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Elire les juges à la Cour européenne des droits de l’homme

Je participe ce mardi et demain mercredi à la réunion à Paris de la Commission de sélection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette Commission a été constituée au sein de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (ACPE) en début d’année pour renforcer le processus d’élection des juges. Ce sont en effet les parlementaires membres de l’APCE qui élisent les 47 juges de la CEDH. Chaque Etat membre dispose d’un juge, élu pour un mandat non-renouvelable de 9 ans. Jusqu’au mois de janvier dernier, c’est une formation restreinte issue de la Commission des affaires juridiques de l’APCE qui procédait à l’audition des 3 candidats présentés par les Etats membres. Peu de parlementaires y siégeaient et le temps nécessaire pour réaliser les auditions lui manquait. Au regard de l’importance de la Cour pour l’Etat de droit en Europe, a fortiori en cette année 2015 qui verra l’élection de 15 nouveaux juges, il est apparu critique de constituer une Commission de plein exercice. J’en suis l’un des 20 membres. Et le seul francophone parmi ceux-ci.

L’article 21, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme précise que « les juges doivent jouir de la plus haute considération morale et réunir les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions judiciaires ou être des jurisconsultes possédant une compétence notoire ». Les juges à la CEDH peuvent ainsi avoir été juges dans leur pays, mais aussi alternativement être de grands juristes qui, sans avoir pratiqué stricto sensu l’exercice de la justice, ont une solide connaissance du droit et des droits de l’homme que la pratique d’avocat ou bien celle de professeur d’université procure. Le rôle de notre Commission, en amont du vote par l’APCE elle-même, est d’auditionner les 3 candidats sélectionnés par les gouvernements, à l’issue d’un appel public à candidature dans les pays concernés et sur la base de l’appréciation d’un panel de pré-sélection composé d’anciens juges assurant la Commission que les candidats remplissent les conditions posées par l’article 21, paragraphe 1 de la Convention.

Chaque audition dure 30 minutes. A l’issue d’un exposé liminaire de la candidate ou du candidat, nous pouvons les interroger. L’objectif est de tester leurs connaissances des droits de l’homme et de la jurisprudence de la CEDH, mais aussi d’imaginer le type de juge qu’il ou elle serait. La CEDH, à la différence de la Cour de Justice de l’Union européenne, permet la publication d’opinions dissidentes par les juges qui n’auraient pas partagé le choix de la majorité de leurs collègues dans le délibéré. C’est une liberté appréciable. Reste que l’intégration du juge dans la dynamique du délibéré est pour moi une question essentielle. En effet, si la CEDH est une organisation puissante et fascinante, elle est aussi fragile. Il faut que ses arrêts soient fondés et indiscutables. Dans les auditions, je pose mes questions en français car il est fondamental que la pratique de notre langue soit une condition de l’élection. Je suis le seul membre à utiliser le français, au risque (que j’assume) d’irriter mes collègues car ce choix n’est en rien de ma part un signe de paresse, mais bien au contraire l’affirmation d’une volonté politique.

A l’issue des auditions, la Commission délibère et range par ordre de préférence, à l’issue d’un vote à bulletin secret, chacun des 3 candidats. Cet ordre de préférence est communiqué à l’APCE qui, à la session plénière suivant la réunion de la Commission, élit le ou la juge parmi les 3 candidats. L’APCE suit la plupart du temps l’ordre de préférence communiqué par la Commission et élit celle ou celui des candidats classé le premier. Il arrive aussi que la Commission choisisse de rejeter la liste en bloc en raison de la faiblesse des candidatures, retournant ainsi sa copie à l’Etat membre concerné. C’est en effet à un vrai choix que les parlementaires de l’APCE doivent être appelés, non à une sélection par défaut si l’un des 3 candidats seulement présentait les garanties nécessaires de connaissance du droit et de stature pour siéger à la CEDH. Une liste faible ou hétérogène peut ainsi être rejetée. Cela a été le cas en mars dernier pour un pays.

J’accorde temps et importance à cette mission de sélection des juges européens. La CEDH est, dans le domaine des droits de l’homme, à la fois une cour constitutionnelle et une cour suprême. C’est dire son rôle de clé de voute. C’est pour cette raison qu’elle doit être composée des meilleurs juristes, loin de toute politique partisane ou d’intérêt national.   

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