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Au congrès des filiales allemandes des entreprises françaises (24 octobre 2014)

Le vendredi 24 octobre dernier s’est tenu à Cologne, à l’initiative du centre d’affaires Villa France et de Connexion Emploi, le premier congrès des filiales allemandes des entreprises françaises. J’ai participé à ce congrès et y ai présenté la politique économique du gouvernement français. Voici plus bas le texte de mon intervention.

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les congressistes,

C’est un honneur pour moi de participer à ce premier congrès des filiales allemandes des entreprises françaises implantées outre-Rhin. Je salue l’initiative et tiens en particulier à distinguer celui qui en est à la fois la cheville ouvrière et l’organisateur, mon ami Dominique Cherpin. Je suis heureux de retrouver aussi de nombreux visages familiers, parmi lesquels Bénédicte de Peretti, correspondante de la Tribune à Munich durant de longues années, ainsi que Gabriel Turck, président de la section des conseillers du commerce extérieur de la France en Rhénanie du Nord – Westphalie. Quel regard peuvent apporter les dirigeants d’entreprise que vous êtes sur l’évolution comparée de la France et de l’Allemagne ? Quelles recommandations pouvez-vous formuler pour renforcer les volumes d’échange commerciaux entre nos deux pays ? Mon intervention, ce matin, portera sur la politique économique du gouvernement français, que je chercherai à présenter, justifier et défendre. Je crois en cette politique pour mettre un terme au décrochage de l’économie française, consécutif à des années de non-choix et d’impréparation face aux défis de la globalisation. Je mesure tout autant les interrogations que cette politique suscite en France comme au-delà et je me tiens prêt à répondre aux questions que vous aurez sûrement à cœur de soulever.

Le rapport Gallois, commandé à l’ancien président d’EADS et d’Air France par le gouvernement Ayrault dès sa prise de fonction en juin 2012 et remis en octobre de la même année, a mis en évidence les marges historiquement faibles des entreprises françaises et les conséquences négatives que cela emporte pour l’investissement. L’investissement a minima ne prépare pas l’avenir. Faute d’investir suffisamment, la France reste en milieu de gamme, soumise à la concurrence croissante de pays à moindres coûts salariaux contre lesquels elle ne peut pas lutter. Cette difficulté est exprimée par le déficit abyssal du commerce extérieur, à hauteur de plus de 70 milliards d’Euros. Elle s’est traduite aussi par la destruction de près d’un million d’emplois industriels depuis une douzaine d’années. Des pans entiers de l’industrie française ont peu ou prou disparu. Les entreprises de taille intermédiaire et les PME souffrent. Cette situation illustre, s’il en était besoin, combien « l’offre France » requiert aujourd’hui un changement radical de politique en faveur de l’entreprise et de la compétitivité, qui passe prioritairement par la réduction du coût du travail afin de relancer l’investissement.

Cette réduction s’est faite en deux temps. Le premier, dès la fin 2012, a pris la forme du Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE). Portant sur 20 milliards d’Euros, il équivaut à une baisse des cotisations sociales des entreprises à hauteur de 4% en 2013 et de 6% en 2014. Puis est venu cette année le Pacte de responsabilité et de solidarité, correspondant à 50 milliards d’Euros d’économies sur 3 ans, dont 21 milliards dès 2015 au bénéfice des PME et des salariés touchant jusque 3,5 fois le SMIC (soit 80% du salariat français). Le Pacte de responsabilité, financé exclusivement par la réduction de la dépense publique, ne représente pas moins de 2,5% du PIB, 15 points d’autofinancement supplémentaires et 10 points de cotisations sociales en moins pour les salariés. Jamais, dans l’histoire des 50 dernières années en France, pareil effort n’avait été consenti par la Nation pour les entreprises, a fortiori sans recours à l’impôt ou à l’emprunt. La majorité parlementaire a autorisé cet effort, consciente de l’urgence et de la visibilité politique nécessaire quant à la pérennité des réformes à mettre en œuvre. La France souffre en effet, entre autres maux, d’une instabilité législative et fiscale chronique décourageante pour l’investissement, qu’il s’agit de combattre.

Si le CICE et le Pacte de responsabilité sont apparus comme les éléments-clés du dispositif de la politique gouvernementale, d’autres mesures ont également été mises en place avec les mêmes objectifs ou sont en voie de l’être. C’est notamment le cas des dispositions de l’accord sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi signé par les partenaires sociaux en 2013, consacrées par la loi quelques mois après. Les éléments de flexibilité dans les relations du travail permises par l’accord trouveront prolongation, entre autres, dans le mouvement de simplification administrative confié, d’abord à l’Assemblée nationale et depuis juin dernier au gouvernement à Thierry Mandon. Cette tâche est immense tant la loi en France est bavarde, tatillonne et souvent inapplicable. Il s’agit d’éliminer toutes les mesures inutiles qui contraignent la liberté d’entreprendre et d’investir, sans cependant renoncer aux instruments de protection sociale et environnementale conquis par les Français. Cette simplification s’étendra au code du travail si les partenaires sociaux en conviennent par la négociation. L’ouverture à la concurrence des professions réglementées et l’allègement de certaines règles, comme sur l’urbanisme commercial ou le travail le dimanche, seront également des relais de croissance importants.

