européenne sur la vie de milliers de femmes et d’hommes démunis comme également sur l’avenir d’une ville et de ses habitants. Où va l’Europe, ses valeurs et son idéal, lorsque des êtres humains, par milliers, se pressent dans des squats insalubres, serrés sous de fines tentes de camping, alors que la température baisse dangereusement et que l’hiver arrive ?  Que penser lorsque plus de 600 personnes, parmi lesquelles des enfants en bas âge, vivent agglutinées sur un terrain vague contigu d’une usine chimique, peu ou prou assimilable à un site Seveso ? La Grande-Bretagne imagine-t-elle un instant que le port de Douvres survivra si celui de Calais périclite, lorsque les transporteurs, lassés de voir leurs camions pris d’assaut et abimés, s’en iront passer la Manche ailleurs ?

Tous les jours se reproduisent les mêmes scènes. Des centaines de migrants tentent de pénétrer dans les remorques des camions, déchirant les bâches ou forçant les portes. Que peuvent les forces de l’ordre face au poids du nombre ? 50 CRS contre 500 migrants ? Il suffit d’un ralentissement sur la rocade conduisant au port ou vers le tunnel pour que les camions soient attaqués. Le port perd du trafic, les stations-services (où les camions se ravitaillant sont aussi pris d’assaut) des clients et c’est tout au bout l’économie d’une ville qui est grandement menacée. Une ville pauvre, au taux de chômage excédant 15%, de condition et de tradition ouvrière, longtemps en empathie sincère avec les migrants, mais qui aujourd’hui atteint le point de non-retour à la faveur d’une insécurité galopante. Car vols avec violence, cambriolages et agressions se multiplient. Il y a à Calais plus de 1000 fonctionnaires de police. Ils se battent avec courage, traquant les réseaux et les passeurs. 20 réseaux ont ainsi été démantelés en 2013 et plus de 500 passeurs appréhendés. Leur tâche est immense.

Avec mes collègues, j’ai visité le centre de rétention de Coquelles, qui abrite jusque 79 retenus. Nous y avons rencontré les responsables du centre, les dirigeants de la Police aux Frontières et les ONG actives au contact des migrants, notamment France Terre d’Asile. J’ai été impressionné par le professionnalisme et la grande humanité de ces intervenants, chacun dans son rôle. Le centre de rétention retient l’étranger en situation irrégulière, dans l’attente de son éloignement. J’ai pu échanger avec quelques retenus, originaires d’Albanie et du Pakistan. Le temps moyen de rétention est de 8 à 9 jours. Il peut aller jusque 45 jours. Le centre dispose de 8 véhicules, qui couvrent 420 000 kilomètres par an pour conduire les retenus au Tribunal administratif de Lille, à la Cour d’appel de Douai ou bien à l’aéroport de Roissy. Il s’est équipé d’un matériel dernier cri de visio-conférence pour faire l’économie de tels déplacements et accélérer les procédures, dans l’intérêt premier du retenu. Les avocats, malheureusement, s’opposent à son utilisation.  

Nous nous sommes rendus également à l’Hôtel de Ville pour une réunion avec la Sénatrice-Maire Natacha Bouchart. Un peu plus tôt, nous avions échangé avec le député Yann Capet et le Sous-Préfet de Calais. Que peut faire la France ? Mettre en place un accueil de jour, qui offre repas chauds ainsi que divers services de soins et de conseils. C’est chose faite depuis l’annonce du Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve il y a deux semaines, répondant favorablement à la proposition de la Maire, qui avait identifié à cette fin un centre de loisirs situé à l’entrée de la ville. Les associations, comme le Secours populaire et le Secours catholique, auront accès au centre. Si cet accueil de jour sera aussi un accueil de nuit pour les femmes et les enfants, il ne le sera pas pour les hommes. Que deviendront alors ces derniers à la nuit tombée ? Retourneront-ils dans les squats, dans le gel de l’hiver ? Qu’en est-il d’un plan grand froid ? Ne peut-on pas réquisitionner des hangars vides ou installer des tentes de l’armée ? Si personne ne veut recréer un second Sangatte, comme il y a plus de 10 ans, l’humanité ne commande-t-elle pas cependant d’agir vite avant que ne survienne un drame ?

Il est évident que c’est à l’échelle européenne et en amont que la réponse se trouve. La situation à Calais illustre l’échec flagrant de la politique européenne des migrations. Ce cadre doit être profondément repensé, non pour le faire disparaître, mais pour définir strictement les droits et les devoirs des Etats. Et poser clairement la question des moyens mis à la disposition de cette politique, qu’il s’agisse des moyens financiers ou humains. L’agence Frontex a-t-elle les clés pour une réponse efficace ? Non, malheureusement. Ce dont il est besoin, c’est d’une volonté politique et de courage, tant dans la relation avec les pays d’immigration qu’avec les poches de territoire européen où, à l’instar de Calais, se concentre la misère humaine. L’Europe ne peut plus vivre ainsi à la petite semaine, prisonnière des non-dits et des égoïsmes, des lâchetés et de l’inaction. N’oublions pas que l’Europe est un projet de civilisation, un ensemble de valeurs, une éthique de solidarité internationale, qu’il s’agit aujourd’hui plus encore qu’hier de faire vivre au bénéfice de tous. De Lampedusa à Calais, l’Europe se perd. Elle doit se réinventer. Il y a urgence.

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