L’économie française a besoin de réformes et le gouvernement de Manuel Valls a choisi de les engager. Non parce que la Commission européenne en aurait formulé l’exigence, mais bien par conviction : un Etat dont la compétitivité souffre depuis des années et dont le commerce extérieur sombre ne peut plus longtemps vivre au-dessus de ses moyens. Vivre au-dessus de ses moyens, c’est accumuler une dette correspondant à une année de richesse nationale, c’est voir la charge de cette dette devenir le premier poste budgétaire de l’Etat (avant même l’éducation et les dépenses d’avenir). C’est aussi vivre avec un déficit budgétaire de 4,3% du PIB et une dépense publique à hauteur de 57% du PIB. Ceci ne peut plus durer. Il est impératif de réduire l’endettement, les déficits et la dépense publique, sauf à risquer le conflit avec les marchés financiers et à voir décoller les taux d’intérêt au gré des circonstances. Cette rigueur-là est une lutte pour la reconquête d’une souveraineté aujourd’hui entamée par nos choix passés ou nos refus de choisir. Mais une telle politique peut aussi rencontrer ses limites si l’Europe, par rigorisme ou par égoïsme, décidait de ne pas joindre ses forces dans le combat pour la croissance.

Il faut en effet une initiative majeure en faveur de la croissance en Europe. L’activité économique n’y progresse plus que marginalement, même en Allemagne. La déflation menace et un scénario de longue stagnation à la japonaise n’est pas à exclure. La France ne pourra réussir seule et d’autres pays pas davantage qu’elle, en particulier l’Italie. Sans croissance, malgré tous les efforts consentis, il n’y a pas les rentrées fiscales permettant de réduire les déficits. A assécher la demande intérieure, comme certains, loin de la vraie vie, l’exigent, et à malmener de fait les stabilisateurs sociaux, qui soutiennent, comme c’est le cas en France, la consommation intérieure, c’est une récession que l’on préparerait. Voilà pourquoi le gouvernement français a marqué son refus net d’une politique d’austérité qui, loin de guérir, renforcerait la crise et frapperait au premier chef les catégories les plus modestes et exposées de la population. La Commission européenne ne peut vivre hors de la réalité et refuser plus longtemps de caractériser les difficultés actuelles de l’Union toute entière comme ces circonstances exceptionnelles prévues par le Traité pour introduire la souplesse nécessaire dans l’accomplissement des engagements budgétaires des Etats. 

Tous les Etats de l’Union européenne ont besoin d’une relance coordonnée et européenne de la croissance. Le Président Jean-Claude Juncker avait présenté l’idée d’une initiative à hauteur de 300 milliards d’Euros pour l’investissement public et privé dans son premier discours devant le Parlement européen en juillet 2014. C’est le moment d’y donner corps et contenu. L’Allemagne elle-même, qu’il ne faut en aucun cas pointer du doigt – elle a eu le courage il y a une dizaine d’années de conduire les réformes –, dont l’économie dépend tant du commerce extérieur, ne peut accepter de voir ses partenaires et principaux clients glisser en récession. Il est de son intérêt de mobiliser ses excédents pour une relance économique européenne dont elle aussi a besoin. N’est-il pas temps dès lors de briser les carcans des certitudes et autres règles trop uniformément interprétées pour remettre l’Europe sur le chemin de la croissance et de l’emploi ? Après tout, ce courage politique-là, Mario Draghi a su l’avoir à l’échelle de la BCE, même si l’Euro reste encore surévalué. A la nouvelle Commission européenne et aux Etats membres, collectivement, de faire preuve du même courage.

Mesdames et messieurs, je n’oublie pas que, durant une vingtaine années de ma vie, j’ai été un cadre d’entreprise. Le monde de l’entreprise a été le mien, y compris ici, en Allemagne. Il le reste. Je sais, comme vous, que c’est l’entreprise qui crée l’emploi, si toutefois l’investissement et la compétitivité sont au rendez-vous. C’est tout le sens de la politique conduite par le gouvernement français depuis 2012. Il faut parler vrai, expliquer les mesures prises, préciser les échéanciers et appeler aux contreparties en retour à l’effort consenti par la Nation. Je soutiens cette politique. La France n’est pas un pays perdu, cet homme malade de l’Europe que l’on décrit aujourd’hui avec commisération ici ou là. Je n’oublie pas que l’homme malade de l’Europe de la décennie précédente était l’Allemagne. On sait où elle est aujourd’hui. La France a des atouts, dont le premier et non des moindres est sa jeunesse. La France se bat. Avec ténacité, avec conviction, sur la longueur. Les réformes du gouvernement français auront, j’en suis persuadé, les résultats escomptés pour le rebond industriel et la relance de l’emploi.

Je vous remercie pour votre attention.

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